Une défaite militaire, sportive, électorale. L’échec d’une thérapeutique, d’une entreprise économique, d’un mariage. Le champ sémantique des deux termes est si vaste, si apte à glisser vers la métaphore, qu’il n’est pas simple de donner à chacun la consistance d’un concept. Une première manière d’y voir plus clair est de s’appuyer sur les usages ordinaires de la langue. L’antonyme du mot échec est succès, celui de défaite est victoire. Ces deux couples de contraires appellent les paires verbales échouer/réussir et perdre/gagner. On échoue ou on réussit au baccalauréat, on n’en sort pas gagnant ou perdant. On parle de l’échec d’un mariage, pas d’une défaite conjugale. Ces quelques exemples permettent d’esquisser une définition des deux termes : il y a échec lorsque le projet d’un individu ou d’un groupe n’aboutit pas, et cela en l’absence d’un adversaire ayant œuvré sciemment à le faire capoter. Une défaite, au contraire, suppose que la volonté d’un acteur a été contrecarrée par l’action intentionnelle d’un adversaire. Autrement dit, l’alternative victoire/défaite concerne des situations identifiables d’un point de vue formel à un jeu à somme nulle : un jeu où les gains d’un joueur proviennent des pertes des autres.
Cette première clarification appelle plusieurs remarques. Tout d’abord, il apparaît que les échecs sont beaucoup plus nombreux que les défaites dans la vie d’un être humain : l’univers physique et le monde social résistent assez bien à nos désirs pour faire échouer nombre de projets sans qu’il soit besoin de la malveillance d’un ennemi. Les situations modélisables en termes de jeu à somme nulle sont avant tout les conflits entre États, factions, individus, que les acteurs concernés cherchent en général à éviter grâce à des principes de droit ou des négociations. De fait, ce modèle concerne le plus souvent des jeux au sens commun (du type agôn dans la classification de Roger Caillois1) ou des joutes, affrontements physiques dont la violence est contenue par des règles – telle est la formule reprise par l’institution sportive avec le modèle du match. Le monde du sport a en même temps créé (ou adopté ?) un type différent de confrontation, celui de la compétition sans affrontement direct, qui concerne en particulier l’athlétisme et repose sur une logique du classement et du record. Dans ce cadre, il y a bien des gagnants et des perdants, mais l’effort victorieux de l’un est sans effet sur la défaite de l’autre : chacun ne combat qu’avec lui-même. C’est également ce qui se passe dans un concours, le seul tort que les lauréats font aux recalés étant d’occuper de meilleures places qu’eux.
Voilà donc trois « façons de perdre » – échec, défaite, échec en situation de concurrence – inégalement présentes dans nos vies, inégalement significatives à nos propres yeux, mais ayant en commun d’être douloureuses : de l’effondrement dépressif à la honte passagère, en passant par la blessure narcissique, l’épreuve du mépris ou la perte de confiance en soi.
La question qui se pose à présent est de savoir si cette typologie peut contribuer utilement à la compréhension des différentes figures de l’insuccès et de leurs conséquences sur ceux qui les subissent. Chacune invite à réagir de deux manières au moins : par des tentatives concrètes de correction ou de réparation ; par des ajustements dans l’identification de ce qu’il s’est passé susceptibles de modifier la posture des acteurs et d’orienter leurs stratégies de normalisation. Il est possible que ces deux ordres de réactions varient de façon significative selon les types d’insuccès. On peut faire l’hypothèse que, selon les contextes, il est inégalement avantageux en termes d’efficacité matérielle et de confort psychologique de traiter un insuccès comme un échec, comme une défaite ou encore comme un mixte entre pertes et gains. Il s’agira de préciser ce qui, dans la réalité des situations d’échec, permet des modalités spécifiques de réparation et ouvre des possibilités de requalification soumises à de fortes probabilités psychologiques ou anthropologiques.
- La complexité des conjonctures
L’échec fait partie des conséquences normales d’une entreprise quelconque au même titre que le succès. Mais on n’entreprendrait jamais rien si l’on n’espérait pas réussir. Le problème est que la mesure des chances d’aboutir à ce que l’on souhaite est toujours malaisée. A-t-on vraiment les compétences requises ? Dispose-t-on de moyens suffisants ? A-t-on bien évalué les difficultés ?
