Inflexions : Notre numéro consacré à l’honneur ne pouvait se passer de la présence d’un homme qui a placé la vérité devant la complaisance. Dès 1948, en effet, à un moment où quitter ou être exclu du parti communiste apparaissait comme le suprême déshonneur, vous avez mis l’honneur de la vérité sur ce qui se passait en Union soviétique devant votre intérêt personnel, devant l’obligation de fidélité à un engagement politique, de solidarité, de respect aveugle de la discipline.
Edgar Morin : Cette attitude est le fruit de plusieurs épisodes. Il faut tout d’abord préciser que j’étais un communiste de guerre, c’est-à-dire que j’étais entré en résistance au moment de la première résistance de Moscou, de la première contre-offensive et de Pearl Harbour, une période où, avant Stalingrad, un espoir était possible. Pendant mon adolescence, j’avais lu toute la littérature critique de l’Union soviétique stalinienne, je connaissais tout du Parti, de Trotski et, avec des raisonnements soi-disant rationnels, j’avais admis que la situation tenait au poids du passé dont étaient responsables aussi bien l’encerclement capitaliste que l’arriération de la Russie tsariste. Je pensais que dès que la victoire universelle du socialisme serait acquise, il y aurait un épanouissement ; une pensée qui correspondait du reste à l’idéologie communiste qui est une idéologie de liberté. Il faut rappeler que peu avant la révolution d’Octobre, Lénine écrivait dans L’État et la Révolution que le but du communisme était d’abolir l’État. C’était un but libertaire ! Alors j’ai eu un espoir immense, surtout à un moment où même les communistes s’ouvraient au reste du monde.
Pendant la guerre, j’ai eu deux identités : j’appartenais à un mouvement de résistance gaulliste et j’étais lié, en sous-marin, avec le parti communiste. J’étais à l’aise dans les deux parce que le lien communiste était mystique et celui avec les gaullistes beaucoup plus fraternel, presque amical, alors qu’au Parti tout était très rigide, avec des règles de sécurité draconiennes. J’ai donc eu cet espoir et j’ai même converti nombre d’amis avec ma foi.
Alors qu’est-ce qui s’est déréglé ? D’abord, l’arrivée en France de ce durcissement culturel que l’on a appelé le « jdanovisme ». Désormais, une seule littérature était reconnue et acceptée : le réalisme socialiste. C’est l’époque où Elsa Triolet affirmait qu’un écrivain qui n’était pas communiste n’avait pas de talent, où on nous disait que Sartre touchait de l’argent de l’ambassade américaine et bien d’autres inepties. Une véritable régression culturelle. J’ai alors fait un premier acte de dignité. Le responsable aux intellectuels, Laurent Casanova, avait rassemblé les intellectuels communistes de Paris. Or j’avais réalisé dans Les Lettres françaises, l’hebdomadaire culturel du Parti, une interview d’Elio Vittorini, un communiste italien qui estimait avec mes amis et moi que le front de la culture était différent du front de la politique, c’est-à-dire que la culture devait avoir son autonomie. J’étais très heureux d’avoir fait cette interview. Alors, lorsqu’au cours de cette réunion Casanova s’est exclamé « Qu’est-ce que c’est que cet Italien qui vient nous donner des leçons à nous communistes français », j’ai rompu le silence respectueux et dit : « Le fait qu’Elio Vittorini soit italien n’a rien à voir avec le débat qui nous occupe. » J’ai alors eu le sentiment d’avoir accompli un grand sacrilège. Casanova, qui était un homme habile, a eu un sourire bonasse en disant : « Il faut qu’on fasse un rapport à une prochaine séance autour de Vittorini, qui pourrait le faire ? » Un de mes amis a proposé mon nom et j’ai ainsi été chargé dudit rapport. J’y ai fait l’éloge de la thèse de Vittorino, qui a ensuite été violemment combattue. Et moi et mes amis ont été finalement vaincus. On a essayé de rallier quelques autres intellectuels à notre cause, mais ils se sont dégonflés.
Pourtant, bien que vaincu, je suis alors resté au Parti qui, à mes yeux, incarnait toujours une force d’avenir, et ce même si j’avais connaissance de choses qui n’allaient pas et que je taisais. Lors du procès de Kravchenko1 par exemple, alors que toute une élite intellectuelle française volait au secours de l’accusation, un seul a osé affirmer que Kravchenko disait la vérité. C’était Claude Lefort2. Et moi je savais qu’il avait raison, mais je me suis tu, je me suis tu… Margaret Buber-Neumann, qui était venue témoigner au procès, a été insultée et traitée de menteuse par l’avocat. J’avais fait sa connaissance peu avant grâce à Emmanuel Mounier qui était directeur d’Esprit et j’avais été bouleversé, par ce qu’elle disait : veuve du leader communiste Heinz Neumann, victime de la Grande Terreur et fusillé en 1937, elle avait été déportée dans un camp de goulag puis livrée à l’Allemagne nazie après le pacte germano-soviétique et internée à Ravensbrück. On savait ! On était bouleversé mais on n’a rien fait publiquement parce qu’on savait que dire quelque chose c’était pan ! L’exécution. Et quand David Rousset a demandé une commission d’anciens déportés pour faire un rapport sur l’Union soviétique, mon ami Robert Antelme3, qui avait été déporté, a été coincé. Quand Tito a été excommunié, je savais que toutes ces accusations étaient imbéciles, mais je n’ai pas fait le voyage en Yougoslavie.
