Lors de son discours prononcé le 10 décembre 2009 à l’occasion de la remise du prix Nobel de la paix, le président des États-Unis, M. Barack Obama, a établi le constat que « les guerres entre nations ont de plus en plus cédé la place à des conflits internes. La résurgence de conflits ethniques ou sectaires, la montée des mouvements sécessionnistes, les insurrections, les États défaillants : toutes ces choses enserrent les populations civiles, de plus en plus, dans un chaos sans issue ».
Face à ces types de conflits toujours plus nombreux, complexes et meurtriers, les missions confiées aux armées deviennent toujours plus délicates. Les crises ne sont parfois plus seulement militaires, mais sécuritaires, politiques ou humanitaires. Les missions ne correspondent pas toutes à des missions de combat. Il ne s’agit plus de « faire la guerre » mais de l’éviter ou de créer les conditions favorables pour que la paix soit définitivement restaurée ou maintenue. Toutefois, sur le terrain, malgré un calme apparent, la situation peut basculer en quelques instants, obligeant celui qui porte les armes de la République à en faire usage. Cet état intermédiaire ne correspond ni tout à fait au temps de paix ni totalement au temps de guerre, et entraîne des interrogations sur le droit applicable.
Dans ce contexte, l’expression « judiciarisation du champ de bataille » est parfois employée pour dénoncer la montée en puissance du droit en opération et la paralysie qu’il engendrerait sur le terrain. Il faut rappeler que le droit n’a pas pour objectif d’inhiber l’action des armées mais, précisément et au contraire, de la fonder. Le droit est ainsi le plus souvent protecteur.
En opération extérieure (opex), la responsabilité du militaire s’exerce dans un cadre d’actions qui peut être symbolisé par trois cercles concentriques, qui, parfois, se superposent. Le premier cercle de responsabilité rappelle que le militaire est soumis au droit commun. Dans ses faits et gestes, au quotidien, sur le camp, il se doit de respecter, comme tout un chacun, ce jus omnium1, et notamment le code pénal applicable en tout temps. En cas d’infraction, parallèlement à la compétence du juge français, pourra également s’exercer le pouvoir disciplinaire de la hiérarchie à travers une sanction de nature administrative.
Le second cercle de responsabilité concerne plus particulièrement les relations du militaire en opex avec son environnement, et notamment ses rapports avec les tiers, civils ou militaires. Il peut arriver que la présence de la force engendre des contentieux. Dans le cadre de l’exécution de sa mission, le soldat doit être protégé. Pour cette raison, la loi française ainsi qu’un accord de nature conventionnelle, pris avant le déploiement, apportent à la force une sécurité juridique sur le théâtre d’opérations.
Enfin, le dernier cercle a trait à l’activité opérationnelle du militaire, qui lui permet notamment de faire usage de la force, pouvoir exorbitant du droit commun. Dans ce cadre, sa responsabilité ainsi que celle de sa hiérarchie peuvent alors être recherchées. À ce titre, les militaires envoyés en opérations extérieures bénéficient de dispositions particulières qui ont évolué dans un sens plus protecteur avec l’entrée en vigueur du statut général des militaires. Le développement croissant de la justice pénale internationale ne remet pas en cause les mécanismes de protection juridique récemment instaurés.
- Droit pénal et droit disciplinaire en opex
En application des dispositions de l’article 113-6 du code pénal, la loi française est applicable à tous crimes ou délits commis hors du territoire de la République sous réserve, en matière délictuelle, de la réciprocité d’incrimination. Ainsi, compte tenu de l’unité des compétences législative et juridictionnelle, les juridictions pénales françaises sont bien compétentes pour juger des militaires français ayant commis à l’étranger des faits de nature criminelle ou même de nature délictuelle sous réserve que ces derniers soient également punis par la législation du pays où ils ont été commis. En effet, les juges français ne sont compétents que si les délits sont réprimés selon la loi étrangère. Pour autant, une fois leur compétence admise, ils ne pourront appliquer que la loi française. Les infractions militaires ne dérogent pas à ces règles du droit commun.