Ces inquiétudes ont pour arrière-plan l’opacité du réel et les limites indépassables de l’information dont on dispose. Cela vaut aussi bien pour un dispositif technique que pour un programme politique ou économique. Un échec peut toujours être imputé à la pluralité des déterminismes à l’œuvre, certains effets non voulus (ou effets pervers) ayant perturbé ou même annihilé le résultat escompté. Il peut aussi être dû à des « impondérables », des interférences entre le champ d’action concerné et des phénomènes a priori indépendants (par exemple une épidémie venant contrarier la mise en œuvre d’une politique économique). Nul n’est donc à l’abri de « revers de fortune » dont les causes se perdent dans la complexité inextricable des conjonctures. C’est alors, comme on dit, « la faute à pas de chance », le cours des événements échappant à la volonté et à la sagacité des acteurs. En ces circonstances, on glisse facilement de l’ordre des faits objectifs au dédouanement de l’entrepreneur téméraire. En même temps, ce genre d’échec permet de dessiner en contrepoint les modalités possibles d’une réparation : identifier précisément l’erreur (ou la défaillance s’agissant d’un dispositif technologique) et chercher des solutions techniques partielles et localisées. En dépit des incertitudes qui demeurent, cette façon de réagir tranche avec l’abattement que susciterait la vision globale d’un désastre.
Ce type de riposte suppose toutefois que l’échec ne soit pas irréversible, au sens où il n’empêche pas de nouvelles tentatives. Il est souvent possible de « rectifier le tir » pour se donner de nouveaux moyens d’atteindre le but fixé. L’histoire de la conquête de l’espace peut servir à illustrer cette proposition. Elle est en effet ponctuée d’épisodes glorieux et d’échecs retentissants, par exemple l’explosion d’une navette spatiale au cours de son lancement : des échecs qui n’ont pas eu d’incidences dirimantes sur de nouvelles tentatives et ne condamnaient pas le principe même des programmes spatiaux. Cela vaut également pour des revers militaires localisés, des batailles perdues qui n’affectent pas l’issue de la guerre (ou d’une guerre future). Les dommages peuvent être importants, mais il existe des moyens accessibles d’améliorer ou de rétablir la situation : innovation technologique, ajustement tactique… Ici, la ténacité est une vertu aussi longtemps qu’elle ne se transforme pas en obstination aveugle, en reconduction routinière des mêmes recettes.
Ce qui précède correspond à des manières rationnelles d’expliquer un échec et de lui faire face à travers des tentatives de réparation. Un échec surmonté n’est pas un pur succès, mais il permet de rétablir la confiance dans l’aptitude des hommes à mener à bien une entreprise, même si c’est au prix de la révision à la baisse d’objectifs trop ambitieux. Il faut peut-être conclure de cela que la stricte alternative échec/réussite ne rend pas compte de la réalité de l’action humaine. Examinons à présent d’autres aspects de cette nécessaire relativisation.
- Échecs relatifs et pluralité des évaluations
« À quelque chose malheur est bon. » Cet adage traduit à la fois un constat réaliste et un optimisme téléologique peut-être excessif. Une chose est certaine : il est bien difficile de qualifier une situation en termes d’échec et de succès pour deux raisons au moins, d’une part parce que cela n’est possible qu’au vu de conséquences à plus ou moins long terme, d’autre part parce que l’on peut se référer à plusieurs systèmes de valeurs impliquant des catégorisations possiblement contradictoires.
Les nuances qu’introduisent, ensemble ou séparément, ces deux ordres de considérations ont nourri de longue date les traditions sapientielles du proverbe et de la fable. La formule proverbiale « Rira bien qui rira le dernier » met en garde contre les jugements hâtifs sur l’issue d’un affrontement : impossible en effet d’en désigner le vainqueur tant que tout n’est pas achevé. Le roseau de la fable réplique au chêne qui se glorifie de sa résistance aux tempêtes passées et futures : « Mais attendons la fin. » Il est aussi des victoires « à la Pyrrhus », assez coûteuses pour affaiblir durablement le gagnant et l’exposer à de dangereux revers. Il est enfin des succès illusoires au sens où ils s’avèrent sans lendemain et ne témoignent d’aucune supériorité effective : on peut songer à des chanteurs de variété « à succès » dont la carrière éphémère n’est rien d’autre qu’un échec.
La pluralité des systèmes de valeur, corrélée à celle des formes de la grandeur2 offre des critères de jugement plus complexes. Il s’agit cette fois de reconnaître des degrés de la réussite en distinguant les registres dans lesquels elle a été obtenue. C’est ainsi qu’on parle de « succès d’estime » à propos d’une œuvre d’art (film ou roman) louée par la critique mais boudée par le grand public. Un demi-succès de ce genre pourrait donc aussi bien être qualifié de demi-échec.
