Les 19 et 20 novembre 2010, à Lisbonne, le sommet de l’otan définit un nouveau concept stratégique. L’Alliance entérine la « transition irréversible » du retrait des forces de la coalition, la Force internationale d’assistance et de sécurité sous commandement otan (fias), du 22 mars 2011 à la fin de 2014. Ce que la propagande d’Al-Qaïda et des talibans du mollah Omar interprète comme la reconnaissance par l’Occident de sa défaite. En effet, rien n’est joué : aux ordres du général David Petraeus, si les forces de la coalition reprennent l’initiative (provinces du Helmand, de Kandahar ou en Kapisa), si les drones américains ne cessent de frapper au Waziristan pakistanais pour éliminer les djihadistes d’Al-Qaïda, la guerre est de plus en plus prégnante. Les insurgés font à présent régner l’insécurité dans les provinces du Nord. De janvier à la fin décembre 2010, sept cent onze soldats de la coalition sont tués en Afghanistan, année la plus meurtrière, et on déplore dix mille morts parmi les Afghans, dont 20 % de civils. Du 31 mars au 5 avril 2011, à la suite de l’autodafé d’un Coran par le pasteur évangéliste de Floride, Terry Jones, on est passé très près d’une offensive du Têt généralisée, tant les manifestations anti-occidentales ont été importantes dans les villes afghanes (neuf employés de l’onu tués à Mazar-e-Sharif). Désormais, il n’est plus question de gagner cette guerre, mais de savoir comment ne pas la perdre complètement.
Alors, comment sortir de ce long conflit asymétrique, si coûteux sur le plan financier (cent quarante-cinq milliards d’euros annuels) et logistique, dans un pays de montagne enclavé.
- La tentation du retrait immédiat
et la fin de la sécurité collective
Dans notre ouvrage publié fin mars 2010, Afghanistan, 2001-2010 : chronique d’une non-victoire annoncée1, nous évoquions en conclusion le principe de sécurité collective. À l’inverse de la guerre américaine en Irak, en mars 2003, le conflit contre le terrorisme international est, en effet, légal, sous mandat de l’onu depuis les résolutions de 2001. L’épicentre se situe en Afghanistan et dans la zone tribale pakistanaise du pays pachtoun. Le président américain l’indique de façon implicite devant l’Assemblée générale de l’onu, le 23 septembre 2009, à propos d’un monde fondé sur le multilatéralisme et non plus l’unilatéralisme de l’« hyper-puissance » américaine qui ne peut jouer seule, comme sous George W. Bush, le rôle de gendarme du monde. C’est, alors, évoquer les préliminaires de la Conférence de San Francisco en 1945. En ce sens, on peut aussi prendre pour modèle de sécurité collective appliquée l’opération Atalante contre la piraterie dans l’océan Indien où, depuis 2009, à côté d’une Task Force américaine, des navires chinois et indiens côtoient des bâtiments de l’otan, mais aussi de ce qui témoigne, pour une fois, de l’Europe de la défense. Sur place, en Afghanistan, la coalition compte quarante-neuf nations faisant partie de la fias. Fin mars 2011, l’effectif de la coalition est de mille civils et de cent cinquante mille hommes comprenant cent mille Américains, dont vingt-six mille cinq cents pour l’opération Enduring Freedom (depuis octobre 2001 pour la destruction d’Al-Qaïda).
Sur le terrain, le général David Petraeus renforce la présence et la détermination des Américains en reprenant les frappes aériennes interrompues fin 2009 pour cause de dommages collatéraux. Il s’agit de se montrer, de reprendre l’initiative par des opérations dans les sanctuaires ennemis, de reconstruire pour inverser la tendance des opérations civilo-militaires (cimic), pour l’instant 90 % militaire et seulement 10 % civil, tout en continuant à forger l’armée nationale afghane (ana) et la police nationale afghane (pna). Le tout correspond à la doctrine de contre-insurrection : sécurité, gouvernance et développement, soit « nettoyer, tenir, construire et transférer ».
Mais la mise en application de cette grande idée de sécurité collective a, pour l’heure, avorté. En effet, définissant un nouvel esprit offensif dans son discours devant les cadets de l’académie militaire de West Point du 1er décembre 2009, le président américain entre en contradiction avec lui-même, alors qu’il accorde un renfort de trente mille hommes aux forces engagées en Afghanistan début 2010. Certes, Barack Obama a le courage d’indiquer clairement qu’il attend un changement d’attitude en matière de gestion du gouvernement afghan (« L’époque des chèques en blanc est terminée »), mais le fait d’annoncer que le repli commencerait en 2011, c’est déjà mettre un genou à terre alors que rien n’est acquis sur le terrain. En reconnaissant que « les talibans ont pris de l’élan », il n’envisage pas de pouvoir négocier en position de force, comme les Français en Algérie en 1960-1962, avec cet adversaire diffus qui s’évapore dans la nature et parmi la population, mais continue de tendre des embuscades, entretient la terreur grâce aux attentats suicides et aux assassinats et frappes surtout par l’arme sournoise des mines improvisées. Comment également croire qu’en quelques mois, en vertu de quelle panacée, l’administration Karzaï serait guérie de l’art du pillage de l’aide internationale et de la corruption ? En fait, l’exécutif américain est forcé de reconnaître que la guerre est déjà perdue sur le plan des opinions publiques. À ce propos, le syndrome vietnamien réapparaît.
