N°50 | Entre virtuel et réel

Marie Peucelle

De l’utilisation guerrière des risques naturels

Arrêtons-nous un instant et pensons demain. Sécheresses, cyclones, inondations, feux de forêt titanesques seraient devenus monnaie courante et leur récurrence exponentielle déstabiliserait en profondeur un monde déjà en crise. Ces menaces météorologiques, nous les connaissons et nous nous y préparons, mais imaginons que l’être humain ait sciemment recréé ces cataclysmes à des fins militaires. Des armes nouvelles reproduiraient la brutalité de la nature déchaînée : des pluies diluviennes s’abattraient sur des troupes en manœuvre, ralentissant leur progression ; des vents violents cloueraient au sol les escadrilles d’hélicoptères ; des brouillards opaques empêcheraient l’artillerie de frapper juste sans l’aide de radars ; des éruptions solaires brouilleraient les réseaux des opérateurs de guerre électronique.

Science-fiction ? Loin d’être invraisemblable, la géo-ingénierie est au contraire une réalité de notre temps. Aujourd’hui développée par plusieurs grandes puissances, elle consiste à interférer sur la nature ou à recréer artificiellement certaines composantes climatiques et atmosphériques provoquant des intempéries. En 2016, le projet Surge Structure Atmosphere Interaction1 (sustain) a ainsi permis aux scientifiques américains de reproduire un ouragan de catégorie 5 dans un local ; en 2017, la France a ensemencé des nuages, c’est-à-dire fait pleuvoir artificiellement, pour protéger des vignes menacées de sécheresse. Demain, certains pourraient faire le choix d’aller plus loin dans cette démarche et concevoir des armes puissantes, déstructurantes, difficilement traçables et inattendues, donc particulièrement dangereuses.

Dès lors, comment une armée moderne, qui a fait le choix de la haute technologie et a privilégié la technique à la masse, pourrait-elle résister à des attaques portées par des éléments naturels ? Et quand bien même ces armes futuristes demeureraient de la pure fiction, comment le combattant de demain pourrait-il adapter son action à un nouvel environnement géophysique inévitablement instable ? Les nouvelles technologies telles que les radars, le Blue Force Tracking2 ou les « bulles de communication » semblent permettre aux combattants de s’extraire du terrain, de la carte papier et de la boussole. Pourtant, le choc qu’engendrerait le déferlement de forces naturelles contre une armée impliquerait nécessairement une modification du cadre et des procédés tactiques des affrontements. Il s’agira alors d’anticiper ces changements climatiques, frictions3 indubitables des combats, et de transformer ces contraintes en force pour conserver, envers et contre tout, notre liberté d’action.

  • Maîtriser les quatre éléments

Si avoir la mainmise sur les conditions atmosphériques et les éléments naturels assurerait « une domination inimaginable dans la bataille de l’espace »4, l’usage de l’eau et du feu en appui des soldats, des fortifications, du mousquet et des flèches n’est pas chose nouvelle. Le combattant utilise depuis toujours son environnement pour défendre ou pour conquérir un territoire, pour rééquilibrer un rapport de force défavorable, pour conserver ou pour regagner sa liberté d’action. En bref, pour gagner la guerre. Il serait donc malvenu de « réinventer la guerre » à coups de hautes technologies. Pour autant, les techniques d’hier et de demain ne sont pas incompatibles dans un combat futur.

  • L’eau

Les plaines du nord de la France, lieu de nombreux combats, rappellent à ceux qui les observent ces défenses naturelles que l’homme s’est appropriées. Le système complexe de canaux et d’écluses lillois, par exemple, permettait de cumuler deux objectifs majeurs : assécher les terres marécageuses et maîtriser les zones à inonder afin de créer un barrage naturel contre les potentiels envahisseurs. Ainsi, à la fin du mois d’octobre 1914, lors de la bataille de l’Yser, cette technique a contribué à protéger Dunkerque tout en barrant la route de Calais et de Boulogne aux Allemands.