De façon générale, l’ampleur de la « réussite » d’une personne est mesurée en tenant compte de l’inégale légitimité des registres de l’excellence, cette hiérarchie étant elle-même variable selon les groupes sociaux qui la promeuvent. Hegel rapporte dans son Esthétique l’anecdote suivante : « Un homme s’étant vanté de pouvoir lancer des lentilles à travers un petit orifice, Alexandre, devant lequel il exécuta ce tour de force, lui fit offrir quelques boisseaux de lentilles ; et avec raison car cet homme avait acquis une adresse non seulement inutile, mais dépourvue de toute signification3. » Il est en effet des succès dérisoires qui, mesurés à leur juste valeur, ne traduisent rien d’autre que la vacuité d’une vie mal orientée : des échecs, donc, que l’on pourrait qualifier d’existentiels.
Les stratégies de relativisation que l’on vient d’évoquer – prise en compte de la durée et de la pluralité des critères de la réussite – se rejoignent dans le jugement porté sur la figure du martyre, le terme étant pris au sens de témoignage de fidélité à un idéal, conviction religieuse ou engagement politique, faisant l’objet d’une persécution. Si l’on se place du point de vue du persécuteur, subir le martyre apparaît comme un échec ou une défaite. Éliminer physiquement un adversaire est en effet une manière d’affaiblir la cause qu’il défend, et il se peut qu’une politique de terreur ait l’effet attendu. Toujours du point de vue du persécuteur, il n’y a pas de martyrs, seulement des rebelles ou des terroristes dont le combat est dépourvu de toute grandeur.
Les choses sont bien différentes si on les regarde depuis le camp du martyr. Celui-ci apparaît alors comme un héros qui a remporté une double victoire : contre le persécuteur qui n’a pu le soumettre à sa volonté (dans le cas d’un martyr chrétien, il n’a pas sacrifié aux idoles, il n’a pas reconnu la divinité de l’empereur) ; contre lui-même en dépassant sa condition de simple être soumis aux servitudes de la chair et en faisant valoir contre la loi des hommes la loi de Dieu ou quelque autre principe transcendant. Sa mort n’est donc en rien une défaite, on pourrait la qualifier de victoire morale en fonction d’un système de valeur supérieur à celui des bourreaux.
Enfin, si on se situe dans la durée, le martyr remporte une troisième victoire dès lors que, par l’exemplarité de sa conduite, il renforce le camp des persécutés en suscitant de nouvelles conversions. Ce n’est donc pas par simple artifice rhétorique que les martyrs chrétiens ont pour attribut la palme de la victoire et sont qualifiés de « soldats » ou d’« athlètes » de Dieu. Mais ce renversement n’a de sens que pour le groupe (religieux ou politique) qui partage les valeurs promues par le martyr et perpétue la mémoire de son geste héroïque. La qualification même de « martyr » fait partie du langage interne d’un collectif situé par rapport à d’autres et toujours actuel. C’est parce qu’il n’y a plus de cathares depuis longtemps que, sous la plume des historiens, les bûchers de l’Inquisition ont fait des « victimes » rarement désignées comme des « martyrs » : aux yeux de qui leur mort serait-elle victorieuse4 ?
L’exemple des martyrs, avec le renversement des qualifications qu’il suscite, nous rapproche des cas de figure qui restent à examiner : le déni5 de l’insuccès et les glissements du constat d’échec à la logique conflictuelle de la défaite.
- Ruser avec l’échec
Subir un échec, quelle qu’en soit la nature, a souvent une portée qui peut sembler démesurée sur l’estime de soi du perdant6. La cuisinière ratant un plat de fête, l’acteur qui se fait siffler, l’entrepreneur mis en faillite et l’amant congédié sont à première vue confrontés à des frustrations d’inégale importance. Mais il y a dans tous les cas le risque de voir se lézarder une reconnaissance sociale que l’on croyait acquise. Cela se répercute aussitôt sur l’évaluation que le sujet peut faire de ses talents, et ce d’autant plus qu’il se reconnaît responsable de ses déconvenues. Des échecs répétés sur le plan professionnel, affectif… augmentent encore la probabilité d’examens de conscience dévastateurs pouvant conduire à l’idée que l’on a « raté sa vie ». On comprend, dès lors, que la tentation soit grande de requalifier la situation de façon à limiter sa part de responsabilité. Une première voie est d’imputer ses déboires à une « adversité » implacable, quasi cosmique : « le monde est mal fait », « le monde est injuste ». Mais on ne se grandit pas à se poser en victime d’un destin funeste : être « à plaindre » n’est pas la forme de reconnaissance la plus valorisante. Une stratégie bien plus efficace est de transformer un échec en défaite imméritée, c’est-à-dire de l’imputer à la malveillance d’un adversaire inventé pour la circonstance. Le bénéfice est double : d’une part, l’identification d’un responsable de ses malheurs ouvre des perspectives d’action réparatrice ; d’autre part, il est facile de charger cet être maléfique des pires turpitudes afin de mettre en avant l’injustice du sort qui nous est fait.
