N°28 | L'ennemi

Xavier Boniface
Histoire religieuse de la Grande Guerre
Paris, Fayard, 2014
Xavier Boniface, Histoire religieuse de la Grande Guerre, Fayard

Xavier Boniface a réussi l’exploit de signaler avec science et clarté une dimension trop souvent méconnue de la Grande Guerre. Sans doute le flot montant ou les résurgences de la spiritualité, de la pratique religieuse, des dévotions et des recours miraculeux, chez les soldats comme dans leurs familles et dans tout l’arrière, sont un front historiographique tout à fait neuf qui a été bien exploré. Mais cette Histoire religieuse de la Grande Guerre parachève cette exploration et la synthétise très clairement, en ouvrant son grand angle à l’ensemble des fronts occidentaux et sur toute la durée du conflit. Elle ne dissimule pas que les responsables religieux, qu’ils aient été catholiques, protestants, orthodoxes, juifs ou musulmans, ont fait entrer les églises en guerre avec une curieuse vaillance, qu’ils ont légitimé les patriotismes les plus antagonistes et les plus sanglants. Oui, ils ont installé leur Dieu au front, notamment avec le renfort et le secours de ces aumôniers militaires que Xavier Boniface a naguère si bien étudiés. En outre, guerre de religions et religion de guerre ne se distinguèrent pas toujours, dans plus qu’un relent de nouvelle croisade, de sainteté éternelle du devoir patriotique et de diabolisation de l’Autre sans exorcismes possibles. Mais, dit fortement le livre, les religions ont voulu et su affronter la mort de masse – encore que, prises dans l’engrenage de la violence et pressées par l’urgence d’avoir à accompagner son expansion, elles n’aient pas affûté les théologies ad hoc. Elles ont rameuté et engrangé utilement des ouailles anciennes et nouvelles aux arrières comme aux fronts. Elles ont milité, Saint-Siège en tête, pour la paix et fait chanter partout les De profundis. Le livre sait donner aussi des exemples précis de la justesse de son argumentaire général en décrivant, dans trois chapitres très originaux, des croyants sous le joug de l’occupant du Nord après Invasion 14, en suivant l’effet des combats sur les missionnaires de l’outre-mer français ou en démêlant les tentatives proto-djihadistes de mobilisation de l’islam. Sa conclusion ? « Ce double positionnement des religions vis-à-vis de la guerre, la légitimant tout en aspirant vainement à en limiter les effets déshumanisants, se retrouve dans l’ambivalence entre leur interprétation transcendante du conflit, phénomène collectif voulu ou toléré par Dieu, et leur attitude plus immanente d’un accompagnement individualisé des hommes qui se battent et qui souffrent. De telles ambiguïtés peuvent s’expliquer par le fait que la souffrance et la gloire sont au cœur de la guerre comme de la religion. »


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