J’ai soixante ans. Mon fils, Thomas, membre du cpa 10, engagé dans l’opération Barkhane, est mort au combat au Mali, dans le massif du Tigharghar, le 29 octobre 2014. Chercheuse de profession, j’aurais pu aborder la question de la mort d’un soldat avec la distance apprise pour appréhender les faits sociaux et rendre compte de ce qu’ils produisent sur la destinée des individus qu’elle affecte. Mais quand vous êtes vous-même au cœur de l’événement, que ce soldat qui vient de mourir est votre propre fils, une telle mise à distance n’est tout simplement pas possible. C’est la mère qui, en moi, a pris le pas sur la chercheuse pour simplement témoigner du bouleversement que cette mort a provoqué et de la manière dont je l’ai vécue, avec l’espoir que le ton adopté ne sera ni trop impersonnel ni impudique.
- Deux ans après…
J’écris ce texte près de deux ans après la mort de Thomas. La mort continue à rôder autour de ses compagnons d’armes, au Mali ou ailleurs. Je suis l’actualité chaque jour, tremble quand on annonce d’autres morts ou blessés, crains de les connaître, souffre à l’idée de ce que d’autres mères vont à leur tour avoir à vivre et à traverser. C’est dans le Lot que je me livre à cet exercice d’écriture, là où, il y a deux ans, j’ai appris la mort de mon fils. Tout comme le 29 octobre 2014, la journée est belle : le soleil a fait flamboyer les derniers éclats des couleurs automnales ; il incite à la douceur du monde.
Je mesure aujourd’hui le chemin parcouru depuis ce coup de fil fatidique qui m’a annoncé l’impensable : après le temps de la sidération et des hommages, puis celui du chaos et du lent apprentissage des effets de l’absence, est venu le temps d’un rapport avant tout intime et silencieux à cette mort venue fracasser ma vie. La vie, en apparence, a repris son cours et son effervescence, mais en son cœur, par-delà les mots, l’affection, la chaleur des gestes et des amitiés, par-delà l’attention ou la sollicitude, demeure le gouffre creusé par cette absence que rien ne viendra combler, que je porte en moi, de mieux en mieux dissimulé aux autres, car l’expression de la douleur, passé le temps où elle est considérée comme légitime, n’est plus jugée persona grata par nombre de celles et ceux qui m’entourent. Sans doute est-ce là l’effet salutaire de la pulsion de vie.
Je mesure aussi combien la mort d’un enfant n’est plus « ordinaire ». Combien elle est une expérience à laquelle nul n’est plus préparé, parce qu’elle n’est plus dans « l’ordre des choses », comme elle a pu l’être dans un passé qui n’est pas encore si éloigné ou comme elle l’est encore dans d’autres contrées que la nôtre où elle reste trop « familière » pour des raisons de famine ou de guerre. Bien d’autres avant moi, pères ou mères, ont écrit à ce sujet, pour dire la douleur et la perte, pour dire aussi qu’on ne s’en remet pas (au sens où elles finiraient par être effacées par l’œuvre du temps). La mort d’un enfant, de chaque enfant qui meurt, est, pour ses proches, une expérience singulière, qui n’équivaut à aucune autre mort d’enfant. La singularité de celle de Thomas tient d’abord aux circonstances. En premier lieu en raison de son âge : l’enfance et l’adolescence étaient passées, Thomas vivait sa vie d’homme. Il est mort dans l’année de ses trente-trois ans. À cet âge, il aurait pu mourir dans un accident de la route ou après une longue maladie. La perte et l’absence n’en auraient pas été moins vives, mais je n’aurais pas eu le sentiment que j’ai éprouvé, celui d’une mort qui n’est pas ordinaire. Parce qu’il était soldat et qu’il est mort en combattant, « les armes à la main » pourrait-on dire si cette expression n’avait pas tout d’un cliché romanesque. Et pourtant c’est bien comme cela qu’il est mort. Comment, pour moi qui n’ai connu que la paix, accepter que mon fils soit mort « en faisant la guerre », même si cette guerre ne dit pas tout à fait son nom ?
C’est mon fils qui est mort, mais c’est également un soldat. Et sa mort, d’emblée, n’a pas été seulement un événement privé. Par les hommages qui lui ont été rendus, elle a été une affaire publique – et il n’est pas aisé de vivre un événement privé sous le regard du public. Elle a aussi été l’affaire d’une « autre famille », car Thomas avait deux familles, sa parentèle mais aussi l’armée. J’ai longtemps cru qu’il s’agissait là d’une commodité de langage, ou tout au plus d’une expression avant tout symbolique. Il a fallu que Thomas meure pour que j’en éprouve la réalité. « Frères d’armes », dit-on des soldats. Cette fraternité-là tisse des liens aussi forts que peuvent l’être les liens du sang. Et c’est une expérience singulière que celle de devoir partager le deuil avec cette « autre famille » : elle est à la fois réconfortante – les chagrins s’additionnent et la volonté de faire vivre par le souvenir celui qui est mort en est décuplée –, et troublante – il faut accepter que d’autres que soi, jusque-là inconnus, puissent éprouver une peine, sinon semblable à la sienne, du moins tout aussi sincère et légitime.
Mais cette singularité tient également à une composante plus personnelle : Thomas était mon seul enfant et il est mort sans descendance. Son décès a brisé le fil qui lie entre elles les générations. Il ne sera pas un passeur de vie et je ne le serai pas moi-même. Ne plus l’être, c’est ne plus avoir le devoir et le bonheur de transmettre une histoire, des valeurs pour assurer la continuité du récit familial. Et c’est là une douleur singulière quand l’âge ne permet plus d’envisager de retisser ce fil. Libérée de cet attachement, je n’en suis pas pour autant plus libre, sinon d’une sorte de liberté vaine.