Ces inondations préventives, étudiées à l’École de guerre dès 1870, ne peuvent toutefois être efficaces en tout lieu et en tout temps. Elles sont par nature limitées à la physiologie des plaines permettant l’installation de systèmes de réseaux (écluses et canaux wateringues). Mal utilisées, elles ne sauront éviter l’invasion. Ainsi, après s’être emparé d’Ostende en 1745, Maurice de Saxe voulut prendre Nieuport, mais alors que le gouverneur concéda l’inondation de ses champs, il refusa de détruire ses digues et ses canaux : l’inondation fut inefficace et Nieuport capitula peu après.

Demain, l’eau jouera indubitablement un rôle prépondérant dans les conflits. En réponse à la probabilité d’une guerre de l’eau et pour lutter contre la désertification, l’ensemencement des nuages est l’une des solutions utilisées depuis 1950. Il s’agit de relâcher des aérosols comme l’iodure d’argent, l’azote liquide ou le chlorure de sodium dans les nuages afin d’augmenter leur condensation. Ces expérimentations font aujourd’hui l’objet de centaines de projets dans plus de cinquante pays5, notamment en Russie, aux États-Unis et en Chine, cette dernière développant ses techniques de pluie artificielle de façon quasi industrielle6. Ces recherches servent aussi des fins militaires. L’utilisation la plus remarquable de la pluie en appui tactique est probablement celle du projet Popeye7 au Vietnam, où les États-Unis se servirent d’iodure d’argent pour provoquer des pluies intenses et ralentir la progression de leurs opposants.

  • Le feu 

La méthode de la terre brûlée ou razzia a été régulièrement utilisée par des guerriers d’origines géographiques et historiques très différentes. Durant la guerre hispano-portugaise (1762-1763), les Portugais brûlèrent leurs récoltes, affamant par ce sacrifice les envahisseurs espagnols et français et forçant leur retraite. Les Russes firent de même en 1812 devant l’avancée des troupes napoléoniennes, amenant l’Empereur à écrire : « Jusqu’à présent, à cela près qu’Alexandre brûle ses villes pour que nous ne les habitions pas, nous nous sommes fait assez bonne guerre8.» Plus récemment, en 1991, l’armée irakienne incendia des puits de pétrole avant de battre en retraite.

L’expression du feu au combat se manifeste également par l’utilisation d’armes incendiaires aux formes diverses. Le feu grégeois et les flèches incendiaires se sont modernisés pour prendre la forme du lance-flamme dès 1915, utilisé pour détruire caches, tranchées et bunkers ennemis. Les techniques séculaires d’écobuages comme moyen de défoliation des herbes hautes ou des forêts sont toujours d’actualité. Entre 1962 et 1971, deux millions d’hectares de jungle vietnamienne furent détruits par épandages d’agent orange et de napalm. Et aujourd’hui, les Kurdes pratiquent ces méthodes face aux combattants de l’État islamique, profitant de la fin de l’été, où le stress hydrique est particulièrement fort, pour brûler les hautes herbes. L’objectif est simple : ne pas laisser à l’adversaire le loisir de s’y cacher, de piéger le terrain ou d’y fomenter une embuscade.

Et demain ? La légende raconte que pour combattre la flotte romaine menaçant Syracuse, Archimède installa des « miroirs ardents »9 qui concentrèrent la lumière du soleil sur les navires et les enflammèrent. Si la réalité fut bien autre, l’idée du rayon de la mort avait germé. Les armes à énergie dirigée (aed) de type laser ou dazzler en sont les descendantes. En plein essor, elles ont aujourd’hui plusieurs usages : défense antimissiles, destruction de systèmes électroniques, désactivation de véhicules ou de drones à distance, désorientation temporaire d’un ennemi…

  • L’air

Les batailles d’hier regorgent d’exemples où de fins tacticiens se sont servis de la météorologie pour asseoir leur manœuvre. Le 2 décembre 1805, Napoléon profita de l’épais brouillard du plateau de Pratzen pour surprendre Russes et Autrichiens à Austerlitz. Le 6 juin 1944, les Alliés déroutèrent l’armée allemande par l’ampleur de leur manœuvre amphibie lancée malgré le mauvais temps. Plus récemment, à Hajin, dans la Middle Euphrates River Valley (merv) syrienne, quatre jours d’intempéries permirent aux combattants de Daesh de récupérer tactiquement l’équivalent d’un mois et demi d’assaut des Forces démocratiques syriennes sous appui de la coalition.

