Par une chaude journée de mars, Pierre Schoendoerffer accueille la revue Inflexions dans son appartement situé à Paris, sur la colline de Passy. Entretien chaleureux, humain, pudique et enthousiasmant de simplicité, où l’on découvre un homme réfléchi, presque timide, mais surtout tenace et mû par la grande force de la vie et de l’espérance.
Inflexions : Que signifie « partir » pour vous ?
Pierre Schoendoerffer : « Partir » c’est une quête.
Inflexions : Une quête ?
Pierre Schoendoerffer : Oui, « partir » c’est une quête. Pour moi c’est une quête. Je me suis trouvé une formule que j’aime bien parce que j’aime les formules laconiques à la romaine ou à la Kipling. C’est : « Ce que je ne veux pas, je sais. Ce que je veux, je cherche. »
Inflexions : Et chercher, c’est ne pas rester chez soi, c’est partir ?
Pierre Schoendoerffer : Pour moi, c’est partir. Mais on peut rester chez soi et partir quand même… Il se trouve que, personnellement, j’ai un besoin physique de grand large. Quand j’étais très jeune, je rêvais d’être marin – j’ai été marin d’ailleurs. J’avais un but... Un but de l’autre côté de la terre pour savoir si le soleil était toujours là, s’il chauffait de la même manière.
Inflexions : Partir en Indochine, pour vous, ça a été ça ?
Pierre Schoendoerffer : Il y avait de ça. Il y avait aussi le fait que je voulais alors faire du cinéma – quelle idée d’être marin professionnel ! En réalité, j’avais envie d’être conteur. Je pensais que le cinéma ne devait pas être difficile. Je ne pensais pas pouvoir devenir un écrivain à ce moment là. Je me disais : « J’ai vu des tas de films, tout ça c’est très simple à faire. » Je voulais donc faire du cinéma, mais toutes les portes étaient fermées. Or, un jour, je lis dans Le Figaro qu’un caméraman qui s’appelait Kowal venait de se faire tuer dans les combats. Il y avait un article, un très bel article de Serge Bromberger sur lui. Je me suis dit que cette place là, je pouvais peut-être la prendre. J’ai demandé comment faire. Il a fallu que je m’engage... Enfin bref, je passe sur le circuit. Je suis parti pour l’Indochine pour faire du cinéma.
Je suis donc parti pour des raisons personnelles. Pas pour la France ou pour l’Indochine. Je suis parti pour des raisons strictement personnelles. Et bien sûr, quand je suis arrivé là-bas, j’ai découvert quelque chose de beaucoup plus vaste que ma propre ambition, que ma propre petite ambition. Et ça a été une aventure humaine absolument exceptionnelle que j’ai vécue pendant trois ans... En fait pendant toute ma vie...
J’avais un grade très modeste : j’étais caporal puis caporal-chef. Pourtant, je fréquentais les généraux commandant en chef parce qu’ils aimaient être filmés, à l’occasion, pour qu’on sache ce qu’ils faisaient. J’ai fréquenté une poignée de ministres qui venaient prendre le pouls de la guerre, deux rois et un empereur. Je suis d’ailleurs resté lié avec Bao Dai... Il n’habitait pas très loin, au Trocadéro. J’allais le voir parce que c’est quelqu’un pour lequel j’avais quand même de l’estime alors qu’il a été dénigré d’une manière... Enfin bref, moi j’avais de l’estime pour lui. Il avait une fin de vie un peu triste, il n’avait plus d’argent... Un jour il m’a dit : « Vous voulez un jour qu’on aille ensemble au musée Guimet ? » Nous sommes partis pour ce musée. Alors ça a été une découverte ! Alors que je connaissais bien cet endroit, j’ai eu une découverte éclairée par le regard qu’il portait sur ces collections. Il avait une culture… Une histoire extraordinaire.
L’autre roi avec lequel je suis resté lié, c’est Norodom Sihanouk. La 317e Section s’est faite grâce à lui... Je lui dois beaucoup. J’ai gardé des liens. Depuis, je le vois à l’occasion, quand il vient à Paris ou lorsque de mon côté je me rends au Cambodge.
Inflexions : Est-ce que vous retournez régulièrement sur vos lieux de tournage ?
Pierre Schoendoerffer : Pas forcément sur mes lieux de tournage, mais je retourne vers les endroits où j’ai vécu jeune et qui m’ont ébloui, qui m’ont fasciné, qui m’ont enchanté.
Inflexions : Vous êtes parti et vous repartez en permanence…
Pierre Schoendoerffer : J’essaie… Il faut que je parte le plus souvent possible.
Inflexions : Ne seriez-vous pas en réalité un pèlerin ?
Pierre Schoendoerffer : Oui, d’une certaine manière c’est vrai, je suis un pèlerin. Hier, j’ai écrit un article pour le journal Pèlerin. Je me disais qu’un certain nombre de mes camarades avaient fait le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle... après... après Diên Biên Phu, après l’Indochine. Moi aussi, d’une certaine manière, j’ai fait un pèlerinage en tournant le film Diên Biên Phu. Je suis retourné sur le champ de bataille. Mais je n’ai pas tourné sur le champ de bataille… Parce que c’est un endroit où les morts sont encore liés à la terre, les nôtres… et les leurs… J’ai donc fait un pèlerinage là-bas. Un pèlerinage qui était... qui était très... très émouvant. Le jour, j’étais avec des gens qui m’entouraient. Un producteur et tout le monde qui gravite par la force des choses autour des producteurs… On me disait : « Ah quelle idée de s’installer dans une cuvette ! » Enfin bref, toutes les âneries qu’on peut indéfiniment répéter sur ce genre de situation. J’en avais marre d’entendre ces gens me parler. Le soir, je n’avais pas faim. Un soir, ils sont allés dîner, ma femme, le producteur et les autres. Moi, j’avais une espèce, je ne dirais pas d’angoisse non, mais une espèce d’inquiétude en moi. Il avait plu. Il y avait, je m’en rappelle, un tonneau avec une goutte d’eau qui tombait comme un... [Il prend son temps] comme un glas : Doung... Doung... Doung... [Il mime d’un geste lent, répété, la goutte qui tombe, en fixant sa main]. Doung… Doung… Doung… Tout à coup, j’ai été pris par quelque chose en moi. Je suis parti. Je suis monté dans les collines. J’ai commencé par la plus proche. C’était Dominique 2, et ensuite j’ai dévalé la pente. [Ses yeux fixent un ailleurs, son souffle se fait court]. Je suis remonté sur Éliane 1. Pour moi, la plus terrible, c’est Éliane 1 parce qu’elle a été prise et reprise, perdue et reprise... C’est la plus sanglante. Et j’avais cette inquiétude : je sentais autour de moi cette armée morte. C’était la nôtre et c’était la leur aussi. Je pensais à tous ces jeunes Vietnamiens de vingt ans qui étaient là. Et je le ressentais presque physiquement. Et sur Éliane 1, à un moment donné, je leur ai parlé… Est-ce que je leur parlais à eux ? Ou est ce que je parlais à Dieu ? Je ne sais pas. Mais je parlais. Je leur disais : « Je suis là pour vous. Pour moi ?... Non ! Si c’est pour vous ? Oui ! »
Inflexions : Donc vous êtes un pèlerin permanent ?