- 19 h 45, mercredi 29 octobre 2014…
19 h 30, ce mercredi 29 octobre 2014, je suis affairée à préparer le repas comme tous les soirs. Gestes ordinaires du quotidien au terme d’une belle journée de vacances, quand le téléphone a sonné… José décroche, je l’entends dire, d’une voix altérée : « Elle est là. » Je prends le combiné qu’il me tend. Au bout du fil, le commandant de la base aérienne d’Orléans. Quelques mots dont je ne me souviens plus, mais dont j’ai compris d’emblée la portée : ils m’annoncent que mon fils est mort. Ce que j’avais parfois imaginé, pour le conjurer, tant je l’appréhendais, venait d’arriver. J’apprendrai par la suite que le commandant d’Orléans et celui du cpa 10 m’avaient cherchée toute la journée, sur mon lieu de travail et à mon domicile toulousain, or, profitant des vacances universitaires, je m’étais accordée quelques jours de répit, ce qui m’a valu quelques heures de sursis où je n’ai pas su, alors que d’autres, déjà, savaient.
Impossible de rendre compte par les mots de ce que j’ai alors ressenti : une douleur qui vrille, l’envie de hurler, le sentiment d’un gouffre qui s’ouvre sous les pieds… En une fraction de seconde, j’ai compris que le monde, le mien, avait chaviré. Pas de rémission possible. Impossible de revenir en arrière et de réécrire la page. Je me suis trouvée projetée dans une autre dimension, sans avoir eu le temps de prendre la mesure de l’événement : moins d’un quart d’heure après, sur toutes les chaînes de télévision, la photo de Thomas s’étalait à la une des journaux de 20 heures. Une photo magnifique à propos de laquelle j’ai trouvé plus tard ce commentaire tellement juste : la photo d’un jeune homme « qui parlait avec les yeux ». Se retrouver ainsi face à son visage occupant le plein écran, face à ses yeux pétillants de vie qui regardaient l’objectif sans ciller, face à ce sourire énigmatique, à la fois bienveillant et qui met un peu à distance, aura été un moment de désespoir absolu. Ainsi me fut faite, comme « à marche forcée », l’annonce de sa mort, pour que j’en sois informée avant que les médias, avides d’informations spectaculaires, ne diffusent en boucle la nouvelle… Y a-t-il une autre façon d’apprendre la mort de son fils ? Lentement, progressivement, avec ménagement ? Je ne le crois pas. Il y a, dans l’annonce d’une mort à laquelle on n’est pas préparé, une violence radicale qui ne peut être amortie.
- Il est mort…
Comment peut-on se représenter la mort quand la photographie associée à son annonce respire une telle « tranquille assurance » ? Tenter de passer de la représentation de mon fils vivant à celle de mon fils mort, cela a consisté pour moi, d’abord, à me demander comment il était mort. Sont alors venues très vite des questions auxquelles j’aurais voulu des réponses immédiates : a-t-il souffert ? A-t-il eu le temps de réaliser ce qui lui arrivait ? Est-il mort seul, abandonné ? Ce fut une sorte de consolation d’apprendre que la mort était survenue instantanément. À distance de l’événement, je n’en sais au fond rien, mais je m’efforce de continuer à penser que la mort l’a pris par surprise, qu’il ne s’est pas vu mourir. Pourquoi cela est-il pour moi d’un grand réconfort alors que je n’aimerais pas que la mort me prenne à l’improviste, que je voudrais avoir le temps de prendre congé de la vie ? Je n’ai pas de réponse à cette question, sinon celle de trouver une forme d’apaisement dans l’idée d’une mort sans agonie solitaire. Dans le même temps où se forgeait ma détermination à savoir précisément comment cela s’était passé, quelles qu’aient été les circonstances, grandissait un autre souhait tout aussi essentiel : le voir. J’ai beaucoup craint que l’on ne m’oppose un cercueil fermé. Rationnellement, j’aurais été en mesure d’en comprendre les causes. Mais, au regard de ce que je vivais, il ne pouvait être question de raison, simplement d’une épreuve nécessaire pour accepter sa mort et « entrer dans le deuil ».
Revenir à cette fin du mois d’octobre 2014, c’est aussi me souvenir de ce temps qui s’est écoulé si lentement entre l’annonce de son décès et le rapatriement de son corps. Ces cinq interminables jours à n’avoir rien d’autre à faire qu’attendre, donner des nouvelles, en prendre, tenter de prendre soin de celles et ceux que cette mort touchait, sans dérivatif à la souffrance : aucune démarche à faire pour occuper l’esprit et les mains. Si utiles en de semblables circonstances, ces démarches ont été, ici, effectuées par d’autres, efficacement, discrètement. Une bonne chose sans doute que d’être ainsi libérée de ces soucis matériels, mais il a fallu trouver d’autres ruses pour ne pas s’effondrer.
Enfin est venu le moment espéré et tant attendu de ces « retrouvailles », déchirantes puisqu’elles auguraient d’une séparation à venir, celle-ci définitive. Pouvoir enfin le voir. Allongé dans son cercueil, inerte et apprêté. Lui et plus tout à fait lui. Un visage sans regard, si loin de celui souriant, présent partout sur Internet. Le visage d’un mort. Cette confrontation seule à seul avec son corps était indispensable. Mieux, elle a été salutaire. Qu’il ait seulement été possible d’en être privée m’avait été insupportable. Il n’y a pas d’autre manière pour que la mort devienne réelle que d’affronter sa matérialité sans détour. Je n’ai pas d’autre souvenir que ce long « tête à tête » silencieux pour prendre congé de mon fils dans un lieu improbable quelque part dans Paris, aux abords d’un nœud routier particulièrement bruyant.
Puis est venu le jour des cérémonies militaires. À Paris d’abord, dans la cour des Invalides, majestueuse et si minérale. Lenteur d’un cérémonial sobre et d’un protocole sans effusion. Souvenir d’avoir attendu longtemps, debout, dans le froid et l’humidité, que le convoi traverse le pont Alexandre-III salué par une foule au milieu de laquelle j’aurais voulu être, anonyme, parmi les passants venus s’incliner à son passage… À Orléans ensuite, pour un hommage rendu sous un ciel gris sur une vaste esplanade de la base aérienne où stationnait le Transall qui devait ensuite emmener son cercueil à Toulouse. Image de ce cercueil « revêtu » du drapeau tricolore, de ces hommes et femmes en uniforme, revenus parfois de très loin pour être là, ordonnés et rassemblés, plus qu’immobiles, hiératiques. Souvenir des visages émus de ses compagnons d’armes, larmes au bord des yeux, sanglots étouffés. Souvenir de nous, famille et amis, essayant aussi de rester droits et de contenir nos pleurs, comme pour être à l’unisson de la dignité ambiante. Souvenir d’un rituel sans doute recommencé à chaque mort d’un soldat, mais réconfortant par sa gravité même. Souvenir enfin d’un discours authentique prononcé d’une voix ferme qui me parlait d’un homme, mon fils, que je ne connaissais pas, ce soldat dont la bravoure était honorée.