Les deux stratégies de réassurance sont en vérité cumulables. Ainsi, dans son ethnologie du match de football7, Christian Bromberger souligne que, dans ce sport où la chance et les aléas de l’arbitrage jouent un rôle important, une défaite est toujours discutable et discutée à satiété par les supporters. On « refait le match » en invoquant la malchance (« on a manqué de réussite »), mais aussi les erreurs d’appréciation de l’arbitre, voire sa partialité. En bref, on n’a pas perdu, « on nous a volé la victoire ». Des arguments analogues sont un classique des soirs d’élection : outre que les résultats médiocres sont toujours relativisés selon la logique de la pluralité des échelles d’évaluation, ils sont présentés comme l’effet de médias partiaux et mensongers, du calendrier des élections, du temps qu’il a fait, de l’injustice de la loi électorale…
Les maladies, la misère, la mort et autres déboires ne sont à proprement parler ni des échecs ni des défaites, sauf à considérer que tous nos actes s’inscrivent implicitement dans un projet de vivre et même de bien vivre. L’Éthique de Spinoza offre une version très élaborée de cette hypothèse : chaque homme est animé par un désir de persévérer dans l’être toujours menacé par des forces qui s’y opposent. Même celui qui se suicide n’est pas l’auteur de son geste, il est « vaincu par les causes extérieures ». L’anthropologie de la maladie et les études sur la sorcellerie8 connaissent bien une version accusatoire de ce mode de pensée assez répandu pour être considéré comme une constante anthropologique. Il correspond en tout cas à un montage cognitif que sa simplicité rend hautement probable : imputer le mal à une entité dotée d’une intentionnalité est une manière de l’expliquer et offre un contexte favorable à l’intervention humaine en transformant une relation causale obscure en une interaction entre des personnes (ou quasi-personnes) accessibles à des relations d’échange, de crainte… En même temps, la victime se trouve dédouanée de toute responsabilité dans ses déboires.
Le même mécanisme se retrouve dans la désignation d’un bouc émissaire comme explication de désastres collectifs à l’échelle des sociétés. Pour prendre un seul exemple, l’échec de la collectivisation des terres en Union soviétique a été imputé par Staline au sabotage ourdi par les koulaks avec le soutien de puissances étrangères9. D’où la répression implacable qui les frappa. Cela rejoint la figure de la conspiration, également présente dans l’antisémitisme nazi avec la diffusion des Protocoles des sages de Sion, un faux datant des premières années du xxe siècle (et toujours réédité depuis) présenté comme la preuve d’un prétendu « complot judéo-maçonnique »10.
En l’absence même de propagandes popularisant cette thématique, un moment historique marqué par le désarroi, l’incertitude et l’insatisfaction économique d’une large partie de la population explique sans doute, autant que le rôle joué par l’internet, le retour en force du complotisme dans l’opinion publique. Comme dans le cas des imputations de sorcellerie, le succès des rumeurs de ce type a au moins pour effet de désigner un ennemi et d’exalter la sagacité de « ceux qui savent » et ne s’en laissent pas conter. Ne pas être dupes est l’ultime point d’honneur des vaincus.
Penser la défaite : tel était le programme ambitieux de l’ouvrage collectif publié en 2002 sous la direction de Patrick Cabanel et Pierre Laborie, et auquel avait modestement contribué l’auteur de ces lignes. Plusieurs des thèmes ici évoqués y étaient abordés. Décaler la réflexion sur l’étude plus large de l’échec ouvre néanmoins de nouvelles perspectives. Penser l’échec, c’est en effet s’ouvrir aux problématiques contemporaines de la résilience dans ses dimensions à la fois individuelles et collectives. C’est explorer les frontières incertaines entre malheur public d’origine politique et fatalité, malencontre, en prenant en considération le degré de responsabilité des ordonnateurs du destin collectif : Machiavel, dans Le Prince, eut la prudence de subordonner le succès en politique à une rencontre heureuse entre fortune et virtù, conjoncture favorable et qualités d’un grand leader. C’est enfin aborder au niveau existentiel le rôle déstabilisant de l’échec et identifier les ripostes souvent illusoires qu’il suscite. Qui est un adepte assez convaincu de la philosophie stoïcienne pour en toute circonstance « aimer le destin » ?
