N°22 | Courage !

Éric Vuillard
La Bataille d’Occident
Arles, Actes Sud, 2012
Éric Vuillard, La Bataille d’Occident, Actes Sud

La Première Guerre mondiale racontée comme un moment où « l’industrie et la chair allaient donner une fantastique leçon de gaspillage ». « Le gril est prêt, la truelle râcle le mur, on va pouvoir rompre la chair comme le pain » (extraits des prémices et de la quatrième de couverture). C’est la mode : la guerre racontée par le petit bout de la lorgnette, les grands et les petits personnages présentés dans la trivialité uniforme de leur vie de tous les jours, mastiquant la bouche pleine ou fouillant le contenu de leur nez… Frédéric Mitterrand a raconté l’histoire du cinéma à travers le destin des stars, leurs secrets d’alcôve et leurs tragédies de cœur. Stéphane Bern a raconté l’Europe du xxe siècle avec la saga des familles royales faite de passions jalouses et d’ambitions avortées. Éric Vuillard, lui, raconte la Grande Guerre comme une succession de petites choses sans valeurs décisives par elles-mêmes, mais concourant toutes à l’aveuglement dans lequel chacun se jeta pour un bain de sang collectif.

L’auteur est partisan de la théorie du chaos. Le battement d’aile d’un papillon peut-il provoquer une tornade à l’autre bout du monde ? Il nous fait le récit de la Première Guerre mondiale à travers une série de portraits et de faits isolés. On commence par la figure d’un triste aristocrate prussien, maréchal aigri qui passe sa vie à rêver d’une grande offensive. On croirait Don Quichotte. Puis Éric Vuillard nous montre un gamin famélique et mal rasé, la tête pleine d’idées révolutionnaires, régicide, tirer une balle, la première du conflit, à l’origine du cataclysme. Puis il détaille jusqu’à l’écœurement le trajet d’une autre balle, celle-là dans la tête de Jaurès. C’est du Rabelais. Puis il nous fait entendre comment en quelques jours les cadences des usines d’armement s’accélèrent. Il parle des vingt-sept mille morts de la seule journée du 22 août 1914 comme d’un exploit digne de figurer dans le Guinness World Records… Puis on lit (p. 111) : « En un an, chaque femme de France va tripoter neuf cent mille obus. » Et on arrête la lecture à cette phrase. La phrase de trop. On pose le livre. Pourquoi poursuivre ?

La psychanalyse a déjà donné beaucoup de clefs pour décoder cette époque. Ce que propose Éric Vuillard est un mélange de Freud et de Frédéric Dard. C’est bien écrit. Le style est vif et enlevé. C’est bien documenté, plein d’une foule de détails méconnus de cette guerre mille fois racontée. Mais on n’a pas le goût d’aller plus loin. C’est comme manger de la cendre à grandes cuillérées. On n’est pas obligé d’en lire d’avantage.


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