N°44 | La beauté

Bernard Fall
Rue sans joie
Indochine (1946-1962)
Paris, Les Belles Lettres, 2019
Bernard Fall, Rue sans joie, Les Belles Lettres

Reprise de l’édition « J’ai lu » de 1965, cette publication est agrémentée d’une courte mais intéressante préface inédite d’Hervé Gaymard, auteur d’une biographie de Bernard Fall aux éditions des Équateurs (2019). Il y revient sur la vie de l’auteur. Né à Vienne en 1926, Fall est élevé et éduqué en France. Son père, résistant, est déporté en 1943, tout comme sa mère, en tant qu’otage. Il s’engage alors dans le maquis de Savoie, puis fait les dernières campagnes de la guerre dans l’armée régulière. Il y reste jusqu’en 1946 et travaille ensuite comme traducteur et analyste au procès de Nuremberg. Naturalisé français en 1948, après des études à l’université de Munich et à Paris, il reçoit en 1951 une bourse pour étudier aux États-Unis. Un an plus tard, il décide, un peu par hasard, de se spécialiser sur l’Indochine et il y voyage, à ses propres frais, dès 1953. Au fil des années, il passe énormément de temps sur place. Il ne dialogue pas seulement avec les officiers supérieurs, mais partage également la vie du simple soldat, ce qui le rend très critique à l’égard de tous ceux qui écrivent sur la guerre d’Indochine sans l’avoir vécue. Il meurt en 1967 dans la « Rue sans joie », bande de terre entre mer et montagnes de l’Annam, théâtre de l’un des principaux chapitres du livre recensé ici, et qui lui a donné son titre.

Pour écrire Rue sans joie, Bernard Fall a accès à certaines archives du corps expéditionnaire français. Chercheur de terrain, ni militaire ni journaliste, il décrit aussi bien la vie du soldat moyen et ses préoccupations que les considérations tactiques de niveau section et compagnie ou, quelques pages plus loin, et avec autant de détails, les considérations stratégiques. Dans cet essai, il revient d’abord sur les origines du conflit, puis consacre deux longs chapitres à « la recherche éperdue de la bataille rangée où le sort de toute la guerre se jouerait à va banque, [recherche qui] devint une véritable obsession des commandants en chef qui allaient se succéder en Indochine jusqu’à la fin de la guerre ». On y retrouve notamment des analyses du désastre de la rc-4, des opérations lancées par le général de Lattre, ou encore de l’opération « Lorraine ». Plus loin, un chapitre est dédié aux affrontements dans la « Rue sans joie » et un autre décrit avec force détails les combats du groupement mobile 100 jusqu’à sa destruction complète en 1954. L’avant, dernière partie revient sur la bataille de Dien Bien Phu. Fall s’y concentre sur une critique en règle du livre de Jules Roy consacré à cette bataille et estime que son histoire doit être « repensée ». Les dernières pages de l’essai sont consacrées à une première analyse de la « deuxième guerre d’Indochine », celle des Américains. L’auteur alterne ces chapitres analytiques avec des parties de « journal » consacrées à une opération de ratissage vécue au sein d’une section, à des portraits de femmes ou de chefs militaires dans la guerre, à la Légion…

Au final, on peut regretter que, préface mise à part, cette édition n’ait bénéficié d’aucun apport par rapport à celle de 1965. On aurait par exemple beaucoup apprécié que les cartes, peu lisibles, soient retravaillées, que l’index soit amélioré et, surtout, qu’un véritable appareil critique accompagne ce volume. Cependant, cette réédition est la bienvenue car cet essai de Bernard Fall conserve aujourd’hui tout son intérêt d’analyse au scalpel de la guerre d’Indochine et demeure une lecture passionnante.


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