« Debout. » « Volontaires. » Les devises accolées de la ville de Castres et du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine (rpima) semblent naturellement s’accorder et se répondre. Elles symbolisent, d’une certaine façon, le caractère remarquable de l’implantation du régiment dans sa ville. Cette symbiose, soulignée par Gérard Longuet, ministre de la Défense, lors de sa récente visite dans le Tarn, offre à réfléchir plus largement, au travers de l’exemple réussi d’un enracinement local, à la place des armées dans la société française et à celle d’une unité dans son environnement.
Alors que d’autres unités de l’armée de terre semblent souffrir d’un certain ostracisme, à Castres, les militaires du 8 ont le sentiment d’être considérés comme des acteurs de la vie de la cité. Les devoirs que leur impose leur statut leur valent le respect et la considération de leurs concitoyens. Trois facteurs principaux ayant favorisé l’enracinement exceptionnel du régiment méritent de retenir l’attention : une certaine tradition militaire castraise, l’exceptionnelle stabilité de l’implantation du 8 et sa professionnalisation ancienne.
Lorsqu’en 1963, le 8e rpima s’installe à Castres, il prend la suite de nombreux corps de troupe qui ont marqué l’histoire locale. Ce furent d’abord des unités de cavalerie royale au xviie siècle, puis, à partir de 1870, essentiellement des unités d’artillerie, jusqu’à l’effectif d’une brigade complète. En plus de trois siècles, cette présence militaire a profondément marqué la géographie urbaine en même temps qu’elle a créé une certaine familiarité de la population avec le fait militaire. C’est donc dans un terreau favorable que le 8 a été implanté. Aujourd’hui encore, le régiment bénéficie d’un environnement et d’infrastructures directement hérités du riche passé militaire de Castres. Ainsi le cercle mixte de la garnison occupe l’hôtel Beaudecourt, l’ancien hôtel de commandement de la brigade d’artillerie situé au cœur de la ville, tandis que les parachutistes continuent à s’entraîner quotidiennement sur l’ancien polygone de tir devenu le terrain militaire du Causse.
Après un court passage à Nancy, Castres est la seconde garnison métropolitaine du 8e rpima. Il n’a auparavant connu que les théâtres d’opérations : l’Indochine, qui l’a vu naître en 1951, et l’Algérie où il a passé neuf années de guerre. L’arrivée des parachutistes, le 2 août 1963, met fin à un mouvement de renouvellement permanent des unités dans les casernes castraises. Au sein d’une armée en perpétuelle réorganisation, le 8 aura la chance de ne plus bouger. Cette stabilité exceptionnelle explique en partie le succès de la greffe. Les années ont permis aux habitants, initialement sur leurs gardes dans le contexte post-algérien, d’adopter le régiment. En effet, comme le rappelle l’album du cinquantenaire, « pour la population d’une ville bourgeoise et calme, voir débarquer un régiment de marsouins, qui plus est parachutistes, est un événement qui, sans être alarmant, est tout à fait inédit ».
Enfin, la principale raison de cet enracinement est sans doute liée directement à l’histoire du régiment. En 1970, le 8e rpima fut en effet le deuxième régiment de l’armée française à être professionnalisé. Et en quarante ans, plusieurs générations de marsouins-parachutistes ont fait souche dans cette terre du Tarn, se mariant dans la région en dépit des craintes initiales de nombreuses mères de famille…
Le fort esprit de corps du 8 incite ses cadres et ses marsouins-parachutistes à demander leur retour au sein du régiment au gré des mutations. Ainsi de nombreux jeunes officiers, ayant noué des relations d’amitié avec des Castrais de leur génération, eurent l’opportunité de les « solidifier » au fil d’affections successives, facilitant, par le jeu des relations personnelles, l’intégration du régiment dans le tissu local.
