Françoise Héritier est la plus grande anthropologue française vivante. Successeur de Claude Lévi-Strauss au Collège de France, auteur de nombreux livres devenus autant d’ouvrages phares de la réflexion anthropologique contemporaine, elle est une intellectuelle engagée pour la cause des femmes et les droits des plus vulnérables.
Inflexions : Nous avons élaboré ce numéro avec un titre de travail qui était : « Les spécificités du métier des armes à l’épreuve de la mixité ». Que pensez-vous de ce choix ?
Françoise Héritier : Le mot « mixité » n’est peut-être pas celui que je préfère dans ce contexte, parce qu’il n’évoque pas exclusivement la différence sexuée. Par mixité, on entend généralement des mélanges de personnes en fonction de leur âge, de leur statut social, de leur origine régionale, bref des catégories sociologiques qui ne sont pas de même nature. Le terme de mixité ne me paraît pas adapté uniquement à la description du rapport des sexes à l’intérieur d’une entreprise du type de l’armée. La différence des sexes est fondamentale, elle traverse toute l’humanité depuis les origines jusqu’à nos jours, alors que les autres différences sont plus contingentes. L’âge, le statut social peuvent varier. Le terme mixité est trop vaste, trop vague pour décrire quelque chose qui est relativement complexe à analyser, d’autant plus que le cas de l’armée présente des spécificités par rapport aux autres métiers (si on prend la carrière militaire comme un métier…). Car, à l’arrière-plan, il y a la possibilité de faire la guerre et de tuer. Bien entendu, bon nombre de soldats ne seront jamais en situation de donner la mort. Mais existe cette idée fondamentale, toujours présente, comme celle de soigner sous-jacente aux métiers médicaux… À partir du moment où on sait que l’humanité présente deux sexes, la question est de savoir pourquoi un seul d’entre eux, historiquement parlant, a la capacité de faire la guerre et de tuer. Ce n’est pas une affaire récente, cela date de la préhistoire… Cette répartition des tâches entre les hommes et les femmes repose sur une constante, celle de l’impossibilité pour les femmes de tuer en faisant couler le sang. Nous en avons hérité.
Inflexions : Cet héritage vous paraît-il toujours être un arrière-plan symboliquement présent ? Cet inconscient de ne pas faire couler le sang vous semble-t-il être anthropologiquement une des raisons de la mise à l’écart des femmes pendant très longtemps dans l’armée ?
Françoise Héritier : Oui, absolument. C’est le fond anthropologique commun. Cette raison est présentée comme une question de force alors qu’elle n’est qu’une apparence. Pour la plupart des activités guerrières, c’est moins la force physique, la force brute dans un close-combat qui importe que la capacité d’endurance, de présence d’esprit, de rapidité, de réflexe, d’obéissance. La force brute n’est pas celle qui « emporte le morceau ». Être tankiste, par exemple, ne nécessite pas une force particulière, mais suppose un apprentissage. Les capacités physiques sont des capacités acquises. Un homme ne naît pas en sachant naturellement monter à la corde lisse, franchir un mur, ramper sur les coudes ou les genoux sous le feu. Tout cela, il l’apprend. Les femmes peuvent faire de même. Les aptitudes sont là. Un homme peut aisément terrasser une femme, mais une femme entraînée peut également terrasser un homme. Ce n’est donc pas une question de force mais d’admettre en esprit que les femmes peuvent se battre, tuer, faire couler le sang. Tuer les animaux n’était d’ailleurs pas totalement interdit aux femmes dans les sociétés du passé comme, de nos jours, dans les sociétés traditionnelles ; il ne fallait pas qu’elles fassent couler le sang, c’est-à-dire qu’elles utilisent des éléments tranchants, mais elles pouvaient piéger, assommer, prendre au lacet, étrangler…
Inflexions : Ainsi, en Auvergne, dans votre enfance, les femmes ne tuaient jamais le cochon.
Françoise Héritier : En effet. Et aujourd’hui encore, dans les abattoirs, ce sont toujours des hommes qui tuent. L’un d’eux, juché sur un piédestal, administre une décharge électrique aux animaux qui passent afin de les assommer. Ceux-ci sont ensuite égorgés puis acheminés dans un lieu où hommes et femmes les dépouillent et effectuent le fleurage de la peau (par des incisions en forme de vagues). Les femmes n’égorgent pas. Nous entrons ici dans des systèmes de représentations complexes. Il faut admettre une idée philosophique qui existe aussi dans nos conceptions traditionnelles : le cosmos, le corps humain, la vie sociale ont des correspondances et s’influencent mutuellement. C’est un problème de « sympathie ». Dans nos sociétés, par exemple, on entend encore souvent dire, en particulier à la campagne, qu’en période de règles les femmes ne peuvent entrer dans l’eau ou faire une mayonnaise sous peine de la rater… Cela peut paraître inepte, mais cela renvoie au vieux fond de ce système philosophique de « sympathie » qui existe entre les ordres cosmologique, biologique, corporel et social.
Le point de départ est la constatation que les femmes perdent du sang régulièrement alors que les hommes, eux, ne perdent le leur que par accident ou volontairement. Si elles en faisaient couler en même temps, elles risqueraient, par « sympathie », d’aggraver leurs hémorragies et, de ce fait, de devenir stériles, infécondes. Les femmes nubiles en âge de procréer ne pouvaient donc jamais se trouver en situation de tuer en faisant couler le sang, donc d’être des soldats. Certaines ont pourtant porté les armes, en Gaule, au Dahomey, ou plus récemment en Libye autour du colonel Kadhafi, et dans quelques sociétés d’Amérique latine. Mais il ne s’agit pas de n’importe quelles femmes. Chez les Gaulois, par exemple, ces recrues étaient des jeunes filles impubères ou pubères non mariées, parce qu’à partir du moment où elles étaient pubères et mariées, elles devaient se consacrer uniquement à la reproduction. Il n’y a pas une incompatibilité entre la féminité et l’armée, mais une incompatibilité limitée à verser le sang à l’âge de la reproduction. Au Dahomey existaient des amazones à la cour du roi Behanzin. Mais, en observant une photographie du xixe siècle qui nous est parvenue, on se rend compte que ces guerrières, que notre imagination ne conçoit que superbes, sont en fait des matrones de plus de cinquante ans ou de petites filles.
Inflexions : Cet interdit universel est-il un fondement de la mise à l’écart des femmes dans l’armée ?