La dissimulation par le brouillard est-elle toutefois toujours envisageable aujourd’hui alors que les radars permettent à l’artillerie de tirer en tout temps avec précision ? Oui et non. Le brouillard astreint surtout l’artilleur à n’utiliser que le radar pour localiser et frapper sa cible, et donc à se fier uniquement à ces nouvelles techniques quels que soient le milieu ou la situation tactique.

Cet élément naturel a surtout gagné en importance avec le développement du milieu aéroterrestre. En combat interarmes, l’appui aérien permet de renseigner, de transporter les troupes ou de combattre. Son talon d’Achille : son utilisation dépend de la météorologie. Ainsi, l’opacité d’un brouillard empêchera l’avion de combat de quitter la base aérienne, un vent trop fort clouera au sol des escadrilles d’hélicoptères ou de drones. Celui qui saura dégager un axe de visibilité en dissipant la brume ou qui, au contraire, saura recréer artificiellement brumes et tempêtes et les diriger sur son ennemi, gagnera un avantage tactique incontestable.

Plus globalement, les dérèglements climatiques à venir et la multiplication de catastrophes naturelles « hors normes » invitent à nous interroger sur nos capacités à agir efficacement lors d’opérations où nous ne bénéficierons pas d’appui aérien : ni puissance de feu décisive par des frappes ciblées ni renseignement précédant l’action grâce aux drones ni évacuation sanitaire permettant l’« heure d’or »10.

  • La terre

En offensive, l’analyse et la bonne utilisation du terrain sont des éléments prépondérants dans la réussite de la mission menée. Des erreurs tactiques tragiques liées à une mauvaise connaissance de la zone des combats ont fait perdre des guerres à des armées pourtant supérieures en effectifs et en armement. Des zones réputées infranchissables, par exemple, ont offert un couloir de mobilité à des troupes d’envahisseurs. D’autres armées ont au contraire été « orientées » sans le savoir vers une zone favorable à leur adversaire, canalisées entre des chaînes montagneuses, des mouvements de terrain ou de denses forêts pour mieux être détruites. En défensive, certains tacticiens sont devenus maîtres de la poliorcétique11, utilisant les hauteurs, les marécages ou tout élément pouvant contrer la mobilité de leurs ennemis, puis créant des forts réputés inexpugnables. Ces techniques d’hier ne sont et ne seront pas obsolètes dans un futur proche12.

Demain des armes sismiques ? En réalité, elles existent déjà et ont fait leurs preuves au plan « micro tactique ». Dans leurs premières versions réalisées durant la Seconde Guerre mondiale, les bombes conventionnelles « Tallboy » ou « Grand Slam » étaient conçues pour exploser non pas sur mais dans le sol, afin de provoquer une onde de choc telle qu’elle détruisait ponts, barrages, bunkers… Aujourd’hui, ce type d’arme est synthétisé dans les Bunkers Busters, des bombes ultramodernes dont l’objectif n’a pas changé.

Ainsi, force est de constater que l’utilisation de la géographique physique et la création artificielle de risques naturels lors des combats sont séculaires. Elles impliquent toutefois de tels sacrifices pour les populations locales qu’elles sont extrêmement délicates à mettre en œuvre.

  • Quelles limites ?

Si certaines méthodes sont soit délaissées par l’armée française, soit rejetées pour des raisons éthiques et juridiques évidentes, nous avons le devoir d’étudier ces probabilités afin de nous y préparer.

Les conséquences désastreuses sur les plans humanitaire et écologique des guerres du xxe siècle ont amené la communauté internationale à légiférer sur la question de la protection durable de l’environnement lors de conflits armés. Progressivement, des dispositions juridiques et réglementaires du droit international ont été créées. En 1976, la Convention enmod13 interdit la « guerre géophysique » ; en 1977, le protocole I de la Convention de Genève14 fait de même pour le recours à la « guerre écologique » ; en 1996, les Directives de la Croix-Rouge pour la formation des forces armées15 concrétisent leur application.