Enfin est venu le temps de le ramener avec nous, « chez lui », dans sa ville, pour le veiller et lui dire adieu, entourés de nos familles, de nos amis, de nos collègues et de ses frères d’armes. Des obsèques dans la chaleur et la tristesse des siens, ponctuées de témoignages émus, dessinant son portrait par petites touches. Souvenir d’un dernier moment passé ensemble pour tenter à toutes forces de le faire revivre en parlant de lui, en écoutant les musiques qu’il avait aimées, en regardant défiler des photos… Si présent pour ce dernier moment, malgré l’absence, quand chacun s’y attelle ainsi.
- Reprendre son chemin…
Après l’agitation et l’effervescence de cette très longue semaine chargée de tant d’émotions, d’hommages qui à la fois éprouvent et réconfortent, anesthésiée par le chagrin mais debout, est arrivé le retour au silence et à l’ordinaire des jours. Comment faire pour ne pas s’effondrer ? Comment apprivoiser peu à peu la douleur pour la « tenir en laisse » ? Comment tout simplement reprendre le cours de sa vie et de ses activités en permettant à celui qui est mort de trouver sa place en lui faisant place ? Sa mort a ébranlé ma vie, mais celle de tant d’autres aussi : mes proches, son père, sa compagne, ses cousins, ses amis, ses compagnons d’armes… Et, par ricochet, nos cercles familiaux et amicaux. Chacun a fait comme il a pu, avec sa douleur, mais il m’appartenait aussi, à moi sa mère, sinon de prendre soin d’eux, au moins de veiller à ce que la marche du temps ne les écrase pas. Car très vite survient ce moment étrange où, encore cabossé, on est comme « sommé » de se remettre au diapason des autres, de « faire son deuil », son « travail de deuil » comme on dit, comme si le chagrin n’avait qu’un temps et qu’il fallait passer à autre chose, car la vie n’attend pas. On apprend alors à faire bonne figure et à dissimuler sa peine, même si on a toujours l’impression d’avoir un temps de retard, d’être décalé, pas vraiment dans le tempo. Ainsi le veut cette société qui surfe sur les événements, les dévore, pratique le zapping, s’est déshabituée de la présence de la mort, alors qu’apprivoiser celle-ci et le manque qui la suit se fait avec lenteur, demande du temps.
Je me suis efforcée de mettre obstinément un pied devant l’autre, ou, pour reprendre les mots de José, à mes côtés jour après jour, de « continuer à pédaler », de retrouver les routines et d’accomplir les gestes habituels, de m’astreindre à la discipline quotidienne du travail pour contenir la trop forte douleur, tenant ma place là où il l’a fallu, donnant le change à celles et à ceux qui m’ont côtoyée pour ne pas peser sur eux du poids de ma peine. J’ai franchi l’étape de la révolte contre sa mort, de la colère aussi contre ce qu’il nous est advenu, mais je suis bien loin encore de ce temps où j’aurais appris « à séparer la mémoire de la douleur. Du moins en partie, autant que possible, afin que tout le passé n’en soit pas à ce point imprégné. […] Afin de ne plus craindre chaque fois la brûlure du souvenir »1.
- Aller à la rencontre de l’adulte devenu soldat
Si les souvenirs de son enfance sont bien présents, l’adulte qu’il était devenu m’était, lui, resté un peu « étranger », comme le deviennent tous les enfants quand ils s’éloignent de nous pour vivre leur vie, gardant pour eux ou pour d’autres leurs réflexions et leurs pensées intimes. Quand ils sont en vie, on a l’espoir ou la certitude de parvenir à les approcher et à les comprendre en les regardant tout simplement vivre. Mais sa mort m’a privée de cette perspective. Aussi suis-je partie à sa recherche, pour ne pas en rester à son enfance et pouvoir cultiver aussi le souvenir de l’adulte éclos de l’enfant que j’ai tant aimé, en reconstituant ce qu’il a été, à partir de ses actes, de photos qu’il a prises ou laissé prendre, d’anecdotes ou de bribes racontées par les uns et les autres, en particulier par ses compagnons d’armes. Comme le mosaïste s’attache à remplir son dessin, j’essaie de fixer dans ma mémoire chacune de ces petites pièces comme autant de tesselles à assembler pour que son sourire souvent si énigmatique ne le soit plus tout à fait. C’était d’autant plus nécessaire que Thomas exerçait son métier dans des conditions qui exigeaient de lui une grande réserve, voire même le silence.
C’est ainsi que je suis revenue à Orléans pour mettre mes pas dans les siens, dans la chambre où il logeait quand il n’était pas en mission, dans le bureau qu’il partageait où j’ai vu le tableau sur lequel figurait son autre nom, celui qu’il s’était choisi : Denzel. Denzel, comme le prénom de cet acteur afro-américain connu pour ses rôles engagés. Un petit signe de plus laissé en chemin pour dire qui il était. C’est ainsi que j’ai demandé à sauter en parachute avec tous les membres de son groupe pour éprouver au moins une fois un peu de cette adrénaline qu’il avait recherchée, ce que j’ai fait en juillet 2015. Peu à peu, ce que j’ai pu ainsi accumuler, petits signes, bribes rapportées sur ses missions par ses compagnons, « minutes » de ses faits d’armes, m’a permis de préciser la silhouette de ce jeune adulte devenu soldat qu’il restera éternellement. Sa classe d’âge vieillira et lui demeurera en ses trente-deux ans.