Françoise Héritier : Nous sommes nés avec ce système archaïque et nous le reproduisons sans nous poser de questions sur sa pertinence.
Inflexions : Ces systèmes archaïques sont donc toujours présents malgré notre apparente modernité ?
Françoise Héritier : Oui. Ainsi Geneviève Asse a-t-elle appartenu à un régiment de tanks, mais c’était en tant que conductrice ambulancière [voir notre entretien avec cette dernière, ndlr]… Désormais, les femmes sont présentes dans des corps de combat, mais elles ont longtemps été recrutées uniquement pour des fonctions d’assistance, d’intendance, de secrétariat, d’infirmerie… Elles sont dans le « care ». Toujours avec cet impératif sous-jacent de la maternité qui implique le dévouement à la famille. Tout cela n’est jamais mis en question. La plupart des personnes s’offusquent en disant : « Mais c’est naturel. » Non, ce n’est pas naturel ! C’est une construction de l’esprit faite aux temps préhistoriques à partir de l’observation d’une chose à laquelle on donne du sens. Aujourd’hui, les femmes peuvent entrer dans toutes les armes, mais on a créé simultanément de nouveaux corps militaires qui leur sont interdits, comme les groupes d’intervention.
Inflexions : Et la Légion étrangère…
Françoise Héritier : Celle-ci demeure une forteresse masculine. Les groupes d’intervention ont été créés au moment où l’armée s’ouvrait aux emplois féminins. Il n’y a pas de raison pour que les femmes ne puissent pas en faire partie. C’est une question de formation. Il y a rarement des assauts. La plupart du temps, il s’agit de choisir de bonnes places stratégiques et de savoir tirer, ce que les femmes peuvent parfaitement faire. Mais subsiste l’idée que cela ne peut être de leur ressort. Et les explications données sont toujours symboliques : « C’est contraire au fait que les femmes donnent la vie », « Elles sont du côté de la vie, non du côté de la mort »…
Inflexions : Nous croyons donc mettre à distance les archétypes alors qu’une tendance contraire tend à reconstituer des îlots de domination.
Françoise Héritier : Oui. La question est bien et mal posée. Bien posée pour nos sociétés contemporaines où on raisonne en termes d’égalité. Nous devons la considérer en ces termes et je milite pour cela. Le fond de la question est moins, au départ, une volonté d’inégalité que celle de donner un sens à l’observation d’un fait de nature. D’autres types humains ont existé avant Neandertal, mais on estime que la raison symbolique est apparue avec lui. Il est illogique de penser que ces premiers hommes aient véritablement voulu que les mâles dominent les femelles par la violence. Cela s’est fait au fil des siècles et des générations en corollaire à la nécessité de donner du sens aux choses qu’ils observaient, avec les moyens bruts de réflexion dont ils disposaient, à savoir l’expérience de leurs sens. Ils ne pouvaient connaître l’intérieur des corps, ils ignoraient l’existence des spermatozoïdes et des ovules, mais ils étaient confrontés à des « butoirs pour la pensée » auxquels il fallait donner du sens : « Pourquoi existe-t-il deux sexes ? », « Pourquoi la copulation est-elle nécessaire pour concevoir un enfant ? », « Pourquoi les femmes font-elles les enfants des deux sexes alors que les hommes pourraient faire des garçons et elles des filles ? » La réponse fut : « Ce sont les hommes qui mettent les enfants dans les femmes qui se contentent d’être un réceptacle. Il faut donc se les approprier pour avoir des fils. » C’est ce raisonnement qui est à l’origine de la « valence différentielle des sexes », et donc de la séparation sexuelle des tâches qui en découle.
Les hommes veulent avoir des fils qui leur ressemblent. Cette explication, qui date de l’aube de l’humanité pensante, donne sens à la coexistence des sexes, car, autrement, comment imaginer ce que serait un monde où on aurait pensé contre toute évidence que les femmes font les enfants de par leur seule puissance intime et que la relation sexuelle est uniquement faite pour le plaisir ? Pour les hommes, la vraie question était : « À quoi servons-nous ? » Deux constantes existent donc : les femmes ne peuvent pas tuer et obligation leur est faite de rester cantonnées à la maternité pour faire des enfants, surtout les fils que les hommes ne peuvent pas faire. S’ensuit l’incapacité féminine à participer aux jeux de la chasse et de la guerre, l’incapacité, non pas naturellement mais culturellement fondée, à intégrer l’armée. C’est une construction qui nous vient de la haute préhistoire, que l’on travestit en disant que la présence des femmes dans l’armée est contraire au fait qu’elles portent la vie, contraire à leur nature.
Inflexions : Des arguments triviaux de sexualité au sein de l’armée, des conditions d’hygiène personnelle dans un sous-marin ou un tank, vous paraissent-ils être des arguments conformistes pour justifier cet archaïsme primitif ?
Françoise Héritier : Vous faites allusion aux émonctoires ? Il est préférable d’avoir de l’eau, des dispositifs spéciaux. Quand Claudie Haigneré est partie dans l’espace, je ne me souviens pas d’articles traitant de la façon dont elle s’y était prise… Elle était à égalité avec ses collègues ; on avait donc trouvé de bonnes techniques. L’élimination des déchets corporels est de même nature pour les hommes et les femmes. Ces prétextes sont des couvertures.
La sexualité, c’est autre chose. C’est une question de régulation individuelle qui n’a rien de spécifique à l’armée. Dans les pensionnats, dans les couvents, il n’y a pas de mixité sexuelle. La sexualité entre professeurs et étudiants, entre médecins et patients, entre personnes qui ont autorité et personnes qui y sont soumises n’est pas débridée ou couramment admise. Il existe une règle morale implicite pour l’interdire. Dans tous les domaines, il y a des lois. L’État, ou un surmoi moral, fait que n’importe quel acte n’est pas possible. Vous n’empêcherez jamais qu’il y ait une vie sexuelle dans l’armée, qu’elle soit hétérosexuelle ou homosexuelle. Mais il est possible de l’encadrer. Certes, c’est sans doute plus compliqué dans un sous-marin… On parle ici d’un a priori particulier : dans un lieu clos, une femme va attirer des convoitises. On pense que les hommes vont se battre pour la posséder. Cela revient à dire que l’on considère que les mâles ne peuvent pas contrôler leurs pulsions alors que, simultanément, l’armée leur propose d’acquérir cette capacité et que l’image de la virilité est bien celle de cette maîtrise de soi. La question est celle d’un stéréotype qui veut que les femmes soient aguichantes et les hommes menés par leurs pulsions sexuelles
Inflexions : Le regard des femmes sur la présence de leurs consœurs dans l’armée vous paraît-il renforcer ces stéréotypes ? Acceptent-elles cette culture ? Geneviève Asse raconte que, lorsqu’elle a été démobilisée, revenant dans le train, elle a été insultée par des femmes qui l’ont traitée de « paillasson à soldats », comme si une femme au milieu de soldats était nécessairement une prostituée ?