Pierre Schoendoerffer : Pour l’instant je le suis encore… Oui. Un jour, je serai fatigué, je m’arrêterai. Mais pour l’instant, j’ai envie, j’ai toujours envie de repartir.
Inflexions : Vous êtes un pèlerin solitaire ou un compagnon ?
Pierre Schoendoerffer : Le compagnon a des compagnons plus âgés que lui qui l’aident. Et moi j’ai eu le privilège d’avoir des... des « compagnons », on va utiliser ce mot-là. C’étaient des gens de très haute qualité, qui ont fait en sorte que lorsque je risquais de plonger un peu, de patauger dans la boue ou dans la merde, je me disais : « Non ! Qu’est ce qu’ils penseraient de moi si je faisais ça ? Si je me laissais aller ? » Par leur exemplarité, ils m’éblouissaient. C’était à moi alors d’être capable de leur ressembler. C’est très important d’avoir... d’avoir de bons... maîtres. C’est la même idée qui se développe autour de La Section Anderson. Jo Anderson était un grand maître. Par son aura, son exemplarité, il confirmait ce que moi j’avais vécu en Indochine presque vingt ans auparavant.
Inflexions : Alors pourquoi êtes-vous reparti en Indochine au sein de la section Anderson ? Vous repartiez pour revivre La 317e Section ?
Pierre Schoendoerffer : Non. Pour conforter ce que je pensais avoir essayé de dire justement dans La 317e Section, mais qui était quand même de la fiction. La 317e c’est seulement mon monde à moi. Je voulais savoir si le vrai monde, la vérité, le document, avait cette même force.
Inflexions : Comment réagissez-vous quand vous entendez le slogan « Engagez vous, engagez vous, vous verrez du pays » ?
Pierre Schoendoerffer : Ça fait partie des affiches de la Coloniale. Mais en même temps, il y avait une part de vérité là-dedans. Alors ça fait ricaner les jeunes gens ; mais moi, personnellement, ça ne me fait pas ricaner parce que c’est vrai. C’est la découverte d’un pays et la découverte de façon modeste, par le vécu quotidien. Ce n’est pas la découverte par un touriste riche qui se contente de descendre dans un grand hôtel. Non, vous allez là [la voix baisse], vous êtes dans un petit poste, vous côtoyez les gens du pays, les gens qui sont aussi modestes que vous. Et vous êtes – je voudrais pas faire exagéré –, vous êtes le pauvre avec les pauvres, vous voyez ? Vous n’êtes pas les riches avec les pauvres, vous êtes le pauvre avec les pauvres. Et ça permet de les connaître et de se connaître beaucoup mieux.
Inflexions : Alors quand on part, on a une espérance... On espère quoi ? S’enrichir ?
Pierre Schoendoerffer : Oui ! Oui, parce que chez les pauvres il y a une grande richesse intérieure souvent. On espère beaucoup parce qu’on espère apprendre quelque chose. Et ce qu’on découvre est plus riche que les espérances qu’on avait... Même dans la pire misère.
J’ai été caporal-chef et j’ai fréquenté le haut du pavé… J’ai fréquenté la troupe, j’ai été blessé, j’ai été avec eux, avec elle, la troupe. Elle avait à faire à un adversaire qui était redoutable. Et puis j’ai été prisonnier. J’ai donc touché le fond de la misère humaine puisque quasiment les trois quarts de mes camarades sont morts. Et bien, je vais vous dire une chose, et je l’ai dit deux ou trois fois seulement : même quand j’étais prisonnier, il m’est arrivé d’être heureux. Le matin au réveil, j’étais vivant... Et je pouvais encore... Une journée allait se passer : j’allais vivre... [Il respire profondément]. Parfois, d’une certaine manière, ces salopards de Viêt-minh m’y aidaient. Il y avait des gardiens qui, tout à coup, avaient quelque chose qui les rendaient plus humains. Des paysans vous laissaient un petit peu de tabac sur une branche d’arbre quand on allait chercher le riz [Il revit et mime la scène]. On savait que là, tiens, il y en avait un peu… Il y avait un peu de tabac qu’on avait posé pour nous… Ou bien une demi-banane... Il y a là le mystère de la charité humaine. Vous voyez, vous la trouvez dans les pires conditions. Enfin ça a quand même été payé très cher par mes camarades qui sont morts. Le mystère de la vie... Par moments… Étrangement, j’ai eu des moments de joie intérieure.
Inflexions : Partir pour l’aventure est donc risqué ?
Pierre Schoendoerffer : Oui.
Inflexions : Faut-il être jeune pour partir ?
Pierre Schoendoerffer : Oui. Et il faut avoir le goût du risque. Je sais que moi, quand je suis parti en Indochine, je savais que cette guerre était dure... Je me suis dit : c’est quitte ou double, soit c’est mon destin, je serai mort, soit je reviens, mais j’aurai quelque chose de plus en moi. Je serai d’abord un grand cinéaste, et ensuite j’aurai quelque chose de plus en moi. Je ne voyais pas d’alternative à ça. Je ne voyais pas que je pouvais me dégrader, et physiquement et moralement. Je n’avais pas imaginé tout ça. Mais quand je l’ai vécu, j’ai su qu’existait le danger de la dégradation.
Inflexions : Comment avez-vous réussi, en partant comme ça, à éviter cette dégradation ?
Pierre Schoendoerffer : Parce que j’avais des exemples. Des gens qui ne se dégradaient pas ! Et qui me donnaient la preuve par neuf qu’on peut résister à plus que ça. Je parle aussi bien d’un certain nombre d’officiers – je pourrais réciter un certain nombre de noms –, mais aussi des sous-officiers et d’un certain nombre de simples soldats. Dans ce domaine, il n’y a pas de hiérarchie.
Inflexions : Vous partez, mais que faites-vous de votre talent ?
Pierre Schoendoerffer : C’est la vraie question. J’ai fait ce que j’ai essayé de faire par la suite, c’est-à-dire de rendre une sorte de témoignage de ce que j’avais reçu. Et je le dis : je n’ai rendu qu’un écho de ce que j’ai reçu. Pendant ces trois ans en Indochine, j’ai reçu plus que ce que j’ai essayé de rendre. J’ai tenté de faire le maximum, mais, malgré tout, c’est un petit peu pâle par rapport à ce que j’ai reçu.
Inflexions : Est-ce que partir ne serait pas une forme de fuite ?