Inflexions : Quelle a été la rupture ?
Edgar Morin : C’est l’arrestation et le procès de Laszlo Rajk4. Je savais par intuition que les accusations portées à son encontre étaient invraisemblables, mais mon ami François Fejtö a alors publié un article magnifique dans Esprit dans lequel il démontrait qu’elles ne tenaient pas, achevant de me convaincre. Suite à cet article, Fejtö m’a appelé à l’aide : il craignait d’être chloroformé au sein du Centre culturel hongrois de Paris où il travaillait alors. Je suis donc allé le trouver et nous sommes sortis ensemble du bâtiment malgré les types qui nous dévisageaient. J’ai alors pris conscience du gouffre qui s’ouvrait et c’est là que s’est vraiment faite la cassure intérieure. Ce qui est très curieux, c’est qu’à cette époque j’étais encore capable d’accepter l’usage par le Parti de l’oppression et la contrainte, que je pouvais juger temporaires. Mais l’inflation de mensonges, c’est cela qui m’a fait mal et a été la cause de ma cassure avec le Parti. C’est pour cela que la vérité est plus importante que la fidélité.
Ma rupture avec le Parti s’est faite par étapes. J’ai commencé par ne pas reprendre ma carte en 1948, mais je l’ai caché. Dans ma cellule de travail du Centre d’études sociologiques (ces), tous pensaient que je militais dans ma cellule d’habitation, et dans ma cellule d’habitation, tous pensaient que je militais au ces. Puis, en 1950 ou 1951, j’ai publié un article dans L’Observateur dans lequel je rendais compte d’un colloque qui avait eu lieu au ces ; j’y écrivais notamment que les révolutions urbaines n’avaient réussi que lorsqu’elles avaient été accompagnées d’un mouvement dans les campagnes, et je citais la Révolution française des villes et la grande peur des campagnes, la révolution d’Octobre avec tout le pouvoir aux soviets et la terre aux paysans… J’y écrivais aussi que Mao Zedong avait été exclu de l’Internationale communiste quand il s’était tourné vers les campagnes. J’ai alors été convoqué par Annie Kriegel5 – elle a ensuite beaucoup changé ! –, qui m’a soumis à un véritable interrogatoire :
A. K. : « Que penses-tu d’un communiste qui écrit dans le journal de l’Intelligence service ? »
E. M. : « Je ne suis pas de l’Intelligence Service, donc je ne sais pas de quoi tu parles. »
A. K. : « As-tu parlé à nos grands camarades Langevin, Joliot-Curie… Leur as-tu demandé ce qu’ils pensaient d’un communiste qui écrit dans L’Observateur ? »
E. M. : « Je pense que c’est un journal de gauche. »
A. K. : « Tu te permets d’insulter notre camarade Mao Zedong ! »
E. M. : « Mais non, c’est lui-même qui dans ses Mémoires raconte cela. »
La machine était en marche. Un ami, qui était concierge en face de chez moi et était membre d’une cellule où je n’avais jamais mis les pieds (j’avais totalement cessé de militer), m’a convié à une réunion. J’ai cru que c’était une réunion des combattants de la paix. J’ai donc mis mon beau costume et j’y suis allé. Est arrivée Annie Kriegel qui a dit : « Je demande l’exclusion du camarade Morin ; le Parti doit s’épurer. » Et tous ont voté mon exclusion. Je dois dire que cette nuit-là, j’ai eu du chagrin parce qu’alors, être exclu du Parti était une excommunication, une malédiction comme celle qu’avait subie Spinoza. En rentrant de cette séance, j’entendais dans la nuit un pick-up qui jouait la marche ukrainienne que je chantais à l’époque des victoires et de l’espoir. J’avais perdu tout espoir. Mais le matin, j’étais heureux, j’étais libre, et je suis resté libre.
Inflexions : Vous étiez libéré du poids du mensonge ?
Edgar Morin : Le Parti était une Église, son immeuble un lieu sacré. Quand j’allais en Grèce, je fraternisais avec des ouvriers communistes. Existait donc en moi à la fois un lien fort de famille, d’autant que j’étais un orphelin de mère, et en même temps une répulsion de plus en plus grande. Il faut dire qu’avant même cette exclusion, je m’étais fâché avec beaucoup d’amis très chers qui n’acceptaient pas que je puisse tenir « des propos infects ». J’ai perdu des faux amis mais les vrais, je les ai gardés. Ce fut une période de libération intérieure. Elle était tellement plus grande que la soumission à la discipline et à la fidélité au Parti au prix du mensonge !
Inflexions : Vous avez évoqué Robert Antelme qui a quitté le Parti peu après vous. Son livre, L’Espèce humaine, est un des plus forts jamais écrits.
