N°5 | Mutations et invariants – III

David Cumin

Qui est combattant ?

La réponse à cette question est déterminée par le droit de la guerre.

Le droit de la guerre au sens strict, ou jus in bello1, régit l’usage de la force armée en déterminant qui a le droit de faire la guerre, qui sont les acteurs (les combattants), quels sont les instruments (les armements) et les modalités des conflits armés. Le droit de la guerre au sens large, ou jus ad bellum, régit le recours à la force armée en déterminant qui a le droit d’ordonner la guerre, qui sont les auteurs (les belligérants) et quels sont les causes ou les buts des conflits armés. Ces deux branches du droit international public sont à la fois autonomes et liées. La question de savoir qui est combattant relève du jus ad bellum accessoirement, du jus in bello principalement, aussi bien droit des conflits armés internationaux que droit des conflits armés non internationaux2. Qu’est-ce qu’un combattant ? Quels sont les types de combattants, réguliers et irréguliers ? Qui a droit au statut de combattant légal, donc, en cas de capture ou de reddition, au statut de prisonnier de guerre ? Quel traitement est réservé aux combattants illégaux ? Depuis le début de la codification du jus in bello, la question de la qualité de combattant est au centre des discussions diplomatiques et juridiques : qui a le droit d’user de la violence armée sans encourir de responsabilité pénale sauf crimes de guerre, c’est-à-dire une violation grave du jus in bello ?

Belligérants et combattants

Les auteurs licites des conflits armés sont les États, les mouvements de libération nationale (mln), l’Autorité palestinienne, les organisations intergouvernementales compétentes3.

À l’État correspondent trois types d’acteurs. Les militaires ont le droit d’utiliser la force armée, conformément au jus in bello, dès lors que le gouvernement a ordonné le recours à la force armée ; les civils qui défendent leur État, soit pour repousser l’invasion (les francs-tireurs), soit pour résister à l’occupation (les résistants), ont également le droit d’utiliser la force armée, s’ils respectent les conditions fixées par le jus in bello. Aux mouvements de libération nationale (mln) correspond un type d’acteur. Les membres de ces mouvements (les guérilleros) ont le droit d’utiliser la force armée, s’ils respectent les conditions fixées par le jus in bello4. L’Autorité palestinienne n’est pas un État, elle est néanmoins titulaire des droits de la belligérance, en tant que successeur de l’Organisation de libération de la Palestine (olp), mouvement à la fois de « libération nationale » et de « résistance à l’occupation ». Les organisations intergouvernementales compétentes ont le droit de recourir à la force armée suivant les conditions stipulées dans leur charte respective. Mais, sujets dérivés du droit international public, elles ne sont qu’indirectement titulaires du droit d’ordonner la guerre ou toute opération militaire même non coercitive, pour trois raisons : elles sont composées d’États souverains ; elles n’ont pas de forces armées directement à leur disposition ; elles dépendent des États membres pour leur fournir ces forces armées. En résumé, les belligérants ou les auteurs ou les parties au conflit armé sont les États, les mln, l’Autorité palestinienne et les organisations intergouvernementales compétentes, personnes morales ; les combattants ou les acteurs ou les agents du conflit armé sont les militaires (combattants réguliers), les francs-tireurs et les résistants (combattants irréguliers liés à un État), les guérilleros (combattants irréguliers liés à un mln), les membres des organisations palestiniennes, personnes physiques.

Le conflit armé international oppose deux titulaires du jus belli, deux forces armées dont les membres ont droit au statut de combattant : ainsi de la guerre interétatique, avec ou sans levée en masse ou résistance à l’occupation, et de la guerre de libération nationale. Dans ce type de conflit, les États tiers se trouvent normalement en situation de neutralité. Au contraire, le conflit armé non international oppose un titulaire du jus belli à un non titulaire du jus belli, une force gouvernementale dont les membres ont droit au statut de combattant et une force rebelle dont les membres n’ont pas droit au statut de combattants, sauf s’il y a reconnaissance de belligérance par le gouvernement légal ou par le Conseil de sécurité des Nations unies (csnu). En l’absence d’une telle reconnaissance, les États tiers se trouvent normalement en situation de non-intervention.