Mais se souvenir ne suffit pas, car les souvenirs sont volatils et meurent avec ceux qui les portent. Je m’étais fait une promesse après sa mort : inscrire Thomas dans les lieux qui ont compté pour lui et pour nous2, afin qu’il ne soit pas réduit à nos seules pensées et ne disparaisse avec elles. Une rue toulousaine porte désormais son nom sur proposition du maire de cette ville où il est né et a grandi, mais également le dojo de la base d’Orléans, une salle de sport près de Ouagadougou et demain, je l’espère, une bibliothèque de village dans le nord du Sénégal. À ces jalons qui dessinent sa géographie et son histoire, il faut ajouter la pierre qui sert de monument aux morts dans ce petit village des causses du Lot que nous avons choisi comme port d’attache, sur laquelle son nom a été gravé. Ainsi, chaque 11 novembre, lorsque la petite communauté se rassemblera, le nom de Thomas sera-t-il lu comme celui de tous ceux qui figurent sur cette pierre. Nommer, c’est faire exister. Et c’est pourquoi entendre son nom avec les leurs sera une manière de continuer à le faire vivre, à les faire vivre, un peu, dans le présent et, avec eux, les combats qu’ils ont menés pour que la paix, ce bien infiniment précieux, nous soit durablement assurée. Il sera là, veilleur muet, au cœur du joyeux brouhaha que font les enfants lorsqu’ils se retrouvent ici les soirs d’été pour poursuivre leurs jeux, et les adultes leurs causeries, lorsque la fête bat son plein fin août, lorsque les joueurs de pétanque lancent la boule… Je le saluerai en passant par là, au retour d’une balade, avant d’aller voir dans nos jardins les deux arbres du souvenir que nous y avons plantés : un micocoulier au tronc nervuré comme l’était sa silhouette et un pin parasol à l’ombre duquel nous abriter.
- De la mort… à l’engagement
Mais, par-delà le chagrin, les stratégies et les ruses déployées pour faire vivre sa mémoire, sa mort, au nombre des bouleversements qu’elle a générés, parce qu’elle est celle d’un soldat mort au combat, m’a obligée à revenir sur le sens de son engagement. Thomas avait construit son chemin avec conviction, habileté aussi, faisant le choix de ne pas mettre ses pas dans les nôtres, mais bien d’emprunter d’autres chemins, tout aussi exigeants, tout aussi ardus, qui ne devraient qu’à ses mérites. Usant parfois du silence et de la discrétion, il nous a souvent mis devant le fait accompli : ce fut le cas pour la boxe thaï, où il a très vite excellé (champion d’Europe en 2003, champion du monde en 2004), puis pour un autre choix fondateur, celui de son entrée dans l’armée, où il a tracé ce parcours d’exception dont les hommages ont rendu compte.
J’ai toujours pensé que Thomas avait des qualités physiques exceptionnelles qui pouvaient lui permettre d’être un grand athlète, mais j’ai fini par comprendre que dans son choix de la boxe, il y avait bien autre chose : une ascèse, une philosophie de la vie, un rapport aux autres marqué par le respect, autant d’éléments qu’il était allé éprouver de près en Thaïlande à plusieurs reprises. J’ai fini aussi par comprendre que le choix de l’armée – de l’air insistait-il –, avant même d’intégrer ses commandos d’élite, ne se justifiait pas seulement par la perspective de conjuguer activité professionnelle et activité sportive de haut niveau, mais qu’il y entrait bien d’autres considérations. « Être utile à mon pays », avait-il dit dans une interview, sans compter cet attrait pour la force des liens tissés entre soldats, liens de fraternité et de solidarité dont j’ai pu mesurer la solidité… Mais je sais aussi qu’il comportait un engagement pour des valeurs, celles qui sont inscrites au fronton de nos écoles, valeurs qui sont les miennes, les nôtres, pour lesquelles nous luttons chacun(e) à notre manière. Sa manière à lui, qui mettait en jeu sa vie jusqu’à envisager de la perdre, l’engageait infiniment plus que la mienne, et même sans commune mesure. Car Thomas était lucide sur le risque encouru. Nous en avions souvent parlé ensemble : il me disait craindre la blessure et le handicap qui pouvait en résulter bien plus que la mort. Il parlait de celle-ci avec une sorte de détachement, de légèreté – ou que je prenais pour cela – qui, pour le moins, m’interrogeait et me révoltait. Je l’ai tantôt prise pour une forme de désinvolture, tantôt pour une pirouette devant la gravité de ce qui était en jeu, comme si, en parler ainsi, « négligemment », sans solennité, était la seule manière de la tenir à distance. Je crois avoir compris depuis que ce n’était pas le cas, qu’il lui avait fallu en faire l’hypothèse, non pas par fatalité, non pas parce que ce serait le risque encouru – d’autant que tout est fait pour le limiter par un entraînement inlassable –, mais comme « le prix à payer » pour ce choix d’un « métier » dans lequel il faut accepter aussi de « donner » la mort. Cela n’est possible, humainement – moralement ? éthiquement ? – que si, en préalable, on « consent » à sa propre mort. C’est ce qu’il avait tenté de me faire comprendre un soir où je le poussais dans ses retranchements. Mais sans doute n’ai-je pas compris ce jour-là ce qu’il voulait me dire.
Cette manière, la sienne, d’avoir mis en jeu sa vie pour lutter pour des valeurs que nous avons partagées, de paix, de liberté, de justice sociale, d’égalité entre les hommes et les femmes, me rend infiniment humble sur ma manière à moi de les porter, tellement plus confortable, plus légère. Elle m’invite aussi à une autre interrogation restée sans réponse : d’autres meurent également pour leurs convictions. Thomas est décédé quelques jours après Rémi Fraisse, jeune militant écologiste mort dans le Tarn après avoir été atteint par une grenade tirée par un gendarme alors qu’il manifestait contre la construction du barrage de Sivens. Cette mort a soulevé émotion et révolte, suscité une forte mobilisation partout en France, provoqué commentaires et analyses. Beaucoup d’hommes et de femmes, jeunes ou moins jeunes, ont été bouleversés par ce qu’ils considéraient comme une mort injuste et ont manifesté à la fois leur réprobation et leur solidarité.