Françoise Héritier : Il ne faut pas imaginer que les femmes ont une autre culture ou un autre regard que les hommes. Si, dans une culture donnée, on estime que la place des femmes est à la maison et que l’on assimile celles qui adoptent un comportement viril ou qui sont présentes au sein d’un collectif masculin à des putains, oui les femmes pensent alors de la même manière. Parmi les personnes les plus hostiles à l’égalité, il y a des femmes ; mais ce sont généralement des femmes qui n’ont pas eu accès à l’instruction, à l’éducation. Celle-ci permet en effet d’acquérir un esprit critique, de se débarrasser d’un certain nombre de préjugés, de se poser des questions. Des femmes qui, toute leur vie, sont restées illettrées (comme c’était le cas en France jusqu’à Jules Ferry), ou qui ont été mariées à douze ans, qui ont toujours servi leur mari, ont fait des enfants à « tire-larigot » sont extrêmement hostiles à l’idée que les choses puissent changer à l’avenir pour les autres, car ce serait la négation même de leur vie. Férocement attachées au petit pouvoir que l’institution culturelle dominante leur a laissé, elles sont même opposées à l’idée d’égalité.
Inflexions : Le bordel militaire de campagne (bmc) comme refuge de la non-maîtrise du désir sexuel sera-t-il un jour considéré comme étrangement préhistorique ?
Françoise Héritier : Certainement. Et pas seulement le bmc : c’est tout ce qui est sous-entendu dans la tolérance à l’égard des clients des prostituées. L’idée que la pulsion sexuelle masculine doit trouver des corps pour s’épancher et qu’elle ne peut être maîtrisée est étrangement archaïque. En fait, le propre de l’humanité est de contrôler ses pulsions. En l’absence de cette capacité, nous vivrions dans un monde non réglé, nous tuerions ceux qui nous gênent, nous aurions les comportements les plus individualistes qui soient. Tout cela est policé, sauf dans le domaine sexuel. Là, le contrôle social n’a existé qu’à l’égard des femmes protégées par un homme, père, frère, mari, fils. Les autres sont bonnes à prendre. Et il n’est pas anodin de constater qu’à l’heure actuelle, dans les pays occidentaux, les cas de viol sont à 80 % intrafamiliaux : l’homme, qui devrait protéger la femme des assauts extérieurs, devient le prédateur. Alors que le propre des hommes est de pouvoir contrôler les pulsions et de créer la loi, on postule leur incapacité naturelle à maîtriser ce domaine. Là aussi, il s’agit d’une construction de l’esprit, tout comme l’est l’idée de la nécessaire satisfaction immédiate des pulsions masculines. Je pense notamment à un exemple qui me paraît très parlant. En Afrique de l’Ouest, les femmes donnent le sein à leur petit garçon dès que celui-ci pleure et demande à boire ; en revanche, elles font attendre leurs filles. Quand on leur demande la raison de cette différence, elles expliquent que les garçons ont le cœur « rouge », c’est-à-dire le cœur violent, et que cette violence peut fragiliser l’individu. Si on laisse le garçon crier trop longtemps, il peut en mourir, il faut donc lui donner immédiatement satisfaction.
Inflexions : Et donc apprendre la patience aux filles…
Françoise Héritier : Oui, parce qu’elles seront frustrées et devront attendre toute leur vie. On avance donc un argument physiologique pour les garçons, sociologique pour les filles. Cela renvoie à l’idée que se font ces sociétés d’hommes impatients et de femmes patientes. Nous construisons ainsi, dès la naissance, sans nous en rendre compte, deux races d’individus totalement différentes : ceux qui croient qu’il est normal d’avoir immédiatement la satisfaction de leur besoin quel qu’il soit et ceux qui n’obtiendront pas cette satisfaction. La pulsion sexuelle est traitée de la même manière. Il lui faut un exutoire immédiat, du moins pour les mâles. Nous avons une propension à traiter différemment les garçons et les filles.
Inflexions : Les couleurs, les jeux…
Françoise Héritier : Même l’alimentation est différente… Un petit garçon est nourri de façon plus abondante que sa sœur, car on pense qu’il faut lui donner de la force…
Inflexions : Pour revenir à la sexualité, l’un des arguments de la Légion étrangère pour refuser la présence de femmes dans ses rangs est que s’il y a des femmes en première ligne, il faudra les surprotéger, car si elles sont faites prisonnières, elles risquent d’être violées. Elles seraient des cibles de choix. Cette potentialité de viol vous paraît-elle opportuniste ?
Françoise Héritier : Nous retrouvons toujours le même argument. Le viol est une manière non pas de répondre à une privation, mais d’affirmer une prééminence sur les hommes de l’autre camp en imposant des grossesses forcées. C’est ce qui s’est passé en Yougoslavie, en Espagne, au Rwanda… C’est un défi entre hommes. On part de l’idée que le corps des femmes est disponible quand elles ne sont pas protégées par leurs proches de sexe masculin. Quand ils disent « Si elles sont en première ligne, nous devons les protéger », les hommes se mettent en situation de père, de mari… Et en face, le violeur leur fait passer ce message : « Vous n’êtes pas des hommes puisque nous avons pris vos femmes. » On est dans la même logique conceptuelle. La seule question est de savoir jusqu’où va la solidarité entre combattants du même bord, quel que soit leur sexe.
Inflexions : Et le statut des veuves de guerre ? Ne participe-t-il pas de cette inégalité. Pourrait-on imaginer des veufs de guerre ?
Françoise Héritier : Oui, tout à fait. Aux États-Unis, cela existe. Les armées américaines sont celles qui envoient le plus de femmes en Irak ou en Afghanistan ; quand elles sont tuées, leurs maris sont veufs de guerre. Si les pensions de veuves de guerre existent, pourquoi n’y aurait-il pas des pensions pour les veufs de guerre ? Mais qu’implique la notion de pension pour les veuves de guerre ? Autrefois, c’était l’État qui prenait en charge la nourriture et l’éducation des enfants, subvenait aux besoins des femmes qui n’avaient pas de métier, qui n’existaient que comme épouses et mères au foyer. Désormais, il s’agit plutôt d’envisager une indemnité du dommage subi.