Pierre Schoendoerffer : Si. Si. Une fuite comme celle que j’ai réalisée quand j’ai terminé mon temps sous l’uniforme, quand j’ai été fait prisonnier [Il cherche ses mots]. Donc j’ai pu me... Je n’ai pas été rapatrié. J’ai pu... [Il baisse la voix]. J’avais peur de rentrer en France. Vraiment peur. Donc je suis resté en Indochine pendant quatre mois. Je me suis dit : « Si je gagnais ma vie en faisant de la photographie ? » Enfin je gagnais ma vie ! Je n’étais pas un parasite, je n’avais pas de retraite, je n’avais pas de salaire. J’avais quitté l’armée, mais j’avais peur de rentrer en France. Rapidement, j’ai pensé : « Non ! Ma vie n’est pas en Indochine. Je ne suis pas Indochinois. Ma vie, elle est quand même en France. Il faut que j’y retourne... Mais je vais achever le tour du monde. » Je n’en avais fait qu’un peu plus du tiers… Je voulais achever le tour du monde. Donc avec le petit argent que j’avais pu gagner comme photographe, je suis reparti. Je suis rentré en passant par Hong-Kong, Taïwan, le Japon, Honolulu, San Francisco, Los Angeles, Chicago, New York, et puis... plus d’argent : je suis rentré en France.
Inflexions : Faut-il toujours revenir à son point de départ ?
Pierre Schoendoerffer : Oui. Maintenant, j’en ai encore plus besoin, c’est-à-dire que j’ai besoin de la France. Vous savez certainement que j’ai eu un grand succès aux États-Unis avec La Section Anderson. Il y a eu l’Oscar et tout ce qui en découle là-bas en Amérique. On m’a fait des propositions. J’ai failli m’y installer, tenter ma vie professionnelle là bas. Mais j’écrivais alors un roman que je n’avais pas achevé. C’était un roman qui me tenait beaucoup à cœur donc, je me suis dit : « Non, je rentre, je rentre en France ! » En fait, j’avais besoin de la France. J’avais besoin de la France comme d’une ancre, un ancrage... Mais, comme un Breton, j’avais aussi besoin de partir. Je ne suis pas Breton, je suis Alsacien. C’est amusant n’est-ce pas ? En 1939, ma famille habitait sur la ligne Maginot, près de Reichshoffen. Nous avons été évacués et j’ai passé toute mon adolescence à Annecy en Haute-Savoie, au pied du plateau des Glières...
Inflexions : D’où les références dans L’Honneur d’un capitaine…
Pierre Schoendoerffer : Voilà ! Et cette flamme dans la nuit qu’était le plateau des Glières, c’était quelque chose de magnifique ! Quand même ça, ça faisait rêver un jeune homme ! Donc je suis Savoyard. Donc je suis Alsacien, Auvergnat, Savoyard, j’ai épousé une Bretonne : je suis Breton. Et je me crois un petit peu Vietnamien quand même. Bien que là, il faille être prudent. Je ne suis pas un Vietnamien, mais je les aime.
Inflexions : Alors, le retour de l’enfant prodigue, quand il revient au pays, fort de tout l’enrichissement qu’il a pu avoir au contact des hommes, des combats...
Pierre Schoendoerffer : Oui, avec la proximité de la mort !
Inflexions : Que devient l’enfant prodigue lorsqu’il rentre en France ?
Pierre Schoendoerffer : Comment vous dire ? Ma mère ne m’a rien dit au retour. Mais un jour où ma femme lui a demandé si elle n’avait pas eu peur, elle lui a répondu : « Non, je savais qu’il allait revenir parce qu’il avait trop de joie en lui pour mourir. » Je trouve que c’est une belle phrase de mère... Je la trouve magnifique : « Il avait trop de joie en lui pour mourir. » Et je pense qu’il y a une part de vérité. C’est vrai que j’étais... J’étais... Je suis encore joyeux... Mais j’étais un jeune homme joyeux.
Inflexions : Comment s’est passé le retour ?
Pierre Schoendoerffer : Avec ma famille, ça s’est bien passé. Mais après cette expérience, il a fallu que je gagne ma vie avec le cinéma. Or les portes étaient toujours fermées. Elles se sont ouvertes grâce à Joseph Kessel que j’avais rencontré à Hong-Kong. On lui avait dit : « Il y a ce petit jeune homme là qui revient, il a été prisonnier à Diên Biên Phu. » Et il m’avait invité à dîner ; une nuit de prince « à la Kessel ». En échange, je lui ai déversé un peu du trop plein de cette expérience qui bouillonnait en moi. Il m’a pris en sympathie et m’a dit : « Il faut qu’on se revoie à Paris. » À peine rentré en France, je suis parti pour le Maroc comme correspondant du Pathé Journal : le changement de sultan avait entraîné des incidents assez graves. Là-bas, j’ai compris que je n’avais pas envie d’être caméraman d’actualités. Je voulais faire comme Kessel, raconter des histoires et en plus les filmer. J’ai repensé à ce qu’il m’avait dit et je l’ai revu. Il m’a mis le pied à l’étrier : mon premier film, La Passe du diable, était un film réalisé en Afghanistan dans le sillage de Kessel. C’était quelque chose de formidable. Pour Kessel, c’était un prélude, une esquisse de ce qu’a été par la suite son livre Les Cavaliers. Il ne l’avait pas encore écrit, mais ce livre est né là, pendant ce tournage. On l’a fait avec lui, à son ombre... Formidable ! Je dois dire çà aussi, c’est une chance. J’ai eu beaucoup de chance. Les gens joyeux ont de la chance.
Inflexions : Est-ce que la joie est une prédisposition au départ ?
Pierre Schoendoerffer : Je pense. Déjà, être joyeux c’est une manière d’être ébloui par la vie. Si vous trouvez que la vie est sinistre, les portes se referment. Vous ne voyez même pas le soleil qui luit sur les murs d’en face, vous n’entendez pas les oiseaux qui chantent.
Inflexions : Partir, c’est aussi se séparer. Il y a enrichissement, mais en même temps une perte.
Pierre Schoendoerffer : Oui, mais de quelque chose qu’on peut retrouver. Il y a quand même un ancrage quelque part. Ce n’est pas une vraie préoccupation, mais subconsciemment on sait que... On sait que la France est là. Qu’on peut y retourner.
Inflexions : Mais les gens qui restent deviennent différents eux aussi.
Pierre Schoendoerffer : Oui. C’est-à-dire que le fait d’avoir eu cette route particulière fait de moi un cinéaste un peu marginal. Je ne suis pas dans la coulée des grands cinéastes classiques de... soit des grands cinéastes classiques, soit des grands cinéastes de la nouvelle vague. Je suis un petit peu à part ; je suis un mouton noir. Je suis un peu marginal à cause de cette expérience qui a été unique.
Inflexions : Donc, partir ça provoque quand même une forme de marginalité ?