C’est notamment sur les conséquences à long terme de l’emploi de certaines armes et méthodes que la communauté internationale s’interroge. Ainsi, la Convention enmod stipule dans son article 1 que « chaque partie à la présente convention s’engage à ne pas utiliser à des fins militaires ou à tout autre fin hostile des techniques de modification de l’environnement ayant des effets étendus [soit plusieurs centaines de kilomètres carrés], durables [une saison] ou graves, en tant que moyens de causer des destructions, des dommages ou des préjudices à tout autre État partie ».

Ces conventions et protocoles manquent de précision et peuvent donc prêter à interprétation. Pour exemple, ils n’ont pas rendu illégale l’opération Popeye au Vietnam, pourtant officiellement reconnue. Ils n’interdisent pas non plus la poursuite des recherches à des fins civiles, notamment dans la lutte contre le réchauffement climatique.

La question n’est donc pas tant de savoir si nous réussirons un jour à contrôler la météorologie et les éléments naturels, la réponse par l’affirmative étant plus que probable, mais de savoir si nous devons le faire. Pour autant, nos limites morales et juridiques ne sont pas celles de nos adversaires. Il ne faut donc pas s’interdire de penser ces sujets, aussi disruptifs et iconoclastes soient-ils, car nos ennemis futurs, eux, ne s’en priveront pas. Nous devons comprendre ces nouvelles technologies en devenir et développer des modes opératifs nous permettant de nous en prémunir.

  • Intégrer les risques et menaces environnementales
    dans les combats de demain

Avec la guerre de haute intensité, ne va-t-on pas redécouvrir et réadapter ces procédés anciens pour pallier nos problématiques de masse critique16 ? La bonne connaissance de notre environnement constitue la première clé d’accès à la compréhension des forces en place. Nous devrons ensuite intégrer, en les encadrant strictement, ces techniques de géo-ingénierie en appui des opérations interarmes afin de choisir le terrain, de gagner du temps et de préserver des vies.

  • Savoir choisir et organiser son terrain

Cela passe prioritairement par un impératif : connaître son environnement. Yves Lacoste n’a-t-il pas écrit que « la géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre »17 ? Nous ne devons pas nous priver d’utiliser les nombreux outils géographiques et météorologiques innovants issus des nouvelles technologies, car les systèmes d’informations géographiques (sig) et les capteurs météorologiques se développent extrêmement rapidement. Reste à former les soldats à l’exploitation de ces nouvelles connaissances bien plus précises du terrain et du milieu, en trois dimensions. L’effort sera porté sur la bonne analyse de la qualité des sols, des lits secondaires des fleuves et des rivières, des zones marécageuses ou du niveau de stress hydrique des forêts des zones de combat…

Contrer les effets du dérèglement climatique ou de nouvelles armes environnementales, cela passe ensuite par la prévention et par l’organisation de notre défense territoriale. Selon l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (onerc), l’augmentation d’un degré Celsius aura de redoutables conséquences au plan mondial : montée des eaux et accélération de l’érosion des sols… À l’échelle nationale, la protection des frontières et la sécurisation des emprises seront donc prioritaires.

Nous ne devons pas non plus ignorer le retour de la guerre de siège dans notre paysage contemporain18. La place du génie dans la protection, la consolidation, l’aménagement et la fortification (ou « durcissement ») des emprises n’en sera que renforcée. Pour autant, « on ne construit pas de fortifications avec des systèmes, mais avec du bon sens et de l’expérience »19. Dans « bon sens », il faut aussi entendre la prise en compte des effets du climat dans nos analyses, en choisissant avec soin le lieu d’implantation de nos bases, en évitant les zones inondables ou trop exposées au vent et à la tempête, en fuyant celles où l’érosion des sols présente un risque accru d’effondrement ou de glissement de terrain.

