La spécificité militaire pourrait être appréhendée sous l’angle religieux, philosophique, culturel ou historique. Le port de l’uniforme, qui symbolise l’appartenance à l’armée, identifie ce corps au même titre qu’il ne rend pas cette spécificité unique. En effet, d’autres corps portent des uniformes et chaque profession a une façon de révéler sa spécificité. Ainsi cette spécificité n’est pas propre aux armées, mais à tout corps constitué, en particulier ceux au service de la Nation. Nombre de militaires et de chercheurs, ainsi que le législateur, se sont demandé si le militaire était un fonctionnaire comme un autre dont le service équivaudrait à tout autre service. Or le statut général des fonctionnaires ne parle pas des militaires ; ceux-ci bénéficient d’un statut à part, ils sont agents de l’État sans être fonctionnaires. En outre, on retrouve une distinction dans la Constitution et la doctrine entre l’armée et l’administration. Ce qui fonde la spécificité militaire doit donc être cherché plus loin que les seules apparences ; il nous faut nous tourner vers les valeurs et les missions qui donnent un sens à l’engagement militaire et qui exigent une telle distinction.
L’approche philosophique permet de retenir une définition de la spécificité militaire, qui fait appel à un ensemble de valeurs. Celles qui fondent l’engagement du militaire donnent un sens à sa spécificité que l’amiral Jacques Lanxade a ainsi définie : « [C]e qui fonde la fonction militaire est l’acceptation par le soldat d’exposer délibérément sa vie dans des actions de combat pour la défense des intérêts majeurs de la Nation1. » Le sacrifice de la vie est ici spécifique en ce qu’il est lié à un combat au service de la Nation, ce qui est reconnu par la Constitution et par la loi. Ainsi les valeurs du militaire sont elles-mêmes associées à notre État de droit et à son régime démocratique.
L’approche juridique pourrait donc compléter la dimension éthique de la spécificité militaire2. Comment le droit reconnaît-il cette dernière ? Comment l’armée, qui relève de missions par essence politiques, peut-elle être spécifique au regard du droit ? À l’heure d’un rapprochement entre militaires et civils, il est nécessaire d’étudier cette spécificité, sa reconnaissance et sa mise en œuvre. En effet, tandis que les forces armées sont engagées sur différents théâtres d’opérations, que le Collège interarmées de défense (cid) a repris son nom historique d’École de guerre, la réflexion sur la spécificité militaire ne se tarit pas. Les chantiers d’externalisation qui ont suivi la professionnalisation n’ont pas effacé le débat sur le soldat, son rôle et son emploi dans des conflits protéiformes. Car de la reconnaissance juridique de la spécificité militaire à l’évolution du droit et de la spécificité militaire, le fondement juridique de notre défense nationale est sans doute en profonde mutation.
- La reconnaissance juridique de la spécificité militaire :
de la consécration au régime exorbitant
La reconnaissance juridique de la spécificité militaire s’opère sur deux plans. Dans un premier temps, le droit français reconnaît l’existence de la défense nationale et l’organise, notamment par la loi qui en fixe les principes généraux. Dans un second temps, un régime juridique est adapté de façon à prendre en compte la spécificité du combat qui exige des aménagements juridiques, c’est-à-dire un régime exorbitant. Cette spécificité ne signifie pas pour autant qu’il existe un droit à part, car le droit régissant la défense nationale s’inscrit dans l’ordre public général, selon le principe de légalité qui régit notre État de droit.
- Consécration de l’existence de la défense nationale
et reconnaissance juridique de la spécificité militaire
Le droit fonde l’action de l’État et par conséquent de l’armée. La constitution française est parsemée de dispositions concernant la défense nationale. La défense de « l’intégrité du territoire » (art. 5 al. 2) est confiée au président de la République, auquel on attribue la fonction de « chef des armées » (art. 15). Cette fonction est partagée avec le Premier ministre qui est « responsable de la défense nationale » (art. 21), tandis que le gouvernement « dispose de l’administration et de la force armée » (art. 20 al. 2). Le pouvoir législatif reçoit lui aussi des attributions précises : « La loi détermine les principes fondamentaux de l’organisation générale de la défense nationale » (art. 34). La révision constitutionnelle de juillet 2008 a renforcé les attributions tout en comblant un vide juridique puisqu’elle a pris en compte le déploiement de soldats en dehors du territoire français sans que la France soit en guerre, lors d’« intervention [des] forces armées à l’étranger » (art. 35). Le Parlement devra être alerté et son autorisation sera nécessaire dès lors que le déploiement dépassera les quatre mois. La défense nationale est ainsi profondément liée à la souveraineté en tant qu’instrument au service de l’État visant à garantir les intérêts de la Nation et l’intégrité du territoire.