Il s’agit d’un lent mais inexorable désintérêt des Occidentaux inquiets de la croissance du taux de pertes. En est issue une demande de retrait pour des opinions qui croyaient à la guerre aseptisée et au concept du « zéro mort » grâce aux avancées de la technologie. Or, le 19 février 2010, pour la première fois dans l’histoire des démocraties impliquées dans une guerre sous l’égide de l’onu, le gouvernement néerlandais, chrétien-démocrate, de Jan Peter Balkenende tombe sur la question afghane (mille neuf cent quarante Néerlandais engagés depuis 2006, vingt et un tués en tout). Cette chute fissure la solidarité des pays de l’otan et suscite une crise du moral chez les alliés, malgré les propos lénifiants des officiels. 70 % des Allemands, selon un sondage publié le 15 avril 2010, réclament un retrait d’Afghanistan. Le 22 avril, devant le Bundestag, la chancelière Angela Merkel parle pour la première fois de « guerre », expression qu’elle renouvelle en venant apporter son soutien, à Kunduz, à la veille de Noël, alors que venait de tomber un quarante-deuxième soldat allemand depuis 2002. En juillet 2010, déplorant trois cent vingt-quatre morts depuis 2001, 55 % des Britanniques (dix mille hommes en Afghanistan) se déclarent opposés au maintien des troupes. En août, l’Espagne s’interroge sur l’utilité de sa présence en Afghanistan après l’assassinat de trois gardes civils (quatre-vingt-douze tués depuis le début de l’engagement en Afghanistan) par un policier afghan. Cette guerre coûte un million d’euros par jour pour un contingent espagnol passé de mille à mille cinq cents hommes.
En France, le 12 juillet 2010, L’Humanité publie un sondage Ifop : 70 % des Français sont contre l’intervention en Afghanistan (64 % en 2009). Les 27 et 28 juillet 2010, l’ancien ministre de la Défense, Paul Quilès, demande le retrait de la France d’Afghanistan à l’annonce d’une bavure française du 2 octobre 2008 révélée par Wikileaks et la demande d’une rallonge budgétaire de soixante milliards de dollars par l’administration Obama en faveur de la guerre. Il constate que « la situation est calamiteuse » sur place, que la population est de plus en plus hostile à la présence des occupants occidentaux, que jamais la corruption et les bénéfices tirés de la drogue n’ont atteint de tels niveaux2. Il déplore, en outre, l’absence de débat public en France. Depuis la mort de Ben Laden, Paul Quilès estime que l’enjeu en Afghanistan devient national et les Occidentaux n’ont plus rien à y faire. Mais le parti socialiste est loin d’envisager un départ immédiat comme le réclame le parti communiste, l’extrême gauche et le Front national. Avant même la conférence de Lisbonne, dès le 28 octobre 2010, le ministre de la Défense, Hervé Morin, annonce déjà que dans le cadre de la nouvelle stratégie de l’otan, le gouvernement envisage un début de retrait, alors que les accrochages et les opérations se poursuivent en Kapisa et dans le district de Surobi.