La distinction entre combattants et non-combattants

La distinction entre combattants et non-combattants, basée sur l’âge (l’immunité des enfants et des vieillards), le statut (l’immunité des civils), la situation (l’immunité des blessés, malades et prisonniers de guerre), la fonction (l’immunité des personnels, même militaires, affectés à la religion, à la santé ou à la protection civile), est à la base du jus in bello. Les actes d’hostilité (attaque ou capture) ne peuvent être accomplis par n’importe qui contre n’importe qui. Les combattants ont le droit de commettre des actes d’hostilité et de bénéficier du traitement de prisonnier de guerre. À l’inverse, les non-combattants doivent s’abstenir de commettre des actes d’hostilité et bénéficier de l’immunité d’attaque ou de capture. Bref, les combattants doivent combattre les combattants adverses, à l’exclusion des non-combattants, qui ne doivent pas participer aux hostilités pour bénéficier de l’immunité.

Sauf obligation internationale particulière, les États sont en principe libres d’organiser le recrutement de leurs forces armées, à la condition de respecter les prescriptions de l’article 1er du règlement de La Haye du 18 octobre 1907 ou de l’article 43-1 P1 du Protocole additionnel 1 du 8 juin 1977 aux Conventions de Génève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armées internationaux : les forces armées « doivent être soumises à un régime de discipline interne qui assure, notamment, le respect des règles du droit international applicable dans les conflits armés ». Les États peuvent assujettir leurs citoyens au service militaire, ou encore incorporer des volontaires étrangers en temps de guerre. Mis à part l’emploi des mercenaires, la seule interdiction générale est d’enrôler des enfants de moins de 15 ans. D’autre part, un État belligérant n’a pas le droit de contraindre ni même d’inciter les nationaux de la partie adverse en son pouvoir, prisonniers de guerre ou populations civiles d’un territoire occupé, à servir dans ses forces armées, à lui communiquer tout renseignement ou à participer à son effort de guerre. Le « principe de fidélité » vise ainsi à prévenir toute rupture d’allégeance entre l’État et ses ressortissants « au pouvoir » de l’ennemi. Mais au combat, l’utilisation de la propagande pour démoraliser l’armée ennemie, inciter ses membres à désobéir à leurs supérieurs, à cesser le combat, à se rendre, à capituler, à déserter, à se mutiner, est permise, de même que la propagande visant à rallier la population civile, à l’inciter à la désobéissance ou au soulèvement contre son gouvernement… L’individu qui change de camp le fait à ses risques et périls, car il sera considéré comme un traître. Face à l’invasion, à l’occupation, à la domination coloniale ou à la guerre civile, la population civile a le choix entre l’abstention ou la participation aux hostilités, directe ou indirecte. La décision de l’État et/ou celle des particuliers délimitent ainsi la composition des forces combattantes et celle de la population non-combattante. S’agissant de l’État, que signifie la faculté que lui reconnaît le droit international de déterminer qui sera combattant et qui ne le sera pas ? Elle signifie essentiellement que l’État a le pouvoir de conférer, d’une façon internationalement valable, aux individus entrant dans la catégorie des combattants le droit de tuer ou de capturer, conformément au jus in bello, les combattants adverses et, corrélativement, le pouvoir d’exposer ces mêmes individus au risque d’être tués ou capturés par ces combattants adverses. À côté du sacrifice de vie « principal » exigé des combattants, existe le sacrifice de vie « incident » imposé aux non-combattants, à savoir les pertes « collatérales » qui ne sont pas « inutiles » ou « excessives » eu égard aux principes de nécessité et de proportionnalité (H. Meyrowitz).