Pierre Schoendoerffer : Peut-être, oui. Mon premier grand départ, avant l’Indochine, ce fut mon embarquement sur un bateau suédois. Je cherchais un bateau français, mais monter sur un bateau français c’était comme faire du cinéma : les portes étaient fermées. Il y avait très peu de bateaux juste après la guerre, donc seuls les marins confirmés pouvaient embarquer. Un jeune matelot comme moi, non. En revanche, les Suédois avaient une marine un peu hypertrophiée parce qu’ils avaient été neutres pendant la guerre, et ils acceptaient des matelots étrangers. Comme j’avais navigué sur un petit bateau de pêche auparavant, j’étais inscrit « maritime ». Je connaissais un Suédois, enfin une Suédoise. Je lui avais raconté mon histoire. Grâce à son père, elle m’a trouvé une place sur un caboteur, un bateau à vapeur, au charbon, un vieux bateau qui datait de 1888 ou quelque chose comme çà. C’était vraiment une vieille barque. J’ai donc arpenté la Baltique avec ce bateau pendant un peu plus d’un an. C’était fascinant ! J’étais un petit peu comme un Américain : on avait des oranges, on avait des cigarettes, on avait tout ça ! Et de l’autre côté de la Baltique, en Poméranie, en Prusse-Orientale, en Pologne ou dans les pays Baltes, c’était une misère inimaginable parce qu’ils avaient subi d’abord la brutalité allemande et ensuite la brutalité soviétique. Et moi, j’étais matelot sur ce bateau… J’ai vécu là aussi une expérience qui m’a marqué. J’étais adolescent, j’avais dix-neuf et vingt ans en 1947-1948, et je pensais aux bateaux, aux bateaux, rien qu’aux bateaux. Je voulais être marin, mais quand même, je fréquentais cette terrible misère. En même temps, cette petite lumière d’espérance que l’on rencontre partout ça a contribué à me marquer. Et aujourd’hui, je me demande si mon prochain roman – si je l’écris – ne sera pas sur cette aventure en Baltique en 1947-1948.
Inflexions : Ce sera une petite lumière d’espérance ?
Pierre Schoendoerffer : Ah oui ! Parce que, pour moi, c’est très important l’espérance. On dit toujours qu’il y a trois vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité. Pour l’apôtre Paul, la plus importante c’est la charité. Mais pour moi – je ne voudrais pas m’opposer à Paul qui est quand même d’une intelligence foudroyante – c’est l’espérance la plus importante. Car l’espérance implique un peu de foi et un peu de charité. Il n’y a pas une espérance pour soi, pour soi uniquement, pour soi petitement. Il y a une espérance, il y a l’Espérance qui donne le sens de la vie, le sens pour l’homme… Pour les hommes. Pour moi, l’Espérance est la vertu essentielle.
Inflexions : Cette Espérance ne vous invite-t-elle pas à transmettre ?
Pierre Schoendoerffer : Oui, ou plus exactement à renvoyer un tout petit peu l’écho de ce qu’on a reçu. Sans cela, à quoi sert d’emmagasiner une richesse en soi qu’on ne dépense pas, qu’on ne partage pas... Quand je suis parti, je ne pensais pas à ça, je pensais à ma propre petite vie. Mais, à force de vivre, j’avais le sentiment que j’avais un devoir de renvoyer, au moins une partie de ce que j’avais reçu. D’entretenir cette petite bougie dans la nuit.
Vous savez, j’ai été considéré comme un salopard dans ma profession parce que j’avais été volontaire pour la sale guerre. Tout une partie de l’opinion – à juste ou mauvais titre, je ne veux pas discuter de ça – était contre ce conflit. D’une certaine manière, c’était en effet une guerre assez absurde, mais ce n’était pas mon problème. Mon sujet, c’était les hommes que je rencontrais. Ce n’était pas de savoir si elle était juste ou injuste notre guerre, si elle était politiquement acceptable ou pas. Ce n’était vraiment pas mon problème et ce n’est pas de çà dont je traite dans mes films.
Inflexions : Vous voulez transmettre une part de vos souvenirs ?
Pierre Schoendoerffer : Vous savez, vous gardez le souvenir d’un certain nombre de choses, d’événements, de décors même... Tout ça est lié. Et cela devient une partie intégrante de votre vie intérieure. Ça fait partie de ma vie intérieure. Il y a beaucoup de choses que je ne pourrais même pas exprimer, que j’essaie de suggérer dans mes livres, mais que je ne pourrai pas dire parce que c’est d’une telle... subtilité… C’est comparable à la finesse d’un papier de cigarette à peine visible, d’une fumée de cigarette... [Il regarde sa cigarette se consumer verticalement en attirant le regard de son auditeur sur la fumée qui s’en échappe]. Mais c’est essentiel. Ça, c’est ma vie intérieure. C’est moi. Dont une seule partie est visible.
Inflexions : Que conseilleriez-vous à un jeune qui veut partir ? L’avez-vous conseillé à votre fils ? Ou à vos fils ?
Pierre Schoendoerffer : La curiosité. « Sois curieux ! » Voilà ce que je lui dirais. Je crois que la curiosité est d’ailleurs dans la nature de l’homme. Tout l’itinéraire de l’homme depuis Cro-Magnon ou Neandertal est marqué, jalonné par la curiosité. C’est elle qui l’a fait avancer. Mais elle ne suffit pas. Il faut aussi, je pense, que cette curiosité soit chaleureuse.
Inflexions : C’est-à-dire ?
Pierre Schoendoerffer : C’est-à-dire que sur la crête de la vie, il ne faut pas voir le versant le plus noir. Au contraire, il faut toujours avoir l’idée que, même dans la nuit la plus sombre, il y a une petite bougie qui brûle [long silence]. La curiosité, c’est capital.
Inflexions : Pour vous, partir sans curiosité...
Pierre Schoendoerffer : Ce n’est rien.
Inflexions : Partir peut-il être le résultat d’une révolte ?
Pierre Schoendoerffer : Une révolte, c’est beaucoup dire, mais c’est un refus d’une certaine banalité ou trivialité. Alors, bien sûr, on a besoin du banal tous les jours, on a même besoin du trivial tous les jours. Mais... Mais... On est en quête de quelque chose qui est autre.
Inflexions : Quand le Vieux1 dit « adieu » sur la passerelle, c’est une façon de partir, mais c’est aussi une façon de clore ?
Pierre Schoendoerffer : Oui. Là, le Vieux est arrivé au bout de sa route. Ce qu’il a à dire, il ne veut pas le dire... Donc il dit : « Vous avez raison, y a rien à dire. » D’ailleurs, dans le film et dans le livre, il monte sur l’aileron pour voir le scope dans le brouillard. Avec les éclats lumineux en morse, il lit d’abord « Dieu » et ensuite, comme l’autre répète, il lit « adieu », ce n’est pas « Dieu » mais « adieu » que l’autre veut dire. Mais ça commence par « Dieu », c’est-à-dire... Un peu... La transcendance, la métaphysique... Pourtant, vous savez, je ne sais pas si je suis religieux ou pas. Ça dépend des moments ; c’est un mouvement de houle en moi. Mais c’est quand même là aussi une des nécessités humaines, la transcendance. Et dans le voyage, il y a la quête de savoir non seulement si la terre est vraiment ronde et si le soleil luit de l’autre côté de la même manière, mais il y a aussi « les autres hommes ont-ils les mêmes soifs que nous ? » Hé oui !