1 R. Caillois, Les Jeux et les Hommes, Paris, Gallimard, 1967.
2 J’emprunte la notion à l’ouvrage de L. Boltanski et L. Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur (Paris, Gallimard, 1991), qui comporte une analyse précieuse des figures du compromis et de la relativisation (pp. 357-421).
3 G. W. F. Hegel, Introduction à l’esthétique [1835], Paris, Aubier, 1964, p. 46.
4 Ce paragraphe reprend les analyses que j’ai développées dans plusieurs textes, dont « Du martyr à la star. Les métamorphoses des héros nationaux », in P. Centlivres, D. Fabre et F. Zonabend (éds.), La Fabrique des héros, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1998, pp. 11-32 ; « Pourquoi les héros nationaux sont-ils souvent des vaincus ? », in P. Cabanel et P. Laborie, Penser la défaite, Toulouse, Privat, 2002, pp. 21-27.
5 Le terme est pris dans son acception freudienne, équivalente à celle de dénégation. Un exemple simple et parlant de ce processus psychique est la fable de La Fontaine « Le Renard et les Raisins » : « Ils sont trop verts, dit-il… »
6 La théorie de la reconnaissance proposée par Axel Honneth (La Lutte pour la reconnaissance [1992], Paris, Le Cerf, 2002) et la sociologie d’Erving Goffman permettent de comprendre les ravages existentiels du mépris subi et des interactions où l’on « perd la face ».
7 C. Bromberger avec la collaboration de A. Hayot et J.–M. Mariottini, Le Match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1995.
8 Un seul exemple, à la fois bref et lumineux, de ce mode de pensée : l’article de J. Favret et J. Contreras, « Ah ! la féline, la sale voisine », Terrain n° 14, Paris, 1990.
9 Voir la synthèse de N. Werth, Les Grandes Famines soviétiques, Paris, puf, « Que sais-je ? », 2020.
10 L’ouvrage déjà ancien de N. Cohn, Histoire d’un mythe. La « conspiration » juive et les Protocoles des sages de Sion ([1967], Paris, Gallimard, « Folio Histoire », 1992), offre une vision détaillée de la diffusion et des effets de ce faux jusqu’à son utilisation par le nazisme.
A defeat can be military, sporting or electoral. Failure can refer to a medical treatment, business enterprise or marriage. The semantic field of these two terms—defeat and failure—is so vast and so rich in metaphorical associations that the task of giving each term the consistency of a concept is not easy. One way of defining them more clearly is to turn to their uses in common language. The opposite of the failure is success, while the antonym of defeat is victory. These two noun pairs are reflected in the corresponding verb pairs fail/succeed and lose/win. Students fail or succeed in their exams. They do not win or lose. We speak of the failure of a marriage, not of a marital defeat. These examples provide the outlines of a definition of the two terms: failure occurs when the project of an individual or group does not reach a successful conclusion, even in the absence of an adversary working deliberately to sabotage it. By contrast, defeat presupposes that the intention of a person or group has been countered by the intentional action of an adversary. In other words, the alternative outcome of victory/defeat refers to situations that can be formally identified as a zero sum game, i.e. a game where the gains of one player derive from the losses of the others.
This initial clarification gives rise to several observations. First, it would appear that failures are much more common in the life of a human being than defeats: the physical universe and social world are sufficiently resistant to our desires to cause many of our projects to fail, without requiring the malicious action of an enemy. Situations that can be modelled in terms of a zero sum game are mainly conflicts between states, factions or individuals, which the players concerned generally attempt to avoid through principles of law or negotiations. in fact, this model generally concerns games in the common sense of the world (of the type “agon” or competition, in the classification of Roger Caillois1) or jousts, physical confrontations in which violence is constrained by rules—and this is the formula adopted by the institution of sport, with the model of the match. At the same time, the world of sports has created (or adopted?) a different type of contest, in the form of a competition without a direct match, especially in athletics, through the logic of rankings and records. In this framework, there are certainly still winners and losers, but the victorious effort of one participant has no effect on the defeat of the other: each player is competing only against himself/herself. This is also what happens in a competitive examination: the only wrong that the best candidates have done to those who fail is to occupy higher places than them.