Inflexions : La « veuve de guerre » trahissait donc cette inégalité ?
Françoise Héritier : Oui. Les femmes n’avaient pas accès à des professions qui leur permettaient de survivre seules. Si elles ont un métier, une pension à vie ne me paraît pas indispensable. Qu’il y ait rétribution pour perte, ainsi qu’une aide pour l’éducation des enfants, oui. Mais autant pour les hommes que pour les femmes.
Inflexions : Certains disent que lorsque les hommes ne sont plus aptes à combattre en première ligne, ils ne peuvent trouver de postes protégés car ceux-ci sont occupés par des femmes. Si celles-ci occupent des postes avancés, il n’y a pas de raison pour qu’elles aient le monopole des postes protégés.
Françoise Héritier : Cette introduction actuelle dans l’armée est fidèle aux représentations traditionnelles. On attribue aux femmes des postes spécifiques : charge logistique, intendance… Si une plus grande égalité existait, selon les aptitudes de chacun, il n’y aurait pas de raison pour que les hommes ne puissent occuper les postes d’intendance ou ceux dits « protégés ».
Inflexions : Cette égalité, qui se construit sur le plan international, va-t-elle contribuer à un changement de regard ? S’agit-il d’un acquis anthropologique majeur ?
Françoise Héritier : La féminisation de l’armée, pas nécessairement. Mais cela fait partie de l’acquis anthropologique majeur qu’est l’égalité des sexes. J’entends par égalité des sexes la reconnaissance que les aptitudes des deux sexes sont du même ordre. Si, par exemple, on étudie un groupe d’une centaine d’individus constitué de cinquante hommes et de cinquante femmes choisis au hasard, les cinquante plus forts physiquement ne sont pas nécessairement des hommes et les cinquante plus faibles des femmes. De même, les cinquante plus disciplinés ne sont pas exclusivement des femmes. Les variations individuelles entre les personnes sont plus importantes que les variations du sexe. C’est vrai pour l’intelligence des situations, l’aptitude au commandement, à l’obéissance, à la création, à l’innovation…
Inflexions : Les qualités « masculine » ou « féminine » ont-elles un sens ?
Françoise Héritier : Il n’existe pas de qualité « masculine » ou de qualité « féminine » dictée par la nature.
Inflexions : Julia Kristeva disait que nous avons en chacun de nous deux sexes, homme et femme. Vous vous opposez à cette vision.
Françoise Héritier : Oui, car elle fixe en quelque sorte l’idée d’une différence naturelle essentielle dictant nos actes et nos comportements. Or ce qui nous différencie, ce sont nos hormones respectives, responsables de nos différences physiques. Le reste des aptitudes est réparti sur les deux sexes de façon aléatoire en fonction des différences individuelles. La construction sociale est de forger par l’éducation des comportements spécifiques correspondant à une attente de classification de « qualités » en deux groupes distincts, classification qui nous est transmise depuis la haute préhistoire. C’est intéressant. Des enquêtes menées dans de grandes entreprises afin de repérer les aptitudes des hommes et des femmes au management ont retenu dix qualités. Un certain nombre d’entre elles étaient communes aux deux sexes, d’autres censées être plus spécifiques aux hommes ou aux femmes. On en conclut qu’il s’agit de données naturelles et que la complémentarité doit jouer. Mais si on regarde de plus près, on s’aperçoit que ce sont les comportements les plus espérés, les plus attendus en raison du sexe. Les femmes sont, par exemple, celles qui coopèrent le mieux entre elles et avec les membres de l’entreprise. Elles sont plus collégiales. Elles portent attention au travail de leurs subordonnés. Des caractères traditionnellement considérés comme plutôt féminins. Parmi les caractères communs, le dynamisme, l’intelligence des situations, la capacité d’entreprendre. Parmi les qualités les plus masculines, la surveillance critique du travail des subordonnés et la prise autonome de décision.
Ces différences, présentées comme innées, sont en fait cultivées et culturellement attendues. Les domaines des femmes seraient la bienveillance, le soin, ceux des hommes l’autorité et la décision rapide. Ce sont des constructions. On apprend par exemple aux petites filles à se taire et à ne pas se battre. Je me souviens d’une discussion dans l’ascenseur entre une mère et sa petite fille ; celle-ci racontait une bagarre qui s’était produite à l’école ; la mère, inquiète, dit : « J’espère bien que tu n’y as pas participé » ; et la petite fille, fière, de répondre : « Non, je suis restée à l’écart. » Deux garçons qui se battent sont deux bons petits coqs… Deux petites filles, des harengères, des furies…
Inflexions : L’anthropologie, si absente de la médecine par exemple, serait donc essentielle pour aller plus loin que l’apparence des choses.
Françoise Héritier : Il ne faut en effet jamais prendre les choses pour acquises mais interroger leur fondement.
Inflexions : On oublie ce qui a permis leur gestation ; on n’essaie pas de comprendre…
Françoise Héritier : Absolument. Ainsi on croit qu’il est normal de penser que la place des femmes n’est pas dans l’armée parce qu’elles n’ont pas la force physique nécessaire, qu’il faut les protéger, qu’elles ne peuvent pas être en première ligne… En fait, ces affirmations ne sont que les répétitions d’un mode archaïque de pensée fondé sur une appréhension désormais dépassée de la réalité, doublée de la volonté que rien ne change.
Inflexions : Les fonctions « chasse » et « culture » ont-elles, à l’origine, reposé sur une séparation des sexes ?
Françoise Héritier : Il ne s’agit pas tellement du clivage entre chasse et culture, qui est temporel (paléolithique vs néolithique), que de la séparation entre chasse et « cueillette », ramassage, qui est, elle, sexuée. Au paléolithique, les hommes étaient chasseurs, tuaient en faisant couler le sang. Les femmes ramassaient les baies, les tubercules, tuaient les petits animaux à condition de les piéger ou de les assommer. Elles nourrissaient le groupe à 80 %, car la chasse était bien aléatoire. La chasse était réservée aux hommes, la cueillette aux femmes. Cela ne veut pas dire que les hommes sont incapables de cueillir et les femmes de chasser. Dans certaines sociétés, elles participent d’ailleurs à des chasses difficiles, à des pêches extrêmement sportives. En Terre de Feu, par exemple, elles assomment les phoques au fond de la mer, au Japon, elles pêchent des coquillages à de grandes profondeurs. Ce n’est donc pas une question de compétence physique.