Sans hiérarchiser entre leurs morts et leurs combats, sans les opposer ni les mettre en concurrence, la différence de traitement et celle des réactions face à ces deux décès survenus à quelques jours d’intervalle n’ont cessé de me questionner, et ce d’autant que la confiscation de la mort de mon fils en novembre 2014 par des opinions à l’opposé de ce qu’il était m’avait alors profondément heurtée. On me répond : la mort de Rémi Fraisse n’est pas justifiable, celle de Thomas l’est. Le premier défendait des idées, le second exerçait son métier, sans en ignorer le prix… Mais Thomas est mort aussi « pour des idées, des idéaux », dans un combat ardu contre une idéologie qui veut imposer, par la force, son ordre moral, social et politique ! Comment ne pas reconnaître à ces soldats, hommes et femmes « dans la force de l’âge », qui ne sont ni suicidaires ni masochistes, pas plus qu’ils ne sont « va-t-en-guerre », qui aspirent comme les autres humains au bonheur, qu’ils puissent faire ce choix, au nom d’un tel engagement ? Leur goût de l’aventure ne saurait à lui seul le justifier, pas plus que le lien fraternel qui les unit, quelle qu’en soit la force… A fortiori quand il ne peut s’expliquer par la revendication d’une tradition (l’inscription dans une lignée de militaires) et quand il s’appuie sur des valeurs que l’on situe généralement à gauche, ce qui était le cas de Thomas, comme si ce choix ne respirait plus vraiment l’air du temps, comme s’il ne pouvait relever d’une forme d’engagement, au sens noble du terme.
La mort de Thomas m’a changée. Elle n’est pas un événement qu’il faut surmonter pour que la vie reprenne son cours d’avant. Elle est un événement qui m’a profondément transformée, qui m’a conduite à plus d’« humanité ». Plus fondamentalement sans doute, je pressens qu’elle « m’oblige ».
J’ai traversé – subi serait plus juste, car je ne l’ai pas choisie – une épreuve que des milliers de mères avant moi ont vécue, qui ont perdu un fils, ou plusieurs, durant la Grande Guerre et l’ont appris sans ménagement par une simple lettre. Leur douleur n’était pas moins grande que la mienne et cette commune expérience m’inscrit dans cette longue lignée des mères « orphelines » de leur fils. Mais, autre temps, autres mœurs, la vie des soldats est désormais, à l’évidence, devenue, aux yeux de l’armée, plus précieuse ou respectée. Les soldats ne sont plus de la « chair à canon ». Quand Thomas est mort, j’ai vu se déployer une armée à « visage humain », que ce soit chez les plus hauts gradés ou parmi l’encadrement plus proche de Thomas. On m’accordera, en la matière, que je suis peu suspecte de flagornerie ou de compromission : issue de la génération qui a mené le combat contre l’implantation des militaires sur le plateau du Larzac, je n’avais donc pas, par conviction personnelle, de penchant naturel bienveillant à l’égard de l’armée. Il a fallu que mon fils y entre pour que je sois amenée à revoir mon jugement et à abandonner mes préjugés.
Face à l’épreuve infligée par la mort de Thomas et aux interrogations qu’elle a fait surgir, la « grande muette » ne s’est ni tenue à distance ni tue : j’ai bien conscience de ne peut-être pas tout savoir, conscience que les missions dans lesquelles était engagé Thomas appellent une certaine discrétion, même après-coup, mais mes questions ont reçu des réponses, suffisantes pour me permettre de comprendre et d’avancer. Et surtout, cette armée « à visage humain » a été « incarnée » par des hommes et des femmes qui ont été présents chaque fois que cela était nécessaire, qui nous ont accompagnés un bout de chemin, avec lesquels j’ai noué, pour certains, des liens qui perdurent. Qu’ils en soient ici remerciés. Ils se reconnaîtront.
« Marcher, continuer à marcher,
Encore
Peut-être
Qu’arrivé à une ultime frontière
Où ma raison ne parvient
Pas, je pourrai m’incliner
Et déposer
Ce lourd fardeau, pour ensuite
Reculer d’un pas,
Guère plus, d’un petit
Pas grand comme le monde,
Me résigner
Et concéder : Je
Suis ici, Il est
Là-bas,
Et une frontière éternelle
Passe entre ici et là-bas.
Me tenir ainsi,
Et ensuite, lentement,
Prendre conscience,
Me remplir tout entier
De cette conscience
Comme la plaie se remplit
De sang :
Voilà ce qu’est
La condition humaine3. »
1 David Grossman, Tombé hors du temps, Paris, Le Seuil, 2012
2 D’autres que nous l’ont également fait : l’armée en inscrivant aux États-Unis son nom sur le mémorial des forces spéciales du monde entier tombées au champ d’honneur ; ses compagnons d’armes et de sport en faisant homologuer un exercice d’entraînement de crossfit : le « wod (workout of the day) Denzel ».
3 David Grossman, op. cit.
I am sixty years old. My son, Thomas, member of the French air parachute commando cpa10, engaged in Operation Barkhane, was killed in action in Mali, in the Tigharghar mountains, on 29 October 2014. As a researcher, I could have approached the question of the death of a soldier with the distance learned in order to understand the social facts and realise their impact on the fate of those individuals it affected. However, when you yourself are at the heart of the event, when the soldier who has just died is your own son, such detachment is quite simply impossible. The mother in me has taken precedence over the researcher to simply bear witness to the distress caused by this death and the way in which I experienced it, in the hope that the tone adopted will be neither too impersonal nor too impudent.
- Two years later…
I am writing this almost two years after Thomas’ death. Death continues to prowl around his comrades-in-arms, in Mali and elsewhere. I follow the news every day, tremble when other deaths or wounded are announced, fear I may know them, and suffer at the thought of what other mothers will, in turn, have to go through. I am writing this in the Lot where, two years ago, I learned of the death of my son. It is a beautiful day, just as it was on 29 October 2014: the last bursts of autumnal colours are blazing under a sun that encourages the tranquillity of life.
Today I am considering the road travelled since that fateful telephone call informing me of the inconceivable: after the state of shock and the tributes, then the chaos and slowly learning the effects of absence, came the time for a connection—above all intimate and silent—with this death that had come to shatter my life. On the surface, life is back to normal again and is a flurry of activity but, at its core—beyond the words, affection, the warm gestures and friendships, beyond the attention or concern—lies the chasm dug by this absence, one that nothing will fill, that I carry inside me, increasingly hidden from others; for the expression of suffering, once the time it is deemed legitimate has passed, is no longer considered persona grata by many of those around me. This is undoubtedly the salutary effect of the pulse of life.
