N°19 | Le sport et la guerre

Éric Bellot des Minières

La force physique au service de la victoire

« La guerre, c’est comme la chasse, sauf qu’à la guerre, les lapins tirent. » Ainsi s’exprimait le général de Gaulle sur un sujet qui lui était cher… Si la chasse est un sport, la guerre est un sport dangereux, où le chasseur se trouve parfois confronté violemment à son gibier !

Si le combat et le sport peuvent présenter un certain nombre de similitudes, il est facile de comprendre que, dans le contexte actuel des engagements français, le combat ne se réduit pas au sport. Le soldat sait en effet d’abord mettre en œuvre son système d’armes. Et il a surtout la volonté de remplir sa mission, coûte que coûte ! Le combat n’est donc pas seulement un sport, même si le sport semble donner au soldat une part importante de ses capacités de combattant, au plan physique bien sûr, mais aussi aux plans technique et moral. Les soldats d’hier ou d’aujourd’hui n’ont d’ailleurs pas toujours le profil de grands sportifs et vice versa ! Dans ce cadre, quelle relation peut-on établir entre le sport et les opérations de guerre ou, plus précisément, entre la pratique du sport et la préparation opérationnelle ?

Le sport concourt directement à l’entraînement du soldat en lui apportant endurance, résilience et agressivité, qualités indispensables pour vaincre au combat. En modelant l’homme, il le prépare à « faire face », à « ne pas subir » ! Un soldat « plus fort physiquement » remplit une mission plus difficile avec une plus grande mesure. Il assure surtout un succès durable aux opérations dont il a la charge.

Nous verrons d’abord comment, malgré les évolutions techniques de la guerre, l’homme demeure au cœur des combats. Ensuite, il nous sera possible de décrire comment le sport aide le soldat à développer les qualités nécessaires pour s’adapter aux conflits actuels. Enfin, nous pourrons évaluer le surcroît d’aisance qu’apporte au combattant la forme physique en lui permettant de s’adapter avec pertinence aux combats d’aujourd’hui, pour le plus grand succès des armes de la France.

  • L’homme, instrument premier du combat

Selon la formule du colonel Ardant du Picq, dans ses Études sur le combat1, quelle que soit l’évolution technologique des systèmes d’armes actuellement en service, « l’homme [reste] l’instrument premier du combat ». Cette course aux armements, qui cherche toujours à aller « plus vite, plus loin, plus fort », n’éloigne pas la violence du combattant. Plus que le confort du soldat, nous rappelle Marc Défourneaux dans son ouvrage Force des armes, force des hommes2, les évolutions technologiques visent surtout à améliorer l’efficacité au combat et « condamnent inexorablement l’homme à travailler à la limite de ses capacités ». Épuisants au plan économique, ces efforts techniques peuvent parfois paraître vains. Ils imposent un réalisme implacable dans la conduite des opérations de guerre, car, là, l’essentiel n’est pas de participer, mais de gagner.

Il demeure indispensable de trouver un équilibre entre la performance d’une arme et la valeur du guerrier qui en est doté. Sachant que, de part et d’autre, chaque combattant adoptera la tactique qui lui permettra de bénéficier du plus grand avantage possible sur son ennemi, en maximisant l’effet de ses armes, en minimisant l’impact de celles de l’adversaire, en cherchant à toucher sans vergogne ses points les plus vulnérables. Nos médias occidentaux en font régulièrement la démonstration !

Dans les opérations que mènent actuellement les forces françaises, il est possible de constater qu’à chaque fois, l’adversaire cherche à attirer le soldat français sur terre, au sol, à sa portée, au plus près de lui, là où il le sent plus fragile, là où il peut le vaincre dans un face à face qu’il estime à son avantage. Agissant tous azimuts, dans un environnement qu’il maîtrise, il fuit la forme de combat pour laquelle il n’est pas taillé et amène patiemment sur son propre terrain une armée conventionnelle en lui imposant ses propres règles du jeu. On constate ainsi qu’il est difficile de discerner un arrière et un avant. Chaque soldat est confronté à son tour au combat, brutalement, sans préavis. Chacun s’implique alors totalement dans une bataille qui requiert le meilleur de lui-même.

