La paix pose une redoutable question d’histoire puisque, si l’humanité sait trop bien « faire la guerre », elle ne sait pas trop « être en paix ». Face à cela, Jean-Pierre Bois s’est interrogé et même insurgé, en brandissant le célèbre tableau de Rubens de 1632, La Guerre et la Paix : « Comme si tel était l’ordre des choses. Comme s’il était acquis que la guerre précède la paix, dont elle est la seule fin ! » Du haut d’une longue pratique de la recherche et de l’enseignement à l’université de Nantes, tout entière consacrée à l’histoire moderne des relations internationales et de la société militaire, à des biographies aussi, de guerriers épris de paix comme Maurice de Saxe, Dumouriez ou Bugeaud. Jean-Pierre Bois a privilégié l’entrée la plus sûre et la mieux documentée pour lancer, enfin, une histoire globale de la paix en version européenne : la paix comme politique, comme prolongation de l’histoire militaire et objet de l’histoire diplomatique. Avec comme point d’ancrage chronologique le chapelet des grands congrès, d’Arras en 1435 à Berlin en 1878. Avec un double arrière-plan : l’ambition, si éclairée au xviiie siècle, de paix perpétuelle et d’apaisement universel, dont l’aboutissement réconcilierait l’humanité avec elle-même ; mais aussi le travail patient des diplomates qui ont pragmatiquement appris à « faire la paix ».
Nous voici donc embarqués, de cet Arras où Anglais, Français et Bourguignons cherchèrent à sortir de la guerre de Cent Ans à ce Berlin du xixe siècle des nationalités où Bismarck tenta de confronter les puissances européennes et d’orchestrer leur concert, à l’aube d’une première mondialisation des enjeux qui rappelle parfois si étrangement celle que nous vivons aujourd’hui ; en passant par le banquet du Faisan, Cateau-Cambrésis, Vervins, Aix-la-Chapelle, Nimègue, Westphalie, Rastadt, Vienne ou Bruxelles. Rude parcours sur cinq siècles, qui a épuisé successivement le discours d’Église, qui avait pour horizon la Cité de Dieu selon Augustin et la « guerre juste » comme pis-aller ; celui des princes, des souverains et des États avec leurs tabellions et leurs chancelleries, où tout fut affaire dynastique, maîtrise de domaines et de territoires, souci de gloire et de puissance ; celui du congrès de Berlin qui voulut tant aider à éviter la confrontation déjà si meurtrière des nationalités identitaires et des nationalismes en compétition. On vit, hélas, l’épuisement de ces trois systèmes de référence pacificatrice en 1914. D’où la terrible phrase de Jean-Pierre Bois (p. 551) : « C’est dans les tranchées de Verdun que se trouvent enterrées les règles de Westphalie. » Et ce n’est qu’après 1918 qu’on vivra l’ébauche de l’étape suivante, toujours aléatoire, mais qui a envahi nos sensibilités et mobilisé tant d’espoir : l’ébauche, enfin, d’un ordre mondial, d’une nouvelle avancée de ces pratiques de paix qui, depuis ces cinq siècles, ont convaincu qu’au bout du compte, la paix était une « utopie réaliste ».
Bien sûr, on pourrait reprocher à Jean-Pierre Bois de n’être pas sorti de son cadre chronologique, de négliger les bouleversements du xxe siècle (sauf en conclusion). Il n’empêche. L’œuvre est là, fruit d’un immense travail, impressionnante, impeccable, indispensable.