I am also weighing up to what extent the death of a child is no longer “ordinary”. To what extent it is an experience for which nobody is prepared anymore, because it is no longer “in the scheme of things” as it may have been in the not-so-distant past, or how it still is the case in countries other than ours where it remains all too “familiar” due to famine and war. Many others before me, mothers or fathers, have written on this subject, to speak of the pain and the loss, and to also say that one does not get over it (in the sense that these feelings end up fading with time). The death of a child, of each child who dies is, for their loved ones, a singular experience unlike any other child’s death. The singularity of Thomas’ death is first all of due to the circumstances. Firstly, because of his age: childhood and adolescence had passed, Thomas was now a man. He died in the year he would have turned thirty-three. At that age, he could have died in a road accident or following a long illness. The loss and absence would have been no less intense, but I would not have had the feeling that I felt, one of a death that is not ordinary. Because he was a soldier, and was killed in combat, “weapons in hand”, one might say that this expression was quite a romantic cliché. And yet that is exactly how he died. How can I, somebody who has only ever known peace, accept that my son died “waging war”, even if this war does not really have a name?
It was my son who died, but also a soldier. And, straightaway, his death was not just a private event. Through the tributes he received, it was a public affair—and it is not easy to live a private event in the public eye. It was also “another family’s” affair, for Thomas had two families: his relatives but also the army. For a long time I believed that it was just a convenient expression or, at most, one that was above all symbolic. It was not until Thomas’ death that I experienced the reality of it. “Brothers-in-arms”, soldiers are called. That fraternity forms bonds that are just as strong as blood ties can be. And it is a singular experience to have to share one’s bereavement with this “other family”: it is both comforting—grief adds up and the desire to make the deceased live through memories is, as a result, tenfold—and disturbing, having to accept that others, until then unknown, can feel sorrow which, if not similar to one’s own, is just as sincere and legitimate.
This singularity, however, is also due to a more personal element: Thomas was my only child, and he died without any offspring. His death broke the thread that binds the generations together. He will not be a conveyor of life, and nor will I. No longer being this means no longer having the duty and the happiness of passing on a history, values, to ensure the continuity of the family story. And that is a singular pain when age means that you can no longer envisage reweaving this thread. Release from this attachment does not make me any freer, other than a kind of pointless freedom.
- 7:45 pm, Wednesday 29 October 2014…
7:30 pm, this Wednesday 29 October 2014, I was busy preparing the meal as I did every evening. Ordinary, everyday gestures at the end of a wonderful day of holiday, when the telephone rang… José picked it up, I heard him say, in a broken voice: “She’s here.” I took the handset he held out to me. At the other end of the line was the commanding officer of the Orléans air base. Some words I can no longer remember, but whose significance I immediately understood: they are telling me that my son is dead. The thing I had sometimes imagined, just to ward it off as I dreaded it so much, had just happened. I later learned that the commanding officers of both Orléans and of the cpa 10 had been trying to find me all day, at work and at my home in Toulouse as, making the most of the university holidays I had decided to take a few days off—something that gave me a few hours’ reprieve when I was unaware, whereas others already knew.
It is impossible to put into words what I felt then: a twisting pain, wanting to scream, the feeling of a chasm opening up under my feet… In a split second, I understood that the world—my world—had turned upside down. There was no remission possible. Impossible to go back in time and re-write the page. I found myself thrown into another dimension, without having had the time to take stock of what had happened: less than a quarter of an hour later, on all of the television channels, Thomas’ photo was spread across the headlines of the evening news bulletins. A magnificent photo, about which I later found this comment, one that was so apt: the photo of a young man “who spoke with his eyes”. Finding oneself in front of his face, taking up the whole screen, in front of his eyes that sparkled with life and looked at the lens without batting an eyelid, in front of this enigmatic smile, that was both kindly and slightly distant, was a moment of total despair. That was how, like a “forced march”, I was told of his death, so that I was informed about it before the media—hungry for dramatic news—broadcast it on a loop… Is there another way to learn of the death of one’s son? Slowly, progressively, with restraint? I do not think so. In the announcement of a death for which one is unprepared, there is a radical violence that cannot be softened.
- He is dead…
How can one apprehend death when the photo that accompanies its announcement exudes such “quiet confidence”? For me, trying to move from the representation of my son, alive, to that of my son, dead, first of all consisted in asking myself how he died. The questions to which I wanted immediate answers then came very quickly: did he suffer? Did he have time to realise what was happening to him? Did he die alone, abandoned? It was a kind of solace to learn that he had died instantly. A long way from what had happened, deep down I know nothing, but I strive to think that death took him by surprise, that he did not see himself die. Why is this of great comfort to me when I would not like death to catch me unawares, when I would like to have the time to take leave of life? I do not have an answer to this question, other than finding a form of relief in the idea of a death without solitary death throes. At the same time as my determination to find out exactly what had happened was taking shape, whatever the circumstances had been, another wish was growing that was just as essential: to see him. I greatly feared that I would be confronted with a closed coffin. Rationally, I would have been able to understand the reasons why. However, in view of what I was going through, it could not be a matter of reason, simply a necessary ordeal to accept his death and “start grieving”.
Looking back at the end of this month of October 2014 also means remembering the time that passed so slowly between the announcement of his death and the repatriation of his body. These five interminable days where there was nothing else to do but wait, give news, receive news, try to take care of those affected by this death, with no diversion from the suffering: no formalities to take care of to keep my hands and mind busy. These formalities, so useful in such circumstances, were in this case efficiently and discreetly dealt with by others. It is doubtless a good thing to be freed from these material concerns in this way, but other contrivances had to be found in order not to fall to pieces.
The long-awaited moment finally came for us to be “reunited”, a harrowing reunion as it promised a separation to come, definitive this time. Finally being able to see him. Lying in his coffin, motionless and dressed. Him, yet no longer really him. An empty face, so far removed from the smiling one that was present all over the internet. The face of a dead man. This one-to-one meeting with his body was essential. Better, it was salutary. Even the possibility of being denied this had been unbearable for me. There is no other way for death to become real than to directly confront its materiality. My only memory is of this long, silent “tête à tête” to bid farewell to my son in an unlikely place somewhere in Paris, close to a particularly noisy road junction.