Inflexions : Vous, est-ce que vous pourrez dire adieu ?
Pierre Schoendoerffer : Un jour, je le dirai. Ou je ne le dirai pas parce que je n’aurai pas le temps... Mais j’aimerais avoir le temps de me voir partir. Je ne sais pas comment je suis entré sur cette terre. Je sais mécaniquement comment ça s’est passé, mais je n’ai aucune idée de la manière dont mes yeux se sont ouverts sur les choses... Je ne sais pas. Mes premiers souvenirs ? J’avais quel âge ? Cinq, six, sept ans. Je ne sais plus exactement... Mais, en revanche, je n’aimerais pas être foudroyé. J’aimerais savoir que, dans tant d’heures ou de jours, çà sera fini. Je voudrais goûter jusqu’à la dernière goutte avant le passage. Je ne sais pas comment je suis rentré dans la vie, mais j’ai besoin de savoir comment j’en sors. [silence]. Mais je ne suis pas pressé [rires] !
J’avais un de mes amis, un ami vrai, de nouveau un de ces soldats, avec un « s » majuscule, un ancien légionnaire, commandant de la Légion, qui avait un cancer. Il a eu une agonie assez longue. Je suis allé le voir. On ne parlait pas beaucoup. À un moment donné, je lui ai demandé : « Et alors ? » Il m’a répondu : « J’attends... J’attends. » Ce sont les dernières phrases qu’il m’ait dites. J’ai trouvé ça très beau. Je ne sais pas ce qu’il attendait, il n’a pas précisé. Cette conversation, vous voyez, c’était vraiment... J’ai trouvé cela très beau [Il se reprend comme s’il se réveillait]. En fait, j’attends moi aussi quelque chose.
Inflexions : Vous attendez quoi ?
Pierre Schoendoerffer : J’ai attendu depuis que je suis né... Enfin depuis que... Pas « né » mais depuis que je suis... J’attends quelque chose… Quelque chose de la vie.
Inflexions : Attendre, c’est subir. Vous n’avez pas cherché à attendre... Vous n’avez pas supporté de subir : vous êtes parti !
Pierre Schoendoerffer : Oui. Mais en attendant, voyez ! Il y a deux choses : il y a une part qu’on subit et une part qui agit... Il y a la part des circonstances, et la part de soi et des choix qu’on fait soi-même.
Inflexions : Avez-vous abordé ce départ avec… vos petits-enfants ?
Pierre Schoendoerffer : C’est difficile parce que ça ne les intéresse pas trop... Il ne faut pas les forcer... Je sais que mes petits-enfants m’aiment bien. Ils sont intéressés parce que je suis un personnage un peu mystérieux pour eux, avec une aura qu’ils me donnent... Mais... Je ne peux pas leur dire plus que ce que j’essaie de dire dans mes livres ou dans mes films. Chaque fois, j’essaie d’aller aussi loin que je peux dans la transmission de mon expérience. Mais en connaissant mes limites et mes capacités... Et le talent ? Qu’as-tu fait de ton talent ? Mon talent me permet d’aller jusque-là, mais au-delà, ça ne dépend plus de moi. Ce n’est pas mon talent à moi. C’est une parabole des plus étranges que celle des talents, parce que celui qui a beaucoup, on lui donne plus, et celui qui n’a presque rien, on lui enlève tout.
Inflexions : N’est-ce pas un encouragement à aller chercher plus loin ?
Pierre Schoendoerffer : Voilà ! Exactement… C’est ça.
Inflexions : Donc, c’est l’encouragement à la quête et à la prise de risque ?
Pierre Schoendoerffer : Oui.
Inflexions : C’est l’encouragement au départ ?
Pierre Schoendoerffer : Oui.
Propos recueillis par Jean-Luc Cotard
1 « Le Vieux » est joué par Jean Rochefort dans Le Crabe-Tambour.
On a warm March day, Pierre Schoendoerffer welcomes Inflexions magazine to his flat on Passy hill, in western Paris. It was to be warm, human and modest discussion, inspiring in its simplicity and enabling us to discover a reflective and almost shy man, but overwhelmingly one who is tenacious and driven by a great strength of life and hope.
Inflexions: What does “leaving” mean for you?
Pierre Schoendoerffer: “Leaving” means searching for something.
Inflexions: Searching?
Pierre Schoendoerffer: Yes, you leave because you are searching for something. For me, it’s going in quest of something. I came across a formula that I quite like, because I love laconic, or Roman-style, modes of expression, as found in Kipling. It’s a case of “I don’t want what I know; I’m looking for what I want.”
Inflexions: So seeking means not staying at home, but leaving?
Pierre Schoendoerffer: For me it means leaving. But you can stay at home, and still leave! It happens that, personally, I have a physical need for wide open spaces. When I was very young, I dreamt of being a sailor – in fact, I was a tsailor. I had a goal: a goal on the other side of the earth, to find out if the sun was still there, and if it gave warmth in the same way.
Inflexions: And going to Indochina, that was it for you?
Pierre Schoendoerffer: That was part of it. There was also the fact that I then wanted to make films – what an idea for someone working as a sailor! In reality, I would have liked to tell stories. I thought that making films shouldn’t be difficult. I didn’t think at that time that I could become a writer. I said to myself: “I’ve seen lots of films; it’s very easy doing that.” So I wanted to be in films, but all the doors were closed to me. And then, one day, I read in Le Figaro that a cameraman called Kowal had just been killed in fighting. There was an article, a very fine article by Serge Bromberger, about him. I said to myself: maybe I could take his place! I asked how I could do it. I had to join up! So, to cut a long story short, I got into the action: I left for Indochina in order to make films.
So you can see I left for personal reasons, and not for either France or Indochina. I left for strictly personal reasons. And, of course, when I arrived there I discovered something much larger than my own intentions, my own little aim. And it was a really exceptional human adventure that I experienced for three years – in fact, for the whole of my life.
I had a very modest rank: I was a lance corporal and then a corporal. And yet, I rubbed shoulders with the generals and commanders-in-chief, because they liked being filmed at times, so that people would know what they were doing. I had contacts with a handful of ministers who came to get a feel for the war, and also two kings and an emperor. Moreover, I kept in touch with Bao Dai. He lived not far away, at the Trocadéro. I went to see him because he was, after all, someone I respected, whereas his character had been blackened in a way I found... Anyway, I respected him. The end of his life was rather sad; he no longer had any money. He said to me one day: “Would you like one day for us to go together to the Musée Guimet?” So we went to that museum of Asiatic arts, and it was a real eye-opener! Although I was pretty familiar with the place, it was really enlightening for me to discover how he saw the collections. His culture was… – anyway, it was an extraordinary story.
