Anciens de Mai-68, voici le pavé qui vous manquait ! !! Huit cents pages (c’est écrit petit !) regroupant divers écrits du général alors qu’il n’était que capitaine ou chef d’escadron… Un monument de culture historique, d’analyse des comportements humains et une vision claire de la prochaine guerre (1939-1945) qui laisse rêveur. On peut être en désaccord avec l’œuvre politique de l’homme, force est de reconnaître la justesse, mais aussi la liberté de ses propos à une époque où les militaires ne se permettaient pas de critiquer le système et alors qu’il n’était encore qu’un petit dans la hiérarchie. Au-delà de ses analyses visionnaires, on ne peut passer à côté du style de l’homme. Même si elle n’est pas toujours simple, son écriture se fait dans un français impeccable et choisi. Son vocabulaire grandiloquent et ses sentences imagées transpirent d’un humour contenu, mais bien réel. On sent l’amateur du bon mot, du néologisme ou de l’archaïsme décalé. Oui, c’est du français et du bon français, il faut juste savoir s’accrocher en attaquant la cinquième ligne de la même phrase et, à la fin, parfois, rire de la sentence assassine servie au monde politique ou au mode d’avancement dans les armées françaises… Les analyses auxquelles de Gaulle se livre sont intéressantes tant au plan historique qu’au niveau de la conception du prochain combat que devra mener l’armée française ou encore des valeurs de l’officier (ou du chef) français. Dans « La discorde chez l’ennemi », il explique comment l’individualisme et l’indiscipline des généraux allemands (vous avez bien lu !) sont la cause principale de la défaite de la Marne en 1914, puis de celle de 1918, liée à la déroute du peuple allemand. Son analyse sur les ambitions contradictoires de ses grands chefs est, sans conteste, d’un grand intérêt sociologique et historique. Le Fil de l’épée est un modèle d’analyse des qualités requises pour être un chef. Droiture, esprit de sacrifice, force de caractère, ouverture d’esprit, prestige de l’officier sont développés en même temps que la nécessité d’une grande culture en mesure d’adapter les doctrines, certes nécessaires, mais ressenties comme un des maux de l’armée française. Le rôle du politique n’est pas négligé. Vers l’armée de métier donne une vision de ce qu’aurait pu ou dû être un corps professionnalisé, mécanisé et cuirassé de cent mille hommes ainsi qu’il le décrit (toute référence à notre armée de terre actuelle serait fortuite). L’histoire lui donnera raison, mais elle permet aussi de découvrir les quelques limites d’un homme de son époque, comme l’absence de prise en compte des avantages de la standardisation ou du rôle de l’artillerie anti-aérienne. Ceci étant, la critique est plus facile quelque quatre-vingts années plus tard ! La France et son armée dresse un tableau des évolutions de l’armée française en rapport avec sa population et ses dirigeants, essentiellement de la Révolution aux années 1930. Les effets déterminants de l’implication des politiques (de Carnot aux tergiversations de la Chambre avant 1914) dans la capacité de nos armées sont démontrés avec un argumentaire original et des conclusions claires. Suivent enfin des articles sur le rôle des places fortes, la mobilisation économique, la réalisation d’une armée de métier, la campagne de Pologne ou celle de Syrie et encore bien d’autres considérations dont les analyses méritent parfois le détour ! En résumé, un livre qu’il faut avoir lu pour comprendre l’homme, son action, et qui, heureusement, peut se lire par tranches !