Le droit de l’État d’assujettir ses ressortissants au service militaire pose le problème de l’attribution et de la détermination de la nationalité des personnes, ainsi que celui de la plurinationalité. Inversement, le retrait de nationalité signifie l’abrogation des obligations militaires envers l’État dont l’individu a abandonné ou a été déchu de la nationalité. Quels sont les effets de la plurinationalité sur le statut de combattant ? Après la Convention de La Haye du 12 avril 1930 sur certaines questions relatives aux conflits de lois sur la nationalité, la Convention de Strasbourg du 6 mai 1963 sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur l’obligation militaire en cas de pluralité de nationalités, illustre l’importance du problème du service militaire des doubles nationaux. L’objectif pour les États est d’augmenter le nombre de leurs soldats potentiels. Pour la personne titulaire de la double nationalité, le problème est de se trouver soumis aux obligations militaires dans deux pays différents, avec le risque de subir, dans le pays où elle ne se présente pas, le traitement des insoumis en temps de paix, des traîtres en temps de guerre, si les deux États dont il a la nationalité sont en conflit armé et s’il sert dans les forces armées (volontaire ou enrôlé d’office) de l’un d’eux puis tombe au pouvoir de l’autre. Pour éviter le dilemme, des mesures ont été prises en droit interne et en droit international pour diminuer les cas de binationalité ou pour déterminer les obligations militaires des binationaux, c’est-à-dire leur service dans l’un des États et leur exemption dans l’autre. Deux conventions générales s’occupent du service militaire des binationaux. Le protocole annexe à la Convention de La Haye du 12 avril 1930, qui soumet le double national uniquement aux obligations militaires du pays « où il réside habituellement et auquel il se rattache en fait le plus », mais qui a été signé et ratifié par très peu d’États. La Convention de Strasbourg du 6 mai 1963, stipulant que « tout individu qui possède la nationalité de deux ou plusieurs parties contractantes n’est tenu de remplir ses obligations militaires qu’à l’égard d’une seule de ces parties », celle qu’il choisit ou sur le territoire de laquelle il réside habituellement. Le double national doit finalement choisir pour quel pays il acceptera de risquer sa vie ou sa liberté. À cet égard, sa situation se rapproche de celle du volontaire étranger, qui « choisit » d’incorporer les forces armées d’un État belligérant.

Le jus in bello distingue fondamentalement les combattants et les non-combattants. Mais ces deux notions sont relatives plus que statutaires. Elles dépendent de l’incorporation ou de la non incorporation dans les forces armées d’une part, de la participation ou de la non participation aux hostilités d’autre part. Le premier critère est à la discrétion des États ; le second est à la discrétion des États et des particuliers. La division simple combattants/non-combattants se complique si l’on distingue les différentes catégories de combattants et de non-combattants. Les militaires ne sont qu’une catégorie de combattants, les civils, qu’une catégorie de non-combattants. Les militaires sont des combattants. Mais il existe au sein des forces armées deux autres catégories : les non-combattants attachés aux armées (militaires non mobilisés ou démobilisés, personnels religieux ou sanitaires des armées, personnels militaires servant dans la protection civile, fournisseurs civils des armées, membres civils des unités de travail ou de service pour les armées5, équipages civils de la marine et de l’aviation militaire, correspondants de guerre) ; les combattants hors de combat (blessés, malades, prisonniers de guerre). Les civils ne participant pas aux hostilités sont des non-combattants non attachés aux armées. Outre l’immunité d’attaque, ils bénéficient de l’immunité de capture, sous deux réserves : qu’ils ne soient pas suspectés de nuire à l’ennemi ; qu’ils n’appartiennent pas aux équipages civils de la marine et de l’aviation civiles, qui peuvent être retenus prisonniers, à l’instar des non-combattants attachés aux armées et des combattants hors de combat. La participation des civils aux hostilités est le principal problème auquel se heurte le principe de la distinction des combattants et des non-combattants.

Entre l’abstention et le combat, le degré de participation des civils aux hostilités est variable : recueillir et soigner les combattants malades ou blessés, aider des prisonniers évadés, ravitailler les combattants valides ; les renseigner sur l’adversaire, cacher des armes ou munitions, procéder à des sabotages. Les trois premiers exemples illustrent une participation indirecte : l’activité exercée par les civils, de nature humanitaire, ne nuit qu’indirectement à l’adversaire. Les trois derniers illustrent une participation directe : l’activité exercée par les civils, de nature militaire, nuit directement à l’adversaire. La participation directe est sanctionnée par la perte de l’immunité de capture et d’attaque, en cas de résistance à la capture. Face à des civils suspects, le problème de l’autorité militaire est le suivant : elle doit permettre à ses troupes de réagir, mais aussi éviter une réaction excessive qui attiserait l’hostilité de la population ou susciterait la réprobation des tiers. Par mesure de sûreté, elle peut procéder à l’évacuation, à l’assignation à résidence ou à l’internement des civils soupçonnés de participer directement aux hostilités (en deçà du combat). Leur traitement est analogue à celui des prisonniers de guerre, sauf trois différences majeures : in defavorem, leur interrogatoire est permis (sans torture) ; in favorem, ils ne peuvent être transférés dans un autre pays que le leur, ils doivent être libérés avant la fin des hostilités si les présomptions réunies contre eux ne sont pas de nature à justifier la poursuite de l’internement ou une inculpation pour crimes de droit commun ou crimes de guerre. Un civil qui se livre à de l’espionnage, à du recel d’armes ou à des sabotages, n’est pas une personne protégée ; il peut être capturé, interné, interrogé ; il est passible de poursuites pénales. Quant au civil qui se livre à des attaques (atteintes à la vie, à la liberté ou à la propriété de l’ennemi), il devient un combattant irrégulier, légal s’il remplit les conditions, illégal dans le cas contraire. Dans ce dernier cas, il n’aura pas, s’il est capturé ou s’il se rend, le statut de prisonniers de guerre, mais uniquement le traitement, avec droit pour la puissance détentrice de le transférer dans un autre pays que le sien, de l’interroger et de le poursuivre pénalement. Le combattant irrégulier illégal se livre à une « belligérance risquée » : en cas de capture ou de reddition, il ne bénéficiera ni du statut de prisonnier de guerre (exempté d’interrogatoire et de poursuite pénale) ni du statut de civil interné (exempté de transfert dans un autre pays que le sien et de rétention toute la durée des hostilités), il sera assimilé à un détenu politique ou à un détenu de droit commun.