Dans le cadre des opex, le militaire français est également soumis à la loi du pays dans lequel il intervient. En cas d’infractions réprimées par la loi du pays d’accueil, il peut donc arriver qu’il doive répondre de ces actes autant devant les juridictions étrangères en vertu de la loi étrangère que devant les juridictions françaises. Cette difficulté est réglée par la négociation d’accords sur le statut des forces (Status of Forces Agreement, sofa) qui réduisent notablement les risques de voir juger les militaires à l’étranger dans le cadre des opérations extérieures. Par ailleurs, l’application de la règle non bis in idem élimine le risque d’une double poursuite des mêmes faits puisqu’elle entraîne une interdiction de poursuivre en France une personne qui a été jugée définitivement à l’étranger.
Le militaire en opex encourt donc des sanctions pénales qui sont aujourd’hui prononcées par le tribunal aux armées de Paris (tap) lorsque la loi française est applicable et lorsque les sofa ont été mis en œuvre. Cette juridiction unique est compétente, sous réserve des engagements internationaux, pour connaître des infractions de toute nature commises par les membres des forces armées hors du territoire. Elle applique le code pénal, le code de procédure pénale et le code de justice militaire.
Les magistrats qui statuent sur les infractions commises en opex sont des magistrats professionnels appartenant au corps judiciaire, qui sont désignés pour siéger au tap. Leur connaissance du domaine militaire et des conditions opérationnelles est favorisée par l’utilisation de la procédure d’avis. Celle-ci intervient lorsque les faits litigieux n’ont pas fait l’objet d’une dénonciation par le ministre chargé de la défense ou par l’autorité militaire habilitée par lui. Elle fait obligation au procureur de la République de demander préalablement à tout acte de poursuite, sauf en cas de crime ou de délit flagrants, l’avis du ministre chargé de la défense ou de cette autorité militaire habilitée. Cet avis permet à l’autorité militaire de faire connaître aux magistrats saisis son point de vue sur les faits et le contexte dans lequel ils se sont déroulés.
Malgré un mode de fonctionnement très proche de celui des juridictions de droit commun, le tap fait encore trop souvent l’objet, de la part du grand public, de suspicions infondées de dépendance et de partialité qui entretiennent le mythe d’une juridiction servant à assurer l’impunité de la hiérarchie militaire. Afin de faire taire ces critiques, un projet de loi (n° 344) relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles, déposé au Sénat le 3 mars 2010, prévoit le transfert des attributions de cette juridiction à des formations spécialisées du tribunal de grande instance et à la cour d’assises de Paris2. Les tribunaux judiciaires sont déjà compétents pour connaître des infractions commises par les militaires dans l’exécution du service sur le territoire national.
Le transfert des compétences du tap au profit des formations spécialisées des juridictions parisiennes sera sans effet sur la qualité du service rendu aux armées dans la mesure où tous les magistrats participant au fonctionnement du tribunal aux armées sont déjà des magistrats de l’ordre judiciaire affectés à cette juridiction.
Outre les sanctions pénales, les fautes ou manquements commis par des militaires les exposent à des sanctions disciplinaires et professionnelles3. Le but premier du droit disciplinaire est de donner toute son efficacité au principe hiérarchique en ce qu’il permet de sanctionner des comportements contraires au bon fonctionnement du service. Il est donc avant tout un moyen de s’assurer de l’obéissance au supérieur hiérarchique et de l’accomplissement de la mission. Ce faisant, la sanction disciplinaire a un caractère administratif et se distingue des sanctions pénales, qui punissent les comportements qui opposent l’individu au corps social tout entier.
La sanction disciplinaire militaire poursuit un triple but d’éducation, de gestion du personnel et de dissuasion. Il s’agit notamment d’inciter le soldat à mieux exercer ses responsabilités dans l’accomplissement de sa mission et à respecter les règles liées à l’état militaire. La sanction est également un rappel à l’ordre adressé au militaire concerné.
L’exercice de son pouvoir disciplinaire par le supérieur hiérarchique apparaît particulièrement nécessaire pour le maintien de la discipline et la poursuite au pénal des infractions graves au droit international humanitaire commises sur le théâtre des hostilités. Le juge pénal international considère d’ailleurs que le supérieur hiérarchique a l’obligation d’exercer ce pouvoir, faute de voir sa responsabilité engagée4. De ce point de vue, la sanction disciplinaire apparaît une fois encore comme un outil essentiel du respect du droit international humanitaire.
