Le terrorisme est aussi ancien que les sociétés humaines. Ainsi, dès le ier siècle de notre ère, l’Empire romain était confronté aux zélotes, qui attaquaient au couteau les citoyens sur les marchés en revendiquant à la fois leur indépendance et la libre pratique de leur religion. Plus tard, la secte des assassins, branche armée du mouvement ismaélien (courant minoritaire de l’islam chiite) établie au Moyen-Orient autour de l’an Mille, combinait prosélytisme traditionnaliste et assassinats politiques. Et plus récemment, Ravachol et Auguste Vaillant traumatisaient le peuple français au moyen de marmites chargées de dynamite et de clous1. En cette fin de xixe siècle, des journaux anarchistes publiaient même le guide pratique de fabrication d’engins explosifs, précurseurs du terrorisme 2.0… À travers les siècles, le terrorisme incarne une même violence organisée, mue par un projet de société à la fois politique et idéologique.
Si au regard de l’Histoire le terrorisme islamiste n’est pas nouveau, il bénéficie cependant d’opportunités liées à la numérisation et à la mondialisation. Les flux d’informations sont désormais continus, instantanés et affranchis de toute frontière. Les outils de communication et leurs plateformes (blogs, tweets, Facebook, YouTube…) permettent d’atteindre « virtuellement » tout point du globe, toute opinion publique, tout individu… Et l’État islamique (ei) en possède la maîtrise.
Impliquée par ses autorités politiques dans une « guerre contre le terrorisme »2, notre société connectée, perméable et meurtrie est face à une menace multiforme tant intérieure qu’extérieure. Mais celle-ci ne semble pouvoir se combattre sur le seul terrain du Levant ou dans les rues de nos villes. Cet adversaire survit aux assauts lancés contre ses sanctuaires en continuant à générer de nouvelles cellules jusque sur notre sol national. Le champ de bataille ne devrait-il pas par conséquent être élargi au milieu immatériel ? En effet, la force de notre ennemi repose sur l’effet de la terreur qu’il propage, dans des sociétés en mal de résilience3. Or la communication, l’influence, l’information, les valeurs et les forces morales sont autant d’armes que les armées pourraient combiner pour le vaincre. En établissant ainsi la dimension dialectique d’une véritable stratégie, par l’affrontement de la volonté ennemie sur son terrain d’expression, nous pourrions atteindre la tête principale de l’hydre de Mossoul.
- Définir la guerre
La question initiale est de comprendre la volonté de notre ennemi avant de définir la stratégie à lui opposer. En première approche, le terrorisme islamiste répond aux critères classiques d’usage d’une violence politique ayant pour dessein d’établir le califat (unification du pouvoir politique et religieux). Il affiche en outre une motivation idéologique, celle d’unifier l’Oumma (communauté musulmane) sous la bannière d’un islam rigoriste mais accessible à tous4. Nous pouvons lui reconnaître deux originalités : sa rapidité d’expansion et son ambition transnationale. Toutes deux s’expliquent en partie par une véritable industrie de propagande, qui diffuse son venin dans les artères numériques de nos sociétés interconnectées en ciblant des individus intellectuellement réceptifs et moralement désarmés. Le recrutement et la formation de jeunes « soldats » du califat s’opèrent virtuellement, en quelques mois, par un processus de séduction puis de soumission psychologique… Cette stratégie subversive s’affranchit de toute frontière et permet de toucher l’ennemi en son sein.
- Une réponse de temps de paix
Quelle stratégie opposer ? La réponse en France est double, à la fois judiciaire et sécuritaire. En effet, l’engagement des forces armées sur le territoire national (tn) ne correspond pas à un « conflit armé » au sens juridique ; il est donc régi par le droit commun, au travers du Code pénal5. À cet égard, plusieurs lois ont récemment renforcé les dispositions constitutionnelles et juridiques de 1955 et 1996 de la « lutte antiterroriste »6. De plus, des lois successives prorogent l’« état d’urgence » depuis novembre 2015, ce qui procure à l’autorité administrative un transfert de prérogatives spéciales (élargissement des perquisitions administratives et interdiction d’associations incitant au terrorisme)7. Cet état d’urgence appuie la reconnaissance de lege d’une crise sécuritaire grave et non d’une guerre, car elle n’implique pas de délégation de pouvoir de police pour les armées (contrairement à l’état de siège)8. Cependant, face à un ennemi transnational qui commet des actes de guerre sur son territoire, le pouvoir politique français engage ses armées tant dans des opérations extérieures qu’intérieures, dans le cadre du continuum sécurité-défense exprimé dans les Livres blancs de 2008 et 2013. Cette projection des forces armées sur le tn a-t-elle une vocation stratégique ?
