N°14 | Guerre et opinion publique

Marie-Catherine Villatoux

La lutte contre la subversion en France au tournant des années 1950

À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, les Soviétiques bénéficient, au sein de l’opinion publique française comme internationale, d’un grand prestige et d’un fort capital de sympathie. Si les responsables politiques et militaires ont pour certains d’entre eux partagé un temps cette vision idéalisée du communisme, la pression des événements, tant sur le plan intérieur qu’extérieur, les conduit très rapidement à appréhender la situation de manière totalement nouvelle. L’idée se fait ainsi jour que l’Union soviétique représente un danger potentiel d’autant plus menaçant qu’elle dispose sur le territoire national de relais par le biais du parti communiste, inféodé à Moscou et dont les cadres comme les militants agissent telle une « cinquième colonne » au profit du Kremlin. En ce sens, le nouvel ennemi est rapidement appréhendé comme actionnant un outil non conventionnel et particulièrement pernicieux, celui de la subversion qui vise non plus à conquérir un espace géographique mais l’esprit des populations qui y vivent.

C’est dans ce contexte si particulier que sont mises en place, dès la fin des années 1940 et dans la décennie suivante, des mesures visant à protéger l’opinion publique nationale de ces visées, alors que s’organise une tentative de riposte idéologique suffisamment volontariste et influente pour faire contrepoids au discours marxiste-léniniste dont la propagande s’avère particulièrement efficace.

  • Une situation nationale inédite

Depuis la Libération, la France évolue dans un environnement politique bien spécifique où le parti communiste est devenu un acteur – peut-être devrait-on dire l’« Acteur » – incontournable de la vie publique. Après la faillite de la tentative d’insurrection nationale déclenchée le 7 juin 1944 afin de mobiliser la population et de créer un « climat révolutionnaire », le pcf a choisi d’abandonner sa stratégie offensive de conquête du pouvoir. Dès lors, il n’hésite pas à soutenir le gouvernement provisoire du général de Gaulle, suivant en cela la ligne politique tracée par Staline à l’automne 1944.

Dès le 9 septembre, deux communistes entrent dans le gouvernement, parmi lesquels Charles Tillon, nommé ministre de l’Air. L’armée de l’Air devient ainsi la première des trois armées à se trouver directement sous la quasi-tutelle de l’une des figures les plus emblématiques du Parti. Or, dès cette époque, les responsables aériens, et au premier rang desquels le général Martial Valin, chef d’état-major général, éprouvent le sentiment diffus, qui se transforme très vite en une conviction, que les agissements du ministre et de ses collaborateurs sont marqués d’une empreinte politique au profit de leur parti, et par extension de l’Union soviétique. Différentes notes datées de l’automne 1945 font ainsi état d’une tentative de noyautage du personnel militaire et civil des usines d’aéronautique, quand il ne s’agit pas de recruter de nouveaux militants communistes en leur sein. Plus encore, la crainte se fait jour de voir d’anciens francs-tireurs et partisans (ftp) contrôler des bases et préparer ainsi les plates-formes nécessaires à un atterrissage d’appareils en provenance d’Union soviétique.

Si le départ de Tillon à la fin novembre 1945 provoque un certain soulagement au sein de l’appareil militaire, il n’en reste pas moins que l’entrée au gouvernement de quatre nouveaux membres du pcf, à des postes cette fois économiques et sociaux, ne met pas pour autant fin à cette phase d’incertitude qui semble alors régner dans la vie politique intérieure française. Dans le même temps, le Parti déploie tout son savoir-faire en matière d’agitation et de propagande auprès de l’opinion pour reprendre à son compte l’essentiel de l’héritage de la Résistance, devenant le « Parti des 75 000 fusillés », avec ses martyrs dont la mémoire est honorée au cours de grands défilés commémoratifs. Les élections législatives du 10 novembre 1946 font de lui le premier parti politique de France avec 28,8 % des suffrages exprimés et la plus forte représentation à l’Assemblée nationale (cent cinquante-sept sièges).