- Le soutien juridique du militaire
dans l’accomplissement de sa mission
La protection juridique traduit la volonté de l’État de défendre ses agents lorsqu’ils sont agressés du fait de leurs fonctions et de réparer le tort qui a pu leur être causé. Elle a également pour but de leur permettre d’organiser leur défense quand ils sont mis en cause pénalement. L’article L. 4123-10 du code de la défense qui la régit s’articule autour de deux hypothèses.
En premier lieu, la protection juridique concerne le militaire qui est victime d’infractions volontaires, à condition que celles-ci soient liées au service et motivées ou survenues en raison de sa qualité de militaire. De cette manière, un gendarme a pu demander et obtenir le bénéfice de la protection juridique après qu’il a été la cible de tirs au volant de son véhicule de gendarmerie, de retour d’une mission d’exhumation du corps d’une personne décédée dans des circonstances suspectes.
Ne sont en revanche pas éligibles à la protection juridique les militaires victimes de faits accidentels, tels les accidents de la circulation, même survenus en service. La qualité de militaire est en effet indifférente voire étrangère dans leur survenance. Ces militaires sont pris en charge au titre de la réglementation relative aux accidents de service (code des pensions militaires d’invalidité et victimes de guerre, régimes jurisprudentiels d’indemnisation).
En second lieu, la protection juridique s’adresse aux militaires qui sont poursuivis devant des juridictions pour des faits commis dans le cadre du service, sous la condition exclusive que ces faits ne présentent pas le caractère d’une faute personnelle. Celle-ci recouvre un certain nombre de comportements qui, s’ils peuvent matériellement se rattacher au service, parce que commis pendant celui-ci, s’en détacheront toujours intellectuellement – motivations étrangères au service (excès de comportement, violences gratuites), faute d’une exceptionnelle gravité.
Après qu’en mars 2005, un capitaine a ordonné l’interpellation d’un ressortissant ivoirien soupçonné de se livrer au trafic de stupéfiants sur une emprise militaire française située à Danané en Côte d’Ivoire, les conditions de l’interpellation et de la détention ont été mises en cause. Cet officier a été cité à comparaître en septembre 2007 devant le tribunal aux armées de Paris du chef de violences volontaires aggravées sans incapacité totale de travail, commises en réunion avec menace ou usage d’une arme. Il a bénéficié de la protection juridique.
Sous les réserves précédemment énoncées, les militaires qui sont impliqués dans des procédures judiciaires pour des faits liés à l’accomplissement de leur mission, dans des conditions conformes à la réglementation qui leur est applicable, bénéficieront de cette protection.
Dans le cadre spécifique des opex, les poursuites sont assez rares et la plupart du temps n’aboutissent pas au prononcé d’une condamnation, la procédure étant, le plus souvent et à juste titre, classée sans suite par le parquet.
A contrario, lorsqu’un militaire commet en service un acte répréhensible après avoir accumulé des négligences et de graves fautes d’imprudence, il doit également répondre devant la justice des faits qu’il a commis, sans pouvoir bénéficier de l’assistance de l’État. C’est ainsi, par exemple, que la protection juridique n’a pas été accordée à une sentinelle responsable d’un homicide involontaire dans la mesure où elle avait mis en joue, par jeu, une personne afin de l’effrayer et avait appuyé sur la détente de son arme en pensant à tort qu’elle n’était pas chargée.
La protection juridique peut revêtir différentes formes. Mais en tout état de cause, c’est à l’État qu’il appartient de choisir celle qui lui paraît la mieux adaptée à la situation de celui qui demande à en bénéficier. Elle peut notamment se traduire par la prise en charge des frais et honoraires d’avocat. Dans cette hypothèse, l’administration négocie avec celui-ci, qui a généralement été choisi par le bénéficiaire de la protection juridique.