La double distinction entre combattants réguliers
et irréguliers, combattants légaux et illégaux

Au sein du groupe des combattants, la double distinction fondamentale est celle des combattants réguliers et irréguliers, des combattants légaux et illégaux.

On entend par combattants réguliers les membres des forces armées (les militaires). On entend par combattants irréguliers les personnes qui participent directement aux hostilités sans faire partie des forces armées (les civils insurgés). On entend par combattants légaux, les personnes habilitées à participer directement aux hostilités, c’est-à-dire remplissant les conditions énoncées par les Conventions de La Haye et de Genève. Au contraire, les combattants illégaux sont les personnes qui ne sont pas habilitées à participer directement aux hostilités, c’est-à-dire qui ne remplissent pas les conditions énoncées par les Conventions. Tout combattant régulier est un combattant légal, à l’exception des mercenaires. Mais tout combattant légal n’est pas nécessairement un combattant régulier : sont légaux les combattants irréguliers remplissant lesdites conditions. Parmi ces dernières, figure l’appartenance à une partie au conflit : c’est pourquoi le statut de belligérant, qui relève du jus ad bellum, et celui de combattant légal, qui relève du jus in bello, sont liés. Entre les combattants et les non-combattants existent des catégories intermédiaires : les non-combattants attachés aux armées, les combattants hors de combat et les civils participant indirectement aux hostilités, c’est-à-dire fournissant une aide aux combattants. S’ils bénéficient de l’immunité d’attaque, ils ne bénéficient pas de l’immunité de capture. Les combattants réguliers ont droit au statut de prisonnier de guerre6, à l’exception des mercenaires et des membres des forces armées pris en flagrant délit de se livrer à des activités d’espionnage en tenue civile ou en tenue militaire ennemie. Les militaires y ont droit d’office. Les civils participant aux hostilités, eux, n’y ont droit que conditionnellement, s’ils respectent les prescriptions du jus in bello. D’autre part, tous les prisonniers de guerre ne sont pas des combattants, puisque d’autres personnes peuvent être retenues, ainsi les non-combattants attachés aux armées et les combattants hors de combat. En temps de guerre, les combattants peuvent ainsi accomplir des actes qui, en temps de paix, font partie des infractions les plus gravement punies par le droit pénal en vigueur dans tous les États. L’immunité pénale des combattants n’est cependant pas absolue. S’ils ont commis des crimes de guerre, les combattants réguliers doivent être poursuivis pénalement, bien qu’ils conservent leur statut de prisonnier de guerre, qu’ils ne perdent qu’après condamnation définitive. Les combattants irréguliers, eux, n’ont pas droit à ce statut lorsque, capturés et internés, ils sont poursuivis pénalement pour violations graves du jus in bello.