Paul Ramadier, élu président du Conseil en janvier 1947, confie au communiste François Billoux le ministère de la Défense qui, bien que strictement contrôlé par trois ministères d’armées confiés aux autres composantes politiques de la coalition gouvernementale, ouvre au Parti de nouvelles et grandes perspectives. Un projet d’organisation de la défense nationale est ainsi envisagé par Billoux, reposant sur la mise sur pied dès le temps de paix de « forces locales de sécurité sur la base du chantier, de l’usine, du village, du quartier ». Ce projet d’une « nation en armes », qui n’est pas sans rappeler l’armée rouge des premières heures, est très vite perçu par l’état-major comme une nouvelle étape dans la tentative d’instrumentalisation de l’outil militaire au service du Parti communiste, où l’armée se trouverait neutralisée en cas de troubles intérieurs, perdant ainsi toute fonction au sein de l’appareil d’État.

Si le renvoi des communistes du gouvernement Ramadier, le 4 mai 1947, marque un coup d’arrêt au projet d’armée nationale, l’expérience, vécue par les militaires depuis 1944, de la présence de membres du pcf à la tête de ministères touchant à la défense nationale agit très certainement comme un catalyseur dans la structuration de l’idée d’un danger de subversion communiste. Celui-ci n’est en effet plus envisagé comme une simple vue de l’esprit, une base de réflexion, mais comme une donnée empirique et concrète à désormais prendre en compte. Nul doute que cette expérience joue un rôle déterminant pour nombre de responsables civils et militaires dans la perception et l’interprétation de l’évolution ultérieure de la situation, tant sur le plan national qu’international. La montée de la guerre froide est ainsi largement perçue et commentée par les analystes des années 1948-1950 à travers le prisme de l’expérience acquise entre 1944 et 1947.

Tournant majeur sur la scène politique française, la fin de l’expérience gouvernementale communiste correspond très exactement au moment où les rapports Est/Ouest connaissent une dégradation très sensible que reflètent quelques faits marquants : le 12 mars, le président américain Truman présente sa « doctrine » de Containment, tandis que le 5 juin, le secrétaire d’État George Marshall propose à toute l’Europe un plan de reconstruction économique. Du côté soviétique, c’est en septembre 1947 que le rapport Jdanov fixe la nouvelle ligne anti-impérialiste que tous les partis communistes sont dorénavant invités à suivre.

Dès le mois d’octobre 1947, Thorez reprend à son compte la dénonciation de l’impérialisme américain, la critique de ses alliés, la lutte en faveur de l’indépendance nationale, pour la paix et la défense du camp socialiste. Dès lors, le pcf adopte une attitude résolument offensive qui se traduit, en particulier, par un engagement sur le terrain des luttes sociales. Ainsi, les grandes grèves de novembre et de décembre 1947 provoquent une réaction d’une exceptionnelle brutalité : l’armée appelée en renfort n’hésite pas à engager de véritables opérations militaires contre les grévistes. Les responsables politiques et militaires français abordent incontestablement cette situation essentiellement sous l’angle de phénomènes insurrectionnels et subversifs. Au reste, ces événements, qui se répètent à l’automne de l’année suivante, fortifient d’autant les responsables militaires dans leurs convictions de l’imminence d’un « coup de Paris », réplique de l’affaire de Prague. Un lien est ainsi nettement affirmé entre la menace extérieure, représentée par l’Union soviétique, ses possibles « agents transportés par avions », et la menace intérieure qui s’exprime par les troubles « insurrectionnels ».

Parallèlement aux tourmentes sociales, le pcf n’hésite pas à mobiliser toutes les techniques de propagande (distribution de tracts, collage d’affiches, diffusion de journaux et de brochures, meetings, manifestations, grèves, signature de pétitions…) pour orchestrer une véritable campagne « psychologique » toujours plus virulente et dont les axes permanents s’inscrivent, à partir du premier trimestre 1949, autour de quelques thèmes : l’anti-impérialisme, la défense de l’indépendance nationale, la lutte pour la paix et la défense du camp socialiste. De même, l’action de sabotage qu’il mène contre la fabrication, le transport et le chargement de matériel de guerre à destination de l’Indochine redouble à partir de l’hiver 1949-1950 et donne lieu à des incidents parfois très violents. La période de la fin des années 1940 apparaît ainsi comme celle de la cristallisation d’un certain discours militaire où la menace communiste, qui n’est plus le seul fait de l’Union soviétique mais aussi de la Chine de Mao, est largement présentée comme omniprésente et polymorphe, quand il ne va pas jusqu’à proclamer haut et fort que la « Troisième Guerre mondiale » a déjà commencé.