Lorsqu’il apparaît peu probable qu’une procédure judiciaire permette la réparation du préjudice d’un militaire, ce qui est assez fréquent en opex, l’administration peut décider de ne pas recourir aux services d’un avocat et préférer prendre directement en charge le coût de l’indemnisation. Ainsi, l’État a réparé intégralement le préjudice subi par un gendarme, indépendamment de toute procédure dirigée contre l’auteur de l’infraction, lorsqu’à l’occasion d’une opération de maintien de l’ordre, au Kosovo, il avait été grièvement blessé par un manifestant qui n’a pu être identifié. La protection juridique se traduit alors par la prise en charge de tous les préjudices et frais. L’État peut ensuite exercer une action récursoire contre le responsable du préjudice, lorsque celui-ci a été identifié.
La protection juridique n’est donc pas conçue comme un avantage statutaire pour métier dangereux, mais comme le nécessaire soutien de l’exercice plénier de ses responsabilités par l’agent.
En amont des engagements, il est essentiel de formaliser une protection juridique adéquate avant tout déploiement à l’étranger. Cette règle conduit la direction des affaires juridiques et l’état-major des armées, en liaison avec le ministère des Affaires étrangères, à travailler étroitement afin d’engager des négociations en vue de la conclusion de sofa avec l’État sur le territoire duquel se déroulera l’opération.
Un sofa est un accord, c’est-à-dire un engagement juridiquement contraignant de droit international conclu entre deux ou plusieurs sujets de droit international (États, organisations internationales). Outre le fait de faciliter le séjour des forces françaises sur le territoire étranger5, de prévoir des dispositions relatives au règlement des dommages, il se caractérise par des dispositions en matière juridictionnelle, plus ou moins protectrices pour nos soldats. Il peut en effet instaurer une répartition des compétences juridictionnelles entre la France et l’État d’accueil. Une clause prévoit en principe que toute infraction commise par un membre du personnel français dans le cadre du service relèvera prioritairement des juridictions françaises. Cette priorité de juridiction6 (ou privilège de juridiction) est la protection minimale recherchée pour les membres de la force.
Un sofa peut également accorder au personnel de la force une immunité de juridiction sur le territoire de l’État d’accueil. Cela signifie que, quelle que soit l’infraction commise ou les circonstances dans lesquelles elle a été commise, le personnel français ne pourra être jugé que par les juridictions françaises. Il s’agit là de la protection maximale envisageable, recherchée systématiquement dans le cadre d’une opex (Afghanistan, Kosovo, opération Atalanta).
D’une manière générale, il est important de souligner que ces privilèges ou immunités ne peuvent en aucune manière être interprétés comme conférant une impunité aux membres des forces. Ils ne sont que des transferts de compétences des juridictions locales aux juridictions françaises (actuellement et pour quelques mois encore, le tribunal aux armées de Paris).
- Protéger le militaire qui fait usage de la force
L’une des responsabilités les plus lourdes à assumer pour le militaire consiste, dans certaines circonstances, à user de la force létale. Le droit des conflits armés lui permet ainsi d’utiliser le droit exorbitant de tuer au-delà de la légitime défense. Pour autant, force est de constater que cette lex specialis s’applique rarement aux opérations extérieures dans lesquelles la France est engagée. Dans cette hypothèse, le droit du temps de paix s’applique tout comme les différents mécanismes précédemment exposés. Pourtant, il est apparu que le seul cadre juridique du droit commun de la légitime défense était inapproprié à l’emploi de la force par des militaires en opex.
Le nouveau statut général des militaires, entré en vigueur le 1er juillet 2005, comporte une avancée majeure qui vise à protéger davantage les militaires participant à une opex, sous réserve évidemment de satisfaire aux conditions fixées par la loi.
Les opérations extérieures, quel que soit le niveau du conflit, ne sont pas considérées comme des opérations du temps de guerre, mais comme des actions militaires menées en temps de paix pour lesquelles, jusqu’à l’entrée en vigueur de ce nouveau statut, seules les règles du droit commun de la légitime défense étaient applicables (article 122-5 du code pénal)7. Ainsi les militaires en opex étaient-ils soumis aux mêmes règles que celles applicables aux militaires stationnés sur le territoire national.