Au titre de l’article 34, la loi a donc organisé la défense nationale et a reconnu la spécificité qui permet aux militaires de remplir les missions pour lesquelles la défense nationale est constituée et employée. Le Statut général des militaires porte ainsi cette spécificité : « L’état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité. Les devoirs qu’il comporte et les sujétions qu’il implique méritent le respect des citoyens et la considération de la Nation3. » Le statut insiste ici sur le sacrifice du militaire, celui de sa vie qu’il peut perdre au combat. L’alinéa 1er insère ce sacrifice dans le cadre de la défense du territoire et de la population par la force des armes : « Sa mission [de l’armée de la République] est de préparer et d’assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation. » La lecture de ces mots permet de comprendre que la spécificité militaire est consacrée par la loi. À ce titre, le statut s’inscrit dans un ordonnancement juridique au fondement même de notre droit.
- L’octroi d’un régime exorbitant : l’attribution de spécificités juridiques
En tant que concentration des moyens de violence que constituent les sociétés pour parer aux menaces extérieures, « l’armée est évidemment placée au cœur même de l’État »4. La Constitution expose bien la soumission politique de l’armée, qui commande donc des aménagements juridiques pour donner un sens à l’existence et à l’emploi des forces. Les actes de gouvernement, auxquels appartiennent les décisions qui relèvent de la conduite des relations internationales de la France, notamment la défense nationale comme l’a souligné le Conseil d’État dans un arrêt du 15 octobre 2008, démontrent le caractère politique du recours à l’armée exigeant ainsi un régime juridique adapté. Le régime exorbitant n’est pas un régime à l’avantage exclusif de l’administration. Au contraire, le droit administratif est un droit de privilège permettant de garantir l’intérêt général, et le régime dérogatoire qui en découle se justifie par les sujétions de la puissance publique5.
Ce régime exorbitant du droit commun reflète la prise en compte des spécificités militaires par des spécificités juridiques. Celles-ci sont de deux ordres : des droits exorbitants et des sujétions particulières. Le recours à la force est le droit exorbitant par excellence, lié à l’essence même de la fonction du militaire. Il est encadré par l’article L-4321-12-2 du Code de la défense, qui exonère le soldat de responsabilité pénale individuelle lorsqu’il recourt à ses armes dans une opération à l’étranger. L’inexistante doctrine ne permet pas de tirer de conclusions sur l’adéquation de cette disposition avec les réalités opérationnelles, mais elle permet d’aller beaucoup plus loin que la légitime défense (art. 122-5 du Code pénal) et le commandement de l’autorité légitime (art. 122-4 du Code pénal) qui comprend le débat sur l’appréciation de l’acte manifestement illégal.
Les sujétions, quant à elles, sont contenues dans le Statut général des militaires aux articles 3 et suivants : « Les militaires jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens. Toutefois, l’exercice de certains d’entre eux est soit interdit, soit restreint dans les conditions fixées par la présente loi. » Ce qui les distingue réellement des fonctionnaires, hormis les préfets, est l’absence du droit d’adhérer à un syndicat et du droit de grève. En outre, la liberté d’expression est limitée dans la mesure où elle reste compatible avec l’exercice du devoir.
L’ensemble de ces spécificités juridiques va de pair avec un autre aménagement, celui de la justice militaire, avec l’existence d’infractions militaires et de chambres spécialisées, ainsi que la création, en 1999, du Tribunal aux armées de Paris (tap) pour juger les infractions de droit commun et militaire commises en temps de paix et en dehors du territoire national. Cette spécificité peut s’expliquer par la nécessité que soient comprises par des personnes formées, les conditions de la commission des infractions qui amènent le militaire devant les juridictions.