De plus, par le jeu des reconversions locales, le 8 est peu à peu entré dans la trame socio-économique de la région castraise. S’il n’existe pas de liste officielle des raisons sociales des anciens du régiment, leur présence est importante dans l’artisanat, dans les entreprises et, également, dans les différents services de la mairie, notamment la police municipale. La qualité de vie indéniable de la région, ainsi que le sens de l’accueil des Tarnais ont également incité de nombreux militaires à la retraite à s’implanter durablement dans la région, même en l’absence d’attaches familiales. L’amicale des anciens fournit un indicateur remarquable de cet enracinement. Elle regroupe environ mille deux cents membres dont un bon tiers, soit quatre cent vingt, résident en Midi-Pyrénées, trois cent onze habitent le Tarn et, parmi eux, deux cent trente séjournent dans le Tarn Sud, dont cent soixante-dix à Castres même. Ces facteurs favorables ont permis une histoire d’amour qui a abouti à un véritable mariage entre le régiment et sa garnison, un mariage de cœur et de raison comme toutes les unions qui durent.
Jusqu’à la professionnalisation du régiment, les relations avec la société castraise restèrent relativement limitées et fondées essentiellement sur des affinités personnelles. Un effort de séduction du 8 était nécessaire. Une impulsion particulière fut donnée sous le commandement du colonel Dominique, chef de corps de 1973 à 1975, qui, le premier, organisa une soirée au théâtre municipal afin d’ancrer davantage le régiment dans le tissu social. Dès lors, les relations avec les équipes municipales furent marquées par la proximité et la volonté permanente de rapprochement. Aujourd’hui, un conseiller municipal, qui plus est réserviste du 8, est ainsi spécifiquement chargé du suivi des relations avec le régiment.
Le successeur du colonel Dominique, le colonel Schmitt, poursuivit ces efforts d’ouverture vers la société civile en participant notamment à une initiative du journaliste Yves Mourousi de tf1. À l’occasion de la Saint-Michel, ce dernier choisit le terrain militaire du Causse pour délocaliser le journal télévisé. Cette médiatisation rejaillit également sur Castres. Les parachutistes participèrent alors pour la première fois à des démonstrations en ville. Depuis, la tradition a perduré et chaque année, le 8 organise ses journées « portes ouvertes » en alternance avec l’opération « Le 8 dans sa ville ». Que ce soit dans l’enceinte du quartier Fayolle ou sur les places du centre de la cité, ces manifestations sont des moments privilégiés de rencontre et d’échange entre le régiment et sa ville. L’anniversaire du régiment est dignement célébré tous les dix ans lors d’une prise d’armes et d’un spectacle ouverts à l’ensemble de la population castraise.
Les Castrais sont également présents en nombre lors des fêtes nationales et des manifestations patriotiques, où ils expriment très clairement leur fierté de voir « leur » régiment défiler, chef de corps en tête, « comme à Paris ». Enfin, la cérémonie de remise des fourragères, qui marque la fin de la formation initiale des jeunes recrues, est une occasion de construire des liens particuliers avec les communes environnantes. Naguère vécues comme un rite initiatique interne, ces cérémonies sont aujourd’hui organisées en liaison avec les municipalités et sont ouvertes aux familles. Elles marquent de façon concrète l’attachement du 8 à son environnement.
Dans cette relation de cœur, l’acte le plus important, en quelque sorte l’acte officiel d’union entre le régiment et sa ville, date du 5 juillet 1997, lorsque le général Claude Réglat, alors chef de corps, et Arnaud Mandement, alors maire de Castres, signèrent une charte de parrainage. La ville devint partenaire du régiment en même temps que le 8 manifestait sa volonté d’être le régiment de Castres et non un régiment à Castres. Depuis, symbole visible et tangible de ce parrainage, les marsouins-parachutistes portent les armes de la ville sur leurs tenues de cérémonie. Le port d’un insigne particulier peut sembler anecdotique et peu révélateur des enjeux du lien armée/nation. Il n’en est rien. Profondément attachés à la symbolique qui figure sur leurs uniformes, les militaires du 8 portent les armes de Castres avec fierté et reconnaissance car elles en font des acteurs de la vie de la cité.
