Voici ce que les historiens appellent une source primaire. Max Schiavon a eu la chance de pouvoir travailler sur les carnets dans lesquels le général Huntziger a noté ses remarques sur les années 1938-1941, une période cruciale de l’histoire militaire française, mais aussi de l’histoire de France. Avec ces carnets conservés précieusement jusqu’à nos jours par la famille nous découvrons les doutes et les certitudes d’un général d’armée qui, du Proche-Orient à l’entrée en guerre à la tête d’une armée, pendant la drôle de guerre, les mois cruciaux de la bataille de 1940, puis à la tête de la Commission d’armistice, jusqu’au moment où il devient ministre secrétaire d’État à la Guerre (autant de chapitres du livre), a été l’un des officiers généraux français les plus importants de l’époque, sous les ordres ou aux côtés de Pétain, Weygand, Gamelin, Darlan ou Georges. Ces carnets, Max Schiavon a choisi de les présenter en respectant scrupuleusement leur contenu et leur esprit, se permettant toutefois de constituer des paragraphes avec plusieurs phrases, en écrivant en toutes lettres quelques sigles et en corrigeant quelques fautes d’orthographe. Pour comprendre l’importance de ces écrits, il est intéressant d’étudier le travail de l’historien : chaque période évoquée est présentée dans son contexte après avoir redécouvert le brillant parcours professionnel de Charles Huntziger avant 1938. La synthèse permet de souligner à chaque fois ce qu’il se passe, mais aussi l’importance de l’action ou de l’inaction du général. La partie infrapaginale est fort importante : il n’est pas rare qu’une page soit plus couverte par des notes que par le texte commenté. Elle aborde autant la biographie des interlocuteurs ou interlocutrices du général que des rappels historiques, le nombre de canons fournis à la Turquie, des précisions sur les capacités de certains ouvrages de la ligne Maginot, parfois une comparaison textuelle avec les comptes rendus des interlocuteurs. Tout est fait pour éclairer et comprendre les carnets. On regrettera cependant que l’éditeur n’ait pas trouvé à hiérarchiser ces notes par un artifice de mise en page permettant de distinguer les biographies du reste afin de faciliter le travail d’exploitation des chercheurs et étudiants.
Ces carnets, même sans leur très riche appareil critique, montrent bien la personnalité du général Huntziger, y compris ses faiblesses de mai 1940 lorsque son armée cède à Sedan, comment il se défausse à la fois sur ses subordonnés et sur son camarade Corap. Ils soulignent les tensions affligeantes au sein du haut commandement pendant la bataille, le manque de direction politique claire, l’absence de coordination entre les armées au sol, mais aussi entre celles-ci et l’armée de l’air naissante. On ressent la douleur d’avoir à signer l’armistice, mais on découvre aussi son rôle dans l’adoption du statut des Juifs. Huntziger est un témoin précieux de la personnalité de Pétain, des coteries de Vichy. Assez visionnaire lorsqu’il était au Proche-Orient, il l’est visiblement moins dans son analyse de la campagne de Russie en raison d’un anticommunisme viscéral. Néanmoins, il poursuit le travail de Weygand en matière de renseignement et de camouflage de matériel. Détestant Laval, il n’aime pas pour autant Darlan ; il adhère pourtant à la collaboration, vraisemblablement par résignation, tout en formant de grands espoirs en l’armée d’Afrique. Ces carnets s’arrêtent en novembre 1941 avec la mort de leur auteur dans un accident d’avion au retour d’une mission d’inspection en Afrique du Nord à l’occasion du centenaire de l’armée d’Afrique. Ce livre est une source documentaire extrêmement riche et solide pour comprendre l’effondrement de 1940 et la période de Vichy.