L’album des 20 ans

Jean ASSIER-ANDRIEU

Le préparant

C’est à La Réunion, alors que je commençais à évoquer le concours de l’École de guerre, que mon père me mit dans les mains le numéro d’Inflexions consacré à l’honneur. Professeur d’université, il connaissait la revue depuis longtemps et m’invitait à m’y intéresser pour ma culture d’officier, mais plus encore pour l’ouverture intellectuelle qu’il lui reconnaissait. Pour l’anthropologue, historien du droit et sociologue qu’il est, l’approche croisée et pluridisciplinaire qu’elle propose est d’une rare et grande qualité. Et, comble du destin, mon beau-père, ancien officier des troupes de marine et historien de formation, en est également un lecteur assidu. Ainsi, contre toute attente, c’est par transmission familiale que j’ai découvert la revue blanche à la plume rouge.

J’ai dévoré rapidement ce premier numéro et m’en suis procuré d’autres. À la caserne Lambert, j’avais pris l’habitude de passer au cabinet du commandant supérieur des Forces armées de la zone sud de l’océan Indien (fazsoi) afin d’emprunter le nouveau numéro à chaque parution. J’y découvrais avec grand intérêt les articles d’éminents scientifiques et d’officiers de tous grades. À la même époque, mon chef de corps m’avait demandé de travailler sur l’histoire de la direction du commissariat de La Réunion. Premier travail d’écriture, où je vis se dessiner les contours d’une terra nullius : le commissaire de l’île, un nommé Honoré de Crémont, en ordonna les plans d’urbanisme, en dessina les jardins et y établit plusieurs institutions. La simple signature d’un officier suffisait pour ouvrir et administrer une pêcherie ; le budget de l’île Bourbon pour l’entretien des forces, des hôpitaux et de la justice tenait en quelques lignes manuscrites signées par le chevalier, gouverneur, et le commissaire ordonnateur. La simplicité administrative d’alors laisse songeur…

De retour en métropole, les rêveries créoles se sont estompées sous les ors gris de Balard. L’analyse financière avait remplacé les exercices en jungle. Nageant désormais dans un océan de chiffres, la perspective du concours de l’École de guerre n’était plus une hypothèse lointaine, mais bien la prochaine étape de ma carrière. Le programme des révisions était dense. Aux journées studieuses succédaient de longues soirées dédiées au noble art de la note de synthèse et de la dissertation au plan millimétré. Je puisais abondamment dans ma collection d’Inflexions pour nourrir ces exercices.

C’est en passant des oraux blancs, en 2017, que je fis la connaissance de Frédéric Gout, alors colonel, membre du comité de rédaction d’Inflexions. Il dut apprécier nos échanges, car il me proposa d’intégrer ledit comité qui cherchait à accueillir de nouveaux profils parmi ses membres, et pourquoi pas un commissaire ayant servi dans l’armée de terre. S’ouvrirent alors à moi des horizons insoupçonnés et la fréquentation de grands esprits. Ne serait-ce que pour l’enrichissement intellectuel et le plaisir de participer aux échanges de cette assemblée si particulière, je dois exprimer ici ma profonde gratitude pour cette chance qui m’a été donnée. Elle me permet de sortir des cadres habituels dans lesquels évolue un officier et, plus encore, d’apporter, modestement, ma pierre à l’esprit critique et original qui fait la singularité d’Inflexions.

De fil en aiguille | N. Butel
H. Pierre | Sur le fil…