  • La contre-offensive « psychologique » gouvernementale

Face à ces offensives tous azimuts, les responsables politiques français tardent à élaborer des formes de ripostes appropriées. À cet égard, il semblerait que la signature, le 4 avril 1949, du Pacte atlantique ait joué un rôle d’accélérateur, les Américains incitant le gouvernement français à engager une campagne de propagande anticommuniste des plus vigoureuses. René Pleven, ministre de la Défense nationale entre octobre 1949 et juin 1950, puis président du Conseil de juillet 1950 à février 1951, est incontestablement le premier dirigeant à mettre sur pied un certain nombre de mesures destinées à faire face au « péril subversif ». C’est d’ailleurs à cette époque qu’est forgée l’expression « action psychologique », succédant au terme « propagande », connoté négativement. Bien que concernant à l’origine l’appareil militaire, l’action ministérielle alors engagée, a pour ambition de rapidement dépasser le strict cadre des forces armées pour s’étendre à celui de la nation tout entière.

Pleven décide ainsi, dès le 6 février 1950, de créer à l’échelon de son cabinet un bureau spécialisé de protection psychologique, ou bureau acpo (action politique) interarmées, chargé de centraliser toutes les informations concernant les attaques communistes contre l’armée et de réagir immédiatement, tant par le biais de poursuites de presse et d’inculpations que par celui de la contre-propagande (publication de tracts, d’affiches, de démentis…). Le ministre estime en effet que « les journaux communistes […] doivent actuellement être considérés comme des auxiliaires de cinquième colonne, […] la propagande systématique de fausses nouvelles [étant] l’un des instruments le plus utilisé par le parti communiste pour créer la psychose hostile à la défense nationale ».

Une filière très précise est ainsi mise en place avec un dépouillement systématique et quotidien de la presse locale par les commandants de régions et les préfets maritimes qui ont pour tâche de transmettre le plus rapidement possible les articles tendancieux au bureau acpo, à charge pour ce dernier de déposer les plaintes pour diffamation et injures envers l’armée auprès de la justice. Ce dispositif, qui a pour but de réagir immédiatement à l’action communiste, est alors présenté comme une alternative efficace à la contre-propagande proprement dite, jugée trop onéreuse. En outre, des officiers spécialisés, baptisés « officiers acpo », sont désignés dans toutes les régions militaires, maritimes et aériennes afin d’organiser des réunions d’information « dans le but d’éclairer les officiers de tous grades ainsi que les sous-officiers sur les buts poursuivis par l’action du parti communiste en France, qui visent à désarmer le pays matériellement et moralement, et à provoquer la dislocation de l’Union française ».

L’action sur l’opinion publique en général, quant à elle, s’avère plus complexe à mettre en œuvre dans la mesure où elle est dévolue au chef du gouvernement, « qui utilisera à cet effet les moyens à sa disposition et notamment ceux de la radiodiffusion », en liaison avec les autres départements ministériels. C’est ainsi qu’un décret du 1er avril 1950 crée un secrétariat général permanent de la Défense nationale (sgpdn), en remplacement de l’ancien état-major de la Défense nationale, avec pour rôle d’assister le président du Conseil « dans ses fonctions de coordination interministérielle des mesures intéressant la mise en œuvre de la défense nationale », et notamment « l’action psychologique ». Un arrêté du président du Conseil daté du 3 juillet 1950 précise, par ailleurs, l’organisation du sgpdn et institue le mécanisme de la délégation des pouvoirs, en matière de défense, du président du Conseil au bénéfice du ministre de la Défense nationale et des forces armées. Une division spéciale du sgpdn, le service d’information générale et d’action psychologique, est mise en place pour préparer en matière d’action psychologique les décisions et directives gouvernementales dont il coordonne l’exécution sur le plan interministériel.

René Pleven, investi président du Conseil le 11 juillet 1950 dans une conjoncture internationale agitée avec le début de la guerre de Corée, réunit le 7 septembre à Matignon les principaux responsables politiques de la majorité afin d’étudier « les moyens de réprimer avec la plus extrême sévérité les menées antinationales, et plus particulièrement l’action des communistes étrangers contre la sécurité du pays ». C’est dans ce contexte qu’il leur propose de soutenir une organisation commune destinée à lutter contre la désinformation communiste, sorte d’équivalent civil du bureau acpo. Un responsable chargé de mettre sur pied cette organisation est désigné en la personne de Jean-Paul David, député radical de Seine-et-Oise, avec pour mission de contrecarrer les menées communistes au sein de la société civile. Le mouvement ainsi créé en septembre-octobre 1950 prend le nom de Paix et Liberté et se présente comme un « antimouvement de la paix », une réponse à l’appel de Stockholm lancé par les communistes au printemps.