Edgar Morin : C’est le livre le plus humain qui soit, dans lequel Robert Antelme écrit : « Nos bourreaux sont eux-mêmes des êtres humains. » C’est un livre fondateur et l’ouvrage le plus humble, le moins grandiloquent que je connaisse, écrit avec des mots de tous les jours et c’est cela sa force. C’est un grand livre de littérature sans aucune littérature. Un livre qui nous touche dans notre vie quotidienne : le geste inconscient qui peut brutalement donner l’occasion de se ressaisir, la lâcheté quotidienne, la faim. Je n’ai jamais autant compris la faim… Et quand je mange un morceau de pain, très souvent, je pense à ce livre. La fin est bouleversante. Le déporté russe demande « Wir sind frei ? » (« nous sommes libres ? ») et Antelme répond : « Ja, ja. » Le sentiment de solidarité envers l’espèce humaine est une des conditions de ce qu’est pour moi l’honneur. Respecter les vaincus… Il y a un certain nombre de principes comme cela.
Il est vrai que dans mon expérience, j’ai souvent été exalté. Par les révoltes en Pologne par exemple, la première en 1956, l’Octobre polonais, puis celle de Walesa et de Gdansk. J’avais une grande admiration pour ces Polonais comme pour mes amis Hongrois, mais je me suis rendu compte qu’une fois libérés, tous ces pays retombaient dans la quotidienneté, comme nous après la Libération, que l’humain est capable de choses merveilleuses puis de retomber, de dériver même.
Une chose importante pour moi, qui m’a aidé, a été de constater les dérives. Des amis très chers de mon adolescence, qui étaient pacifistes parce qu’ils étaient marqués par le poids de la Grande Guerre, ont accepté la défaite en 1940 puis, alors que la guerre devenait mondiale, sont devenus collaborateurs. Il y a donc eu chez eux une dérive insensible. Ce fut le cas aussi des communistes qui sont entrés au Parti par générosité et se sont transformés en bolcheviques implacables. Joubert disait qu’« en période troublée, la difficulté n’est pas de faire son devoir mais de le reconnaître ». Beaucoup ont été perturbés en juin 1940, dont moi, mais certains ont réagi immédiatement, souvent d’anciens communistes qui avaient quitté le Parti comme Vernant et qui l’ont retrouvé ensuite, et cela même sans aucune espérance, ou bien des indignés n’acceptant pas la défaite comme Frenay. Moi, je suis du deuxième combat. En 1940, j’étais encore marqué par le pacifisme, j’étais encore perturbé. Il a fallu que j’attende, que je réfléchisse.
Inflexions : Pensez-vous qu’il puisse y avoir des conflits dans l’honneur ? Pendant la guerre d’Algérie, par exemple, quelques officiers et généraux ont estimé que leur honneur était de maintenir l’Algérie française, que l’honneur de l’armée était de fomenter un putsch alors que le citoyen républicain pensait, lui, que le sien était d’être contre le putsch. N’y a-t-il pas un moment où deux honneurs s’affrontent, où l’on oublie ce qu’est peut-être la valeur suprême de l’honneur, c’est-à-dire le rapport à l’autre et l’estime de soi ?
Edgar Morin : Sans doute. Beaucoup de gens me disent que les résistants défendaient une cause pure, une cause magnifique qu’on ne trouve plus aujourd’hui. Je leur réponds que notre cause était pure mais qu’elle avait aussi sa part d’ombre. Nous avons par exemple combattu pour la libération de la France, mais tout de suite après, la France a réprimé à Constantine la première révolte d’indépendance des Algériens. L’ombre, c’est qu’on a gardé le colonialisme alors qu’on s’était, nous, décolonisé. Je pense que pour ceux qui ont été engagés en Algérie, le vice de forme était que l’on considérait l’Algérie comme une possession française, une situation rendue complexe par le nombre de pieds-noirs et l’armée qui, après l’Indochine, ne voulait pas accepter une nouvelle défaite. On avait donc affaire à un honneur enfermé dans l’honneur militaire, qui ne tenait compte ni du fait colonial imposé depuis 1830 à ce peuple ni du fait international qui condamnait la France à perdre cette guerre – elle l’a perdue politiquement mais pas militairement. Donc je comprends très bien les La Bollardière, Servan Schreiber et tous ceux, civils ou militaires, qui se sont révoltés par sentiment d’honneur, de priorité à leurs idées.
Inflexions : Peut-on pardonner les failles à l’honneur ?
Edgar Morin : Le pardon ? Au printemps 1944, j’étais persuadé que nous avions deux traîtres dans notre mouvement, des gens qui avaient été arrêtés puis retournés par la Gestapo. Avec Mitterrand, qui était responsable du mouvement, nous avons décidé de les liquider physiquement. Peut-être étaient-ils innocents ; ils étaient surtout très dangereux. Là-dessus, la libération de Paris arrive. L’un de ceux sur lesquels portaient nos soupçons quitte la capitale et s’engage dans l’armée de Lattre ; l’autre, nous l’arrêtons et l’emprisonnons dans un hôtel du Marais. Mais face à ce pauvre type qui avait été tabassé, je suis pris d’écœurement et je me dis : « C’est fini. On a gagné. Il ne peut plus faire de mal. Il a peut-être parlé sous la torture mais c’est fini. » Une fois qu’on a gagné, on ne va pas se venger. Il a été libéré et a fait une belle carrière par la suite. Je ne dirai pas son nom. Peut-être était-il innocent…
Inflexions : Pensez-vous qu’en 2014, le sens de l’honneur soit devenu une valeur sinon dépassée du moins mise en sourdine ?