Au néolithique est apparue toute une série de techniques : élevage, agriculture, poterie, roue… La répartition des tâches de l’agriculture et de l’élevage s’est différenciée pendant des milliers d’années de façon instructive et intéressante. Celles qui font appel à une technique sont ainsi réservées aux hommes. Les femmes n’accèdent aux outils techniques que lorsque ceux-ci, devenus archaïques, sont remplacés par des outils nouveaux. Je m’explique : au départ, les hommes et les femmes utilisaient l’épieu et le bâton à fouir. Apparaît le métal. Les hommes s’en saisissent pour couper des arbres, sarcler la terre, fabriquer haches et houes. Les femmes continuent, elles, à utiliser le bâton. Apparaît l’araire, les hommes abandonnent la houe métallique désormais réservée aux femmes. Apparaît la charrue à soc réversible, les hommes délaissent l’araire, dont s’emparent les femmes, pour prendre la charrue. Apparaît le tracteur, les hommes quittent la charrue conservée par les femmes. Apparaissent les grosses machines multitâches. Ce sont les hommes qui les conduisent, les femmes, elles, surveillent si les sacs tombent bien dans la remorque. Il y a un côté « asymptotique » dans cette évolution qui voit l’accaparement des techniques et de la modernité par le sexe masculin, tout en montrant la capacité des femmes à les utiliser quand on leur en autorise l’accès.
Inflexions : Pour conclure, j’aimerais avoir votre avis sur le commandement, sur les femmes « généraux ». Leur demande-t-on des qualités particulières ? De la même façon, quand Mme Alliot-Marie était ministre de la Défense, l’opinion publique doutait de sa capacité à se faire obéir par des généraux à cinq étoiles, alors qu’elle a en fait été très respectée.
Françoise Héritier : C’est une question de compétence. Si une femme possède les compétences requises, cela ne devrait poser aucun problème, ce n’est pas l’uniforme qui fait l’autorité. Quittons l’armée. Quand j’ai été élue au Collège de France, j’étais la seule femme. Et je le suis restée pendant quinze ans avant que Mme Le Douarin ne me rejoigne. Je me souviens qu’un jour, lors d’une réunion consacrée au choix de nouveaux professeurs, certains de mes pairs couvraient d’éloges une candidate, vantant sa beauté physique, son charme, ses jambes… Interloquée, j’ai demandé si lorsqu’un homme se présentait à un tel poste on faisait autant attention à sa prestance physique… Ce glissement entre fonction et sexe, je l’ai vu s’opérer en Afrique entre fonction et couleur. Du temps de la colonisation, les villages de Haute-Volta (Burkina Faso) étaient administrés par un commandant de cercle, un Blanc. Après l’indépendance, la fonction a été naturellement africanisée, mais les villageois continuent à dire : « Le Blanc est venu. » Le représentant de l’autorité était toujours assimilé à un Blanc. Comme il l’est à un homme. Comme on juge une femme davantage sur son attrait sexuel que sur ses compétences.
Inflexions : Le terme « la générale » rappelle Feydeau… Vous semble-t-il pertinent de féminiser les grades ?
Françoise Héritier : Le vocable « la générale » désigne aussi la première représentation d’une pièce de théâtre… On pourrait dire la générale ou le général ; certains mots ont au féminin un sens et au masculin un autre. Si le terme prête à confusion, on peut l’utiliser au masculin. Sinon, je suis favorable à la féminisation des termes de métier, et ici de grades ; elle me semble nécessaire. Si l’on veut que changent les mentalités, il faut modifier les supports verbaux de l’ordre archaïque.
Propos recueillis par Didier Sicard
Françoise Héritier is France’s greatest living anthropologist. She is Claude Levi-Strauss’s successor at the Collège de France and has written many books that have become standard texts of contemporary anthropological thought. She is intellectually committed to the cause of women and the rights of those who are most vulnerable.
Inflexions: We produced this issue with the working title “Specific features of professional soldiering in getting to grips with mixed forces”. What do you think of that choice?
Françoise Héritier: “Mixed” is probably not the word I would have chosen in this connection, because it does not refer just to the sex difference. The word generally suggests a group of people who are mixed in terms of their ages, social status and regional origins; in other words social categories that differ in nature. The word “mixed” does not seem to me suitable only to describe the relationship between the sexes within an organisation of the nature of an armed force. The difference between the sexes is fundamental; it has extended through all humanity right from the beginning up to our day, whereas other differences relate to specific times and places. Age and social status can change. The word “mixed” has too wide a meaning and is too vague to describe something relatively complex, all the more so in that armed forces have features that are specific and mark them off from other occupations (assuming military life to be an occupation). In the background, there is always the possibility of going to war and killing. Many soldiers, of course, will never be in the situation of killing, but that fundamental idea is ever-present, just as the idea of caring underlies medical occupations. Given that humanity consists of two sexes, the question arises of why only one of them, from a historical perspective, is able to go to war and kill. That is not something recent, it dates from prehistory. Allocating some tasks to men and others to women is based on a constant underlying assumption: that women cannot kill by shedding blood. We have inherited that thinking.
Inflexions: Does that heritage still seem to you to be present, symbolically, in the background? Does that subconscious taboo about women shedding blood seem to you to be anthropologically one of the reasons for women long being kept out of armies?
Françoise Héritier: Yes, definitely. It is the anthropological basis we have in common. The reason is presented as a question of strength, whereas that is only an appearance. For most activities involved in fighting wars, it is not so much physical strength, brute force in close combat, that is important, but capability in terms of stamina, presence of mind, speed, reflexes and ability to obey orders. Crude strength is not the decisive factor. If you are a member of a tank crew, for example, you don’t need any particular strength, but you do need to have been trained. The physical abilities needed are ones you can acquire. Men are not born knowing naturally how to climb a rope, get over a wall, or crawl on their elbows and knees when under fire. All of that is learned, and women can do the same. The potential is there. A man can easily knock a woman down, but a woman who has been trained can also knock a man down. So it’s not a question of strength but of accepting the basic idea that women can fight, kill and shed blood. Moreover, killing animals was not totally forbidden to women in past societies just as, these days, it is not prohibited in “traditional” societies. They couldn’t shed blood, implying the use of sharp tools, but they could trap an animal, batter it to death, catch it in a snare, or strangle it.