À Castres, l’engagement militaire prend naturellement sens, car, au quotidien, les habitants reconnaissent sa spécificité et témoignent de leur attachement au 8 par une multitude d’attentions. Ainsi, lors de la cérémonie des vœux à la mairie, la rétrospective en images de l’année écoulée laisse toujours une part au 8. Quelques visages de parachutistes au milieu des images de la vie quotidienne et de projets d’avenir… C’est pour un soldat une immense reconnaissance qui vaut bien des discours. Si l’émotion des Castrais et leurs manifestations d’attachement dans les circonstances dramatiques de l’embuscade d’Uzbeen ont particulièrement marqué les parachutistes du 8, c’est aussi, et surtout, la multitude de services rendus et de marques d’intérêt quotidiennes qui font la richesse des relations entre le régiment et sa ville. Tant et si bien que l’attachement à la ville de Castres fait désormais partie intégrante de l’esprit de corps propre au 8e rpima, et que Castres se définit avec fierté comme la marraine du régiment.
La relation qui unit le 8 et Castres est également un mariage de raison. Avec ses mille deux cents civils et militaires, auxquels il convient d’ajouter neuf cent vingt-quatre conjoints et enfants, le 8e rpima est une communauté visible dans la cité castraise. À bien des égards, Castres, sous-préfecture de quarante-cinq mille habitants, semble la garnison de taille idéale, offrant l’ensemble des services administratifs et commerciaux tout en évitant la « dilution sociale » et l’anonymat des militaires. La vie associative culturelle et sportive fournit également un bon indicateur de l’intégration de ceux-ci. Nombre d’entre eux ont notamment rejoint les équipes de rugby des communes environnantes. Enfin, installés dans l’enceinte du quartier Fayolle, à deux pas du centre-ville, les marsouins-parachutistes jouissent d’une visibilité remarquable par rapport à d’autres garnisons où les quartiers sont très excentrés. La vue d’un uniforme, le passage d’une section rentrant d’exercice ou le largage d’un Transall dans le ciel castrais font partie du quotidien.
Le 8e rpima représente également un poids économique non négligeable. L’apport global du régiment s’élève en effet à trente-cinq millions d’euros par an, répartis entre la masse salariale et les contrats avec les fournisseurs locaux. Constitué d’une population majoritairement jeune, consommatrice de loisirs et pleine de projets, il stimule sans conteste le marché immobilier et la vente automobile. Cependant, et c’est une caractéristique importante, le 8 n’est pas le seul employeur de la région. Le dynamisme économique de celle-ci s’appuie principalement sur les laboratoires pharmaceutiques Fabre et la technopole du Causse. Le 8 n’est donc pas considéré uniquement comme une masse salariale ou un outil d’aménagement d’un territoire sinistré, mais bien comme un réel partenaire du développement économique.
Au-delà de l’apport économique, le 8 est également reconnu comme une source de vitalité démographique. Si 5 % des engagés du régiment sont originaires de la région, beaucoup d’entre eux font le choix de rester à Castres ou dans le Tarn lorsqu’ils quittent l’institution.
Ces conditions favorables, alliées à la ferme volonté d’intégration et d’entente du régiment et de la ville, ont permis au fil des années l’amorce d’un cycle vertueux dans la gestion des relations armée-nation. La gestion de la zone de saut du terrain militaire du Causse constitue un exemple emblématique de cette relation d’intérêts mutuels. Construite en 1990 en utilisant une partie du terrain militaire, la piste de l’aéroport de Castres-Mazamet borde la zone de saut et offre au régiment d’exceptionnelles conditions d’entraînement à sa mission aéroportée. À ce titre, l’année 2011 a vu la ville et le département devenir des acteurs proactifs de l’enracinement du régiment au travers du dossier A 400M. Anticipant l’arrivée du futur avion de transport militaire, la chambre de commerce et d’industrie s’est en effet d’ores et déjà engagée à mener les travaux d’aménagement de la piste ainsi que le renforcement des équipes de sécurité permettant d’accueillir le remplaçant du Transall sur la plateforme aéroportuaire. Les élus locaux créent, sur leurs budgets, les conditions de pérennisation de l’activité militaire à Castres.
Fort de ce soutien, le 8 peut bénéficier dans sa garnison de conditions d’accueil et d’entraînement exceptionnelles, gages d’efficacité au service des Français. Profondément attachés à leur garnison, les marsouins-parachutistes y trouvent au quotidien la preuve que leur engagement au service du pays a un sens. L’attachement du régiment à sa ville et de Castres à son régiment concrétise de la plus belle manière les liens qui devraient exister partout entre l’armée et la nation. En période de mutation, on n’est pas affecté au 8e rpima, on revient à Castres.