Edgar Morin : Oui, je pense que pour beaucoup le sens de l’honneur a diminué. Mais ce qui est curieux, c’est que subsistent des honneurs particuliers comme celui en vigueur dans les gangs, dans le Milieu... Et remarquez que quand on est élève, on ne « cafte pas », on ne dénonce pas un camarade. C’est une règle spontanée de l’honneur, une solidarité. Je crois qu’il y a une chose que l’on n’enseigne malheureusement pas aux jeunes, c’est que l’honneur commence par un rapport avec soi-même à partir de quoi s’établit le rapport avec les autres. Le respect de soi-même conditionne le respect d’autrui. C’est une des maximes que j’ai empruntée à Pascal et à Niels Bohr, qui dit : « Le contraire d’une grande vérité est une autre grande vérité. » Il faut toujours trouver la vérité devenue folle parfois chez l’autre. Regardez par exemple l’antisémitisme. La vérité, c’est qu’il y a une singularité du destin historique des juifs depuis deux mille ans avec les persécutions du Moyen Âge et la relégation dans des carrières paysannes ou commerciales. Mais transformer cette singularité en un destin pervers visant à détruire la civilisation, c’est une vérité devenue folle. Il en est de même pour l’anti-islamisme ou l’anti-Roms.
Inflexions : L’engagement, au sens le plus radical du terme, est-il selon vous un élément de l’honneur ? Est-ce que ce moment que vous avez vécu fait que vous avez été confronté plus que d’autres dans les siècles antérieurs à des choix qui mettaient l’honneur au premier plan d’une façon rarissime ?
Edgar Morin : Il ne faut pas oublier qu’au cours des siècles où les gens n’avaient pas de choix, où ils étaient immergés dans une religion, il a quand même existé des dissidents qui, par besoin et respect de la vérité, ont affronté la mort : regardez Giordano Bruno ! J’ai été frappé par les dissidents soviétiques. L’un d’entre eux, je ne sais plus lequel, a critiqué ouvertement Staline dans la Kommensomol Pravda et a été aussitôt jeté en prison. Il y a des gens qui ont le courage de s’exprimer publiquement au péril de leur vie.
Inflexions : Peut-on dire que vous avez été l’un des premiers dissidents du pcf, même si le mot dissident n’existait pas en 1948 ?
Edgar Morin : Oui et non parce qu’il y a eu toute une génération de dissidents dans l’entre-deux-guerres : Gide qui a écrit Retour de l’urss, Boris Souvarine, Victor Serge… Mais on l’a oubliée. Les maoïstes ont complètement occulté l’expérience de notre génération. Je crois que j’ai été un des premiers de cette génération-là.
Inflexions : Mai-68, dont vous avez été un intervenant important, a-t-il conforté votre abandon de la carte du Parti ? A-t-il été pour vous une confirmation ou une interrogation ?
Edgar Morin : J’étais enthousiaste par ce jaillissement libertaire et communautaire. Je me suis d’ailleurs masqué des aspects un peu bêtes comme le slogan « crs ss ». Je n’ai vu que le côté merveilleux d’une aspiration juvénile à un monde meilleur, à autre chose. J’étais donc surtout pour les élans du début, comme une révolution à l’état naissant, parce qu’après, le mouvement a été parasité par les trotskistes, les maoïstes et autres. Mais je ne renie rien de ce que j’ai écrit sur cette période, parce que j’avais déjà perçu tout ce que je vous dis.
Inflexions : Les chemins de l’honneur sont-ils si différents ?
Edgar Morin : En 1943, les éditions de Minuit clandestines ont publié L’Honneur des poètes, des poèmes de résistance d’Éluard, René Char, Aragon, Vercors, Desnos, Lescure… En 1945, Benjamin Péret, un grand poète surréaliste, a écrit Le Déshonneur des poètes à son retour du Mexique, un pamphlet dans lequel il dénonçait la poésie de circonstance. Il avait tort, mais il y avait quand même quelque chose de vrai dans ses propos.
Il est souvent difficile de choisir le bon chemin. J’ai écrit il y a quelque temps dans Le Monde un article sur la Syrie dans lequel je me demandais si une intervention occidentale ne risquait pas d’aggraver les choses en mondialisant, en internationalisant encore plus ce conflit. Or ne pas intervenir est également quelque chose de très grave parce qu’on laisse ce processus épouvantable se dérouler. Je suggérais une troisième solution : que les grandes puissances s’entendent pour faire pression sur les belligérants afin d’obtenir un arrêt du massacre pour ensuite voir venir. J’étais donc pris dans la contradiction et la solution que je proposais aurait été possible si les États-Unis, la Russie et la Chine étaient capables de s’entendre. Mais l’heure n’est pas encore venue… Donc il y a des cas où l’engagement est évident, d’autres où ce n’est pas évident…
Inflexions : Le déshonneur est-il plus évident que l’honneur ?
Edgar Morin : Certainement. Mais là encore, ce qui semble déshonneur pour les uns ne l’est pas pour les autres. Moi, je m’étais déshonoré parce que j’avais quitté le Parti, j’étais un traître – un traître c’est ce qu’il y a de plus déshonorant. Pourtant, je savais que j’avais sauvé mon honneur.
Inflexions : Les honneurs ne sont-ils pas en contradiction avec l’honneur ?