Inflexions: So, during your childhood in the Auvergne, women never killed pigs.
Françoise Héritier: That’s right. And even today, in abattoirs, it is always the men who do the killing. One man, perched on a platform, delivers an electric shock to each animal as it passes, to stun it. The animals then have their throats cut and are sent on to a room where both men and women remove and roughen the skin by making wave-shaped incisions. The women do not cut the animals’ throats. Here, we are entering into systems involving complex representation. We have to accept a philosophical idea that also exists in our traditional conceptions: there are correspondences between the cosmos, the human body and social life, and they influence each other; it is a question that can be called “sympathy”. In contemporary society, for example, people still often say, particularly in country areas, that when women have their periods they may not enter water or make a mayonnaise as there is a risk of it not thickening. That can seem absurd, but it goes right back to the philosophical conception of “sympathy” existing between the cosmological, biological, bodily and social systems.
The starting point is the observation that women lose blood regularly, whereas men lose theirs only through an accident or by deliberate act. If women shed blood at the same time as having a period, there would be a risk of exacerbating their own blood loss “in sympathy” and this becoming sterile. Marriageable women of childbearing age could therefore never be allowed to be in a situation that involved killing by bloodletting, and thus could not be soldiers. Some women did bear arms, in Gaul, and in Dahomey; and more recently in Colonel Gaddafi’s Libya and some Latin American societies. These, however, were not any women. In Gaul, for example, the recruits were young girls who were, prepubescent or had reached puberty but were unmarried. As soon as a girl reached puberty and was married, she had to devote herself solely to reproduction. The incompatibility here is not between being female and a soldier, but only between shedding blood and being of reproductive age. In Dahomey, the court of King Behanzin, at the end of the 19th century, included Amazons, but looking at a photograph that has survived, it can be seen that these warriors – whom we imagine as superb women in their prime – were actually matronly women over 50 or else young girls.
Inflexions: Is this universal prohibition a basis for keeping women out of the armed forces?
Françoise Héritier: The world into which we are born has this archaic notion, and we perpetuate it without asking about its relevance.
Inflexions: Are these archaic notions still with us, despite our apparent modernity?
Françoise Héritier: Yes. Geneviève Asse, whom we now know as a painter, was in a tank regiment, but her function was to drive an ambulance. Women are now to be found in fighting units, but for long they were recruited solely for the Supply Corps and assistance, secretarial and nursing functions, etc. Their role was “caring”! And there was always an underlying imperative of motherhood, implying devotion to the family. None of that was ever questioned. Most people are offended and say “but it’s only natural.” No, it is not natural! It is a construction produced by the mind in prehistoric times, based on an observation about which people rationalised. Women can now go into all branches of the armed forces. At the same time, however, new military units, such as intervention groups, have been established, from which women are banned.
Inflexions: And there’s the Foreign Legion.
Françoise Héritier: That remains a male bastion. The intervention groups were created when employment in the armed forces was opening up to women. There is no reason why women should not be included; it is just a question of training. Frontal attacks are rare; most of the time, what is needed is to choose a good strategic location and be able to shoot, which women can do perfectly well. There remains the idea, however, that they are not made for that, and the reasons given are always symbolic: “It goes against the fact that women are givers of life” or “Their side is life; not death”, etc.
Inflexions: So we think we’re getting away from the archetypes, whereas a counter-movement is tending to construct islands where they rule.
Françoise Héritier: Yes, the question is discussed both well and badly. It’s a good question for our contemporary societies, where people reason in terms of equality. We must consider it in those terms, and I am all for that. The basic question is, in the beginning, less a desire for inequality than a matter of making sense of a natural observation. There were other types of humans before the Neanderthals, but we consider symbolic reasoning to have appeared with them. It is illogical to think that the first humans really wanted their menfolk to dominate the women by violence. That happened over the centuries and generations as a result of the need to make sense of what they observed, using the crude means available to them for reflection, namely what they experienced through their senses. They could not know what was inside the body. They didn’t know about spermatozoa and ova, but they were faced with phenomena that imposed blocks to thinking, and they had to try and make sense of them. Why, they might wonder, are there two sexes? Why is copulation needed to conceive a child? Why do women produce children of both sexes instead of men producing boys and women producing girls? The answer they gave was: “Men put the children into women, who are simply containers. The women therefore have to be appropriated in order to get sons.” That is the reasoning at the origin of the sexes’ difference in “valence” and thus the resulting division of tasks between the sexes.
Men want to have sons that are like them. This explanation, which dates from the dawn of thinking humanity, makes sense of the coexistence of the sexes as, otherwise, one would have to imagine a world where – against all evidence – women produced children simply through their intimate power, with sexual activity being only for pleasure. For men, the real question was: “What use are we?” There are therefore two constant themes: women cannot kill and are under an obligation to remain limited to motherhood in order to produce children and, in particular, the sons that men cannot produce. There followed women’s inability to participate in hunting and in war, and an inability imposed not by nature but by culture, to join an army. That construction comes down to us from the most-distant prehistory, which we misrepresent by saying that the presence of women in armed forces conflicts with the fact that they carry new life and is contrary to their nature.
Inflexions: The mundane arguments about sex differences in the armed forces, and about personal-hygiene conditions in a submarine or tank: do they seem to you conformist arguments to justify this primitive archaism?
Françoise Héritier: You are referring to the excretory organs? Having water and special facilities is certainly desirable. When Claudie Haigneré went into space, I do not recall any articles describing how she went about dealing with it. She was an equal to her male colleagues, so they had found methods that worked. Eliminating bodily waste is the same for men and women. Those arguments are just excuses.
Sexual activity is another consideration. It is a question of self-control that is not at all specific to armed forces. The sexes are not mixed in boarding schools or in convents and monasteries. Sexual activity between teachers and students, doctors and patients, people in authority and those who are subject to that authority is not unrestrained or commonly accepted. There is an implicit moral rule prohibiting such activity. There are laws in all fields. Either the State, or a moral higher power, ensures that it is impossible for just anything to occur. You will never prevent sexual activity taking place in armed forces, whether it is heterosexual or homosexual, but it can be constrained within limits. Undoubtedly it is more complicated in a submarine, but we are talking here about a particular preconception: that in a confined space, a woman will attract lustful desires. People think that men will fight to possess her. That amounts to saying that we consider men unable to control their impulses at the same time as armed forces offer them the possibility of their acquiring that ability, with the image of manliness being exactly that self-control. The problem is a stereotype that sees women as enticing and men as driven by their sexual urges.
