Mon fils n’avait que dix mois quand, pendant l’hiver 2003, je suis partie servir en Irak. Il n’avait pas encore appris à marcher, il n’avait pas encore de dents et ne savait dire que « ma ma » et « da da. » À mon retour, sept mois plus tard, il marchait, il parlait, et ses dents avaient poussé. Je ne l’ai pas vu grandir. Une fois rentrée chez moi, je suis restée longtemps debout, en silence, à le regarder jouer. Je ne voulais pas le troubler et je craignais qu’il ne se souvienne pas de moi. Mon affectation à l’opération « Liberté en Irak » a été la première véritable épreuve à laquelle ma famille a été confrontée depuis mon entrée dans l’armée, en 1998.
Aujourd’hui je vis à Paris, avec mon fils, ma fille et mon mari, car j’ai eu la chance d’être sélectionnée pour suivre une formation d’un an en France, à l’École de guerre. Bien qu’un certain temps se soit déjà écoulé depuis la fin de ma dernière mission sur le terrain (en décembre 2005), je n’oublierai jamais mon expérience en Irak et les leçons apprises là-bas.
En comparant mon curriculum militaire avec celui de mes collègues français, je me suis aperçue qu’aucun d’entre eux n’a servi en Irak, du moins au cours de la dernière guerre. Et ce qui m’a le plus surprise, c’est que, malgré la « féminisation » affichée de l’armée française, la plupart de mes collègues féminines n’ont jamais été en zone de combat. Aux États-Unis, en revanche, la majorité de mes camarades de l’armée, hommes ou femmes, ont effectué plusieurs missions en Irak ou en Afghanistan, voire parfois dans les deux pays. Les Français ont pourtant compris qu’une plus grande égalité est nécessaire dans ce domaine et que les femmes doivent pouvoir servir aux côtés des hommes, dans tous les domaines. Ainsi, contrairement à l’armée américaine, l’armée française a ouvert aux femmes la plupart des corps d’armée. Lorsqu’une jeune Française se rend au bureau de recrutement, elle peut choisir celui qu’elle souhaite, sauf les sous-marins et la Légion étrangère. Fait encore plus étonnant : pour de nombreux pays d’Europe de l’Ouest, la féminisation de l’armée n’est pas un problème parce qu’elle n’est plus nécessaire ; la mixité est déjà une réalité depuis longtemps. C’est le cas de la Suisse, de la Belgique, des Pays-Bas, de l’Allemagne et de la Norvège.
En France, l’intégration des femmes dans l’armée est un phénomène relativement récent qui, tout comme dans l’armée allemande, s’est imposé très rapidement. En principe, si une femme possède les qualifications nécessaires, elle peut servir presque partout. Mais ne s’agit-il pas d’une possibilité purement théorique ? On a l’impression, en effet, que les lois existent, mais que les femmes ne peuvent pas encore en bénéficier. Bien que la plupart des unités de combat leur soient ouvertes, peu nombreuses sont celles qui servent dans certains domaines. Un médecin militaire m’a récemment confié qu’il était déçu car, dans de nombreuses zones de combat, en Afghanistan, on ne peut pas envoyer d’infirmières. Les lieux considérés comme hostiles sont en effet interdits aux femmes, ce qui génère une grave pénurie de personnel médical militaire français, en particulier sur les lignes de front. Si on les interroge à ce sujet, les officiers français affirment que le gouvernement a approuvé des lois visant à promouvoir l’égalité des genres au sein de l’armée, mais que l’égalité n’est pas encore une réalité. Le « bon vieux réseau masculin » est-il encore dominant ?
Aux États-Unis, la situation n’est guère meilleure. Lorsqu’une jeune femme se rend dans un bureau de recrutement, on lui notifie immédiatement que des spécialités (Military Occupational Specialty – mos) sont réservées aux hommes. Ceci veut dire que l’accès à plusieurs centaines de postes leur est interdit. Envers de la médaille : les hommes ne peuvent, eux, aspirer à certains postes, dans les communications ou les renseignements par exemple. Si une unité de combat est « saturée », on lui attribuera en renfort un soldat de sexe masculin, qu’il possède ou non le profil adapté ; une recrue de sexe féminin sera elle systématiquement aiguillée vers une unité ouverte à ses semblables, qu’elle soit ou non la meilleure candidate disponible pour le poste. Toutes les recrues sont victimes de ce système fondé sur la séparation des sexes. Il suffit de lire, à ce sujet, la brochure 611-21 du ministère de la Défense des États-Unis pour bien comprendre de quoi il s’agit.
Or contrairement au problème des homosexuels, cette discrimination ne semble pas émouvoir l’opinion publique américaine. La France n’a jamais banni les homosexuels de son armée et au Royaume-Uni où l’interdiction qui leur était faite de servir dans l’armée a été abolie il y a quelques années, la question n’a guère suscité d’intérêt. Alors que la célèbre formule « don’t ask, don’t tell » (« ne demande pas, ne dit pas ») a été inventée par le Congrès, l’origine des actuelles politiques discriminatoires entre les genres n’est pas claire. Depuis un siècle, les droits des femmes au sein de l’armée américaine ont beaucoup varié en fonction des différents échelons de contrôle gouvernemental. Par ailleurs, contrairement à la question de la liberté des homosexuels de servir ouvertement leur pays, la liberté des femmes de servir dans des unités de combat n’a pas suscité la même attention de la part des médias. Personne n’en parle. Le personnel militaire représente moins de 1 % de la population totale aux États-Unis. En comptant simplement le nombre moyen de femmes militaires, on arrive à moins de 15 % de la population. Qui se soucie de l’inégalité lorsqu’elle concerne un nombre si restreint d’individus ? La plupart des Américaines n’a jamais servi dans l’armée et n’a aucune intention de le faire. Et beaucoup de militaires, qu’ils soient hommes ou qu’ils soient femmes, ne veulent pas que celles-ci soient affectées à des unités de combat.