- De l’exceptionnel au permanent
L’engagement des armées sur le tn est ancien, mais est longtemps resté un choix politique « exceptionnel » face à une menace intérieure. Ainsi, ce n’est qu’en 1986, après des attentats liés à la crise libanaise, que deux mille militaires sont déployés pour la première fois en métropole. Mais ensuite, entre 1991 et 2014, le plan Vigipirate va progressivement pérenniser l’implication des armées dans la lutte antiterroriste. D’abord utilisées en réaction après chaque attentat survenu en France (1995, 1996, 2012) ou dans le monde occidental (2001, 2004, 2005), elles deviennent en 2014 des forces primo-intervenantes, par nécessité (elles sont les seules à pouvoir déployer des moyens adaptés et suffisants pour remplir cette mission sans délai) et selon une logique de milieu. La fonction protection prend alors une dimension stratégique sous forme de postures permanentes de sécurité aérienne et de sauvegarde maritime (pps), qui incluent des capacités tant de surveillance que de contre-terrorisme.
- La posture terrestre, une opération duale
Dans l’espace terrestre, la défense demeure a contrario un acteur de second rang, en appui des forces de sécurité intérieure. L’armée de terre n’intervient que dans le cadre de réquisitions émises par l’autorité administrative auprès de l’autorité militaire zonale. Mais début 2015, avec le déclenchement du plan tn 10 000 et de l’opération Sentinelle, l’engagement change d’échelle et le territoire national devient le premier théâtre d’opérations pour l’armée de terre. 105 % de la force opérationnelle terrestre (fot) y est ainsi engagée en un an. La notion de « posture de protection terrestre » remplace désormais celle de « projection sur le tn »9. Ainsi, pour s’opposer à une action sur son sol, le pouvoir politique a fait le choix d’une opération duale, en pérennisant une posture militaire défensive « sanctuarisée » en appui des forces de sécurité intérieure, majoritairement civiles. Le risque est de « fixer »10 nos armées dans nos frontières, sans empêcher l’ennemi de s’infiltrer « virtuellement » ou « physiquement ». Ce choix de stratégie est-il réellement capable de contraindre la volonté ennemie ?
- Le syndrome Maginot
Lorsque les armées allemandes franchissent les Ardennes à Sedan en mai 1940, ce ne sont pas les blindés de Guderian qui percent en premier. Ce sont des « groupes francs » de quelques dizaines d’hommes, éléments de reconnaissance du génie, qui arrivent à semer la panique sur nos arrières. Si aucun attentat ne s’est produit depuis 2015 sur les sites surveillés par les armées, hormis les attaques de Nice, Valence, du Louvre et d’Orly contre des patrouilles utilisées tels des « paratonnerres », la ligne Sentinelle a pourtant été, elle aussi, contournée par l’ennemi en novembre 2015 à Paris. Un « groupe franc » de trois équipes de trois hommes a ainsi infligé à la France les plus lourdes pertes dues à une action terroriste de son histoire. Au-delà de l’insuffisance du partage interministériel du renseignement, de l’absence d’unicité de commandement des forces déployées, du manque de « territorialité » militaire (vingt-cinq départements sont des « déserts militaires »), le déploiement de sept mille soldats dans nos villes et en « terrain libre », avec l’opération Minerve, paraît stratégiquement insuffisant pour empêcher le retour d’actions de guerre sur le tn…
- Changer de champ de bataille
À la fois forces de dissuasion, de protection de sites sensibles et de réaction rapide en cas de périple meurtrier, les patrouilles de l’opération Sentinelle sont vouées à un rôle passif, laissant la fonction d’anticipation aux services du renseignement intérieur – direction générale de la sécurité intérieure (dgsi), direction centrale du renseignement territorial (dcrt), groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (gign)… – et, de facto, abandonnant l’initiative à un ennemi qu’elles ne peuvent rencontrer qu’en combat d’opportunité ! En effet, sans capacité de renseignement propre opérant sur le territoire national11, les forces armées sont dépendantes des forces de sécurité intérieure. Or celles-ci sont couvertes par le sceau du secret de l’instruction judiciaire, qui prévaut dans le cadre de la lutte antiterroriste. Écartée du « besoin d’en connaître », la défense nationale est donc sans réelle autonomie de décision sur le champ de bataille qui lui a été imposé. Néanmoins, les armées peuvent encore saisir certaines opportunités pour orienter leurs efforts vers une mission essentielle : contribuer à la résilience de la nation12.