Edgar Morin : Cela peut arriver. Mais en ce qui me concerne, ceux que j’ai reçus, les doctorats honoris causa ou bien la Légion d’honneur par exemple, m’ont aidé à me protéger. Surtout dans le milieu scientifique dans lequel j’ai fait toute ma carrière, le cnrs, où pendant très longtemps je n’ai pas été pris au sérieux. Toutes mes idées semblaient farfelues : la complexité, l’interdisciplinarité… J’étais considéré comme un marginal, mais mes doctorats honoris causa étaient mes boucliers. Il y a donc des cas où les honneurs aident à maintenir l’honneur, tout en étant honoré, et dans un certain cadre, ils protègent l’honneur. Mais ce n’est pas nécessairement le cas. Je pense que la vie nécessite des compromis entre nos exigences d’honneur, de vérité. Mais il n’existe pas de frontière nette entre compromis et compromission, ce qui fait que vous pouvez être dans celle-ci tout en croyant être dans celle-là. Or la compromission conduit au déshonneur. On se masque alors à soi-même ce déshonneur en se justifiant de multiples façons. Ce qui m’a conduit à une certaine vigilance, c’est de voir les dérives de tant de mes compagnons, du Parti notamment. Je suis un de ceux qui ont eu des sursauts ; plusieurs « non » se sont succédé chez moi, le premier purement culturel. J’ai, c’est vrai, fait des compromis qui auraient pu être des compromissions, mais ces sursauts m’ont empêché d’être dégradé. Je crois aussi qu’il existe aujourd’hui un culte de la vérité. Mais qu’est-ce que « la vérité » ? Bien entendu, il existe des vérités morales : la fraternité, le bien… Mais existent aussi des vérités de fait, par exemple les mensonges sur la révolution culturelle chinoise, sur le goulag soviétique… De telles insultes à la vérité suscitent mes révoltes les plus profondes.
Propos recueillis par Didier Sicard
1 En 1944, Victor Kravchenko, commissaire politique dans l’armée rouge, demande l’asile politique aux autorités américaines. La même année, il dénonce le « régime arbitraire et de violence » de l’Union soviétique dans le New York Times. En 1947, la publication en France de J’ai choisi la liberté donne lieu à une polémique retentissante. Les Lettres françaises l’accusent de désinformation et d’être un agent américain. Kravchenko porte plainte pour diffamation. Le procès débute le 24 janvier 1949 devant le tribunal correctionnel de la Seine. Une centaine de témoins y participeront. Kravchenko l’emporte le 4 avril.
2 Philosophe connu pour sa réflexion sur les notions de totalitarisme et de démocratie, membre du groupe Socialisme et barbarie.
3 Poète, résistant, Robert Antelme a été déporté le 1er juin 1944 à Buchenwald puis à Dachau, où il a failli mourir du typhus. Sur cette expérience, il écrira L’Espèce humaine en 1947. Collaborateur des Temps modernes, il sera exclu du Parti en 1956 après la dénonciation de la répression de l’insurrection de Budapest. Pendant la guerre d’Algérie, il sera signataire du Manifeste des 121.
4 Un des leaders des communistes resté en Hongrie, Rajk a été après la guerre ministre de l’Intérieur et ministre des Affaires étrangères. En 1949, il est accusé d’être un espion « titiste » au service de l’Occident. Torturé, il accepte de reconnaître les charges contre lui en échange de son acquittement. Mais l’accusation demande la charge la plus lourde contre lui et les dix-huit autres personnes jugées à ses côtés. Il va servir d’exemple pour les purges « anti-titistes » de Staline. Il est condamné et pendu le 15 octobre.
5 Résistante au sein des jeunesses communistes de la main d’œuvre immigrée (moi), Annie Kriegel adhère au pcf en 1945. Parallèlement à ses activités d’enseignante en histoire, elle devient membre permanent et fait partie du comité de rédaction de l’organe destiné aux intellectuels, La Nouvelle Critique. Elle quitte le Parti en 1957 à la suite des révélations sur le stalinisme. Après s’être ralliée à de Gaulle en 1958, elle devient chroniqueuse au Figaro dans les années 1970. Elle consacrera son travail de chercheuse à l’histoire du communisme dont elle sera une des plus acerbes critiques.
Inflexions: Our issue devoted to honour would not have been complete without the presence of a man who placed truth before servile compliance. As early as 1948, at a time when leaving or being excluded from the communist party would have appeared to be the ultimate dishonour, you put the honour of the truth about what was going on in the Soviet Union before your personal interest, before the obligation to be loyal to a political commitment, to show solidarity, and to comply blindly with discipline.
Edgar Morin: That attitude was the fruit of various episodes. Firstly, we need to remember that I was a war communist, i.e. I became a resistant at the time of the first resistance by Moscow, of the first counter-offensive, and of Pearl Harbor, a period before Stalingrad but during which hope became possible. In my teens, I had read all of the literature critical of the Soviet Union under Stalin, I knew everything about the Party, about Trotsky, and, with so-called “rational” reasoning, I had come to accept that the situation was due to the weight of the past, the responsibility for which lay in the capitalist encirclement and in the backwardness of Tsarist Russia. I thought that as soon as the universal victory of socialism had been won, there would be fulfilment ; a thought that, moreover, corresponded to the communist ideology which is an ideology of liberty. It should be recalled that, a short time before the October Revolution, Lenin wrote in The State and Revolution that the aim of communism was to abolish the State. That was a libertarian aim! So I was tremendously hopeful, especially at a time when even the communists were opening up to the rest of the world.
