La notion de « moral » recouvre diverses significations. Nous retiendrons ici l’expression « avoir le moral » qui pour beaucoup est en lien direct avec le « bien-être », bien-être physique et psychologique.
Sur le plan physiologique le bien-être se développe notamment à travers une bonne hygiène de vie assurée par un sommeil et une récupération de bonne qualité et par une activité physique régulière et adaptée aux missions et activités exercées. Ce bien-être d’ordre physiologique participe également au bien-être psychologique (ou « mental ») qui revêt une importance capitale pour la dynamique de l’action1. Cet aspect performance-bien-être est bien connu et scientifiquement validé notamment chez le sportif ; il est actuellement de plus en plus pris en compte dans nombre de milieux professionnels.
Dans les armées, de nombreuses actions sont menées pour développer, maintenir et renforcer le « moral des troupes ». L’une de celles-ci a été la mise en place à l’école interarmées des sports puis dans l’armée de l’air d’une formation aux « techniques d’optimisation du potentiel », objet de cet article. N’oublions pas que l’équilibre psychologique des personnels passe également par des formations professionnelles et militaires adéquates.
Après avoir défini les techniques d’optimisation du potentiel nous ferons un bref rappel historique permettant de situer le contexte dans lequel s’inscrit cette méthode. Puis nous verrons qu’elles en sont les indications et les contre-indications et nous présenterons les formations dispensées.
Qu’est-ce que les techniques d’optimisation du potentiel ?
Les techniques d’optimisation du potentiel représentent des moyens et des stratégies mentales permettant à chacun de mobiliser au mieux ses ressources en fonction des exigences de la situation rencontrée pour y faire face et s’y adapter rapidement ainsi que pour atteindre ses objectifs.
La méthode regroupe un ensemble de techniques relevant d’une approche pédagogique et qui font appel aux procédés de base que sont la respiration, la relaxation et l’imagerie mentale (ou représentation mentale). Chaque technique proposée comporte un ou plusieurs de ces procédés, utilisés suivant différents protocoles en fonction de l’objectif recherché, les deux grands axes d’action étant la récupération et la dynamisation.
La méthode « techniques d’optimisation du potentiel » représente une « boîte à outils » que chacun devra personnaliser et adapter à ses besoins pour utiliser, en toute autonomie, la bonne technique au bon moment.
Cette méthode a été élaborée à partir des nombreux travaux réalisés sur la gestion du stress, la préparation mentale et les techniques de relaxation et d’imagerie mentale2.
Le développement des techniques d’optimisation du potentiel a répondu à différents critères. Les techniques devaient être pratiques et applicables « en tous lieux et toutes circonstances », quand on en a besoin c’est-à-dire éventuellement sur le lieu de travail ou de la mission, en posture assise voire debout et dans la tenue de travail. Elles se devaient d’être applicables à un groupe de personnes (section, escadron, équipe, etc.) pour atteindre le plus grand nombre de personnels et indirectement pour développer la cohésion du groupe. Ces contraintes ont fait que la méthode ne pouvait s’inscrire que dans un champ pédagogique. Les techniques proposées s’adressent à des personnes souhaitant disposer de moyens psychologiques leur permettant de s’adapter rapidement aux diverses situations contraignantes qu’elles sont amenées à vivre. Il ne s’agissait en aucun cas de traiter des personnels ayant subi un traumatisme psychique ou développé des réactions pathologiques de stress qui relèvent d’une prise en charge psychothérapeutique assurée par les psychologues cliniciens et les psychiatres. La contrainte temporelle a également été une donnée prise en compte. Les protocoles ont été mis au point afin que les exercices techniques soient brefs : une à dix minutes. L’apprentissage se devait également d’être facile et accessible au plus grand nombre, ce sont donc des techniques simples qui ont été choisies ; il n’en demeure pas moins que d’après les diverses enquêtes elles s’avèrent très efficaces et répondent aux principales attentes des militaires. Par ailleurs, en tenant compte du fait que ce qui convient aux uns ne convient pas aux autres, il fallait proposer des techniques personnalisables par chacun.
Pourquoi les techniques d’optimisation du potentiel ?