Cette violence n’épargne personne : elle est vécue à tous les échelons de la hiérarchie, de l’organisation militaire ou de la troupe constituée pourvu qu’elle s’engage sur le terrain. Réelle, même si elle peut paraître éloignée du fait des équipements toujours plus performants, cette brutalité semble pourtant incongrue à nos sociétés occidentales qui rechignent parfois à l’effort et n’ont plus l’habitude de souffrir physiquement.

Ainsi s’impose assez naturellement l’idée que le soldat occidental ne peut ou ne doit pas mourir : soldat de la paix issu d’un monde soucieux d’informations et adepte d’un concept « zéro mort »… Il est donc nécessaire de le protéger afin de le rendre invulnérable, si possible. Être d’exception, qui a « le cran » de s’engager généreusement pour une société dont il finit par être décalé, ce soldat se trouve ainsi devoir supporter, à la limite de son aptitude physique et psychologique, les contraintes des machines auxquelles il doit s’adapter : protections individuelles, capteurs tous azimuts, systèmes d’information…

C’est là que le soldat devient remarquable… « Le fantassin, disait un officier britannique à son fils en rentrant des Malouines, sert d’abord à porter son sac3 ! » La guerre moderne impose à chaque combattant une vraie solidité, tant physique que morale, un fort équilibre psychologique, une capacité à durer et à endurer l’adversité ainsi qu’une excellente maîtrise technique… Et c’est bien son aptitude physique qui fera d’abord de lui un combattant capable d’appréhender la totalité de sa mission avec l’ensemble des moyens qui lui sont confiés !

  • Développer les qualités nécessaires au combat

Maîtrise technique et éthique sont indispensables au combattant. Mais celui-ci ne pourra s’engager en opérations que s’il en a la capacité physique. Et c’est en se préparant physiquement au combat qu’il renforcera son moral et son aptitude à mettre en œuvre ses armes.

Dans le cadre d’une préparation opérationnelle adaptée, le sport façonne un soldat apte à s’engager sans réserve dans des missions périlleuses auxquelles la vie civile ne l’a que rarement préparé ! « Un esprit sain dans un corps sain. » Cette ascèse le rend disponible en tout temps et l’incite à se donner sans compter. C’est un état d’esprit qui se crée par le sport, où l’engagement personnel est le fruit de l’engagement physique. C’est un dynamisme qui est maintenu à tous les échelons de la hiérarchie assurant le contact spontané des plus jeunes avec leurs aînés. C’est une volonté de se dépasser, de s’engager avec générosité, de vaincre en équipe, qui est cultivée quotidiennement ! Toute mission opérationnelle demeure en effet une œuvre collective exigeante. Endurance, résilience et agressivité sont sans doute les trois qualités de fond qui assurent au soldat son aptitude à vaincre.

L’endurance est « la capacité de maintenir dans le temps un certain niveau d’intensité exigée ». À la chasse, c’est bien le gibier qui court à la vitesse du chien et non l’inverse. Le chien ne gagne que s’il est capable de courir plus longtemps que l’animal… Au combat, il faut d’abord savoir durer : durer malgré un équipement toujours plus encombrant et lourd, durer malgré l’inconfort, durer malgré la fatigue et le stress. En Afghanistan, aujourd’hui, chaque combattant à pied emporte plus de quarante kilos sur le terrain : gilet de protection balistique, armement, munitions, vivres et eau... Les transmetteurs, les commandos parachutistes, les tireurs d’élite, les observateurs d’artillerie ou les tireurs de missiles, peuvent même parfois en transporter plus de cinquante pour une opération de quelques jours4. Ainsi, seule une excellente condition physique permet de manœuvrer à pied, sous le feu, sans accroître considérablement les risques dus à un manque de mobilité.

