Ce livre important, paru en 2018 aux éditions Perrin, est désormais disponible en format de poche. Une bonne occasion de se lancer dans la lecture de ce remarquable travail de l’historien allemand Roman Töppel, qui a également contribué à l’édition critique de Mein Kampf établie par l’Institut d’histoire contemporaine de Munich. Dans cet ouvrage, il analyse la bataille de Koursk, nommée ainsi par les Soviétiques, qui débute le 5 juillet 1943 par l’opération Citadelle et se termine le 23 août lors de la prise de Kharkov par les Russes. Neuf cent mille soldats allemands font alors face à plus de deux millions de soviétiques. Comme l’explique dans la préface Jean Lopez, spécialiste français du front germano-soviétique et traducteur de cet ouvrage, Roman Töppel a entrepris un « assainissement » salutaire de l’historiographie de cette bataille en éliminant les légendes construites par les deux camps – notamment à travers les mémoires des chefs militaires – grâce à la consultation des archives, et a réussi une « percée » en répondant à bien des questions que l’on pouvait encore se poser.
Quasiment la moitié du livre (cent vingt pages) est consacrée à la genèse et à la longue préparation de l’opération. L’auteur remet d’emblée en question certains mythes. Non, Hitler n’a pas repoussé la date de l’opération pour renforcer ses unités en Panzer. Il n’est pas non plus tout à fait à l’origine de la bataille, contrairement à ce que diront certains généraux allemands après la guerre. Hitler souhaitait initialement une offensive plus au sud, dans le Donbass, mais il se laisse convaincre par ses généraux. Tout au long de ses développements, Roman Töppel s’attache à vérifier les chiffres, allant aux meilleures sources allemandes et russes pour en terminer avec les estimations « fantasmagoriques ». Il démontre, par exemple, que le nombre de chars et d’automoteurs allemands présents au début de la bataille a été régulièrement sous-estimé. Il cherche également à mieux établir les pertes des deux camps. Il explique notamment que les Allemands n’ont pas soixante-dix mille tués pendant la phase défensive de Citadelle, mais plutôt dix mille (avec quarante-six mille blessés et deux mille disparus). Son bilan dans ce domaine est par ailleurs édifiant : le rapport entre les pertes subies par les Allemands et celles des Soviétiques est d’un à six. Cette différence est surtout le résultat de la maîtrise tactique de la Wehrmacht et des faiblesses de l’Armée Rouge, elle qui, entre autres, attaque presque toujours par groupes isolés de vingt à trente chars. L’auteur ne dédaigne d’ailleurs pas se plonger dans la technique en étudiant dans le détail certains engins utilisés pendant la bataille. À cette occasion, il souligne que les chasseurs de char Ferdinand ont été beaucoup plus efficaces que ce que l’on a bien voulu dire jusqu’ici. Loin d’une focalisation sur les opérations terrestres, il fait très bien ressortir que Koursk a aussi été un immense affrontement aérien.
À la lecture de ce livre remarquable, on voit bien que Koursk n’a pas été une bataille décisive du point de vue stratégique, mais « un tournant, en ce sens qu’elle rend visible à tous le retournement décisif sur le front de l’est ». Ce qui s’est révélé funeste pour la capacité de combat allemande, ce n’est pas Citadelle « mais l’ensemble des combats de l’année 1943 ».