Un aperçu historique
Dans les années 1980, l’état-major de l’armée de terre a participé à plusieurs groupes de travail sur le phénomène des pertes psychiques en opération. Les différentes études ont porté notamment sur le contrôle du stress par un soutien psychologique et la prise en compte du facteur humain en vue d’une meilleure efficacité opérationnelle. Un premier document a été publié en 1989 par le centre des relations humaines : « Force et calme des troupes » (tta 121, n° 500/def/emat/mg/crh) puis un deuxième en 1993 : « L’Action du commandement dans la maîtrise du stress » (tta 122, n°39/def/emat/orh/crh). Suite à la première publication le commissariat aux sports militaires a mis en place en 1990, à l’école interarmées des sports, un module de formation aux « techniques de gestion du stress (tgs) » au profit des futurs moniteurs-chefs de sport des armées (im 1300/def/ema/emp/1 3e modificatif du 17 décembre 1990). Afin d’assurer la pérennité de cette formation, un stage d’instructeurs en tgs a été instauré en 1994 au profit des personnels volontaires des trois armées et de la gendarmerie nationale. Cette même année, l’armée de l’air a diffusé « le plan d’action facteurs humains » dans un cadre de prévention des accidents aériens (lettre n° 99/def/cpsa du 31 mars 1994). Ce plan d’action prévoit notamment la formation des personnels aux techniques de gestion du stress. Différentes démarches ont été ainsi progressivement mises en œuvre au sein de l’armée de l’air (entraînement des personnels des bases opérationnelles, formation et entraînement des personnels en opex et à partir de 2000, formations initiales au profit des élèves officiers à Salon-de-Provence, des élèves contrôleurs à Mont-de-Marsan et formation de pilotes en écoles et de contrôleurs aériens en unité). Il s’avère que la formation initiale a permis de répondre aux recommandations établies pour obtenir les licences professionnelles chez les pilotes et les contrôleurs aériens. La formation tgs a évolué pour mieux répondre aux attentes des forces et a pris le nom de « techniques d’optimisation du potentiel professionnel » puis de « techniques d’optimisation du potentiel ».
À quoi servent les techniques d’optimisation du potentiel ?
Les indications des techniques d’optimisation du potentiel sont larges. Nous citerons l’optimisation de la récupération physique et mentale post-mission ou en fin de journée et la dynamisation physique et psychologique avant une activité ; ainsi, cette méthode apprend à gérer les temps d’activité et de repos. Elle apporte également des outils efficaces pour se motiver et lutter contre le découragement ainsi que pour s’adapter à son environnement (donc pour gérer le stress). Certaines techniques permettent de développer les aptitudes cognitives, motrices et techniques et sont connues pour faciliter les apprentissages. Par ailleurs, elles aident à la prise de décision. Enfin, l’entraînement et la pratique en collectif favorisent la communication au sein du groupe et la cohésion de ce dernier.
Ces techniques sont pertinentes non seulement dans le milieu professionnel mais elles sont également utiles à titre personnel pour gérer les événements de la vie quotidienne.
Nous constatons donc qu’elles sont tout à fait propices au bien-être des personnels.
Cette méthode ne représente pas une panacée universelle et il existe un certain nombre de contre-indications. Tout d’abord le refus du sujet, également l’absence d’objectif clairement défini et le traitement de troubles psychiatriques (rappelons que le champ d’application des techniques d’optimisation du potentiel est strictement pédagogique). La principale contre-indication est l’incompétence du moniteur par manque de formation et de pratique personnelle. À coté de ces contre-indications générales, il faudra bien entendu respecter les contre-indications propres à chaque technique (par exemple : pas de relaxation immédiatement avant une activité nécessitant un niveau de vigilance et un tonus musculaire élevés).
Quelles formations ?
Plusieurs types d’actions doivent être menés afin que la démarche soit cohérente et réponde aux attentes des personnels et aux exigences professionnelles.
Il existe trois grands axes d’actions : l’information de tous les personnels, la formation initiale dispensée au profit des élèves et des personnels des unités et la formation de spécialistes en « techniques d’optimisation du potentiel ».
La première action est d’informer tous les personnels des unités sur les techniques d’optimisation du potentiel : leur existence, leur définition, leurs objectifs, leur mode d’emploi et la philosophie qui sous-tend cette méthode et que nous aborderons plus loin.
Suite à l’information, une formation initiale aux techniques d’optimisation du potentiel (fi-top) est proposée aux cadres volontaires des unités (généralement par les moniteurs de sport formés aux techniques d’optimisation du potentiel) et surtout dans les écoles (moniteurs de sport, élèves officiers de l’armée de l’air et élèves contrôleurs, etc.). La formation initiale comprend en moyenne dix heures de cours (cinq fois deux heures) théoriques et pratiques répartis sur environ quatre mois. Entre chaque cours, les élèves suivent un entraînement dirigé par un instructeur en techniques d’optimisation du potentiel, d’une durée de trente minutes environ (dix à vingt séances selon le cursus de formation) ainsi qu’un entraînement personnel à l’aide d’exercices d’une à dix minutes. Le programme actuel de la fi-top comprend des généralités sur les techniques d’optimisation du potentiel, l’apprentissage de la respiration contrôlée et des différentes techniques de relaxation et de dynamisation, des notions sur la motivation, le stress, le sommeil et la gestion du temps.