So, there are three “ways to lose”—failure, defeat and failure in competition—which are unequally present in our lives and unequally significant in our own eyes but that each cause a sense of pain—from depressive collapse to temporary shame, by way of a narcissistic wound, the ordeal of contempt or a loss of self-confidence
The question now is whether this classification provides a useful contribution to understanding the various forms of non-success and their consequences on those who experience them. Each type of non-success calls for at least two types of reaction: one response is to make practical attempts to correct and/or repair the situation; the other method is to adjust the identification of what happened in ways intended to modify the posture of the players and to guide their strategies for normalizing the situation.. These two types of reaction can vary significantly according to the type of non-success. We can also propose the hypothesis that treating a non-success as a failure, a defeat or a mixture of losses and gains is of varying benefit, in terms of material effectiveness and psychological comfort, depending on the context. The aim of this article is to identify which reactions, faced with the reality of failure situations, can induce specific methods of reparation and open up possibilities for redefinition, subject to strong psychological or anthropological probabilities
- Complexity of situations
Failure—like success—is one of the normal consequences of any enterprise. However, we would never undertake an enterprise if we had no hope of success. The problem is that it is always difficult to measure the chances of attaining what we desire. Do we really have the necessary skills? Do we have sufficient means? Have we correctly assessed the difficulties?
These worries stem from the opacity of reality and the insurmountable limits of the information available to us. This applies equally to a technical solution or to a political or economic programme. A failure can always be attributed to the numerous deterministic factors involved, whereby certain unintended effects (or negative side-effects) disrupted or even destroyed the expected result. A failure may also be caused by various “imponderables”, i.e. interferences between the field of action concerned and independent a priori phenomena (for example an epidemic that thwarts the implementation of an economic policy). So, nobody is immune to the vicissitudes of fortune, caused by factors concealed in the inextricable complexity of the broader context. In such cases, failure may be said to be “down to bad luck” since the course of events is beyond the will and wisdom of the people concerned. Under these conditions, the objective facts can be all too easily be misappropriated to justify a reckless enterprise. At the same time, this type of failure can lead to the definition of possible methods for achieving reparation: precise identification of the error (or malfunction, in the case of a technological system) and the search for partial and localized technical solutions. Despite the remaining uncertainties, this type of reaction contrasts sharply with the dejection that would result from the global view of a disaster.
However, this type of response assumes that the failure is not irreversible, in the sense that it does not prevent renewed attempts. A change of approach can often be adopted to provide new ways of attaining the defined goal. This proposition can be illustrated by the history of space exploration. This history is punctuated both by glorious episodes and disastrous failures, such as the explosion of a Space Shuttle during launch: these failures did not result in the abandonment of further attempts and did not nullify the entire principle of space programmes. The same is true for localized military setbacks and lost battles that do not affect the outcome of the war (or of another future war). The damage may be severe, but resources—such as technological innovation, tactical adjustments etc.—are available to improve the situation or to restore the upper hand. In these cases, tenacity is a virtue, as long as it does not become the blind obstinacy of resorting continually to the same discredited formulas.
The above observations correspond to rational methods of explaining a failure and facing up to it through attempts to redress the situation. A failure overcome is not a pure success, but it can restore confidence in the ability of people to successfully complete an enterprise, even if this means lowering the over-ambitious original goals. We should perhaps draw the conclusion that the strict alternative of failure or success does not reflect the reality of human action. We will now examine other aspects of this necessary relativization of failure.
- Relative failures and multiple evaluations
“Every cloud has a silver lining”. This adage is both a realistic observation and a teleological optimism that is perhaps excessive. One thing is certain: it is difficult to define a situation in clear-cut terms of failure and success for at least two reasons—first, because this evaluation is only possible in the light of more or less long-term consequences, and second, because we can draw on several different value systems that can imply contradictory categorizations.
The nuances introduced by these two considerations, in combination or separately, have long nourished the sapiential traditions of proverb and fable. The proverbial expression “He who laughs last laughs longest” is a warning against over-hasty judgements regarding the outcome of a contest: it is impossible to decide the winner until the end. The reed in the fable replies to the oak, which glorifies in its own strength in resisting past and future storms: “But let’s wait until the end”. There are also “Pyrrhic” victories, which are sufficiently costly to durably weaken the victor and expose it to dangerous setbacks. There are also illusory successes, to the extent that they are not lasting and not reflective of any genuine superiority: we can think of “successful” celebrities in the world of popular entertainment, where ephemeral careers often amount to failure.
The plurality of systems of value, correlated to the plurality of forms of worth2 provide more complex criteria of evaluation. In this case, the aim is to recognize degrees of success by identifying the registers in which success is obtained. For example, we can talk of a work of art (such as a film or novel) as being a “critical success”, if it is praised by the critics but shunned by the general public. A semi-success of this nature could also be described as a semi-failure.