La réponse à la question de savoir qui peut être combattant légal se trouve aux articles 1 et 2 du règlement de La Haye du 18 octobre 1907 ; aux articles 13 et 14 de la I7 ; les membres de forces armées régulières qui se réclament d’un gouvernement ou d’une autorité non reconnu par l’État adverse, pourvu que ce gouvernement ou cette autorité soit reconnu par au moins un État tiers. Ceux-ci possèdent toutes les caractéristiques des forces armées (organisation hiérarchique, uniforme, port ouvert des armes, connaissance des lois et coutumes de la guerre), à la seule différence que la qualité de « partie au conflit » est contestée par l’adversaire ; mais l’applicabilité du jus in bello ne dépend pas de la reconnaissance des parties en conflit ; c’est pourquoi lesdits membres ont droit au statut de combattants et de pg. Enfin, le Protocole 1 de 1977 (qui érige la lutte de libération nationale en conflit armé international) déclare que les forces armées d’une partie belligérante « se composent de toutes les forces, tous les groupes et toutes les unités armés et organisés [réguliers comme irréguliers] qui sont placés sous un commandement responsable ». Les mercenaires, eux, même s’ils sont recrutés dans des forces régulières, n’ont pas droit au statut de combattants légaux donc de prisonnier de guerre ; ils pourront être poursuivis pénalement. On peut définir le mercenaire comme le particulier (non pas l’agent d’un État) étranger (la personne sans lien statutaire avec la partie belligérante avec laquelle elle conclut un contrat d’engagement) qui, pour une rémunération, s’engage de son plein gré dans les forces armées d’une partie belligérante pour participer aux hostilités.

Le problème de la reconnaissance
des combattants irréguliers

L’évolution du jus in bello au xxe siècle a donc élargi les catégories de combattants de facto pouvant prétendre au statut de combattants de jure. Face à la montée de la guerre irrégulière, les États ont renoncé au monopole de l’exercice gouvernemental ou militaire de la violence licite. Des combattants irréguliers (francs tireurs, résistants, guérilleros) peuvent devenir des combattants légaux, à l’instar des combattants réguliers (militaires, miliciens, volontaires).

Mais les États, à travers les Conventions de 1907 et de 1949, ont posé des « conditions » à la reconnaissance des francs-tireurs ou des résistants. Les premiers, liés à leur État puisqu’ils font face à l’invasion, doivent porter ouvertement les armes et respecter les règles de la guerre (n’attaquer sans perfidie que les combattants et les objectifs militaires adverses, les atteintes à la vie, à la liberté et à la propriété d’autrui n’étant plus alors considérées comme criminelles). Les seconds doivent appartenir à une partie au conflit, être organisés, avoir un commandement responsable (de manière à ce que les insurgés soient contrôlables et à ce que la puissance occupante ait un interlocuteur avec lequel communiquer ou négocier), posséder un signe distinctif fixe donc permanent reconnaissable à distance, porter ouvertement les armes, respecter les règles de la guerre. Par l’expression « partie au conflit », il faut entendre leur État ou un État allié. Leur État peut être représenté : par le gouvernement légal demeurant sur la partie libre du territoire national ; par le gouvernement légal réfugié sur le territoire d’un État allié cobelligérant ou d’un État tiers qui entre alors dans la belligérance ; par une autorité « représentative » qui se réfugie sur le territoire d’un État allié cobelligérant ou d’un État tiers entrant alors dans la belligérance et qui désire poursuivre la lutte bien que le gouvernement légal ait capitulé ou signé un armistice. L’État allié peut être la « partie au conflit » à laquelle se rattache le mouvement de résistance. Cette possibilité de substitution de l’État occupé par l’État allié est éminemment problématique au cas où l’État occupé s’opposerait à la résistance que l’État allié soutient. La raison de ces conditions collectives et individuelles est de sauvegarder la loyauté des combats, ainsi que la différenciation entre combattants et non-combattants, de manière à épargner les populations civiles. S’ils ne les respectent pas, les francs-tireurs ou les résistants ne sont que des combattants irréguliers illégaux : en cas de capture, ils n’ont pas droit au statut de prisonnier de guerre et sont passibles de poursuites pénales (leurs atteintes à la vie, à la liberté et à la propriété d’autrui sont considérées comme criminelles). Les combattants réguliers, eux, gardent leur statut de prisonnier de guerre même lorsqu’ils sont poursuivis pénalement, en cas de crimes de guerre (violation du principe de n’attaquer sans perfidie ni excès que les combattants et les objectifs militaires adverses, « dommages collatéraux » admis pourvu qu’ils ne soient pas inutiles ou disproportionnés) et ils ne le perdent qu’après condamnation définitive.