The other king with whom I continued to have a connection was Norodom Sihanouk. He inspired me to make La 317e Section (The 317th Platoon), and I owe him a lot. I have remained in contact with him. Since then, I’ve seen him when he comes to Paris or indeed when I go to Cambodia.
Inflexions: Do you regularly go back to the places where you have filmed?
Pierre Schoendoerffer: Not necessarily to where I have filmed, but I do go back to places where I lived when I was young and that I found stunning, that fascinated or enchanted me.
Inflexions: You left, and you keep leaving …
Pierre Schoendoerffer: I try. I feel I have to leave as often as possible.
Inflexions: Aren’t you, in reality, a bit of a pilgrim?
Pierre Schoendoerffer: Yes, in a way that is true; I do tend to go on pilgrimages and, in fact, I have just written an article for Pèlerin magazine whose title, of course, means “pilgrim”. I realised that some of my comrades had made a pilgrimage to Santiago de Compostela after… – after Dien Bien Phu: after Indochina. I too, in a way, made a pilgrimage, by shooting the film Diên Biên Phú. I went back to the battleground, but I didn’t make the film on the battlefield. That was because it is a place where the dead are still attached to the land: our dead and theirs. So I made a pilgrimage there. It was a very – a very moving pilgrimage. During the day, there were people all around me: a producer and everyone who, in the nature of things, tends to swarm around producers. People said to me: “What an idea, to establish yourself in a depression in the landscape!” and all the other nonsense that you can keep saying about such a situation. I was fed up with people telling me things like that. In the evening, I wasn’t hungry. One evening, the others – my wife, the producer and the others – went off to dinner, but I felt a sort, I won’t say of anguish, but a sort of internal disquiet. It had rained. I remember that there was a barrel slowly dripping water, like a [He hesitated.] tolling bell: Dong... Dong... Dong... [with a slow and repeated gesture, miming the falling water drops, while staring fixedly at his hand]. Dong… Dong… Dong… All of a sudden, something took hold of me, and I left. I went up into the hills, beginning with the nearest one. It was called Dominique 2. Then, I rushed down the hill. [His eyes looked somewhere else, and he seemed short of breath.] I then went up Éliane 1 and that, for me, was the worst – Éliane 1 – because it had been taken and retaken; lost and regained: it was the most blood-soaked. And I felt that disquiet: everywhere around me was the feeling of that dead army. An army of our dead but also of theirs. I thought of all those Vietnamese, probably no more than about 20 years old, whose lives ended there. And it was almost a real physical feeling. At one moment on Éliane 1, I spoke to them. Was I really speaking to them, or was I talking to God? I don’t know. But I was talking. I said to them: “I am here for you.” “For me? – No!” “Yes, it’s for you. Yes!”
Inflexions: So you are constantly a pilgrim?
Pierre Schoendoerffer: For the moment, yes, I still am. Yes. One day, I will be tired and I’ll stop. But for the moment, I feel like – I still feel like going away again.
Inflexions: Are you a solitary pilgrim or do you have companions on your pilgrimages?
Pierre Schoendoerffer: A companion has companions older than himself, who help him. And I am fortunate enough to have such “companions”, if we are going to use that word. They were greatly valued people, who acted in such a way that whenever I was in danger of falling a bit or of floundering in the mud or some other quagmire, I said to myself: “No! What would they think of me if I did that; if I succumbed?” With their dazzling example as role models, it was up to me to be able to follow in their footsteps. It is very important to have good masters to teach you. It is the same idea as implicitly portrayed in La Section Anderson (The Anderson Platoon). Jo Anderson was a great master. His aura, and the example he set, confirmed to me what I had experienced in Indochina almost 20 years earlier.
Inflexions: So why did you go back to Indochina within the platoon led by Anderson? Did you go back to relive the experience portrayed in La 317e Section?
Pierre Schoendoerffer: No: to back up what I thought I had been justified in saying in La 317e Section, which was, nevertheless, fiction. La 317e Section just shows my own world. I wanted to know whether the real world, the documentary truth, had the same strength.
Inflexions: How did you react when you heard the slogan “Join up, join up, you will see the country”?
Pierre Schoendoerffer: That was the norm for posters in the colonial period. At the same time, however, there was some truth in it. It makes young people giggle but, personally, it doesn’t make me laugh because I know that it’s true. It involves discovering a country, and only a modest type of discovery, through everyday experience. It isn’t discovery by a rich tourist who is happy to stay in a grand hotel. No, you go there, [continuing in a low voice] you are in a small position, you rub shoulders with the people of that country, people who are as modest as you. And you are – I don’t want to exaggerate but you are, in a way, a poor person among poor people. Do you see what I mean? You are not part of a rich group among poor people, you are a poor person among poor people. And that enables you to get to know them, and to know yourself much better.
Inflexions: So when you leave, you hope... What do you hope for: to become richer?
Pierre Schoendoerffer: Yes! Yes, because among poor people there is often great internal richness. You hope for a lot, because you are hoping to learn something. And what you discover is richer than what you were hoping for – even among the worst poverty.
I was a corporal, and I rubbed shoulders with the top brass. I rubbed shoulders with the rank and file. I was wounded; I was with them, the troops. They had to deal with a formidable adversary. And then I was taken prisoner, so I touched the depths of human misery, because almost three-quarters of my comrades were dead. Well, I’ll tell you one thing: something I’ve only said two or three times. Even when I was a prisoner, I was able to be happy. In the morning, when I woke up, I was alive – and there were still things I could do. A day had passed, and I was going to live some more. [He breathed deeply.] Sometimes, in a way, those Vietminh helped me there. There were guards who, all of a sudden, did something that made them seem more human. Peasants would leave a little bit of tobacco on a tree branch when you went to get the rice [He re-experienced and mimed the scene.] You knew that there – Well, well! – someone had left a bit, or rather had put a bit of tobacco there for us. Or it might have been half a banana. There, you have the mystery of human charity. You see, you can find it under the worst conditions. But then, it came at a very high price, in the form of my comrades who had died. The mystery of life – at times! Strangely, I experienced moments of internal joy.
Inflexions: So leaving for adventure has its risks?
Pierre Schoendoerffer: Yes.
Inflexions: Do you have to be young, to leave?
Pierre Schoendoerffer: Yes. And you must have a taste for taking risks. I’m aware that when I left for Indochina, I knew that the war was hard. I said to myself: it’s double or quits. Perhaps it’s my fate, and I will die; perhaps I will come back, but if I do I will come back with something extra. First of all, I will be a great film-maker, and then I will have that extra something in my character. I didn’t see any alternative. I didn’t realise that I could be damaged, both physically and morally. I didn’t imagine any of that. When I experienced it, however, I realised that the danger of being harmed was there.
Inflexions: How, having left like that, did you succeed in avoiding being harmed in that way?
Pierre Schoendoerffer: Through following the examples of my role models: people who were not damaged! People who provided me with ninefold proof that it is possible to withstand more than that. I am also talking about some of the officers – there are a number of people I could mention – and also NCOs and certain privates. In such circumstances, hierarchy is meaningless.