Afin d’assurer les séances d’information et de formation ainsi que les séances pratiques dans les unités sont organisés des stages de formation d’instructeurs en techniques d’optimisation du potentiel. Il existe à ce jour des formations au Centre national des sports de la Défense à Fontainebleau et dans l’armée de l’air à Brétigny-sur-Orge, Salon-de-Provence, Mont-de-Marsan et Dijon. Ces stages sont ouverts à tous les militaires volontaires (moniteurs de sport, pilotes, contrôleurs, personnels de santé, gendarmes, fantassins, artilleurs, marins et autres) répondant à certains critères comme l’expérience professionnelle, le sens pédagogique, l’intérêt pour les facteurs humains, etc.
Le stage est organisé en quatre séminaires d’une semaine. Les trois premiers séminaires sont répartis sur huit ou neuf mois (exemple : octobre, janvier et juin), le quatrième a lieu environ un an après le troisième. Entre chaque séminaire, les stagiaires doivent suivre un entraînement dirigé et personnel et mettre en pratique les techniques enseignées. Des recyclages périodiques (tous les cinq ans) sont indispensables pour conserver la qualification de moniteur ou d’instructeur en techniques d’optimisation du potentiel.
On distingue trois niveaux de compétence :
niveau 1 : moniteur. Il est atteint après avoir suivi et validé les trois premiers séminaires ; le moniteur est apte à dispenser des séances d’information et d’entraînement dirigé.
niveau 2 : instructeur. Il est atteint après avoir suivi et validé le quatrième séminaire ; l’instructeur participe aux informations, entraînements et diverses formations. Les validations reposent sur des contrôles théoriques et pratiques continus et la soutenance de mémoires.
niveau 3 : expert. Il est atteint après une période de quatre à cinq ans de pratique en tant qu’instructeur complétée par des supervisions.
Le programme comprend un certain nombre de chapitres théoriques dont : généralités sur les techniques d’optimisation du potentiel, la méthode, les modalités de mise en œuvre, le mode d’action des techniques, l’art et la manière de procéder, l’écoute, le champ de compétence, des notions sur la personnalité, le stress (aspects physiologiques et psychologiques), le sommeil et la gestion du rythme activité – repos, la motivation, l’application spécifique des techniques aux contraintes professionnelles et aux missions opérationnelles. Sur le plan pratique, complétant des notions théoriques sont abordés la respiration contrôlée, les diverses méthodes de relaxation, l’imagerie mentale et les représentations mentales, des techniques de dynamisation et des techniques plus spécifiques à la gestion du stress3.
Philosophie des techniques d’optimisation du potentiel
Il est important d’évoquer la « philosophie » qui sous-tend la méthode. La pratique des techniques d’optimisation du potentiel repose sur le volontariat c’est-à-dire sur le choix qu’a un sujet d’utiliser ou non la méthode, en partie ou en totalité. Cependant, ce choix doit reposer sur des éléments fondés et véridiques et non sur des croyances ou des a priori erronés. La formation initiale dispensée dans certaines écoles de l’armée de l’air permet d’illustrer ce propos. Cette formation initiale comprend une partie théorique et une partie pratique. La partie théorique est obligatoire afin que l’élève puisse faire un choix objectif. Le moniteur en techniques d’optimisation du potentiel doit apporter un soin tout particulier à ses explications afin que l’élève puisse d’une part faire rapidement le choix d’adopter ou non les techniques et d’autre part, être capable d’adapter les outils à ses propres besoins afin de pouvoir utiliser la bonne technique au bon moment et ce de manière autonome. La partie pratique se fait en revanche sur la base du volontariat. Les élèves sont libres de ne pas faire la séance s’ils pensent, suite aux explications données, que cela ne leur convient pas. De toute façon, on ne peut pas obliger quelqu’un à se détendre ni à suivre l’imagerie mentale suggérée. S’il est possible de constater si quelqu’un est détendu ou non, on peut difficilement déterminer son degré de relaxation et obliger un sujet à se détendre relève de l’injonction paradoxale et il est impossible de contrôler son travail en imagerie mentale. Le fait de proposer aux sujets de ne pas faire les séances pratiques montre bien qu’on ne cherche pas à les manipuler comme certains le craignent. C’est ce même esprit qui se retrouve dans l’entraînement dirigé et a fortiori l’entraînement personnel. Précisons que cet enseignement n’est pas noté. En unité, les séances proposées s’adresseront uniquement à des volontaires, seule la séance d’information pourrait être rendue obligatoire au même titre que la théorie dispensée aux élèves.