- Le principe de légalité : une spécificité dans l’ordre public général
La justice militaire permet d’analyser le rapport entre les spécificités juridiques et l’ordre public : « L’État de droit signifie que l’administration est soumise à un ensemble de règles, extérieures et supérieures, qui s’imposent à elle de manière contraignante et constituent à la fois le cadre, le fondement et les limites de son action (principe de légalité)6. » Cette définition permet de rejeter la notion d’« ordre public militaire »7. En effet, l’existence de règles spécifiques à l’organisation de la défense nationale, les exigences statutaires et disciplinaires, pourraient faire croire en l’existence de celui-ci. Or, la loi est une et les normes spécifiques aux militaires ne créent pas un ordre public à part, mais participent de la constitution de l’ordre public général. Le respect des normes, générales et spécifiques, inscrit l’armée dans la cohérence de l’État de droit qui repose sur le principe de légalité. L’atteinte du soldat à une norme spécifique trouble effectivement l’organisation militaire, notamment pour les aspects disciplinaires. Les sanctions disciplinaires permettent aux armées de conserver une cohérence dans leur organisation de façon à respecter les principes fixés par la loi et la Constitution. Le droit assure à la fois une spécificité juridique adaptée aux spécificités du métier qu’il reconnaît et consacre, mais qu’il intègre dans l’ordonnancement juridique.
Ainsi, le préambule de 1946 en son alinéa 14 donne un cadre strict d’emploi des forces armées : « La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international. Elle n’entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple. » Le respect des normes de droit international fait référence à l’ensemble des normes internationales contenues dans les traités qu’elle aura ratifiées. Ainsi, l’action militaire relève d’un corpus juridique vaste et complexe qu’il faut connaître. La maîtrise de ces normes, notamment dans la définition des règles d’engagement, est donc une partie intégrante de la préparation d’une opération dans la mesure où elle s’insère dans un cadre juridique international et national qui a fondé son existence et qui va régir son déroulement, sans oublier que le juge peut être amené à connaître de la violation de normes, un principe essentiel de l’État de droit.
- Les conséquences des évolutions
du droit sur la spécificité militaire
Le régime exorbitant de l’administration et des forces armées n’a pas empêché un rapprochement entre le monde civil et le monde militaire, en partie dû à ce qui a été rapidement nommé « fin de la guerre ». Ainsi, le militaire ne peut que difficilement justifier une spécificité dans une société en mutation qui ne reconnaît plus certaines valeurs et pour laquelle la mort au combat est portée devant les tribunaux.
- De la multiplication des normes à la criminalisation de la guerre
L’ordonnancement juridique dans lequel s’inscrit notre défense nationale est composé d’une multitude de normes, internationales et nationales. Nombre d’entre elles concernent indirectement les forces armées et leurs missions, et peuvent donc ne pas être adaptées aux réalités du terrain. Et si nos forces armées sont soumises à un corpus juridique complexe et complet, il n’en va pas de même pour des ennemis qui connaissent notre droit et ses faiblesses, tel, exemple connu, le paysan qui manie aussi bien la bêche que les armes à feu. Il n’est pas ici question de remettre en cause les normes qui reflètent nos valeurs et que nous ne devons ni sacrifier ni violer. La première « protection juridique », au sens large du terme, est avant tout la connaissance des normes qui touchent le militaire, un droit opérationnel, plus large que le seul droit des conflits armés, qui donne une vision unifiée de ces normes dont la violation a des conséquences judiciaires, nationales et internationales. Le regard du juge, qui recouvre la réalité de la judiciarisation à différencier donc de la condamnation pénale – ce qui relativise le « risque pénal », est effectivement basé sur ces normes internationales et nationales. La loi du 9 août 2010 a adapté notre droit pénal au statut de la Cour pénale internationale, notamment en intégrant les crimes de guerre et en créant les délits de guerre. Et la croissance du droit pénal international a des conséquences fortes pour nos autorités militaires et civiles, spécialement en matière de responsabilité.