Then came the time for the military ceremonies. Firstly in Paris, in the Cour des Invalides, majestic and so stony. The slowness of an understated ceremony and a protocol without effusion. The memory of having waited a long time, standing, in the cold and damp, for the convoy to cross the Alexandre III bridge, saluted by a crowd in whose midst I would have preferred to have been, anonymous, one of the passers-by who had come to pay their last respects as he passed… Then to Orléans, for a tribute under a grey sky on a vast esplanade of the air base, where the Transall that was then to take his coffin to Toulouse was waiting. The image of this coffin “decorated” with the French flag, of these men and women in uniform, some of whom had returned from afar to be there, orderly and grouped, more than motionless, hieratic. The memory of the faces—filled with emotion—of his comrades-in-arms, tears in their eyes, muffled sobs. The memory of us, family and friends, also trying to remain straight and hold back our tears, as though to be in unison with the surrounding dignity. The memory of a ritual that would doubtless begin again every time a soldier dies, but comforting by its very solemnity. Lastly, the memory of a genuine address in a firm voice that spoke to me of a man, my son, whom I did not know, this soldier whose bravery was being honoured.
Finally the time came to take him with us, “home”, to his town, to watch over him and say farewell, surrounded by our families, friends, colleagues and his brothers-in-arms. A funeral that took place in the warmth and sadness of his family, interspersed with emotional testimonies, drawing his portrait in small strokes. The memory of a final moment spent together to try, as hard as we could, to make him alive again by talking about him, listening to the music he loved, flicking through the photographs… So present at this final moment, despite the absence, when everyone pulls together this way.
- Getting back on track…
After the agitation and turmoil of this very long week filled with so many emotions, tributes that are both trying and comforting, numbed by grief but still standing, came the return to silence and the banality of everyday life. How does one not fall to pieces? How does one master the pain, little by little, in order to “keep it on a leash”? How, quite simply, does one get back to one’s life and activities letting the deceased find his place by making space for him? His death shattered my life, but that of so many others too: my close relatives, his father, his girlfriend, his cousins, his friends, his comrades-in-arms… And, indirectly, our circle of family and friends. Everyone did what they could, with their pain, but it was also up to me—his mother—if not to take care of them then at least ensure that the march of time did not crush them. For, very quickly, the strange moment arrives where, still dented, it is as though we are “summoned” to fall back into line with others, to “go through the period of mourning”, one’s “grieving process” as they say, as if grief only lasts a certain time and that one had to move onto something else because life does not wait. We then learn to look happy, to hide our pain, even if we still have the impression of lagging behind, being out of synch, not really in tempo. That is what this society—one that surfs over events, devours them, zaps, has become unused to the presence of death—wants, when mastering it and the loss that follows takes place slowly, requires time.
I forced myself to obstinately put one foot in front of the other or, in the words of José, who was by my side day after day, to “carry on pedalling”, get back to routines and perform my usual tasks, compel myself to the daily discipline of work in order to contain the unbearable pain, taking my place where necessary, fooling those around me so as not to have them endure the weight of my sorrow. I have gone through the phase of revolt against his death, anger too towards what has happened to us, but I am still a long way off the time when I will have learned how to “separate memory from the pain. Or at least in part, however much is possible, so that all the past will not be drenched with so much pain. […] I will not fear the scalding of memory”1.
- Meeting the adult who had become a soldier
If memories of his childhood are very much present the adult he became, for his part, had remained a bit of a “stranger” to me, as do all children when they move away from us to live their lives, keeping their reflections and intimate thoughts for themselves or for others. When they are alive, one has the hope or certainty of getting closer to them and understanding them simply by watching them live. But his death deprived me of this perspective. And so I went to look for him, so as not to stop at his childhood and also to be able to cultivate the memory of the adult born from the child I loved so, by recreating what he had been, based on his actions, the photos he took or let people take of him, anecdotes or snippets told by others, in particular his comrades-in-arms. As a mosaic artist endeavours to fill in his picture, I try to fix each of these small pieces in my memory, like so many tesserae that need putting together so that his smile would no longer be as enigmatic as it often had been. This was all the more necessary as Thomas carried out his job in conditions that demanded great discretion on his part, silence even.
That is how I returned to Orléans to walk in his footsteps, in the room where he stayed when he was not on mission, in the office he shared where I saw the picture featuring his other name, the one he had chosen for himself: Denzel. Denzel, like the first name of the Afro-American actor known for his engaged roles. Another little sign left along the way to say who he was. That is how I asked to do a parachute jump with all of the members of his group in order to feel, at least once, a little of this adrenaline he had been searching for, something I did in July 2015. Little by little, what I managed to gather this way—small signs, snippets told by his comrades about his missions, “minutes” of his military exploits—allowed me to define the silhouette of this young adult who had become the soldier he will always remain. His age group will get older and he will always be thirty-two.
However remembering is not enough, for memories are volatile and die along with those who carry them. I made myself a promise after his death: to write Thomas’ name in places that had been important to him and to us2, so that he was not confined only to our thoughts and die with them: a street in Toulouse now bears his name on the proposal of the mayor of this city where he was born and grew up, but also the dojo of the base in Orléans, a sports hall near Ouagadougou and tomorrow, I hope, a village library in northern Senegal. To these landmarks that draw his geography and history, we must add the stone used for the war memorial in this little village in the causse of the Lot that we chose as a home base, and on which his name has been engraved. And so, every 11 November, when the small community gathers together, Thomas’ name will be read out, just like all of those that feature on this stone. Giving something a name makes it exist. And that is why hearing his name along with theirs will be a way of continuing to keep him alive, keep them alive, a little, in the present and, with them, the combats they fought so that we are ensured of peace—this infinitely precious commodity—in the long term. He will be there, a silent vigil, at the heart of the joyous hubbub of the children when they meet here on summer evenings to continue their games, and the adults their chats; when, at the end of August, the fête is in full flow, when the pétanque players throw their ball… I will greet him as I pass by there, coming back from a stroll, before going to our garden to see the two memory trees we planted there: a hackberry with a ribbed trunk like his silhouette and an umbrella pine under whose shade we can shelter.