En conclusion
Les techniques d’optimisation du potentiel relèvent d’un travail d’équipe, équipe constituée par le sujet lui-même qui doit adhérer à la démarche pour se former, s’entraîner et utiliser la méthode, par les moniteurs et instructeurs en techniques d’optimisation du potentiel chargés de la formation et des entraînements dirigés et aussi du médecin d’unité qui ayant reçu une information exhaustive (c’est le cas dans l’armée de l’air) pourra soutenir l’action des moniteurs, les conseiller et orienter éventuellement les sujets ; enfin, ce trio sera complété par un quatrième intervenant : en unité opérationnelle, cela peut être les officiers environnement humain de l’armée de terre, les officiers sécurité des vols, les faciliteurs facteurs humains et les formateurs crm (prm, trm4, etc.) de l’armée de l’air qui auront un rôle similaire à celui du médecin (ils ont pratiquement tous eu une information) voire pourront, s’ils suivent la formation, être instructeur en techniques d’optimisation du potentiel.
Quelques mots-clés peuvent illustrer cette méthode. L’instructeur (ou moniteur) doit avoir en tête les mots-clés suivants : disponibilité, dialogue et adaptation (il devra consacrer un temps suffisant aux briefings et debriefings5 afin d’obtenir les informations nécessaires à l’adaptation des techniques en fonction de la personnalité et des objectifs des sujets), autonomie (l’instructeur doit garder en mémoire les mots « liberté » et « autonomie » lorsqu’il réalise ses séances pour ne pas être trop dirigiste et respecter le sujet) et compétence (elle passe par la formation et le vécu personnel de l’instructeur ainsi que par la rigueur avec laquelle il utilisera les différentes techniques). Des mots-clés concernent également le sujet utilisant les techniques : motivation, volontariat, entraînement (les techniques d’optimisation du potentiel nécessitent, comme la préparation physique et la formation professionnelle, un entraînement régulier, elles ne représentent pas des « trucs magiques ») et autonomie (le sujet doit apprendre à se prendre en charge complètement afin de faire face à n’importe quelle situation, sans une aide extérieure qu’il n’aura pas toujours et il doit savoir utiliser, à bon escient, les techniques adaptées).
Nous terminerons en précisant que les techniques d’optimisation du potentiel s’intègrent dans une approche globale de l’individu. Elles optimisent les compétences et savoir-faire acquis lors des formations professionnelles et militaires permettant au militaire de mener à bien ses missions dans un état de bien-être psychologique.
Synthèse Édith perreaut-PIERRE
Pour le docteur Perreaut, médecin militaire, le « bien-être », physique et psychologique, est une composante importante du « moral ».
Or, il existe des moyens, techniques, procédés et méthodes qui peuvent concourir à ce bien-être et qui permettent ainsi à chacun de mobiliser au mieux ses ressources : ce sont « les techniques d’optimisation du potentiel » (top).
Développées à l’Ecole interarmées des sports (eis) de Fontainebleau au début des années 1990 à partir de la problématique de « gestion du stress », elles ne constituent en aucun cas un traitement de traumatisme psychique, mais se présentent comme une « boîte à outils » pédagogique à base de techniques de relaxation et de préparation mentale.
Les top, telles qu’elles sont aujourd’hui enseignées à l’eis et pratiquées dans l’armée de terre et dans l’armée de l’air, visent ainsi à favoriser la récupération physique et mentale post mission, à motiver et à aider à lutter contre le découragement, à constituer une aide pour la prise de décision et à faciliter la communication au sein du groupe tout en contribuant à sa cohésion.
Les instructeurs sont formés à trois niveaux : moniteur, instructeur et expert.
Ils délivrent leur enseignement, d’abord sous une forme théorique dispensée à tous, puis de façon pratique, sur la base du volontariat ; chacun, en effet, doit avoir le choix d’utiliser ou non la méthode, dans un cadre qui est toujours celui d’un travail d’équipe.
Traduit en allemand et en anglais.