Ce cadre juridique inapproprié a été assoupli par l’article L. 4123-12 II du code de la défense. Cette disposition prévoit que « n’est pas pénalement responsable le militaire qui, dans le respect du droit international et dans le cadre d’une opération militaire se déroulant à l’extérieur du territoire français, exerce des mesures de coercition ou fait usage de la force armée, ou en donne l’ordre, lorsque cela est nécessaire à l’accomplissement de sa mission ».
Cet article instaure une nouvelle cause d’irresponsabilité pénale au bénéfice des seuls militaires participant à une opération se déroulant à l’extérieur du territoire français et utilisant la force pour accomplir leur mission. Il met fin à l’incertitude juridique de l’application du cadre strict de la légitime défense et au sentiment d’insécurité en découlant, tout en permettant l’emploi de tous les moyens licites nécessaires pour accomplir la mission confiée. Le législateur a prévu deux conditions à satisfaire, sauf à ne pas pouvoir bénéficier de cette protection : un usage de la force fondé sur les nécessités de la mission et accompli dans le respect des règles du droit international.
Cette nouvelle disposition s’ajoute aux autres causes d’irresponsabilité pénale sans les remplacer. Ainsi la légitime défense, qui constitue un droit de tout citoyen de se défendre par une riposte immédiate et proportionnée face à une agression actuelle, demeure applicable aux militaires qui ne pourraient justifier avoir agi dans le strict cadre de leur mission ou des ordres reçus.
Le contentieux de cette exonération de responsabilité pénale reste soumis à un éventuel contrôle judiciaire a posteriori exercé par le tribunal aux armées de Paris. S’il n’existe pas, à ce jour, de jugement faisant application de cette disposition, l’article L. 4123-12 II du code de la défense a été mis en œuvre le 28 septembre 2007 par le procureur auprès du tribunal aux armées pour fonder une décision de classement sans suite dans le cas d’une ouverture du feu en Côte d’Ivoire ayant abouti au décès d’un Ivoirien à l’occasion du forcement d’un barrage routier établi conformément au mandat reçu.
L’un des soucis constant du ministère de la Défense consiste à faire en sorte que le juge français soit compétent pour connaître des éventuelles infractions commises par les militaires français en opération. Ce souci est d’autant plus légitime qu’il est conforté par le développement de la justice pénale internationale. En effet, le juge international est, en théorie, également à même de poursuivre et de réprimer les comportements criminels qui constituent des violations graves du droit international humanitaire et des droits de l’homme. Le statut de Rome instituant une Cour pénale internationale, à laquelle la France est partie, permet de réprimer de tels comportements.
Si les instruments du droit pénal international connaissent des modalités d’incrimination identiques au droit national, telles la responsabilité individuelle ou la complicité, la qualité de militaire entraîne la mise en place d’une responsabilité particulière. En effet, conformément à ce que prévoit l’article 28 du statut de Rome, la responsabilité du supérieur militaire peut être engagée dans la mesure où il « aurait dû savoir ». La responsabilité du supérieur hiérarchique civil est engagée en revanche lorsque celui-ci a « délibérément négligé de tenir compte » des informations décrivant le comportement prohibé. On présume ainsi que l’organisation et la hiérarchie militaires permettent aux officiers des armées de connaître davantage les faits et gestes de leurs subordonnés. Ils peuvent, par conséquent, en être tenus pour responsables plus facilement.
Pour autant, cette incrimination pénale internationale ne s’appliquera que dans l’hypothèse où la France ne se saisit pas du comportement de son agent. En effet, en vertu du principe de complémentarité8, la Cour ne peut exercer sa compétence que dans les cas où les États parties ne souhaiteraient ou ne pourraient pas poursuivre les auteurs présumés.
Les juridictions nationales continuent donc de porter la responsabilité première de poursuivre les crimes prévus dans le statut de Rome. Dès lors, afin qu’elles soient en mesure de connaître de telles affaires, les crimes doivent être incorporés dans le droit interne9. C’est l’objet de l’actuel projet de loi d’adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale10, qui insère quarante-deux nouveaux articles dans le code pénal sous la forme d’un livre IV bis consacré aux crimes de guerre, jusque-là absents de notre droit pénal.