In general, the extent of a person’s “success” is measured in consideration of the unequal legitimacy of the registers of excellence, and this hierarchy is itself variable according to the social group that promotes it. Hegel reports the following anecdote in his Aesthetics: “A man who had learned to throw lentils through a small opening without missing […] displayed this trick before Alexander, but Alexander presented him with a bushel of lentils as a reward for this useless and meaningless art”3. So, there are derisory successes, which, measured in their true value, reflect nothing but the vacuity of a misdirected life, in other words failures that could even be qualified as existential failures.
The relativization strategies discussed above—consideration of the plurality of criteria of success—can again be found in the differing judgements on the figure of the martyr, in the sense of a person persecuted for his or her faithfulness to an ideal, religious conviction or political commitment. From the point of view of the persecutor, martyrdom is seen as a failure or defeat. After all, the physical elimination of an adversary is a means of weakening the cause that he or she defends, and a policy of terror can produce the intended effects. Again, from the point of view of the persecutor, martyrs do not exist, only rebels or terrorists whose struggle is devoid of any merit.
Things are very different when viewed from the camp of the martyr. Here, the martyr is seen as a hero who has won a double victory, first against his or her persecutors, who were unable to subject the martyr to their will (in the case of a Christian martyr who has not sacrificed to idols or recognized the divinity of an emperor), and second against the self, by surpassing the condition of a mere mortal subject to the servitudes of the flesh and instead obeying the law of God, or other transcendent principle, over the law of men. So, the death of the martyr is in no way a defeat but can be seen as a moral victory for a higher value system than that of the executioners.
Finally, when viewed in the long term, martyrs wins a third victory, if the exemplarity of their conduct reinforces the camp of the persecuted through new conversions. So, it is no mere rhetorical artifice that Christian martyrs are depicted with the palm of victory and are described as “soldiers” and “athletes” of God. However, this reversal only has meaning for the religious or political group that shares the values promoted by the martyr and that perpetuates the memory of this historic sacrifice. Even the word “martyr” forms part of the internal language of a collective group that is demarcated from others and is still a present force. For example, because the Cathars have long ceased to exist, historians speak of the Cathars who were burnt at the stake by the Inquisition as “victims”, and only rarely as “martyrs. In whose eyes would their death be deemed a victory?4
The example of martyrs, with the reversal of definitions that they inspire, brings us closer to the cases that remain to be examined: the denial5 of unsuccessfulness and the shift from the observed fact of failure to the conflictual logic of defeat.
- Putting a new spin on failure
The experience of failure, of whatever nature, often has a seemingly disproportionate effect on the self-esteem of the person concerned6. The cook who makes a hash of a party dish, the booed actor, the entrepreneur forced into bankruptcy and the jilted lover are at first sight confronted with frustrations of unequal significance. However, each of these cases brings a risk of seeing cracks appear in a social recognition that had previously seemed to be permanently established. This has an immediate effect on how the persons concerned perceive their own talent, especially if they recognize that they themselves are responsible for their disappointments. Repeated failures in professional, affective and other walks of life increase the probability of devastating self-examinations that can lead to the notion that “my life is a failure”. So, it is understandable that there is a strong temptation to redefine the situation in order to limit our own share of responsibility. A first ruse is to attribute our discomfitures to an implacable and almost cosmic “adversity”: “the world is against us”, “the world is unfair” etc. However, we cannot build up our self-esteem by posing as the victims of relentless destiny: to be an object of pity is not the most self-enhancing form of recognition. A much more effective strategy is to transform failure into unmerited defeat, in other words to attribute it to the malice of an adversary invented for the occasion. There are two benefits to this tactic: first, the identification of someone else as responsible for our misfortunes opens the prospects for corrective action; second, it is easy to attribute the worst turpitudes to this evil being in order to highlight the injustice of our fate.
These two strategies of reassurance can in fat be combined. For example, in his ethnology of the football match7, Christian Bromberger emphasizes that in this sport where luck and the hazards of the referee’s decisions play a major role, a defeat is always debatable and is debated ad infinitum by the supporters. The match is “played back” in words, invoking bad luck (“we did everything but score”) and the mistakes—or even bias—of the referee. In short, our side did not lose, but “was robbed of victory”. Similar arguments are classic fodder on election nights: not only are mediocre results always relativized according to the logic of different scales of evaluation, but they are also presented as the effect of media bias and lies, the timing of the elections, the weather and the unfairness of election laws.