Parallèlement, un « comité secret » composé d’un sous-préfet (chargé de maintenir le contact entre David et la présidence du Conseil) et des représentants des principaux ministères et services gouvernementaux (Intérieur, Affaires étrangères, Service de documentation extérieure et de contre-espionnage – sdece –…) est instauré. Jean-Paul David prend soin de s’entourer de nombreux collaborateurs occasionnels issus du monde de la presse (journalistes ou traducteurs soucieux d’arrondir leurs fins de mois). Les sources de financement du mouvement traduisent la complexité de l’organisation mise en place : seul Matignon, dans un premier temps, octroie des subsides par l’intermédiaire de ses fonds secrets, puis des entreprises et des banques (dans le cadre de « dépenses de guerre psychologique ») vont peu à peu apporter leur soutien financier.

Les moyens d’action utilisés par David et ses collaborateurs sont des plus variés. Soulignons la prédominance de l’affiche et du tract en tant que supports privilégiés de propagande, ainsi que l’existence d’une émission radiophonique destinée à prendre le contre-pied de l’émission communiste « Ce soir en France », émise depuis Prague. Sur le fond, le discours propagé par Paix et Liberté se veut accessible à tous et adopte une phraséologie directe, voire même simplificatrice, où le communisme est présenté comme une maladie mortelle, la peste absolue. De la dénonciation à la moquerie, en passant par la dérision, tous les registres sont exploités indifféremment et sans vergogne.

L’ensemble des décisions adoptées au cours du quatrième trimestre 1950 traduit incontestablement la volonté de René Pleven et de ses proches collaborateurs d’établir un système global et cohérent de contre-offensive psychologique, dont la conception très soigneuse atteste qu’il est le fruit de réflexions bien mûries. Pour parachever cette construction, un comité interministériel, composé d’un représentant de chacun des organismes concernés par ces questions – cabinet du président du Conseil, ministères des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de l’Éducation nationale, de l’Information, du Travail, secrétariats d’État aux forces armées, état-major combiné des forces armées et, si nécessaire, ministères de la France d’outre-mer et des États associés –, est instauré en novembre 1950 avec pour objectif d’élaborer une doctrine nationale applicable à l’action psychologique, conçue comme la pierre angulaire et le substrat intellectuel sur lequel doit reposer l’édifice institutionnel.

  • À la recherche d’une doctrine

L’idée est alors de dégager et de mettre en valeur un corps de principes et de règles commun destiné à réunifier la collectivité nationale face au péril communiste et à affirmer avec plus d’assurance la spécificité française dans le contexte atlantique. Face aux deux grands modèles dominants d’alors que sont l’American Way of Life et l’idéologie marxisme-léninisme, les dirigeants français ont pour ambition d’établir un modèle national distinct qui prendrait ses racines dans l’histoire du pays et dans ses influences les plus profondes et les plus lointaines tant « grecques, latines qu’africaines ».

En novembre 1950 s’ouvre la réunion inaugurale du comité qui, par la voix du chef du sgpdn, le préfet Jean Mons, se donne pour mission de « réveiller l’esprit critique du public, le développer ; préserver le civisme, chercher et trouver la vérité ; dégager la personnalité du pays, trouver un potentiel qui se dissimule mais existe, révéler aux bonnes volontés qu’elles ne sont pas seules ; détecter l’aspiration psychologique qui ne demande qu’à s’affirmer ». Devant la difficulté de la tâche pourtant, le comité se montre impuissant, entre 1951 et 1952, à ne serait-ce qu’esquisser un début de doctrine nationale. À n’en pas douter, le sgpdn se heurte à des intérêts contradictoires de la part des représentants des différents ministères peu enclins à s’investir dans un projet d’une telle ampleur et qui leur paraît quelque peu nébuleux et par trop idéologique.

Le comité, devenu entre-temps commission interministérielle, parvient toutefois, en décembre 1952, à formaliser un projet de mémorandum qui ne parvient guère à dépasser le cadre formel de fiches explicatives à but pédagogique concernant notamment l’intégration allemande dans la défense occidentale, le Pacte atlantique ou bien encore les pactes ou traités violés par l’Union soviétique depuis mai 1945. À défaut du discours doctrinal envisagé à l’origine, la commission paraît en définitive s’orienter à cette date vers la formulation de quelques argumentaires à destination des agences de presse, et à travers elles, des organes d’information, principalement régionaux.