Inflexions: You leave, but what do you do with your talent?
Pierre Schoendoerffer: That is the real question! I did what I was trying to do afterwards, that is testify, in a way, to what I had received. And I can tell you: my testimony was only a poor echo of what I had received. During those three years in Indochina, I received more than what I tried to reproduce in my testimony. I tried to do as much as possible but, despite everything, it is a rather pale reflection of what I received.
Inflexions: Isn’t leaving a form of running away?
Pierre Schoendoerffer: Yes, it is! It’s running away just like when I finished my time in uniform, when I was taken prisoner. [Searching for words] So I could have ... I wasn’t repatriated. I could ... [Lowering his voice] I was afraid to come back to France: really afraid. So I stayed in Indochina for four months. I said to myself: “What if I earned my living through photography?” At last, I was earning my living! I wasn’t a parasite; I wasn’t living on a pension or on wages. I had left the army, but I was afraid to come back to France. I quickly thought: “No, my life isn’t in Indochina. I am not Indochinese. The fact is that my life is in France; I must return there. But I will finish my world tour.” I had only done a little over a third of it, and I wanted to finish my world tour. So, with the little money I had been able to earn as a photographer, I left. I came back via Hong Kong, Taiwan, Japan, Honolulu, San Francisco, Los Angeles, Chicago, New York and finally – with no money left – I came back to France.
Inflexions: Does one always have to come back to the point from which one left?
Pierre Schoendoerffer: Yes. I now need that even more, meaning that I need France. You must know that I had a lot of success in the United States with La Section Anderson. There was the Oscar and everything that resulted from that in America. People put various proposals to me. I nearly settled there, trying my luck as a professional there. But I was then writing a novel that I hadn’t finished. It was a novel that was very important to me, so I said to myself: “No, I’m going back; I’m going back to France.” In fact, I needed France. I needed the country as an anchor, a point of anchorage. As a Breton, however, I also had to leave. I am not a Breton, I’m an Alsatian. That’s funny, isn’t it? In 1939, my family lived on the Maginot line, near Reichshoffen. We were evacuated, and I spent all my teenage years at Annecy, in upper Savoy, at the foot of the Glières plateau.
Inflexions: Hence the references in L’Honneur d’un capitaine (A captain’s Honor)…
Pierre Schoendoerffer: That’s right! And that flame in the night of the Glières plateau was really magnificent! All the same it – it made a young man dream! So I am a native of Savoy. And I’m an Alsatian; I’m from the Auvergne and from Savoy. I married a woman from Brittany, so I am Breton. And I believe I am a little bit Vietnamese, all the same – although there, I have to be cautious. I am not Vietnamese, bit I love them.
Inflexions: So, the return of the prodigal son: when he returns to his country, enriched by everything he had been able to experience in contact with people and with fighting ...
Pierre Schoendoerffer: Yes, with proximity to death!
Inflexions: What happened to the prodigal son when he returned to France?
Pierre Schoendoerffer: How should I put it? My mother didn’t say anything to me on my return, but one day, when my wife asked her whether she hadn’t been afraid, she replied: “No, I knew he was going to come back because he had too much joy in him to die.” I think that’s a beautiful thing for my mother to have said. I find it magnificent: “He had too much joy in him to die.” And I think that that there is some truth in it. It is true that I was – I was – I am still joyful. But I was a joyful young man.
Inflexions: How did the return work out?
Pierre Schoendoerffer: With my family, it went well but, following that experience, I had to earn my living through the cinema. And I found that the doors were still closed! They opened as a result of [Joseph] Kessel, whom I had met in Hong Kong. Someone had told him: “There is this young man who has come back. He was a prisoner at Dien Bien Phu.” And he invited me to dinner: a night worthy of a Kessel-style prince! In exchange, I poured out to him some of the overflowing experience that was boiling up in me. He took a liking to me, and said: “We must meet up in Paris.” I had hardly returned to France, when I left for Morocco as a correspondent for Pathé Journal. The change of sultan had produced fairly serious incidents. There, I realised that I didn’t want to be a newsreel cameraman. I wanted to be like Kessel, telling stories; even more, I wanted to film them. I thought again about what he had told me, and I saw him again. He gave me a leg up, and my first film, La Passe du diable (The Devil’s Pass), made in Afghanistan, owed a lot to the contacts I had had with Kessel. It was something tremendous. For Kessel, it was a warming-up exercise, a preliminary sketch of what was to become his book Les Cavaliers (The Horsemen). He hadn’t yet written it, but that is where the book had its origin, during the filming. We did it with him, in his shadow. Tremendous! I must also say this: we were lucky. I was very lucky. Joyful types are lucky!
Inflexions: Is joy a prerequisite when you leave?
Pierre Schoendoerffer: I think it is. Being joyful is already a way of being dazzled by life. If you find life grim, doors are closed to you. You do not even see the sun that shines on the walls opposite you; you do not hear the birds singing.
Inflexions: Leaving also means parting from other people. It is enriching but, at the same time, it involves a loss.
Pierre Schoendoerffer: Yes, but it’s a loss of something you can re-find. You’ve still got an anchorage somewhere. It’s not a real worry because, subconsciously, you know that – you know that France is there; that you can return.
Inflexions: But the people who remain behind also change.
Pierre Schoendoerffer: Yes. The fact that I had taken that particular road made me a somewhat marginal film-maker. I am not from the mould of great conventional film directors – one of either the great conventional film directors or of the great nouvelle vague directors. I am a little bit to one side; I am a black sheep: a bit marginal because of my unique experience.
Inflexions: So leaving nevertheless makes you a bit marginal?
Pierre Schoendoerffer: Yes, perhaps. The first time I really left, before Indochina, was when I joined a Swedish boat. I was looking for a French boat, but joining the crew of a French boat was like getting into films: the doors were closed. Just after the war, there were very few boats, so only experienced sailors could sign up. There was no chance for a young would-be crew member like me. In contrast, Sweden had a somewhat excessive navy, because they had been neutral during the war, and they were prepared to accept foreign sailors. As I had previously been on a small fishing boat, I was enrolled as a “sea-goer”. I knew a Swede – a Swedish woman – and I had told her my story. Through her father, she found me a place on a coal-fired coastal steamer: an old boat dating back to 1888 or something like that. It really was an old boat. So I went up and down the Baltic with that boat for a bit over a year. It was fascinating! I was a bit like an American: there were oranges, and cigarettes, we had all of that! And on the other side of the Baltic, in Pomerania, in East Prussia, in Poland, and in the Baltic States, there was unimaginable poverty because first they had suffered German brutality and then Soviet brutality. And I was a sailor on that boat. I also experienced something there that particularly marked me. I was an adolescent, 19 and 20 years old in 1947-48, and I thought above all in terms of boats, just boats, nothing but boats. I wanted to be a sailor but, all the same, I was in contact with all that terrible poverty. At the same time, that glimmer of hope you find everywhere had had an effect on me. And, now, I wonder whether my next novel – if I write it – might be about that adventure in the Baltic, in 1947 and 1948.