- From death … to engagement
However, beyond the grief and the strategies and contrivances used to keep his memory alive, his death—with the number of upsets it generated, because it concerns the death of a soldier killed in action—forced me to look back at the meaning of his engagement. Thomas had built his way with conviction, skill too, choosing not to walk in our footsteps but instead to follow other roads, just as demanding, just as arduous, which would only be to his credit. Sometimes exercising silence and discretion, he often confronted us with a “fait accompli”: that was the case with Thai boxing, in which he quickly excelled (European champion in 2003, world champion in 2004), then with another fundamental decision: to join the army, where he mapped out this exceptional journey told by the tributes.
I always thought that Thomas had exceptional physical qualities that could enable him to become a great athlete, but I came to understand that, by choosing Thai boxing, there was definitely something else: an asceticism, a philosophy of life, a relationship with others that was marked by respect, so many things that he went to experience first-hand in Thailand on several occasions. I also came to understand that choosing the army—the air force, he insisted—even before joining his elite commandos, could not only be explained by the prospect of combining a professional activity with high-level sporting activity, but that other considerations also came into play: “to be of use to my country” he said during an interview, not to mention this attraction for the strength of the bonds formed between soldiers, bonds of brotherhood and solidarity whose solidity I have been able to measure… But I also know that he was committed to values, those written on the pediments of our schools, values that are mine, ours, for which we each fight in our own way. His way, which risked his life to the point of envisaging death, engaged him infinitely more than mine, far exceeded it even. For Thomas was realistic about the risk involved. We often spoke about it together: he told me he feared being wounded, and the disability that could result from it, far more than death. He spoke of death with a kind of detachment, flippancy (or that was what I took it for) that, to say the least, made me wonder and dismayed me. At times I took it as a form of nonchalance, at others for an evasive reply faced with the gravity of what was at stake as if, speaking about it this way, “flippantly”, without solemnity, was the only way to keep it at a distance. I think I have since understood that it was not the case, that he had to see it as a possibility, not through fatality, not because it would be the risk involved (especially since everything is done to limit it through tireless training), but as “the price to pay” for this choice of “profession” in which it is also necessary to accept “taking” a life. This is only humanly (morally? ethically?) possible if, beforehand, one “consents” to one’s own death. This is what he tried to make me understand one evening, when I was pushing him into a corner. However no doubt that day I did not understand what he wanted to say to me.
This way—his way—of having put his life at stake to fight for values we shared, of peace, freedom, social justice, equality between men and women, makes me infinitely humble with regard to my way of carrying them, so much more comfortable, so much lighter. It also brings me to another question that has remained unanswered: others also die for their convictions. Thomas died a few days after Rémi Fraisse, a young environmental activist who died in the Tarn after having been hit by a grenade thrown by a policeman whilst he was demonstrating against the construction of the Sivens dam. This death aroused emotion and indignation, sparked a strong mobilisation across the whole of France and provoked comments and analysis. Many men and women, young and old, were shaken by what they considered to be an unjust death, and expressed both their disapproval and solidarity.
Without organising their deaths and their battles into a hierarchical order, without comparing them or pitting them against each other, the difference in the treatment and the difference in the reactions before these two deaths—that took place within a few days of each other—has not ceased to bother me, all the more so since the death of my son in November 2014 was seized upon by opinions that were the opposite to what he was and deeply hurt me at the time. The answer I receive: the death of Rémi Fraisse was not justifiable, that of Thomas was. The former was defending his ideas, the latter was doing his job, aware of the price… But Thomas also died “for ideas, ideals” in an arduous fight against an ideology that wants to impose, through force, its moral, social and political order! How can we not recognise that these soldiers—men and women “in their prime”, who are neither suicidal nor masochistic, no more than they are “warmongers” who, like other human beings, aspire to happiness—can make this choice, in the name of such an engagement? It cannot be justified solely by their taste for adventure, no more than by the brotherly link that unites them, however strong it may be… A fortiori when it cannot be explained by the claim to a tradition (enrolment in a long line of soldiers) and when it is based on values that are generally to the left, as was the case with Thomas, as though this choice was no longer really in keeping with the times, as though it could not come from a form of engagement, in the noble sense of the word.
Thomas’ death has changed me. It is not something that you need to get over in order for life to carry on as before. It is something that has profoundly changed me, that has led me towards more “humanity”. More fundamentally no doubt, I sense that it “compels” me.
I went through (endured would be a more exact word, for I did not choose it) an ordeal that thousands of mothers before me have been through, those who lost their sons, or several sons, during the Great War and who bluntly learned the news via a simple letter. Their pain was no less great than mine, and this shared experience makes me part of this long line of mothers who have been “orphaned” of their sons. However, different times, different morals: a soldier’s life has now, manifestly, become—in the eyes of the army—more precious or more respected. Soldiers are no longer “cannon fodder”. When Thomas died, I saw a “humane” army at work, be it among the senior ranks or Thomas’ closest superiors. On this matter, it will be conceded that I cannot really be accused of sycophancy or dishonest compromise: coming from the generation that fought against the setting-up of the military on the Larzac plateau I did not, by personal conviction, have a naturally benevolent fondness with regard to the army. It took my son joining them to lead me to review my judgement and abandon my prejudices.
Faced with the ordeal inflicted by Thomas’ death and the questions it brought to the surface, the army, or “grande muette” neither kept its distance nor kept quiet: I am fully aware that I perhaps do not know everything, aware that the missions in which Thomas was involved require a certain discretion, even afterwards, but I received answers to my questions that were enough to enable me to understand and to move forward. And, most of all, this “humane” army has been “personified” by men and women who have been present each time it was necessary, who have supported us a stretch of the way, with some of whom I have formed lasting links. I would like to take this opportunity to thank them. They know who they are.
“Walk, walk more,
and more.
Perhaps at some
last border
where my wisdom cannot reach,
I will set down
this heavy load and then
take one small step backwards,
no more, one pace
across the world,
a concession,
a confession:
I am here,
he is
there,
and a timeless border
stands between us.
Thus to stand,
and then, slowly,
to know,
to fill with knowledge
as a wound fills up
with blood:
this is
to be
man3”
1 David Grossman, Tombé hors du temps [Falling out of Time], Paris, Le Seuil, 2012
2 Others have also done this: the army, by inscribing his name on the memorial in the United States for members of the special forces from the world over who have fallen; his comrades-in-arms and sport by having a crossfit training exercise officially named the “Denzel wod (workout of the day)”.
3 David Grossman, op.cit.