Le Protocole 1 de 1977 a atténué les conditions posées. Aux différentes catégories de combattants réguliers et irréguliers réglées en 1907 et 1949, il ajoute celle des guérilleros. Ceux-ci doivent être liés à une partie au conflit (en l’occurrence, un mouvement de libération nationale « représentatif » d’un peuple en situation coloniale, post-coloniale ou d’apartheid), organisés, placés « sous un commandement responsable », soumis à « un régime de discipline interne », qui assure notamment le respect des règles de la guerre. Pour que la population civile soit protégée des effets des hostilités, les combattants doivent s’en différencier. Mais il y a des situations où, en raison de la nature des hostilités, une telle différenciation est impossible. Les combattants irréguliers conservent cependant leur droit au statut de prisonnier de guerre en cas de capture ou de reddition, s’ils portent ouvertement les armes pendant le déploiement qui précède l’attaque (il n’est plus question du signe distinctif fixe reconnaissable à distance d’une manière permanente8). Sinon, ils demeurent des combattants irréguliers illégaux ; ils n’ont pas droit au statut de prisonnier de guerre, même s’ils doivent bénéficier d’un traitement équivalent ; ils sont passibles de poursuites pénales. Ainsi des individus qui commettent des attentats en se camouflant en civils. Plus que la cause invoquée par les partisans, c’est leur façon de combattre qui fait d’eux des combattants légaux : nul recours à la force armée, même légitime au regard du jus ad bellum, n’autorise une violence perfide ou indiscriminée, c’est-à-dire illégale au regard du jus in bello. Ce sont donc les moyens, plus que les buts, qui permettent de distinguer la violence admise ou prohibée.

S’agissant des combattants illégaux, les deux questions qui se posent concernent, d’une part, la nature de l’illégalité, d’autre part, la sanction de l’illégalité. Les combattants illégaux se répartissent en deux groupes : ceux dont le caractère illégal réside dans la « partie » à laquelle ils appartiennent ou dont ils se réclament ; ceux dont le caractère illégal provient de la personne des combattants eux-mêmes. On retrouve ainsi les conditions collectives et individuelles de l’obtention du statut de combattant de jure. S’agissant de la première catégorie, l’illégalité résulte du défaut de la qualité de belligérant : les combattants ne se rattachent pas à une partie belligérante, c’est-à-dire à un État, à un mouvement de libération nationale ou à l’Autorité palestinienne, ou, en cas de conflit interne, à une organisation insurgée reconnue comme belligérante. S’agissant de la seconde catégorie, on doit distinguer les combattants réguliers et irréguliers. Les membres des forces armées ont la qualité de combattants légaux aussi longtemps que l’État auquel ces forces appartiennent se trouve en guerre et qu’eux-mêmes font partie de l’armée. S’ils ôtent leur tenue militaire pour combattre en tenue civile ou en tenue militaire ennemie, ils commettent un acte de perfidie ; ce crime de guerre n’est pas sanctionné par la perte du statut de combattant légal ou de prisonnier de guerre en cas de capture, mais par la possibilité de poursuites pénales. Les combattants irréguliers acquièrent la qualité de combattants légaux s’ils respectent les conditions conventionnelles. S’ils ne les respectent pas, ils ne sont que des combattants illégaux, passibles de poursuites, même si leurs actes ne sont pas des crimes de guerre. Le droit international ne considère pas en effet comme un crime de guerre le fait, pour des civils, de commettre des actes hostiles contre l’ennemi, si ces actes sont accomplis sans violer les lois et coutumes de la guerre, en raison soit des modalités soit de la cible choisies. Les actes en question, consistant à attaquer les personnels ou les matériels militaires ennemis, n’en sont pas moins commis par des personnes non habilitées, donc passibles de la répression pénale prévue à l’article 68 ive Convention de Genève.