Il faudra aussi regagner nos compétences délaissées en franchissements de « coupures humides ». Nos quelques centaines de mètres linéaires de ponts flottants motorisés (pfm) ne suffisent plus à assurer notre autonomie en la matière. Elles pourraient devenir une faiblesse critique exploitée par nos ennemis en cas de combat en zone entrecoupée de nombreux fleuves et rivières20, d’autant plus si ceux-ci pratiquent les inondations préventives.

  • Gagner du temps

En cas d’attaque, les sapeurs du génie contribuent à la liberté d’action du chef en lui faisant gagner du temps. Il s’agira demain de ralentir la progression ennemie en utilisant d’anciennes techniques de contre mobilité s’appuyant sur les éléments naturels. Elles se concrétisent aujourd’hui par la réalisation de systèmes d’obstacles dans la profondeur de types abattis, barrages ou fossés antichars21. Elles pourraient reprendre la forme d’inondations préventives dans certaines zones clés (en utilisant les réseaux de régulation des eaux intérieures, la destruction de ponts, de digues…). Ces méthodes nécessitent une excellente connaissance du milieu et de la géologie locale, sous peine d’être parfaitement inutiles voire contre-productives.

Les méthodes d’écobuages22 ne sont pas non plus à rejeter tout de go. Strictement encadrées, elles permettent au sapeur expérimenté, en incendiant bosquets et herbes hautes, de priver l’ennemi d’un lieu de repli ou de caches. Pour être acceptables, ces techniques doivent être ciblées et restreintes à une zone géographique bien déterminée en anticipant l’évacuation des populations civiles concernées. Il serait aujourd’hui inimaginable de les reproduire à large échelle, car elles prendraient la forme d’un véritable écocide.

  • Préserver des vies

Il nous faudra à la fois poursuivre le développement de matériels de haute technologie, tout en augmentant la rusticité des hommes et des machines.

Si le choix est aujourd’hui porté vers la qualité de nos matériels de plus en plus sophistiqués, peut-être serait-il intéressant de développer en parallèle une flotte de matériels simples et rustiques, qui assureraient une résistance forte face aux éléments naturels et une disponibilité technique plus importante en cas de panne.

Dans un environnement de plus en plus dur physiquement, le choix sera peut-être aussi fait d’« augmenter » le soldat pour lui donner la capacité physique de résister aux variations extrêmes des températures à venir. Mais avant d’en arriver là, il faudra surtout durcir l’entraînement de nos troupes et préparer les soldats à affronter le pire, le froid, la chaleur extrême ou les pluies incessantes ; poursuivre et développer les entraînements dans la jungle, milieux montagneux et désertiques.

Il sera également nécessaire de former les soldats aux nouvelles technologies tout en les astreignant régulièrement à s’en affranchir lors d’entraînements en mode dégradé (sans gps, radio, visibilité aérienne…). Ce grand écart entre haute technologie et aguerrissement sera la marque de fabrique des nouvelles générations de combattants. Leur formation, leur capacité à agir en autonomie et à faire preuve d’initiative sera la clé de la victoire.

  • L’imagination, vertu militaire

Face à l’hybridité de guerres futures, où se confronteraient techniques ancestrales et armes hyper véloces, miliciens et soldats augmentés, l’imagination doit plus que jamais être une vertu du militaire. À l’image de la Red Team regroupant une dizaine d’auteurs de science-fiction au service du ministère des Armées, nous nous devons de sortir des sentiers battus et de penser autrement demain. Quelle sera la prochaine rupture technologique, humaine, sociétale ou biologique impliquant les militaires ? Dans quel environnement géopolitique interviendra l’armée française ? Dans ces combats prochains, innover impliquera aussi probablement de réadapter d’anciens modes opératoires. L’utilisation de la géographie physique et des risques naturels en appui des opérations trouve donc ici tout son sens.

Le soldat du futur devra aussi et surtout combattre les démons de l’immédiateté, prendre le temps de déchiffrer le milieu dans lequel il se trouve et l’utiliser contre son adversaire. Il lui faudra faire l’effort d’éloigner son regard des écrans tactiles pour observer autour de lui, comprendre son environnement, la nature des sols, la topographie de son terrain de manœuvre, adapter son action aux contraintes météorologiques et, surtout, voir plus loin.