During the War, I had two identities: I belonged to a Gaullist resistance movement, and, under-cover, I had ties with the Communist Party. I was comfortable in both identities because the ties with the Communists were mystical and the ties with the Gaullists were more fraternal, and almost friendly, whereas in the Party everything was very rigid with draconian security rules. I therefore had this hope, and I even converted a good number of friends with my faith.
So, what went awry? Firstly the arrival in France of the cultural hardening that was called Zhdanovism. Henceforth, only one literature was recognised and accepted: socialist realism. It was the time when Elsa Triolet asserted that a writer who was not communist was talentless, and when we were told that Sartre was receiving money from the American Embassy, and a good deal of other nonsense. A genuine cultural regression. I then did a first deed of dignity. The head of the intellectuals, Laurent Casanova, had gathered together the communist intellectuals of Paris. For Les Lettres françaises, the weekly literary publication of the Party, I had interviewed Elio Vittorini, an Italian communist who, like my friends and I, considered that the cultural front was different from the political front, i.e. that culture should be independent. I was very pleased to have done the interview. So when, during that meeting, Casanova exclaimed: “Who does this Italian think he is, coming here and lecturing to us French communists?”, I broke the respectful silence and said: “The fact that Elio Vittorini is Italian has nothing to do with the debate in hand.” I then had the feeling that I had committed a great sacrilege. Casanova, who was a clever man, smiled meekly, saying: “We need a report about Vittorini to be presented to a later session ; who could write it? » One of my friends put my name forward, and so I was assigned to writing the said report. In my subsequent report, I praised Vittorini’s arguments, which were then attacked violently. And my friends and I were finally defeated. We tried to rally a few other intellectuals to our cause, but they bottled out.
And yet, although defeated, I stayed in the Party which, in my eyes, still embodied a force for the future, even though I was aware of things that weren’t right and that I kept quiet about. During the Kravchenko trial 1, for example, while a large section of the French intellectual elite rallied to the defence of his accusers, only one of that elite dared assert that Kravchenko was telling the truth. That man was Claude Lefort 2. And I knew he was right, but I remained silent, I remained silent... Margaret Buber Neumann, who was a witness at the trial, was insulted and called a liar by the barrister. I had met her shortly before, through Emmanuel Mounier, who was the Director of the magazine Esprit, and I was shattered by what she told me: she was the widow of the communist leader Heinz Neumann, who was a victim of Stalin’s Great Purge and was shot in 1937, and she was deported to a gulag and then handed over to Nazi Germany after the Nazi-Soviet Pact and imprisoned at Ravensbrück. We knew! We were shattered but we did nothing publically because we knew that to speak up meant “bang!” Execution. And when David Rousset asked for a commission of former deportees to be set up to write a report on the Soviet Union, my friend Robert Antelme 3, who had been deported, was unable to be forthcoming. When Tito was expelled, I knew that all of the accusations were imbecilic, but I did not make the trip to Yugoslavia.
Inflexions: What was the breaking point?
Edgar Morin: It was the arrest and trial of Lazlo Rajk 4. I already knew intuitively that the accusations levelled against him were implausible, but it was my friend François Fejtö then publishing a magnificent article in Esprit demonstrating that they did not hold water that finally fully convinced me. After that article, Fejtö asked me for help: he feared he would be chloroformed at the Hungarian Cultural Centre in Paris where he worked at the time. So I met him and we came out of the building together in spite of the individuals who were staring at us. I then became aware of the chasm that was opening up, and that was when the break really occurred inside me. What was very odd was that at that time I was still capable of accepting the Party using oppression and restraint, which I was able to consider as being temporary. But it was the inflationary spiral of lies that hurt me and that was the cause of my break with the Party. That is why truth is more important than loyalty.
My break with the Party took place in stages. I started by not renewing my card in 1948, but I masked that. In my work unit at the Centre d’Etudes Sociologiques (ces), everyone thought I was working as a militant in my home unit, and in my home unit, everyone thought that I was a militant at the ces. Then, in 1950 or 1951, I published an article in L’Observateur in which I reported on a symposium that had been held at the ces. In particular, I wrote that urban revolutions had succeeded only when they had been accompanied by a movement in the rural areas, and I cited the examples of the French Revolution in the towns and cities and the Great Fear in the rural areas, and of the October Revolution with all the power lying with the Soviets and the land with the peasants... I also wrote that Mao Zedong was excluded from the Communist International when he turned to the rural areas. I was then summoned by Annie Kriegel 5 – she subsequently changed a lot!–, who subjected me to a genuine interrogation:
AK: “ What do you think of a communist who writes in the magazine of the Intelligence Service? ”
EM: “I am not from the Intelligence Service and so I don’t know what you are talking about.”
AK: “ Did you speak to our great comrades Langevin, Joliot-Curie... Did you ask them what they thought of a communist who writes in L’Observateur? ”
EM: “I think it’s a leftwing magazine.”
AK: “ You dare to insult our comrade Mao Zedong! ”
EM: “No, he tells of that himself in his Memoires.”