- Le champ des perceptions
Si elles ne maîtrisent pas plus les frontières nationales, ouvertes à la libre circulation des biens et des personnes, que le cyberespace, qui véhicule un flux incontrôlable d’informations, les forces armées opèrent une action « immatérielle » salvatrice, celle d’agir sur la perception de la menace. En patrouillant préventivement dans les rues, en se portant sur les lieux d’une attaque, en renforçant leur présence après une action terroriste, les armées rassurent la population. Elles contrent ainsi l’effet dévastateur de la terreur sur les consciences individuelles et les opinions publiques. Cependant, pour atteindre le centre de gravité ennemi, cette opération doit être exploitée afin de ne pas être jugée contre-productive. En effet, le déploiement permanent de militaires pourrait être perçu comme un usage banal de la force armée et décrédibiliser leur action, surtout s’il n’empêche pas de nouvelles tueries. La perception évolue avec le temps et pourrait jouer en défaveur de l’opération Sentinelle, même si une communication active sur les succès obtenus permet d’en ralentir l’échéance.
- L’usage de l’information
Si des numéros de téléphone et des sites Internet sont mis à la disposition de chacun pour signaler un colis jugé suspect, en revanche, en amont, les signes de décèlement d’une menace ou les réactions en cas d’attaque sont très inégalement connus au sein de la population. Pourtant, d’autres pays parviennent à couvrir l’ensemble du spectre grâce à l’information produite par leur armée. Depuis 2013 par exemple, un sms est envoyé aux résidents israéliens d’une zone menacée par une attaque sur demande du commandement du front intérieur, l’un des piliers du ministère de la Défense13. En parallèle, des sirènes diffusent l’alerte. Les militaires israéliens se rendent également dans les lieux publics pour former les citoyens aux gestes de secours pour un blessé de guerre14. Une information « proactive » peut donc participer à la résilience de la nation et les armées pourraient en être le moteur en France, en combinant les initiatives décentralisées des brigades de sapeurs-pompiers, du service de santé des armées et des unités de sécurité civile. La diffusion de l’information pourrait en outre atteindre tout citoyen par le biais des opérateurs de téléphonie, mais aussi des réseaux sociaux. Une doctrine visant à coordonner ces différents vecteurs d’information pourrait ainsi être définie et conduite depuis un état-major interministériel unifiant des structures existantes15.
- Jeunesse et esprit de défense
Pour provoquer une prise de conscience de l’ensemble de la jeunesse autour des enjeux de défense et de sécurité, la journée défense et citoyenneté (jdc) constitue une véritable opportunité à exploiter. L’objectif serait de faire du jeune adulte, à un moment décisif de son parcours citoyen, averti des menaces et en mesure de s’en protéger, un acteur majeur de la résilience nationale. Transformée en journée d’information et d’orientation, elle serait suivie de préparations militaires, qui n’initieraient plus des volontaires au saut en parachute ou aux techniques de camouflage en forêt, mais formeraient les jeunes citoyens à des actes élémentaires comme le secourisme au combat, l’extraction d’un blessé en zone de danger, la protection face à un individu armé, la détection d’un colis piégé, l’application de procédures nucléaires radiologiques bactériologiques chimiques (nrbc)... tout en leur permettant d’adhérer naturellement à l’esprit de défense. Une telle action permettrait d’avoir une jeunesse « renforcée », partout présente.