1 Ces performances ont été très récemment recréées par les universités d’Oldenbourg et de Lyon dans la grande soufflerie du Center for Wind Energy Research.

2 Capacité activée par gps de localisation de forces militaires amies.

3 La friction désigne chez Clausewitz les impondérables, le hasard, les imprévus en guerre. En somme, ce qui éloigne la théorie de l’expérience. C. von Clausewitz, De la guerre, livre I, chapitre 7.

4 « La météorologie comme démultiplicateur de forces. Maîtriser les conditions atmosphériques en 2025 », rapport de 1996 rédigé par sept officiers américains.

5 Selon l’Organisation mondiale de la météorologie.

6 Mis au point par la Société des sciences et technologies aérospatiales de Chine, ce projet consiste à faire tomber dix milliards de mètres cubes de précipitations par an sur le plateau tibétain, la plus grande réserve d’eau douce d’Asie.

7 Le projet Popeye a permis aux forces américaines déployées au Vietnam d’augmenter les précipitations et de prolonger la saison de la mousson afin d’enliser les mouvements de troupes et logistiques ennemis.

8 En guise d’exemple, le 17 août 1812, les Russes perdent la ville de Smolensk. Après une résistance farouche, ils incendient la ville avant de l’abandonner aux Français. La pratique sera répétée à Moscou puis durant la retraite des troupes napoléoniennes.

9 Notons que l’idée des miroirs ardents est également reprise par certains scientifiques favorables à l’application de la géo-ingénierie en réponse au dérèglement climatique, qui souhaiteraient disposer de larges miroirs réflecteurs de lumière dans l’espace pour lutter contre le réchauffement climatique.

10 Aujourd’hui, on évalue communément à une heure le temps acceptable d’évacuation sanitaire.

11 L’art d’assiéger les villes.

12 L’art de la citadelle Vauban a encore récemment été utilisé au Mali par des sapeurs du 17e régiment de génie parachutiste.

13 La Convention sur l’utilisation des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (Convention enmod) a fait l’objet d’une résolution de l’onu et est entrée en vigueur le 5 octobre 1978 (adoptée par soixante-cinq États et signée par quarante-huit pays). La France n’est pas signataire de la Convention.

14 Le texte additionnel des Conventions de Genève de 1949 interdit « d’utiliser des méthodes et des moyens de guerre qui portent atteinte à l’environnement de telle manière qu’ils perturbent la stabilité de l’écosystème ».

15 Les Directives du cicr pour les manuels d’instruction militaire sur la protection de l’environnement en période de conflits (Grassier, 1996) constituent un ensemble de règles de droit coutumier applicables en période de conflit armé. Elles ne sont pas contraignantes.

16 Les effectifs du ministère des Armées sont passés de 670 137 personnels en 1991 à 268 294 en 2020 (militaires et civils).

17 Y. Lacoste, La Géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre, Paris, La Découverte, 2014.

18 Siège de Sarajevo en Bosnie-Herzégovine, Groznyï en Tchétchénie, Nahr el-Bared au Liban, Irak…

19 « Vauban fortificateur est un homme du ‟voir » : il se déplace systématiquement pour étudier le terrain de ses futurs projets », rappelle Anne Blanchard dans Vauban, Paris, Fayard, 2008.

20 Sur un terrain européen, on trouve une coupure de vingt mètres tous les vingt-cinq mètres, de cinquante à cent mètres tous les cinquante kilomètres, et de cent à cent-cinquante mètres tous les cent à cent cinquante kilomètres. tta 750, paragraphe 112 « La coupure ».

21 Le Génie en opération. Capacités et apports à la manœuvre, École du génie, mars 2019.

22 Ces techniques anciennes de brûlages dirigés sont toujours pratiquées chaque année en France par les sapeurs-sauveteurs des unités militaires de sécurité civile (uiisc), en particulier dans les Pyrénées-Orientales où de larges étendues sont brûlées préventivement en hiver.

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