Il s’agit aussi de lutter contre l’épuisement, de repousser aussi longtemps que possible l’ensemble de ses limites physiologiques. C’est en effet la force physique qui permet d’avoir un moral d’acier et d’être vaillant au feu. Gallipoli ou Stalingrad nous rappellent que, parfois, la victoire revient à celui qui a le plus duré, ou le plus enduré… Le sport, par un travail de fond, donne cette endurance qui assure la résilience de la troupe voire le succès des opérations.

La résilience est cette « capacité d’encaisse » qui fonde la solidité du combattant. L’aptitude à faire face, à prendre des coups, à l’image de ce vieux « solitaire » tenu à la ferme par les chiens qui le bouscule dans un dernier élan afin de relancer la course…

C’est la cohésion de la troupe qui la rend plus forte, plus cohérente et plus solidaire. Le sport collectif, rugby, hand-ball ou football en particulier, assure cet heureux mélange de tactique, de jeu collectif, de générosité, de rusticité, d’ordre et d’efficacité. En construisant la manœuvre avec un vrai esprit d’équipe, chacun sait pouvoir compter sur l’autre pour aller jusqu’au bout dans l’accomplissement de sa mission. Le sens de l’intérêt collectif rend possible le sacrifice de chacun. Ensemble, il devient plus facile de dominer sa peur, donc d’endurer des coups si nécessaire pour reprendre l’initiative au meilleur moment…

Au feu, en Afghanistan par exemple, malgré les équipements les plus sophistiqués, le tir massif des unités, par ses effets sonores ou visuels, empêche en général de localiser l’adversaire. Ainsi, les unités doivent être capables « d’encaisser » le feu adverse tant que les tireurs ne sont pas localisés, afin d’amener ceux-ci à se dévoiler et à s’exposer. L’absence de tirs erratiques peut déstabiliser voire exaspérer l’insurgé afghan. Elle assure une vraie efficacité à la riposte qui, en garantissant une maîtrise « sous » le feu ainsi qu’une maîtrise « du » feu, limite toujours le nombre des dommages collatéraux comme celui des tirs fratricides. La résilience assure toute son efficacité à cette agressivité indispensable au succès des armes.

Enfin, l’agressivité demeure cette capacité d’attaquer ; c’est elle qui souvent permet d’imposer sa volonté à l’adversaire, contribution essentielle à la victoire. Au cœur des engagements les plus violents, la combativité du soldat assure une part essentielle des succès. Les poilus en ont donné bien des exemples !

Comment le sport permet-il encore de cultiver cette pugnacité ? Sport de l’extrême, sport de combat, parachutisme, boxe… Tout ce qui amène l’homme à s’engager physiquement, à donner des coups, à risquer d’en prendre, procède de cette préparation au combat. Le corps à corps sous toutes ses formes est une expression militaire complète et adaptée de cette nécessité de savoir affronter au contact un adversaire potentiel.

Cette agressivité, si elle est canalisée, permet de surclasser l’ennemi, de le surprendre pour l’atteindre de façon durable. Solide, tenace, capable de prendre des coups autant que d’en donner, souhaitant ajuster son action pour être le plus pertinent, le soldat est ainsi apte à mener une manœuvre audacieuse qui réduit son ennemi et consolide son moral !

Endurance, résilience, combattivité sont donc trois qualités que le sport permet de cultiver. Elles ne sont qu’une condition nécessaire pour assurer la victoire. Elles donnent surtout au combattant l’assurance de ne pas mettre en péril le succès des opérations par incapacité physique ou morale.

  • Un surcroît d’aisance pour mieux
    s’adapter aux guerres d’aujourd’hui

La bonne forme physique du combattant donne donc un surcroît de capacité, un style à sa manœuvre. Comme on s’entraîne, on s’engage au combat ; comme on s’engage, l’ennemi lit les aptitudes et les intentions de son adversaire.

Dans les conflits actuels, l’engagement au cœur des populations, sans chercher à les soumettre définitivement, impose de mener une action avec modération, même s’il existe des phases de combat terriblement violentes. Fuyant toute « ascension aux extrêmes », il s’agit donc, avec assurance, d’imposer la force à un juste niveau de violence, au risque sinon de devoir s’opposer à toute une population avec laquelle plus rien ne deviendra possible ! Cette assurance provient d’une bonne forme physique et permet d’adopter un comportement adapté à de telles situations. Le risque demeure certes, mais prime alors la portée d’une attitude calme et mesurée sur la population.