The machine was rolling. A friend, who was a concierge opposite my home and who was a member of a unit that I had never attended (I had totally ceased to work as a militant), invited me to a meeting. I thought it was a meeting of the “combattants de la paix” (“peace fighters”). So I put on my best suit and went. In came Annie Kriegel who said: I demand the exclusion of comrade Morin ; the Party needs to purify itself. » And everyone voted to exclude me. I must say that that night I was grieved because to be excluded from the Party then was an excommunication, a herem like the one pronounced against Spinoza. On going home from the meeting, I heard a gramophone playing the Ukrainian March that I used to sing back in the time of victories and of hope. I had lost all hope. But in the morning I was happy, I was free, and I have remained free.
Inflexions: You were free from the weight of lies.
Edgar Morin: The Party was a Church, and its building was a holy place. When I went to Greece, I fraternised with communist workers. And so I had in me both a strong family tie, in particular since I had lost my mother while I was very young, and, at the same time, an increasing repulsion. It has to be said that, even before my exclusion, I had fallen out with many dear friends who did not accept that I could say such “foul things”. I lost false friends but I kept my true friends. It was a period of internal liberation. It was so much greater than my submission to Party discipline and to loyalty to the Party at the cost of the lies!
Inflexions: You mentioned Robert Antelme who left the Party soon after you. His book, The Human Race, is one of the most powerful ever written.
Edgar Morin: It’s the most human book imaginable, in which Robert Antelme wrote: “Nos bourreaux sont eux-mêmes des êtres humains” (“Our executioners are themselves human beings”). It is a founding book and the humblest and the least grandiloquent work that I know, written with everyday words, and therein lies its force. It is a great literary book without any literature. A book that touches us in our daily lives: the unconscious gesture that can suddenly give an opportunity to pull ourselves together, everyday cowardice, hunger. I’ve never understood hunger so well... And when I eat a piece of bread, very often I think of that book. The end is deeply moving. The Russian deportee asks: “Wir sind frei?” (“Are we free?”) and Antelme answers: “Ja, Ja.” The feeling of solidarity with the human race is, for me, one of the preconditions for honour. Respect for the defeated... There are a certain number of principles like that.
It is true that, in my experience, I have often been fired up. By the revolts in Poland, for example, the first in 1956, the Polish October, and then the revolts of Walesa and Gdansk. I had great admiration for those Polish people and for my Hungarian friends, but I realised that, once liberated, all of these countries fell back into humdrum daily existence, like we did after the Liberation, and that humans are capable of wonderful things and then of falling back down, and even of drifting or of shifting positions.
Something important for me and that has helped me has been to observe such shifts. Some very dear friends from my teenage years, who were pacifists because they were marked by the weight of the Great War, accepted defeat in 1940 and then, as the War became global, became collaborators. They therefore shifted without noticing it. This also applied to the communists who joined the Party through generosity and who then changed into implacable Bolsheviks. Joubert said that “in troubled times, the problem is not to do one’s duty but rather to recognise it”. Many people were perturbed in June 1940, including me, but some reacted immediately, often former communists who had left the Party like Vernant and who then joined it again, even without any hope, or else outraged people who would not accept defeat, like Frenay. I am one of the second wave. In 1940, I was still marked by pacifism, and I was still perturbed. I had to wait, and to think.
Inflexions: Do you think that there can be conflicts in honour? During the Algerian War, for example, some officers and generals considered that honour obliged them to keep Algeria French, and that the honour of the army was to foment a putsch, while French citizens thought that honour obliged them to be against the putsch. Does not a time come when two honours confront each other, when we forget what, perhaps, is the supreme value of honour, i.e. relations with others and self-esteem?
Edgar Morin: Yes, doubtless it does. Many people say to me that resistance fighters defended a pure cause, a magnificent cause that is no longer to be found today. I reply that our cause was pure but that it also had its darker side. For example, we fought for the liberation of France but immediately afterwards France crushed the first revolt for independence of the Algerians in Constantine. The dark side is that we kept colonialism while we had ourselves decolonised. I think that for those who went to fight in Algeria, the flaw was that we considered Algeria to be a French possession, a situation made complex by the number of pieds noirs there and by the Army who, after Indochina, did not want to a accept another defeat. We thus had honour locked up in military honour that took account neither of the colonial situation that had been imposed on the Algerian people since 1830 nor of the international situation whereby France was doomed to lose that war – France lost it politically but not militarily. Therefore, I quite understand people like La Bollardière, Servan Schreiber and all those, civil or military, who rebelled through a feeling of honour, and of priority of their ideas.
Inflexions: Can we forgive lack of honour?
Edgar Morin: Forgiveness? In the Spring of 1944, I was convinced that we had two traitors in our movement, people who had been arrested and then turned by the Gestapo. With Mitterrand, who was in charge of the movement, we decided to eliminate them physically. Maybe they were innocent ; above all they were very dangerous. Then, Paris was liberated. One of the suspected traitors left the capital and joined de Lattre’s army ; and the other we arrested and held prisoner in a hotel of the Le Marais district of Paris. But faced with this poor guy who had been beaten, I was sickened and said to myself: “It’s over. We’ve won. He can’t do any harm any more. Maybe he spoke under torture, but it’s over now. » Once we’ve won, we don’t need to avenge ourselves. He was freed and subsequently had a fine career. I won’t give his name away. He might have been innocent...
Inflexions: Do you think that, in 2014, having a sense of honour has become a value that, if not outmoded, is at least muted?