Strictly speaking, disease, poverty, death and other misfortunes are neither failures not defeats, unless we consider that all our actions are part of a project to live and even to live well. The Ethics of Spinoza offers a very elaborate version of this hypothesis: every man is animated by a desire to persist in his being, which is constantly threatened by opposing forces. Even the suicide is not the author of his or her act but is “vanquished by external causes”. The anthropology of sickness and studies of witchcraft8 are very familiar with an accusatory version of this way of thinking, which is sufficiently widespread to be considered an anthropological constant. Whatever the case, it corresponds to a cognitive construct that its simplicity renders highly probable: attributing evil to an entity endowed with intentionality is one way of explaining evil and provides a context favourable to human action, by transforming an obscure causal reaction into an interaction between persons (or quasi-persons) who are accessible to relations of exchange, fear etc. At the same time, the victim is discharged of any responsibility for his or her misfortunes.
The same mechanism can be found in the designation of a scapegoat as the explanation for collective disasters at the scale of societies. To quote just one example, the failure of land collectivization in the Soviet Union was blamed by Stalin on sabotage by Kulaks with the support of foreign powers9. This provided a reason for their implacable repression. This type of thinking culminates in the recourse to conspiracy theories, which can also be seen in the antisemitism of the Nazis, with the distribution of the Protocols of the Elders of Zion, a forgery dating from the early years of the 20th century (and still republished ever since), presented as the proof of a “Judeo-Masonic conspiracy”10.
Even in the absence of propaganda popularizing this subject, the present historic moment, characterized by disarray, uncertainty and the economic discontent of a large proportion of the population, compounded by the role of internet, is without doubt one of the reasons for the resurgence of conspiracy theories in public opinion.. As in the case of accusations of witchcraft, the success of rumours of this type has at least the effect of designating an enemy and exalting the wisdom of “those who know” and refuse to be duped. Not being fooled is the ultimate honour for the defeated.
Penser la défaite (Thinking out defeat) was the ambitious programme of the collective work published in 2002 under the direction of Patrick Cabanel and Pierre Laborie, to which the author of this article made a modest contribution. Several of the themes raised in the present article were already examined in this work. Nevertheless, extending the subject of defeat to the broader study of failure can provide new perspectives. Examining the thinking of failure can provide insights into the contemporary problems of resilience in both its individual and collective dimensions. This research involves exploring the uncertain frontiers between public misfortune of political origin, fate and bad luck, while also considering the degree of responsibility of those in charge of public destiny: Machiavelli, in The Prince, had the prudence to subordinate success in politics to a confluence of good fortune, virtú, a favourable economic situation and the qualities of a great leader. Ultimately, this amounts to tackling the destabilizing role of failure at the existential level and identifying the often illusory responses that failure provokes. After all, who is a sufficiently convinced adept of Stoic philosophy to “love fate” in every circumstance?
1 R. Caillois, Les Jeux et les Hommes (Man, Play and Games) Paris, Gallimard, 1967 (ISBN 0029052009).
2 I am borrowing here from the notion in the work of L. Boltanski and L. Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur (On Justification: Economies of Worth), which provides a valuable analysis of the figures of compromise and relativization (pp. 357–421 in the French edition, Paris, Gallimard 1991).
3 G. W. F. Hegel, Introduction to Aesthetics
4 This paragraph summarizes the analyses that I have developed in several other texts, including “Du martyr à la star. Les métamorphoses des héros nationaux » (From martyr to star: The metamorphoses of national heroes), in P. Centlivres, D. Fabre et F. Zonabend (éds.), La Fabrique des héros, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1998, pp. 11-32 ; « Pourquoi les héros nationaux sont-ils souvent des vaincus ? » (Why are national heroes often figures of defeat?) », in P. Cabanel et P. Laborie, Penser la défaite, Toulouse, Privat, 2002, pp. 21-27.
5 The term is taken in its Freudian sense, equivalent to abnegation. One simple example of this psychological process is the fable of the “Fox and the Grapes”: “Oh, you aren’t even ripe yet! I don’t need any sour grapes…”
6 The theory of recognition proposed by Axel Honneth (The Struggle for Recognition and the sociology of Erving Goffman help us to understand the existential ravages of being an object contempt and of interactions in which we “lose face”.
7 C. Bromberger with the collaboration of A. Hayot and J.-M. Mariottini, Le Match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, (Ethnology of a Partisan Passion in Marseille, Naples and Turin) Paris, Maison des sciences de l’homme, 1995.
8 As a single short and illuminating example of this way of thinking, see the article by J. Favret and J. Contreras, “Ah ! la féline, la sale voisine”, Terrain No. 14, Paris, 1990.
9 See the summary by N. Werth, Les Grandes Famines soviétiques, Paris, PUF, “Que sais-je ?” 2020
10 The work by N. Cohn, Warrant for Genocide: The Myth of the Jewish World-Conspiracy and the Protocols of the Elders of Zion, first published in 1966, offers a detailed vision of the spread and effects of this forgery, up to its utilization by Nazism.