Cette pénalisation de la guerre est une conséquence directe de la Charte des Nations Unies qui prohibe la guerre en son article 2§4. Cette condamnation a pour conséquence directe de mettre une partie de la spécificité militaire hors-la-loi. Une partie seulement, parce que la Charte reconnaît le « droit naturel de légitime défense » (art. 51), et les armées peuvent être envoyées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII. La nouveauté du xxe siècle est que les troupes ne servent plus directement les intérêts de l’État, mais ceux d’une « communauté internationale », entité difficile à saisir, pour rétablir l’ « ordre public international ». Dès lors, la guerre n’étant plus déclarée, le recours fréquent aux armées laisse ces dernières dans une situation juridique ambiguë où temps de paix et temps de guerre ne sont plus, remplacés par un temps de paix doublé d’un temps de « conflit armé ». La guerre ainsi condamnée, disparue du lexique, perd une part de sa nature politique. L’adoption à Kampala en juin 2010 d’un amendement au statut de la Cour pénale internationale pour créer le crime international d’agression est significative de cette évolution. Le déclenchement d’une guerre est désormais avant tout un acte criminel et non plus un acte politique, puisque ce crime entraîne la responsabilité pénale individuelle d’autorités politiques et militaires. Elle peut être ainsi une atteinte profonde à l’essence même de la guerre ainsi qu’à la spécificité des forces armées.
Si la Constitution et les juridictions reconnaissent le déploiement des soldats français en dehors du territoire national en utilisant respectivement « interventions » et « opérations militaires », il n’en demeure pas moins que cela n’offre pas une définition juridique claire. La nature juridique d’une opération est fondamentale pour définir le régime juridique de celle-ci, et permettre au militaire de mener au mieux les opérations qui lui sont confiées, opérations qui oscillent entre missions militaires et missions bâtardes.
- Le rapprochement du militaire et du civil
Le droit interne semble donc lui aussi éprouver quelques difficultés à saisir désormais parfaitement l’essence des armées et donc leur(s) spécificité(s) au regard de leurs missions. Le débat sur la reconnaissance par le droit de la spécificité militaire revient en quelque sorte à admettre l’existence ou non d’un cœur de métier juridiquement intouchable. L’externalisation débutée dans les années 1990 a immédiatement posé une question à laquelle aucune véritable réponse n’a été apportée, la délimitation de ce « cœur de métier ». En effet, la défense nationale, service public commandé par la Constitution, a été amputée ces dernières années de certaines de ses fonctions. Les secteurs progressivement externalisés se rapprochent du cœur de métier. Ceci laisse à penser que la vraie spécificité militaire est simplement la mort au combat, délivrée ou reçue, et non pas aussi tout ce qui y prépare et qui exige pourtant le même esprit de sacrifice et le respect des obligations du Statut général des militaires. Dès lors, nous pourrions remettre en cause cette vision de la spécificité militaire, qui n’est qu’une réduction a minima du métier de soldat. Les motifs réels qui semblent davantage financiers, peuvent faire perdre à terme, dans une situation de guerre comme en temps de paix, la cohérence à un outil qui ne répondrait plus aux objectifs fixés par la Constitution et la loi8.
L’ensemble de ces évolutions cherche également à atteindre un rapprochement avec le monde civil. Les évolutions récentes le prouvent à plus d’un titre, et deux illustrations en témoignent : les révisions du Statut des militaires, avec notamment le droit de vote et l’extension du droit d’expression, et les évolutions successives ces dernières années de la justice militaire qui devraient aboutir à remplacer le tap par une chambre spécialisée au tgi de Paris, suite à la proposition de loi du sénateur Marcel-Pierre Cléach. Cette réforme importante aurait pu conduire à s’interroger davantage sur ses conséquences pour les forces armées à l’heure où elles sont de plus en plus déployées. Nous pouvons considérer que le rapprochement des militaires et des civils est une excellente chose pour que les militaires puissent bénéficier de droits et notamment des mêmes garanties procédurales. Il n’en demeure pas moins que les spécificités sont aussi la garantie d’une cohérence entre les raisons de l’existence des forces armées, leur organisation et les missions qui leur sont assignées, le combat qui leur est propre et qui est aujourd’hui judiciarisé.
- La judiciarisation de la mort au combat :
une remise en cause de la spécificité militaire ?