Edgar Morin: Yes, I think that, for many, a sense of honour is less important. But what is strange is that specific codes of honour remain like those in force in gangs or in the world of organised crime... And note that schoolchildren do not sneak on or denounce another classmate. It’s a spontaneous rule of honour, a solidarity. I think that there is something that, sadly, young people are not taught, and that is that honour starts with a relationship with yourself, based on which relationships with others are established. Respect for oneself is a precondition for respect for others. It’s one of the maxims that I have borrowed from Pascal and from Niels Bohr who says: “The opposite of one profound truth is another profound truth.” We always need to find the truth that has sometimes become mad in others. For instance, look at anti-Semitism. The truth is that there is a singularity in the historical destiny of Jews over two thousand years with the persecutions of the Middle Ages, and the relegation into peasant or shopkeeper careers. But transforming that singularity into a perverse destiny aimed at destroying the civilisation is a truth that has gone mad. The same applies to anti-Islamism or anti-Romism.
Inflexions: In your opinion, is commitment, in the most radical sense of the term, part of honour? Does this time at which you have lived mean that you have been faced to a larger extent than others in preceding centuries with choices bringing honour to the fore to a rare extent?
Edgar Morin: We should not forget that, down through the centuries when people had no choice, when they were immersed in a religion, dissidents nevertheless existed who, by need for and respect for the truth, faced death: look at Giordano Bruno! I was struck by the Soviet dissidents. One of them, I can’t remember who, openly criticised Stalin in the Komsomol Pravda and was immediately thrown into jail. There are people who have the courage to express themselves publically knowing that they are risking their lives.
Inflexions: Can we say that you were one of the first dissidents of the French Communist Party (pcf), even if the word “dissident” did not exist in 1948?
Edgar Morin: Yes and no, because there was a whole generation of dissidents between the Wars: Gide, who wrote Retour de l’urss, Souvarine, Victor Serge… But we have forgotten that. The Maoists completely eclipsed the experience of our generation. I think that I was one of the first from that generation.
Inflexions: Did the events of May 68, in which you were a major player, reinforce your sense of being right to abandon your membership of the Party? For you, was it a time of confirmation or of questioning?
Edgar Morin: I was enthused by this upsurge of libertarian and community spirit. Indeed, I closed my eyes to some rather stupid aspects like the slogan “crs ss” (comparing the French riot police (crs) to the ss). I only saw the wonderful side of a juvenile aspiration to a better world, to something else. I was therefore all for the fervour of the beginnings, comparable to a burgeoning revolution, because, afterwards the movement was interfered with by the Trotskyists, Maoists, and others. But I stand by what I wrote during that period because I was already aware of everything I’ve just said.
Inflexions: Are the paths of honour so different?
Edgar Morin: In 1943, the clandestine « Editions de Minuit » published L’Honneur des poètes, resistance poems by Éluard, René Char, Aragon, Vercors, Desnos, Lescure… In 1945, Benjamin Péret, a great surrealist poet, wrote Le Déshonneur des poètes on his return from Mexico, a tract in which he spoke out against occasional poetry. He was wrong but, nevertheless, there was something true in what he said.
It is often difficult to choose the right path. I wrote an article in Le Monde a while ago on Syria, in which I wondered whether Western intervention might risk worsening things by globalising, or internationalising the conflict even further. Not intervening would also be very serious because we would then allow the appalling process to unfold. I suggested another solution: that the major powers agreed to put pressure on the belligerents to stop the massacre, and then see what could be done. I was therefore in the grip of contradiction, and the solution that I proposed would have been possible if the United States, Russia, and China could have been capable of agreeing. But that time is yet to come... So there are cases when commitment is self-evident, and others when it is not...
Inflexions: Is dishonour more evident than honour?
Edgar Morin: Certainly. But there too, what is dishonour for some is not for others. I dishonoured myself because I left the Party ; I was a traitor – being a traitor is as dishonouring as it can get. And yet I knew that I had saved my honour.
Inflexions: Are honours not in contradiction with honour?
Edgar Morin: That can happen. But, for my part, the honours that I have received, for example the Honoris Causa doctorates or the Legion of Honour, have helped me to protect myself. Especially in the scientific world in which I have had my entire career, at cnrs (France’s National Scientific Research Centre), where, for a very long time, I was not taken seriously. All my ideas appeared hare-brained: complexity, inter-disciplinarity... I was considered as a marginal, but my honoris causa doctorates were my shields. There are therefore cases when honours help to maintain honour, while also being honoured, and within a certain framework, when they protect honour. But this is not necessarily true. I think that life requires compromises between requirements for honour, for truth. But there is no clear boundary between compromise and compromising on principles, which means that you can be doing the latter while believing you are merely doing the former. And yet compromising on principles leads to dishonour. We then refuse to see that dishonour by justifying ourselves in a multitude of fashions. What led me to be somewhat vigilant was seeing the shifts in position of so many of my companions, particularly in the Party. I am one of these people who has experienced several upsurges in awareness ; a voice inside me said “no” on several occasions, the first being a purely cultural one. It’s true that I have made compromises that could have turned out to be compromises of principles, but these upsurges prevented me from being degraded. I also think that, today, a truth cult exists. But what is “truth”? Of course there are moral truths: fraternity, good... But there are also de facto truths, for example lies about the Chinese cultural revolution, about the Soviet Gulags... Such insults to truth arouse the deepest revolt in me.