Dans ma classe de l’École de guerre, composée de cent un élèves provenant de différentes nations, je suis la seule femme, ce qui nous rappelle que, dans certains pays, les femmes n’ont même pas le droit de servir dans l’armée et que, même si l’intégration dans l’armée américaine n’est pas parfaite, cela pourrait être pire. Il reste à savoir pourquoi, alors que des milliers d’Américaines sont déployées et servent efficacement au combat, les postes de combat leur sont officiellement fermés.
My son was only ten months old when I departed for the war in Iraq in the winter of 2003. He hadn’t leaned to crawl, his teeth had not appeared yet, and he could only say « ma ma and da da. » Upon my return seven months later, he was a walking, talking, toothy toddler. I completely missed his transition from babyhood to child. After I entered our home, I just stood in silence and watched him play for a while. I didn’t want to upset him, as I was anxious he wouldn’t remember me. The deployment to Operation Iraqi Freedom was the first real hardship for my family since I joined the military in 1998.
Nowadays, I live in the 16th Arrondissement of Paris (compare to NYCs the Upper East Side) with my son, my daughter and my husband. Iraq is quite a contrast from my current situation, since I was fortunate enough to have been selected for the yearlong, French Ecole de Guerre. Although it seemed long ago (my last deployment ended in December 2005), the lessons learned in Iraq and the experience I gained will never disappear from memory. On the other hand, when comparing my military résumé with my French colleagues of course, none of them have been to Iraq, at least not during the most recent War. More surprising was that many of my French female colleagues had not deployed to a combat zone. This is in contrast to most of my US Army comrades, male or female, most of whom have deployed, either to Iraq or Afghanistan or sometimes both places. This is also despite the feminization of the French Armed Forces. The French are conscious that they must create equilibrium, allowing women to serve alongside men in all fields. The French have actually opened most combat arms branches – unlike the US military. When a young French woman goes to a recruiting station, she can choose whichever field she desires; except service on submarines and La Légion étrangère. Also remarkable is the fact that many Western European countries don’t bother with feminization – not because they don’t care, but because it’s not needed. Their services have been integrated for a long time now. Most notably are: Switzerland, Belgium, The Netherlands, Germany and Norway.
The French have only recently fully integrated women in their armed forces and like Germany; they have opened the « flood gates » all at once. This means, instead of opening only certain fields thought to be appropriate for women, they have opened most everything. In theory, if a woman can qualify, she could serve anywhere. Nonetheless, is that just in theory? It seems the laws are in place, but the women are not. Even though most combat arms branches in France are open to women, one would be hard pressed to actually find women serving in those fields. A French colleague serving in the medical field recently confided that he is frustrated because female nurses cannot deploy to most places in Afghanistan. Those places thought to be too hostile are closed to women. So subsequently, there is a serious shortage of medical aid available to French fighting forces in certain areas of Afghanistan – most notably, on the front lines of combat. When asked why, some French officers say that government has enacted these regulations to promote equality in the military – not yet. Is the « good ol’ boy network » still alive and well?
In the US, the current situation is not much better. When a young woman walks into a recruiting station in the United States, she is immediately made aware that she will not qualify for any Military Occupational Specialty (mos) coded for males only. This means hundreds of Army jobs are closed to them. On the flip side, this also means that males who may qualify for communications or intelligence jobs may not be placed in those jobs. If a field is « full » and no more applicants are needed, then the male soldier will be placed in a combat arms position – whether he’s the best candidate or not. The female recruit will be placed in one which is properly coded, whether she is the best candidate for the job or not. Recruits will all be victims of the « gender coded » military system. One only needs to look in Department of the Army Pamphlet 611-21 to see the details.
This concern, unlike that of gays in the military, appears to be much less a focal point of the average American. Then again, France has never banned gays from the military, and England did away with their prohibition a few years ago with and it seemed to go virtually unnoticed. Whereas, « don’t ask, don’t tell » was enacted at the congressional levels; it is unclear who exactly is responsible for the currently discriminatory policies against service members. For the past century American service women’s rights have undergone numerous mutations on many different echelons of government control. Also, unlike the issue of gays serving their country openly, the issue of women serving in combat arms has not received as much media attention. It’s like the « gorilla in the room » no one wants to talk about. Military personnel in the United States only make up less than 1 % of our total population. If one only counts the average number of military women, you will come up with less than 15 % of the population. Who cares about inequity when the are so few who are affected by it? Most women have never served in the military, not do they plan to. Many military men – and women for that matter – don’t want to see women in combat arms.
In my particular class of 101 international students, I am the only woman – just another sober reminder that some countries don’t even allow women to serve. This is also a further reminder that although the US military is not fully integrated, it could be worse. The question remains why, despite thousands of American women deploying and serving successfully in combat, are combat positions officially closed to women?
Finally, not if but when will the French send more women to war zones? When, not if, will the US military open all fields to women?