Inflexions: So, there again, there would be a glimmer of hope?
Pierre Schoendoerffer Oh yes! Because hope is very important for me. People always say that there are three theological virtues: faith, hope and charity. For St Paul, the most important was charity. For me, however – and I wouldn’t want to set myself up in opposition to Paul, who certainly displayed astounding intelligence – hope is the most important. My reason is that hope implies a bit of faith and a bit of charity. There is no hope for oneself, just for oneself, for one’s insignificant self. There is hope: hope that gives life a sense; that gives meaning to men’s lives. For people, and for me, hope is the fundamental virtue.
Inflexions: Doesn’t that hope involve an invitation for you to pass it on?
Pierre Schoendoerffer: Yes, or rather to reflect a little bit of what you have received. Without that, what use would it be to store up wealth in yourself and not spend it, not sharing it? When I left, I didn’t think about that; I just thought about my own little life. Through living, however, I began to feel that I had something of a duty to give back at least part of what I had received: to maintain that small candle burning in the night.
I was, you know, considered a bastard in my profession, because I had volunteered for the dirty war. A substantial part of public opinion was against that war – whether rightly or wrongly, I don’t want to go into that. In a way, it was a fairly absurd war, but that wasn’t my problem. My concern was the men I met. I wasn’t concerned with whether our war was just or unjust, whether it was politically acceptable or not. That really wasn’t my problem and that isn’t what I deal with in my films.
Inflexions: You want to pass on some of your memories?
Pierre Schoendoerffer: You know, you remember certain things, particular events and even furnishings. All of those things are connected, and they become an integral part of your internal life. It’s certainly part of my internal life. There are lot of things I couldn’t even begin to express, that I try to suggest in my books, but which I couldn’t say because they are so, so subtle. They are so insubstantial, like the thinness of a cigarette paper – barely visible – or wisps of cigarette smoke [looking at his cigarette burning up vertically, with the smoke attracting attention from his listener]. But it’s fundamental. That is my internal life. It’s me, with only part being visible.
Inflexions: What advice would you give to a young person who wants to leave? Have you given such advice to your son, or sons?
Pierre Schoendoerffer: Curiosity: “Be curious!” is what I would say. I believe curiosity to be intrinsic in human nature, moreover. The whole path taken by humanity since the Cro-Magnon or Neanderthal era is marked, or punctuated, by curiosity. That is what has enabled humanity’s advance. But it’s not enough. The curiosity must, I think, also have warmth.
Inflexions: Meaning what?
Pierre Schoendoerffer: Meaning that when you are on the crest of life, you mustn’t see the darker side. On the contrary, you must always have the idea that, even in the darkest night, there is little candle burning [long silence]. Curiosity is essential.
Inflexions: You would say that leaving without curiosity...?
Pierre Schoendoerffer: It’s nothing.
Inflexions: Can leaving result from a revolt?
Pierre Schoendoerffer: Perhaps not necessarily a revolt, but from rejection of a certain banality or ordinariness. Of course, every day we need things that are commonplace, banal and ordinary but – but we are seeking something different.
Inflexions: When the old man1 says “Farewell” on the bridge, it is, in a way, his departure, but is it also a way of bringing closure?
Pierre Schoendoerffer: Yes. The old man has come to the end of his road. What he could say, he doesn’t want to say. So he says: “You are right; there is nothing to say.” Furthermore, in both the film and the book, he goes up to the wing of the bridge, to check the extent of the fog. From the luminous flashes in Morse, he first reads “Dieu” (“God”) and then, as the message is repeated, he realises that the word is “Adieu” (“Farewell”). The transformation of “God” into “Farewell” or “God be with you” is a bit metaphysical. And yet, you know, I’m not sure whether I’m religious or not. It changes from moment to moment; it moves with the surge of the swell. There again, though, it is a human need: a need for transcendence. During voyages, people are seeking not just whether the earth really is round or whether the sun shines in the same way on the other side, but also “do other men hunger after the same things as us?” Well, yes, they do!
Inflexions: What about you: could you say “Farewell”?
Pierre Schoendoerffer: I’ll tell you one day. Or perhaps I won’t, because I won’t have time. I would certainly like to have time, to see myself leaving. I don’t know how I came into the world. I know, in mechanical terms, how it happened, but I have no idea how my eyes were opened to things. I just don’t know. What are my first memories? How old was I? Five, six, or seven. I don’t know exactly. On the other hand, I wouldn’t like to be suddenly struck down. I would like to know that in so many hours or days, it will be over. I would like to drink it in, to the very last drop, before I pass on. I don’t know how I came into the world, but I feel a need to know how I will leave it [silence]. But there’s no rush [laughs]!
One of my friends, a real friend – again, one of those Soldiers, with a capital ‘s’, who had been a major in the Foreign Legion – had cancer. He had been close to death for quite a time, and I went to see him. We didn’t talk much. At one point, I asked: “So what, now?” and he replied: “I wait. I wait.” That was the last thing he ever said to me, and I found it very beautiful. I don’t know what he was waiting for: he didn’t specify. That conversation, you see, was really – well, anyway, I found it very beautiful. [Stopping, as if he suddenly realised where he was] In fact, I too am waiting for something.
Inflexions: What are you waiting for?
Pierre Schoendoerffer: I’ve been waiting for things since I was born – at least, since – well, not since I was born, but since... I’m waiting for something: something in life.
Inflexions: Waiting means putting up with the wait. But you didn’t try and wait. You couldn’t stand waiting: you left!
Pierre Schoendoerffer: Yes, but while you are waiting – Look! There are two things going on. Part of you is putting up with the wait, and part of you is taking action. Part of what happens is down to circumstances, and there is the part that depends on you and on the choices you make.
Inflexions: Have you broached the subject of that departure with your grandchildren?
Pierre Schoendoerffer: It’s difficult, because it doesn’t really interest them. You mustn’t force them. I know that my grandchildren quite like me. They are interested because I am a somewhat mysterious character for them, and they attribute an aura to me. But, I cannot tell them any more than I try to say in my books and my films. I always try to go as far as I can in communicating my experience, but I keep my limitations and my capabilities in mind. What about talent? What have you done with your talent? My talent enables me to go so far but, after that, it no longer depends on me. It is not a matter of my own talent. The parable of the talents is one of the strangest, because the one who has a lot is given even more, while the one who has almost nothing has even that taken away.
Inflexions: Isn’t that an encouragement to go and seek even further?
Pierre Schoendoerffer: That’s it, exactly. That’s it.
Inflexions: So, it is an encouragement to seek things and take risks?
Pierre Schoendoerffer: Yes.
Inflexions: It is an encouragement to leave?
Pierre Schoendoerffer: Yes.
Pierre Schoendoerffer was interviewed by Jean-Luc Cotard
1 “The old man” (The Captain) in Le Crabe Tambour was played by Jean Rochefort.