- L’enjeu des forces morales
La préparation morale est un préalable à la résilience d’une nation. En cela, le renforcement de l’emploi de la réserve opérationnelle par les dispositions de la loi du 28 juillet 2016, qui permet d’en augmenter le volume, la disponibilité et l’attractivité, est un atout. L’objectif opératif est d’engager cette réserve dans Sentinelle, afin de remplacer une partie de l’effectif professionnel qui manque de temps de préparation opérationnelle. Néanmoins, c’est au sein de leurs administrations ou entreprises que ces réservistes pourraient devenir le meilleur vecteur de forces morales. Ceux sélectionnés comme « référents défense » organiseraient pour leur entourage professionnel des séances d’information sur les menaces et les mesures pour s’y opposer. Par leur exemple, ils incitent déjà à participer à la cause nationale, mais ils pourraient développer aussi, de cette façon, le renforcement moral de la nation. Cette double mission est à coordonner avec l’action de la réserve citoyenne, dont les effets combinés pourraient être démultipliés. De plus, les autorités politiques pourraient récompenser les entreprises les plus impliquées dans la résilience du pays. Si l’intégration des réserves interministérielles dans une garde nationale a surtout une portée symbolique, la préservation des forces morales est un enjeu vital.
- Pour vaincre, porter la peur dans le camp adverse
Une fois la résilience raffermie, comment vaincre cet ennemi qui n’a pas le même rapport à la mort que nous, qui la valorise alors que nous la fuyons ? Son arme principale est la peur, celle engendrée par les kamikazes et les bourreaux, et par laquelle il parvient à soumettre des peuples alors même que ces derniers lui opposent des forces armées supérieures16. Sur notre territoire national, la mission à mener est différente dans la lettre, mais similaire dans l’esprit. Contrairement aux pays du Proche-Orient17, nous ne sommes pas engagés dans un conflit armé sur notre sol. Le champ de bataille est donc tout autre. Pour protéger la nation, tant défensivement en accompagnant la société dans la constitution de sa propre résilience, qu’offensivement, les armées possèdent certaines capacités dont les effets « immatériels » pourraient contraindre puis décourager la volonté ennemie.
- Encadrement et influence
Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (rgpp) engagée en 2007, nombre de régiments ont été dissous ou regroupés autour de bases de défense (bdd). Cette réduction du maillage territorial a eu pour conséquence de diminuer, encore plus que ne l’avait fait la suspension du service national en 1996, l’ancrage de la Défense au sein de la population. Pour renforcer le lien armée-nation et conforter l’adhésion aux valeurs de la république, une bataille d’« influence » est engagée, dont l’enjeu est cette part de notre population en situation précaire, perméable aux idées de communautarisme et de rejet de la société. Si les services militaires adaptés (sma) et les services militaires volontaires (smv) sont avant tout des dispositifs d’insertion sociale, ils permettent aussi d’encadrer une jeunesse désœuvrée18. Par une discipline quotidienne, ces jeunes adultes assimilent les règles de vie en société, les valeurs nationales et l’esprit de défense. Ils ne sont donc plus « disponibles » pour l’ennemi. Il en va de même dans les établissements pour l’insertion dans l’emploi (epide), ouverts aux jeunes sans diplôme. Pour aller plus loin, une opération d’influence pourrait avoir pour cible les mille trois cents quartiers de la politique de la ville (qpv)19...
- Actions psychologiques
Pour paralyser l’ennemi dans ses actions, les armées possèdent des outils technologiques dans la sphère du cyberespace que le pouvoir politique se dit enclin à employer. Ces derniers, comme l’interception ou le brouillage20, ont fait leur preuve dans les opérations extérieures. Leur emploi est conditionné par une réquisition de l’autorité administrative et nécessite un arbitrage entre ministères pour en fixer l’usage sur le tn afin qu’il ne se fasse pas au détriment des opérations militaires menées à l’étranger. Toutefois, les effets de l’« arme cyber » pourraient encore être augmentés par des actions de lutte psychologique. S’il est prêt à se sacrifier sur l’autel de son idéologie, il n’est pas certain que l’ennemi accepte sans faillir d’être géolocalisé, que ses communications soient infiltrées et son message détourné… Ne lui concéder aucun répit peut permettre de lui ôter la volonté de poursuivre son projet, du moins sur le territoire où il est fortement restreint dans sa liberté d’action. Nombre de terroristes sont ainsi découragés puis « retournés » en opérations extérieures. Il s’agit bien ici d’un affrontement de volontés, qui use de la force sur le champ de bataille immatériel. L’objectif stratégique deviendrait la désintégration morale de l’adversaire, mais cela demande d’aller au-delà de la lutte informatique offensive (lio), qui n’a pas officiellement cette fonction et que les armées n’exploitent pas encore sur le tn.