Les processus insurrectionnels à l’œuvre depuis 1945 ont obligé les États à essayer d’encadrer le phénomène partisan. Mais l’assimilation des combattants irréguliers aux combattants réguliers demeure fort problématique. La pratique de la guerre « asymétrique » pose au jus in bello de redoutables sinon d’insolubles problèmes. Par définition, les partisans sont des civils qui prennent les armes au nom d’une cause politique ou revendiquent l’exercice du pouvoir politique. Leur irrégularité se manifeste dans leur rébellion à l’autorité et dans la pratique qui découle de cette rébellion : le fait de se fondre dans la population pour la solidariser en cas d’attaques contre eux, de ne pas arborer de signes distinctifs et de ne pas porter ouvertement les armes, de préférer les actions perfides au combat loyal, de chercher à provoquer des réactions disproportionnées de la part de l’armée régulière en espérant que la population se soulèvera ou des États tiers interviendront… Ce n’est qu’à un certain degré de puissance que les partisans sortent de la clandestinité et que l’organisation insurgée impose à ses membres un signe distinctif ou le port ouvert des armes, et cela, afin d’être pleinement reconnue comme organisation belligérante, donc d’être en mesure de participer à des négociations avec les autorités adverses9. Mais avant d’avoir atteint ce degré de puissance, comment les partisans pourraient-ils renoncer aux méthodes clandestines de la guerre irrégulière sans perdre les avantages que procurent ces méthodes face aux armées régulières ? La guérilla implique que des civils se transforment occasionnellement en combattants et que la population se constitue, de manière permanente, en organe du système de logistique et de renseignement des forces insurgées, si bien que, au bout du compte, il est impossible de fixer le statut des habitants des territoires affectés par la guérilla et la contre-guérilla : combattants ou non-combattants ? Mais si le droit international ignore tout état intermédiaire entre paix et guerre pour ne connaître que la distinction paix-guerre10, il n’ignore pas tout état intermédiaire entre combattants et non-combattants pour ne connaître que la distinction combattants/non-combattants. Il connaît, entre autres, la catégorie des civils suspects, que les forces régulières peuvent déplacer, assigner à résidence ou interner. L’observation du jus in bello sera finalement le meilleur moyen pour les forces régulières de lutter contre les forces irrégulières. La prétention des partisans à créer un lien de solidarité active et passive entre eux et la population se verra ruinée si les soldats respectent les civils inoffensifs.

Sources

Les articles 1 et 2 du règlement de La Haye (rlh) du 18 octobre 1907 sur les lois et coutumes de la guerre sur terre ; l’article 6 de la Ve Convention de La Haye (clh) du 18 octobre 1907 sur les droits et devoirs des Puissances et personnes neutres en cas de guerre sur terre.

Les articles 13 et 14 de la Ière Convention de Genève (cg) du 12 août 1949 pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne ; les articles 13 et 16 de la iie Convention de Genève du 12 août 1949 pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés dans les forces armées sur mer ; l’article 4 de la iiie Convention de Genève du 12 août 1949 relative au traitement des prisonniers de guerre.

La résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations unies (agnu) du 14 décembre 1960, « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux » ; la résolution 1541 de l’agnu du 15 décembre 1960, « Déclaration sur les territoires non autonomes ».

L’article 1er du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ; l’article 1er du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966.

Les alinéas 2-b et 5 du principe 5 de la résolution 2625 de l’agnu du 24 octobre 1970 ; l’article 7 de la résolution 3314 de l’agnu du 14 décembre 1974.

Les articles 1-4, 43 à 47 et 77-2 du Protocole additionnel 1 du 8 juin 1977 (P1) aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux ; le Protocole additionnel ii du 8 juin 1977 (P2) aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux.

La Convention des Nations unies contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires du 4 décembre 1989.

Synthèse David Cumin

La notion de mercenariat est ancrée, en France, dans un mépris pluriséculaire qui obstrue toute approche différenciée des expressions du service armé d’ordre privé. Or, dans les sociétés anglo-saxonnes, la montée en puissance des sociétés militaires privées (smp), surtout depuis les années 1990, et leur forte imprégnation dans les questions géopolitiques actuelles, démontre la réflexion constructive qui s’est opérée autour de l’art de la guerre, de ses mutations et de ses approches multiples. Ce qui, il est vrai, n’est pas sans mettre à mal les notions d’éthique, de moral avant celles des lois de la guerre. Si louer sa force et ses spécificités militaires est commun aux milieux du mercenariat et des sociétés militaires privées (smp), avec des contractuels paramilitaires, la logique d’emploi, la portée des entreprises n’est pas homogène.

D’où l’invitation à un voyage dans l’Histoire qui s’achève sur les mutations récentes d’une actualité tumultueuse où les antagonismes géopolitiques contribuent à la privatisation des outils militaires.

Traduit en allemand et en anglais.

Mercenariat et sociétés milita... | P. Le Pautremat