Dans ce livre qui cherche à « analyser les déterminations de fond, relativement générales, relativement intemporelles, de ce qui permet à un encadrant d’encadrer, et de proposer des pistes tant conceptuelles que stratégiques pour y voir plus clair et agir en connaissance de cause7 », Frédérik Mispelblom Beyer s’intéresse davantage aux pratiques concrètes d’encadrement qu’aux méthodes managériales. « Encadrer consiste à poser des cadres » écrit l’auteur, cadres « [qui] représentent et délimitent des orientations ou tendances de travail positionnées contre d’autres, qui font du travail d’encadrement une activité toujours plus ou moins bagarreuse et stratégique8 ». Ces idées qui vont être développées au fil des chapitres s’adressent non seulement à l’encadrement d’une entreprise mais aussi à tous les « encadrants » évoluant dans d’autres mondes, tant civils que militaires.
Dès le début de l’ouvrage, l’auteur affirme qu’« encadrer c’est ferrailler9 » et emprunte à Kart von Clausewitz10 sa définition de la guerre selon laquelle il s’agit de la « politique continuée par d’autres moyens », pour affirmer que l’encadrement c’est « la politique des directions d’entreprise continuée par moyens humains de proximité11 », d’où l’importance de la parole. « L’encadrement passe son temps à renforcer certaines orientations contre d’autres, à passer des alliances ; à contrer des oppositions, à négocier grands et petits compromis. En paroles, en actes, et avec des résultats réels et concrets12. » L’analogie entre mener une guerre et encadrer ne peut pas passer inaperçue, elle se retrouve tout au long.
Un deuxième argument développé dans ce livre retient l’attention ; c’est celui qui consiste à affirmer qu’« encadrer c’est se “débrouiller” entre la pression d’en ”haut” et celle d’en “bas”13 ». Si l’activité d’encadrement apparaît au premier abord comme relativement autonome, il existe néanmoins des éléments qui la limitent et que l’auteur décrit en faisant un parallèle instructif avec la théorie de la bureaucratie de Max Weber. Selon cette dernière « l’honneur du fonctionnaire consiste dans son habileté à exécuter consciemment un ordre sous la responsabilité de l’autorité supérieure, même si au mépris de son propre avis, elle s’obstine à suivre une fausse voie. Il doit plutôt exécuter cet ordre comme s’il répondait à ses propres convictions. Sans cette discipline morale, dans le sens le plus élevé du terme, et sans cette abnégation, tout l’appareil s’écroulerait14 ».Il n’y a pas d’autonomie totale de l’encadrant, sauf à mettre en place des stratégies propres, même alternatives, à celles posées par la direction en place. Il y a aussi des contraintes, tant morales que corporelles, en particulier en matière de genre, que l’auteur constate lorsque ce sont les femmes qui encadrent.
Le rôle primordial de la parole est mis en évidence comme son efficacité renforcée par des relais : les sanctions, les contrôles formels et informels, les « pouvoirs organisationnels moraux et politiques15 », autrement dit l’usage de la carotte et du bâton. Sur ces points, l’encadrement dans une entreprise et l’encadrement militaire ne semblent pas diverger outre mesure. Si l’idée d’encadrer c’est donner un sens à une activité, encore faut-il s’accorder sur ce « sens », sur son contenu, question peu traitée par la doctrine.
L’approche empirique adoptée met en lumière les différences entre l’encadrement militaire et celui de l’entreprise, mais comme « l’une des activités essentielles de l’encadrement, à travers tout ce qu’il fait, est la recherche et la construction d’appuis et de chemins par où passer16 », ces enseignements sont utilisables par tous. Dans le dernier chapitre, F. Mispelblom Beyer démontre, par deux exemples pratiques, que le travail d’encadrement se fait évidemment du haut vers le bas, mais aussi du bas vers le haut. Par conséquent « le travail de cadrage n’est pas le monopole de l’encadrement17 », bien que l’encadrant soit le seul qui en dispose de manière légitime.
Ce livre intéressera tous ceux qui pratiquent l’encadrement ou le commandement. Emaillé d’exemples venant d’observations in situ il incite à la réflexion mais aussi au sourire, ce qui n’est pas souvent le cas de tels ouvrages. En proposant dans la conclusion l’image d’un encadrant qui aurait donc intérêt à se prendre pour une planche de surf, sur des vagues qu’il ne provoque qu’en partie, plutôt que de se positionner en « locomotive », F. Mispelblom Beyer fait comprendre aux lecteurs que l’encadrement n’est pas dans les mains des seuls « encadrants » et qu’aucune bible ne peut donner des recettes immuables.