- Placer les valeurs au cœur du combat
La rhétorique islamiste actuelle est un « prêt à croire » idéologique présenté sous une offre individualisée. Afin d’être attractif, le détournement de films et de jeux vidéo, ainsi que l’usage de messages subliminaux, sont courants auprès de la jeunesse. Le mentor brise ainsi les repères de sa recrue, l’apeure et lui offre, dans la radicalisation, une bulle protectrice, par « l’exclusion de tous ceux qui ne sont pas comme lui »21. Ce mécanisme de soumission peut être brisé par l’adhésion de l’individu à une communauté de destin avec sa société. À l’heure où l’individualisation des comportements est érigée en modèle par notre société de consommation, qui recherche un bonheur immédiat, les armées parviennent à préserver d’autres valeurs en leur sein. Devoir moral, fraternité d’âme, cohésion, discipline, exemplarité sont en effet au cœur du référentiel humain militaire. Au même titre que le partage de savoir-faire s’opère déjà entre des formations militaires et civiles (des unités du Samu sont ainsi formées au secourisme au combat), le « savoir-être » pourrait faire l’objet de la même démarche, en complément des actions de rayonnement engagées auprès des élites. C’est à ce prix que les forces armées resteront l’ultima ratio regum et susciteront l’implication de toute la nation dans sa propre résilience.
- Vaincre l’hydre
L’hydre de Lerne était une créature monstrueuse de la mythologie grecque vivant dans les marais du Péloponnèse. Exhalant un poison mortel, elle terrorisait les habitants d’Argos et décimait leurs troupeaux. Dotée d’un corps de chien, elle possédait neuf têtes, dont l’une immortelle. Hercule fut chargé par Eurysthée de la tuer, au titre du deuxième de ses douze travaux. Il parvint à la faire sortir de son repaire, mais chaque fois qu’il coupait l’une de ses têtes, deux repoussaient à la place. Hercule réussit finalement à vaincre l’hydre grâce à son neveu Iolaos, qui lui fournit des branches enflammées afin de cautériser les blessures du monstre et empêcher que les têtes ne repoussent. Hercule trancha finalement la tête principale qu’il enterra sous un rocher...
Définir une stratégie est essentiel. Accepter d’affronter l’ennemi n’est pas suffisant, il faut identifier son centre de gravité pour contraindre définitivement sa volonté. En combattant le terrorisme sur le champ de bataille immatériel, il s’agit de lui ôter sa source de puissance. Détruire ses sanctuaires et atteindre ses canaux de communication, c’est infliger à l’ennemi des coups sévères. Mais pour atteindre sa tête principale, il faut définir un but stratégique clair. Pour cela, nous pourrions revenir à la définition donnée par le général Beaufre : obtenir la désintégration morale de l’adversaire22. Les armées y contribueraient, en changeant la peur de camp et en accompagnant la société vers l’assurance de sa propre résilience. C’est ainsi que le coup fatal pourra être porté à l’hydre du terrorisme islamiste.
- Conclusion
Vaincre le terrorisme d’obédience islamiste demande la définition d’une stratégie claire. La volonté de notre ennemi, qui s’appuie à la fois sur les forces et les faiblesses de notre société moderne pour mieux l’atteindre, ne peut être contrainte qu’en lui ôtant sa capacité subversive et en renforçant la résilience de notre propre nation. Les forces armées ont le pouvoir d’y contribuer en réorientant leurs efforts et en impliquant l’ensemble des citoyens dans ce projet. Le combat sur le champ de bataille immatériel est donc essentiel, mais il exige une détermination politique sans faille. La remise en cause des motivations individualistes et hédonistes, la défense de nos valeurs nationales et le renforcement de nos forces morales constituent des conditions décisives pour parvenir à vaincre notre adversaire. Si l’état final recherché de notre stratégie est la sécurité de la population sur notre territoire, il nécessite de remplir un objectif : la désintégration morale de notre ennemi.