Inflexions: Does the way that women see the existence of other women in the armed forces appear to you to strengthen these stereotypes? Do they accept the culture? Geneviève Asse said that when she was demobilised and returning by train, she was insulted by other women, who called her a “soldiers’ lay”, as if a woman among soldiers was necessarily a prostitute?
Françoise Héritier: You must not imagine that women have a different culture or a different way of looking at things from that of men. If, in some culture, it is considered that women’s place is in the home and that those who adopt typically masculine behaviour, or who live in a male community are much the same as whores, then yes, the women will think similarly. Those who are most antagonistic to equality include women, but they are generally women who have not had much education. Indeed, education makes it possible to gain a discriminating mind, to shake off certain prejudices and to question people’s thinking. Women who remained uneducated all their life (as was the case in France until Jules Ferry), or who were married at 12 years old and always served their husbands, forever having children, were extremely hostile to the idea that things could change for others in the future, as that would negate their whole life. They were fiercely attached to the little power that the dominant cultural system left them, even being opposed to the idea of equality.
Inflexions: Will the military campaign brothels, as a refuge against failure to control sexual desire, one day be considered bizarrely prehistoric?
Françoise Héritier: Definitely. And not only military campaign brothels: it’s all the assumptions underlying tolerance towards prostitutes’ clients. The idea that men’s sexual impulses should find bodies as outlets and that the drives cannot be controlled is strangely archaic. In fact, controlling one’s impulses is a specific feature of humanity. If that ability were absent, we would be living in an uncontrolled world, we would kill those who annoyed us, and we would exhibit the most individualistic behaviour imaginable. Everything is rendered civilised, except in the sexual arena. There, social control has existed only in respect of women being protected by a man, whether father, brother, husband or son. Other women are good for the taking. And it is not insignificant that currently, in Western countries, 80% of cases of rape are within the family. A man who is supposed to protect the woman from outside attacks becomes the predator. While men’s specific feature is that they can control their impulses and create the law, they are said to be naturally incapable of control in this area. Here, again. it is a construction of the mind, just like the idea of it being necessary for men to immediately satisfy their drives. I am thinking in particular of an example which seems to me to say it all. In West Africa, women allow their infant sons to breastfeed as soon as they start crying and demand nourishment. In contrast, they make their daughters wait. When you ask them the reason for the difference, they say that boys have “red” hearts, meaning that they are violent at heart, and that the violence can weaken the boy. If a boy is left to cry too long, he could die, so you have to immediately satisfy the desire.
Inflexions: At the same time teaching the girls to be patient!
Françoise Héritier: Yes, because they will be frustrated and have to wait throughout their lives. So a physiological argument is advanced for the boys and a sociological one for the girls. This goes back to the idea these societies have of men being impatient and women being patient. Thus, without realising it, we are from birth constructing two breeds of totally different individuals: those who believe it reasonable to have their needs, whatever they are, immediately satisfied, and those who will not be satisfied like that. The sex urge is treated similarly. At least for the males, it needs an immediate outlet, but we are inclined to treat girls differently from boys.
Inflexions: In terms of colours and games?
Françoise Héritier: Even their food is different. A little boy is given more food than his sister, as it is thought necessary to make him strong.
Inflexions: To go back to sexual activity, one of the Foreign Legion’s arguments for refusing to have women in its ranks is that if there were women in the front line, they would need to be over-protected because, if they were taken prisoner, they were liable to be raped. They would be the targets of choice. Does that potential rape scenario seem opportunistic to you?
Françoise Héritier: We keep coming back to the same argument. Rape is a way, not of responding to hardship, but of asserting pre-eminence over the men on the other side, by imposing forced pregnancies. That is what happened in Yugoslavia, Spain, Rwanda and elsewhere. It is an act of defiance between men. You are starting from the idea that women’s bodies are available when they are not protected by men in their immediate circle. When people say “If they are in the front line, we must protect them”, the men are putting themselves in the position of fathers or husbands, etc. On the other side, the rapists are telling them: “You are not men, as we have taken your women.” It is the same conceptual logic. The only question is how far solidarity between combatants on the same side goes, whichever sex they are.
Inflexions: And what about the situation of war widows? Are they not part of this inequality? Could we imagine war widowers?
Françoise Héritier: Yes, exactly. The phenomenon exists in the United States. The American armed forces are those that send most women to Iraq and Afghanistan, and when they are killed their husbands are war widowers. If there are pensions for war widows, why shouldn’t there be pensions for war widowers? What, however, does the idea of war widows’ pensions imply? In the past, it was the State that took charge of feeding and bringing up the children, supporting women with no occupation and who existed only as wives and mothers in the home. Nowadays, we rather have to envisage compensation for harm suffered.
Inflexions: So the idea of a war widow betrayed that inequality?
Françoise Héritier: Yes. Women did not have access to occupations that enabled them to survive alone. It seems to me that if they had an occupation, a lifetime pension would not be essential. To be recompensed for loss and receive assistance for the children’s upbringing is fine, but that should be the case for men as well as for women.
Inflexions: Some people say that with men being more able to fight in the front line, they cannot find protected positions, as those positions are occupied by women. If the women are in forward positions, there is no reason for them to have a monopoly of protected positions.
Françoise Héritier: This current introduction into the armed forces is in keeping with traditional representations. Women are given specific positions: responsibility for logistics or supply, etc. If there were greater equality, depending on each person’s abilities, there would be no reason why men shouldn’t occupy positions in supply or others that are called “protected”.
Inflexions: Will that equality, which is being constructed internationally, lead to a changed outlook? Is it a major anthropological advance?
Françoise Héritier: Not necessarily in the case of the increased role of women in the armed forces. It is, however, part of a major anthropological advance, namely equality between the sexes. By “equality between the sexes”, I mean the recognition that the abilities of both sexes are comparable. If, for example, you study a group of a hundred individuals consisting of 50 men and 50 women chosen at random, the 50 who are physically strongest are not necessarily the men and the 50 weakest the women. Likewise, the 50 who are most disciplined will not exclusively be women. Variations between individuals are greater than variations between the sexes. That is true in terms of capacity to understand situations, to command, to obey, to be creative, and to innovate, etc.