Jusqu’ici les militaires français n’ont pas fait l’objet des enquêtes menées par les juridictions pénales internationales dont la mission est de poursuivre et juger les auteurs de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. Cependant, les tribunaux ad hoc, constitués par le Conseil de sécurité des Nations Unies pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, sollicitent régulièrement leurs témoignages. Appelés à témoigner devant ces juridictions, les agents de l’État bénéficient aussi de l’assistance juridique et du soutien de l’État11.
L’actualité récente témoigne de l’utilité de tous ces mécanismes juridiques. Le 18 août 2008, en Afghanistan, un détachement composé d’une section du 8e régiment parachutiste d’infanterie de marine de Castres, d’une section du 2e régiment étranger de parachutistes de Calvi, d’une section du régiment de marche du Tchad et d’un détachement de l’armée afghane tombait dans une embuscade dressée par des insurgés, alors qu’il effectuait une mission de reconnaissance dans la vallée d’Uzbeen. Au cours des combats, dix soldats français trouvaient la mort.
En novembre 2009, plusieurs plaintes contre X pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui sont communiquées au procureur de la République près le tribunal aux armées de Paris. Ce dernier a récemment décidé de prononcer un classement sans suite en indiquant que de façon générale, « la mort d’un militaire provoquée par l’adversaire ne pourra jamais s’analyser en prise de risque délibérée contraire à une obligation légale ou réglementaire ou comme la conséquence directe et immédiate d’une faute de négligence ».
Cadre de l’action des militaires en opérations extérieures, le droit est donc bien aussi le fondement de leur protection.
1 Pour droit commun, droit applicable à tous.
2 Dans le ressort de chaque cour d’appel, un tribunal de grande instance est compétent pour les infractions commises par les militaires (infractions purement militaires et infractions en exécution du service) sur le territoire national. Chaque tribunal compétent en matière militaire comprend des formations spécialisées de jugement.
3 Article L. 4137-1 du code de la défense.
4 En effet, le Tribunal pénal international pour le Rwanda a estimé que « le supérieur qui ne punirait pas peut voir sa responsabilité engagée en ce qu’il n’aurait pas créé et entretenu parmi les personnes placées sous son contrôle un climat de discipline et de respect de la loi », in Le Procureur c. Bagilishema, ICTR-95-1A-T, Jugement, 7 juin 2001, § 50.
5 Facilités en matière d’entrée et de sortie du territoire, d’exonérations de taxes et de droits de douane…
6 On utilise l’expression « priorité de juridiction » dans la mesure où les deux États sont compétents pour une même infraction : l’État d’accueil sur le territoire duquel l’infraction a été commise, et l’État d’envoi dont relève le membre de la force. Les sofa établissent lequel exercera en priorité sa juridiction.
7 « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit dans le même temps un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. »
8 Le principe de complémentarité est contenu dès le préambule du statut de Rome. Il dispose que « la Cour pénale internationale dont le présent statut porte création est complémentaire des juridictions nationales ». Puis l’article 1er du statut rappelle que la Cour est « complémentaire des juridictions pénales nationales ».
9 Le 1er juin 2009, le président Sang-Hyun Song de la cpi a déclaré : « La complémentarité est essentielle dans la mesure où elle souligne la responsabilité collective de l’humanité pour mettre un terme aux crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale. Pour que puissent effectivement se tenir à l’échelon national de véritables poursuites pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide, autant de pays que possible devraient adopter les législations nécessaires. Un tel effort rendra les procès de La Haye moins indispensables, rapprochera la justice des victimes et constituera la pierre angulaire d’un système complet tendant à mettre un terme à l’impunité des auteurs des pires crimes que connaisse l’humanité. À mesure que ce système se renforcera, on verra aussi s’accroître son effet dissuasif. »
10 Le 10 juin 2008, le Sénat a examiné le projet de loi portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale. Ce projet de texte est actuellement devant l’Assemblée nationale.
11 Pour préserver les intérêts de l’agent appelé à témoigner et la sécurité nationale la France a mis en place une procédure de témoignage.