L’idée du citoyen-soldat, acteur de la défense de la Cité, est une notion antique. Thucydide énonçait déjà que « la défense d’une cité se mesure non à l’épaisseur de ses murailles, mais à la résolution de ses défenseurs »23. Cependant, l’implication de tous dans la Défense doit être pondérée, car la prise de décision concernant les orientations stratégiques doit rester dans les mains des seuls grands décideurs politiques, éclairés par le conseil des hautes autorités militaires. Dans le cas contraire, les limites inhérentes à une « démocratisation » totale de la sécurité collective seraient atteintes, comme l’illustre le système politique suisse24.
1 A. Blin et G. Chaliand, Histoire du terrorisme de l’Antiquité à Daesh, Paris, Fayard, 2015.
2 Discours de François Hollande devant le Congrès, Versailles, 16 novembre 2015.
3 « Volonté et capacité d’un pays, de la société ou des pouvoirs publics à résister aux conséquences d’une agression ou d’une catastrophe majeures, puis à rétablir rapidement leur capacité de fonctionner normalement, ou à tout le moins dans un mode socialement acceptable » (définition du Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, 2013).
4 A. Blin et G. Chaliand, op.cit..
5 É. Tenenbaum, « La Sentinelle égarée ? L’armée de terre face au terrorisme », Focus stratégique n° 68, 2016.
6 La loi du 13 novembre 2014 condamne, entre autres mesures, de prison ferme l’apologie du terrorisme et interdit l’hébergement sur Internet des sites y concourant.
7 Source : gouvernement.fr.
8 Constitution de la Ve République du 4 octobre 1956, article 36.
9 Rapport du ministère de la Défense au Parlement sur les « Conditions d’emploi des armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population », mars 2016.
10 « Mission visant à empêcher l’ennemi de déplacer une partie de ses forces à partir d’un endroit donné et/ou pendant une période déterminée en le retenant ou en l’encerclant pour qu’il ne puisse se replier et mener des opérations ailleurs », tta 106.
11 La direction du renseignement militaire (drm) n’a aucune prérogative sur le territoire national et la direction du renseignement pour la sécurité de la défense (drsd) se focalise sur les menaces pesant sur le ministère de la Défense ou émanant de personnels lui appartenant ou lui ayant appartenu.
12 Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale, 2013.
13 En France, pour l’Euro de football 2016, le ministère de l’Intérieur a lancé une application sur smartphone appelée saip (système d’alerte et d’information des populations). Cependant, le 14 juillet 2016, l’alerte n’a été déclenchée que deux heures après la tuerie de Nice.
15 L’état-major interministériel de zone (emiz), chargé du commandement des opérations de sécurité civile, et l’état-major de zone de défense (emzd), déclinaison zonale de la chaîne otiad.
16 En juin 2014, l’ei prend possession en quelques jours de la ville de Mossoul, forte de deux millions d’habitants et dont les forces de police et militaires irakiennes ont massivement pris la fuite.
17 Il correspond géographiquement à la région incluant Israël, la Palestine, la Jordanie, le Liban, la Syrie et l’Irak.
18 Six mille jeunes par an formés en sma et mille en deux ans dans les smv, avec un objectif à terme de dix mille par an.
19 Appelés zones urbaines sensibles jusqu’en 2014, il s’agit d’espaces continus, situés dans des unités urbaines de plus de dix mille habitants, dont le revenu annuel médian est inférieur à treize mille euros net. Source : insee.fr.
20 Rapport du ministère de la Défense au Parlement, op. cit.
21 D. Bouzar, rapport sur « La Métamorphose opérée chez le jeune par les nouveaux discours terroristes », 2014.
22 A. Beaufre, Introduction à la stratégie, Paris, Fayard, 1963.
23 Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, début du ive siècle av. J.-C.
24 Le 18 mai 2014, une votation (référendum) rejette par 53,4 % des voix l’achat de vingt-deux avions de chasse Gripen envisagé pour compléter celui en 1993, de trente-deux F-18, laissant ainsi un vide capacitaire après le retrait du service actif des cinquante-quatre Tiger de l’armée de l’air suisse.