Inflexions: Are there qualities that can reasonably be called “masculine” or” feminine”?
Françoise Héritier: There are no “masculine” or “feminine” qualities prescribed by nature.
Inflexions: Julia Kristeva said that inside each of us there are two sexes: man and woman. You disagree with that view.
Françoise Héritier: Yes, because, in a way, it fixes the idea of an essential natural difference that dictates the ways we act, and our behaviour. What does make us different is the different hormones, that result in our physical differences. Other abilities are distributed in a haphazard fashion, depending on individual differences. The construction of society involves creating specific behaviour patterns through education. Those patterns correspond to an expectation that human “qualities” can be classified into two distinct groups, with the classification communicated down the ages to us from the most distant prehistory. That is interesting. There were surveys carried out in large organisations to spot the management potential of men and women, using ten qualities that would be sought. Some of them applied to both sexes, while others were supposed to apply more to men or to women. One would imagine from that that they were natural gifts, with complementarity at work. If you look more closely, however, you can see that the qualities sought were those they most hoped for in that sex. For example, the women they wanted were those who co-operated best with each other and with other members of the organisation; who were more able to act as a body; who also were attentive to the work of their subordinates. Characteristics traditionally considered as tending to be feminine! Among the characteristics common to both sexes were being dynamic, understanding situations, and being able to undertake new ventures; while the more masculine qualities included critical oversight for the work of subordinates and independent decision-making.
Those differences, presented as innate, are actually ones that are nurtured and expected by our culture. Women’s fields appear to be kindness and caring, while those of men are authority and rapid decision-making. These are constructed values. Little girls, for example, are taught to be quiet and not to fight. I remember hearing a discussion between a mother and her young daughter in a lift. The daughter described a fight that had broken out at school, and the mother said: “I hope you didn’t join in”, to which the daughter proudly replied: “No, I stayed out of it.” When two boys fight, they are two little cockerels (of whom the nation can be proud); when it’s two girls, they are fishwives, or shrews.
Inflexions: So anthropology, which has so little place in medicine for example, would seem to be fundamental for looking further than how things appear.
Françoise Héritier: Indeed, you must never take things as established; you must ask about their basis.
Inflexions: We are forgetting what made emergence of the ideas possible. We don’t try to understand.
Françoise Héritier: Absolutely. We thus think it reasonable to see the armed forces as the wrong place for women because they haven’t got the necessary physical strength, that they need to be protected, and that they cannot be in the front line. In fact, these assertions are only repeating the beliefs of an archaic mode of thinking founded on an understanding that has now been rendered out of date by the facts, together with a desire for nothing to change.
Inflexions: Were the “hunting” and “cultivation” functions originally based on a division between the sexes?
Françoise Héritier: It is not so much a question of separation between hunting and cultivation, which is specific to a certain period (Palaeolithic, rather than Neolithic), than a separation between hunting and gathering, which were functions allocated on a sexual basis. In the Palaeolithic period, the men were hunters; they killed and shed blood. The women collected berries and tubers, and killed small animals – but only by trapping them or battering them to death. They provided 80% of the group’s diet, as hunting was highly uncertain. Hunting was reserved for men and gathering for women. That doesn’t mean that men were unable to gather food and that women were unable to hunt. In some societies, moreover, women have taken part in difficult forms of hunting and in very demanding fishing activities. In Tierra del Fuego, for example, they batter seals at the bottom of the sea, and in Japan they hunt shellfish at great depths. So it is not a question of physical ability.
In the Neolithic period a whole set of new technical activities appeared: animal husbandry, agriculture, pottery-making, use of wheels, etc. Over thousands of years, tasks in agriculture and animal husbandry came to be distributed differently, in ways that are instructive and interesting. Those that used a technical activity were reserved for men. Women had access only to technical tools that were obsolescent and being replaced by new tools. I will explain that. In the beginning, men and women used spears and digging sticks. Then, metal appeared. The men latched onto it, to fell trees, weed the ground, and make axes and hoes, while the women continued to use sticks. Then came the swing plough, and the men abandoned metal hoes, which henceforth were reserved for women. The mouldboard plough appeared, and men gave up the swing plough, which the women took over for ploughing. The tractor appeared, and men left ploughing, which women retained. Large multifunction machines appeared, and men drove them, while women watched to see that the bags fell properly into the trailer. There is an aspect that might be called “asymptotic” in these developments, with men taking control of technology and new methods, and women demonstrating their ability to also use the innovations as soon as they are allowed access to them.
Inflexions: To conclude, I would like your opinion of command by women generals. Are special qualities demanded of them? That would be like when Ms Alliot-Marie became Minister of Defence and public opinion doubted her ability to command obedience from five-star generals; in fact she was well respected.
Françoise Héritier: It is a question of ability. If a woman has the required abilities, it shouldn’t be a problem; wearing a uniform doesn’t give you authority. Let’s look outside the armed forces. When I was elected to the Collège de France, I was the only woman there. I remained the only woman for 15 years, and then Ms Le Douarin joined me. I remember that one day, during a meeting devoted to choosing new professors, some of my peers were full of praise for one woman candidate, vaunting her physical beauty, her charm and her legs, etc. I was taken aback, and asked whether a man standing for such a position had such attention given to his physical attributes. I have seen the same sort of slide from occupational competence to sex operating in Africa, only there it was from occupational competence to colour. From the colonial period, the villages in Upper Volta (now Burkina Faso) were administered by a commander, a white man. After independence, of course, the function was taken over by an African. When the new commander visited a village, however, the villagers continued to say: “The white man has come.” Representatives of the ruling power had always been seen as synonymous with whites, just as they are seen as men. And it’s like women being judged more on their sexual attractiveness than on their abilities.
Inflexions: Mentions of a woman general tend to make people think of Feydeau’s farces. Does it seem to you relevant to invent feminine names for the various ranks?
Françoise Héritier: The French expression “la générale” can also refer to the dress rehearsal of a theatrical production. For the military rank, it doesn’t much matter which gender you use when referring to a general; some words have a feminine form with one meaning and a masculine form with a different signification. If there is liable to be any confusion, you can use the masculine form. In other respects, I am in favour of working out feminine terms for occupations or, as here, ranks; it seems to me necessary. If you want to change people’s attitudes, you need to change the linguistic supports that buttress the archaic order.
Professor Héritier was interviewed by Didier Sicard.