D’une façon générale, la commission est sans cesse prise en tenaille entre deux approches fondamentalement opposées, l’une, défendue par le délégué de la Défense nationale, prônant la mise à disposition des outils d’information gouvernementaux à destination de la lutte anticommuniste, l’autre, représentée par le délégué des Affaires étrangères qui considère pour sa part que la commission ne doit pas s’aventurer sur le terrain idéologique mais demeurer un organe de proposition destiné à formuler les bases d’un discours plus pédagogique en direction de l’opinion publique. Dans ce contexte, le sgpdn a bien du mal à jouer le rôle d’arbitre qu’il prétend pourtant devoir remplir et préfère généralement s’en tenir à un discours de neutralité qui, à force de ne vouloir prendre parti, ne parvient jamais à s’élever au niveau doctrinal, celui-là même où le pouvoir politique avait l’ambition qu’il se hisse.

À l’automne 1954 éclate la sulfureuse affaire dite « des fuites » qui met directement en cause plusieurs fonctionnaires du secrétariat général permanent de la Défense nationale, parmi lesquels Mons lui-même, ainsi que deux de ses collaborateurs immédiats, Jean-Louis Turpin, son secrétaire particulier, et Roger Labrusse, chef du service de la protection nationale du sgpdn. Les conséquences ne se font pas attendre : dès le mois de janvier 1955, à la suite du départ tumultueux de Mons, démis de son poste, la commission interministérielle d’action psychologique est officieusement mise en sommeil.

Au terme de cette étude, on peut s’interroger sur les conséquences à court et à moyen terme de cette entreprise de contre-offensive « psychologique » née d’une préoccupation interne somme toute assez proche de celle qui anime alors le maccarthysme américain. Si les responsables politiques français surent toujours se départir de la virulence et de l’extrémisme qui caractérisaient le sénateur du Wisconsin, la tentation d’une répression tous azimuts, et partant d’un contrôle très strict des médias et de l’appareil judiciaire pouvant aller jusqu’à une volonté de les influencer dans un sens ouvertement favorable au pouvoir, ne fut pas toujours absente, loin s’en faut, de leurs intentions. Ainsi, le secrétaire d’État à la Guerre déplore, en janvier 1952, que « dans les cas de jugement par les tribunaux civils, nous sommes désarmés, étant donné l’indépendance des magistrats vis-à-vis du gouvernement. Le gouvernement n’a aucun moyen d’obliger un tribunal à condamner ni aucun moyen de sanctionner un verdict scandaleux. Il ne peut ni condamner un magistrat ni agir sur sa carrière. Il faut donc compter sur une atmosphère de fermeté générale ». Détail significatif de l’état d’esprit prévalant alors, une remarque inscrite en marge d’une note de janvier 1952 mentionne : « Qu’attend-on pour supprimer Quand un soldat d’Yves Montand des programmes officiels de la radio ? »

Qu’en est-il cependant de l’efficacité d’une telle démarche ? Il semblerait que l’activisme communiste, très virulent en 1950, connaisse un essoufflement l’année suivante, pour tenter de renaître au printemps 1952 avec la manifestation contre la venue à Paris du général Ridgway, ultime grand coup d’éclat du pcf lors de la phase paroxystique de la guerre froide. À cet égard, sans doute peut-on voir dans cette érosion une des résultantes des mesures antisubversives prises par les responsables français en 1950 à destination de l’opinion.

L’ironie du sort veut que les travaux inachevés de réflexion doctrinale menés par le sgpdn trouvent enfin une formalisation à l’été 1962 avec la parution d’un ouvrage de près de trois cents pages, Les Valeurs fondamentales du patriotisme français. Or, à cette date, les préoccupations qui avaient été à l’origine de cet effort conceptuel n’ont plus vraiment cours alors que la phase de décolonisation s’achève, que la guerre froide a fait place à la « coexistence pacifique » tandis que le général de Gaulle lui-même s’apprête à rompre avec l’alignement sur la politique américaine en quittant le commandement militaire intégré de l’otan. Une grande partie des exemplaires du livre, qui se voulait une quintessence grand public des valeurs françaises, finira au pilon dans un total oubli… 

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