Pour cela, il est en général nécessaire de vaincre l’ennemi sur son propre terrain, en analysant avec perspicacité ses contraintes. À pied, de jour, de nuit, en « couchant avec lui » souvent, il devient possible de devancer l’insurgé dans ses choix, ses actions ou ses exactions vis-à-vis de la population que l’on est chargée de soutenir. Ce qui est fait en Afghanistan aujourd’hui l’était déjà en Indochine ou en Algérie… Mais pour battre un ennemi selon sa propre logique, un ennemi léger, souple et manœuvrant librement dans ses montagnes, il ne faut pas seulement en avoir la volonté, il faut aussi une forme physique éclatante !

Cette audace est particulièrement payante si, en plus, le combattant reste maître de lui. L’assurance et le calme sont souvent la marque d’une troupe mature, cohérente et solidaire. Le sport tel que nous l’avons vu y concourt directement. Cette attitude a un effet démultiplicateur sur l’ennemi, comme cela peut être constaté en Afghanistan : en vivant chez l’insurgé, en se battant comme lui, peu à peu l’insécurité se porte chez lui. Avec les premiers succès des forces occidentales, l’enthousiasme des troupes engagées au contact suscite l’admiration et la crainte des Afghans de tout bord, les faisant même parfois douter de la légitimité de leur action.

La mesure, enfin, permet aux combattants de mener un combat estimable de part et d’autre. En Afghanistan, de nos jours encore, dès le printemps, un combat d’infanterie d’assaut, mené en zone verte au contact immédiat de l’ennemi, est inévitable. Le cloisonnement de la zone a alors un effet égalisateur et limite l’intérêt des appuis fournis par les armes les plus sophistiquées, canons, hélicoptères, drones ou avions. C’est en manœuvrant ainsi, sous le feu adverse, dans ces circonstances, que le combattant courageux et sûr physiquement surclasse son adversaire. C’est surtout la façon la plus sûre de discriminer l’adversaire en évitant tout dommage collatéral par une utilisation mesurée des appuis.

Le sentiment de puissance que confère l’aisance physique permet de s’imposer une retenue tactique et une maîtrise du feu, donc de ne pas s’aliéner a priori une population « attentiste » par des réactions trop brutales, inadaptées et parfois irréversibles. C’est une façon efficace de produire un effet durable sur le terrain.

Assurance, maîtrise de soi, mesure concourent directement au succès des missions que conduisent actuellement nos armées engagées en opérations. Ces qualités se cultivent par le sport. Elles permettent d’utiliser des méthodes adaptées aux engagements actuels et conservent aux unités françaises une certaine humanité.

La préparation physique du combattant assure donc une part essentielle du succès des missions de nos armées. Par une pratique sportive régulière et variée, le soldat endurant et solide dans l’adversité est vaillant au feu. Lorsqu’il s’engage de façon adaptée, sa conduite n’en est que meilleure et ses résultats plus durables. Mais jamais le sport ne donne au sportif l’expérience du feu ! Comme le lapin à son chasseur ! Bien qu’insuffisant pour assurer seul le succès de nos armées, il apporte beaucoup au combattant. Par les qualités et les vertus qu’il développe, il demeure une nécessité opérationnelle absolue.

1 Ardant du Picq, Études sur le combat, Paris, Hachette, 1880.

2 Marc Défourneaux, Force des armes, force des hommes, Paris, L’Harmattan, 2005.

3 Hugh McManners, Falklands Commando, 1984.

4 Le lieutenant-colonel Pierre Chareyron nous rappelle pourtant dans Focus stratégique, l’innovation dans l’infanterie, que, depuis le modèle antique, le poids porté en ordre de combat doit être inférieur ou égal au tiers du poids du porteur, même s’il s’agit d’un animal de bât. Le colonel de Vismes estime qu’en Algérie, le légionnaire portait en moyenne une quinzaine de kilos d’équipements.

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