Les rapprochements civils-militaires et les atteintes juridiques à la spécificité militaire placent le soldat au cœur d’une société dont il est à la fois membre et acteur, une société qui évolue vers davantage de judiciarisation. Le juge est devenu l’acteur premier des rapports sociaux, trahissant le difficile dialogue serein, comme l’exprimait Monique Castillo lors des Rendez-vous de l’Histoire, à Blois, le 16 octobre 2010. Les armées y sont pleinement confrontées. La mort, disparue de nos sociétés, une mort de héros qui n’existent plus9, de militaires qui ne servent plus directement le territoire national, attise davantage l’incompréhension face à la mort d’un proche militaire. L’incompréhension qui se taisait autrefois, a aujourd’hui un porte-voix, celui des prétoires, et peut conduire à occulter la dimension opérationnelle et sacrificielle pour se focaliser sur le risque et le dommage, un couple qui ne correspond pas à la spécificité militaire.
L’ « affaire d’Uzbeen » d’août 2008 est l’illustration par excellence de la remise en cause aujourd’hui des deux dimensions de la mort au combat, celle délivrée, mais surtout en ce cas, celle reçue. Tandis que des familles de victimes se sont constituées parties civiles et ont déposé plainte contre x pour « mise en danger délibérée de la personne d’autrui » (art. 121-3 du Code pénal), le procureur de la République près le tap avait décidé un classement sans suite. Par la suite, le juge d’instruction a accepté la requête des familles, ce qui a poussé le procureur à faire appel de cette décision devant la Chambre de l’instruction dont nous attendons la décision. Si la décision donnait raison au juge de l’instruction, s’ensuivra une phase d’enquête longue et laborieuse qui exigera du juge de chercher les responsabilités juridiques parmi les responsabilités opérationnelles. Ces responsabilités, difficiles à définir pourraient remonter aussi loin dans la chaîne opérationnelle, française et étrangère, que politique. Mais au cœur de cette affaire, le moyen tiré de la mise en danger va à l’encontre même de l’esprit du Statut général des militaires qui consacre ce sacrifice. La volonté de définir les responsabilités est normale dans la mesure où, même dans une guerre, il faut déterminer les causes pour agir en conséquence et éviter tout recommencement. Dans les faits de l’espèce, l’action pénale nous fait sortir du cadre militaire de la guerre, pour nous faire entrer dans le temps de paix où le sacrifice n’a pas la même portée.
Cette incompréhension pour nombre de militaires ne doit cependant pas jeter l’opprobre sur le monde judiciaire qui peut être aussi le meilleur allié du militaire. En effet, selon la suite donnée à cette affaire, le juge pourrait estimer que cette disposition du Code pénal n’est pas applicable à une opération militaire, au même titre que d’autres dispositions du temps de paix. En outre, dans d’autres affaires, la criminalisation des conflits peut largement servir nos forces qui, elles, respectant les lois de la guerre, seront à l’abri de condamnations pénales. Dès lors, ce regard du juge est à mesurer et à tempérer, car il peut offrir au militaire la meilleure reconnaissance de son statut, et donc de sa spécificité.
1 Jacques Lanxade, « Réflexion sur la fonction militaire dans la France d’aujourd’hui », in « Les spécificités militaires », Les Cahiers de Mars n° 202, décembre 2009, p. 48.
2 Voir « La judiciarisation des conflits », Inflexions n° 15, 2010.
3 Loi 2005-270 du 24 mars 2005 portant Statut général des militaires, article 1er alinéa 2, JORF n°72 du 26 mars 2005, p. 5 098.
4 Jacques Chevalier, Science administrative, Paris, puf, 3e édition, 2002, pp. 83-84 et 93-94.
5 Voir Jean-Christophe Videlin, Droit public de la défense nationale, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 63-72.
6 Jacques Chevalier, op. cit., p. 258-259.
7 Voir Aurélie de Andrade, Le Droit pénal militaire retrouvé. Propositions pour l’étude du droit pénal militaire français de temps de paix, thèse, université de Paris-X-Nanterre, 2000.
8 Voir en ce sens Ramu de Bellescize, Les Services publics constitutionnels, Paris, lgdj, «Thèses», 1ère édition, 2005, pp. 183-199.
9 Voir «Que sont les héros devenus ?», Inflexions n° 16, 2011.