N°22 | Courage !

Xavier Boniface
L’Armée, l’Église et la République (1879‑1914)
Xavier Boniface, L’Armée, l’Église et la République (1879‑1914), Nouveau Monde éditions

J’ai beaucoup aimé cet ouvrage de Xavier Boniface parce qu’il réfère souvent et avec pertinence à deux textes admirables, Notre jeunesse de Charles Péguy et LArmée nouvelle de Jean Jaurès, et à des travaux d’amis que j’admire entre tous, Mona Ozouf et Jean-François Chanet. Et j’ai été frappé par la clarté, la précision et la force de son argumentation, tout entière appliquée à expliciter une loi pas si souvent admise en histoire : l’accommodement, ça existe et c’est bien utile pour limiter sinon dépasser les affrontements à contretemps. Le signe qu’il a choisi le bon sujet et la bonne hypothèse ce travail ? C’est qu’il n’a aucun mal à légitimer son argumentaire par une chronologie. Dans les années 1880, c’est le début de la laïcisation de l’armée, notamment avec les « curés sac au dos », qui relève moins de l’anticléricalisme que de l’égalité devant l’impôt du sang. Cette laïcisation est moins profonde encore que celle de l’école et de la justice, mais elle avance dans un contexte où le culte de la Revanche et le patriotisme chez tous préservent « l’Arche sainte ». Les années 1890 sont celles du ralliement des catholiques et de l’esprit nouveau réconciliateur. Sans doute l’affaire Dreyfus puis la politique de mise au pas de l’armée par le général André sont de très violents contretemps : font alors retour l’humiliation et les assauts anticléricaux contre le militarisme et le césarisme, et contre toute nouvelle alliance du sabre et du goupillon. Mais Xavier Boniface montre bien qu’à la veille de la Grande Guerre, et malgré les offensives hargneuses de la République radicale, les accommodements et les gestes de tolérance ont permis la laïcisation en profondeur de l’armée. Donc, conclut-il, la République a su faire reconnaître dans l’armée ses valeurs et ses symboles ; l’armée n’a pas marchandé son loyalisme envers les institutions et l’a même rendu consubstantiel à son sens de la discipline ; l’Église, ex-gallicane, a su comprendre la force du patriotisme massif et faire de la défense nationale une obligation morale pour tous ses fidèles, comme pour chaque séminariste et aumônier. Dès lors, nous dit Xavier Boniface, « le conflit qui éclate en 1914 soulignera surtout la complémentarité des idéaux » de l’armée, l’Église et la République. Accepter d’exposer sa vie en invoquant la patrie, Dieu, ou les Droits de l’Homme, c’est tout un, malgré les vieilles querelles et les divergences durables : c’est savoir mener une guerre défensive, c’est mobiliser des idéaux souvent divergents au creuset du seul patriotisme. Je résume bien abusivement ce livre très riche, autrement plus nuancé que je viens de le faire entendre, mais qui est porteur de tant d’enseignements sur hier et aujourd’hui.


Jean-Pierre Bois | La Paix, Histoire, politique e...