En fait, ce désir de repli est antérieur à 2010. Sur le plan strictement militaire, force est de constater que les schémas initiaux de la révolution dans les affaires militaires (ram) et les espoirs mis dans le tout technologique ont fait long feu. Les petites armées professionnelles occidentales redécouvrent, trop tard, que pour tenir l’espace il faut aussi des hommes et pas seulement des drones. L’Afghanistan, comme le Vietnam, devient un piège à effectifs. En France, Jean-Dominique Merchet, alors journaliste à Libération, estime qu’il « faut trouver la porte de sortie. Et vite »3. Il constate que l’Afghanistan est en crise depuis une génération, que les partis en présence ont toujours su internationaliser leurs querelles et que la solution ne peut être qu’afghane. Dominique de Villepin se déclare partisan d’un retrait programmé en raison du vide de la stratégie américaine, de l’obsolescence de l’otan et de l’absence d’un projet politique des autorités afghanes. En écho, lors du vingtième anniversaire de l’évacuation de l’Afghanistan par les Soviétiques, le 16 février 2009, le général Boris Gromov, le dernier soldat à avoir quitté le pays, déclare : « L’Afghanistan nous a appris une leçon inestimable. […] Il a toujours été et il sera toujours impossible de résoudre des problèmes politiques en usant de la force4. »
Mais c’est aux États-Unis que le débat devient public et que se dessine un mouvement d’opinion. Le consensus politique qui a entouré l’arrivée au pouvoir de Barack Obama a disparu. Leslie Gelb, du Conseil des relations étrangères, constate : « Il est impossible de défaire les taliban. Nous devrions plutôt mettre l’accent sur ce que nous faisions bien – l’endiguement, la dissuasion – plutôt que sur ce que nous ne savons pas faire, le nation building dans des guerres sans fin. » L’ancien candidat démocrate à la Maison-Blanche, John Kerry, agite le spectre du Vietnam. Le concept de la puissance du faible, cher au stratège américain Martin van Creveld, est repris par l’iconoclaste et très conservateur William Lind dans son essai Antiwar, qui conclut à la défaite en Asie et le nécessaire retour au bercail pour les Américains5. Pour lui, les conflits asymétriques voient la défaite de la légitimité de l’État face à un grand nombre de loyautés non étatiques locales. En écrasant les populations sous la puissance de feu, la guerre américaine perd sa légitimité et ceux qui lui résistent deviennent des héros.
Si la cohérence dans l’action sur le long terme au nom du droit international en est réduite au stade du vœu pieux, quelles solutions, alors, pour sortir d’Afghanistan ?
- Vers une conférence régionale
sur la sécurité de l’Afghanistan ?
Dans ses interventions au Palais-Bourbon les 27 et 28 juillet 2010, Paul Quilès, propose une conférence internationale qui donnerait un statut de neutralité à l’Afghanistan. En fait, l’idée originelle provient d’un des anciens maîtres de la diplomatie américaine, Henry Kissinger6. Ce dernier constate tout d’abord que frapper partout en Afghanistan est impossible vu le relief et la taille du pays, pas plus qu’on ne peut mettre en place, à la soviétique, un gouvernement central voué à court terme à l’étouffement. De sorte que, dans un premier temps, il faut reprendre l’expérience de contre-insurrection à l’irakienne en s’appuyant sur des gouvernements locaux. Mais la priorité est d’annihiler les capacités de nuisance des taliban dans leur sanctuaire de l’Est. L’ancien secrétaire d’État de Richard Nixon approuve la nouvelle stratégie du général Petraeus, plus réaliste : il suffit de contrôler 10 % du pays, en territoire pachtoun, pour que 80 % de l’Afghanistan cessent de constituer une menace, à condition d’être maître de la frontière orientale. Car il ne s’agit pas de savoir comment on va gagner la guerre, mais bien de savoir comment les alliés vont pouvoir quitter le pays.
Pour cela, Kissinger envisage une solution régionale. Partant du principe qu’un statut de neutralité contrôlée, non plus seulement sur le modèle afghan des diverses conventions anglo-russes depuis 1895, c’est-à-dire entre deux puissances seules, est le seul viable pour ce pays. Il faut y intéresser tous les pays frontaliers, mais aussi les puissances menacées par l’extension du terrorisme. Et de rappeler à ce propos que l’Inde compte la troisième population musulmane du monde et que ce pays a tout intérêt à s’entendre avec le Pakistan engagé en première ligne dans la lutte contre le terrorisme. En coopération avec la Russie, l’otan et le soutien des États-Unis, sortir de la crise afghane par le haut implique donc l’obligation pour l’État afghan d’une neutralité garantie par ses voisins et protecteurs. Et ce, afin qu’il soit capable de combattre le terrorisme sur son propre sol à partir de principes et de dispositifs militaires internationaux à définir pour éviter un retour des talibans à Kaboul et une renaissance d’Al-Qaïda en Afghanistan. Cette solution à long terme, précise Henry Kissinger, a aussi pour but essentiel de garantir le Pakistan, puissance nucléaire, dont la communauté internationale ne pourrait tolérer une mainmise par Al-Qaïda et ses alliés.
Un certain nombre d’éléments pourraient aider à la tenue d’une telle conférence qui, sur le modèle du statut de la Belgique imaginé par Talleyrand en 1830-1831, ferait garantir la sécurité, la neutralité et les frontières de l’Afghanistan par ses voisins, non pas seulement les petites républiques instables du Nord (Turkménistan, Ouzbékistan, Tadjikistan), toujours dans la zone d’influence des Russes, mais par l’ensemble des grands États qui l’entourent, sans oublier les États-Unis et leur bras armé que constitue l’otan.
Le 18 octobre 2010 à Rome, se tient une conférence de l’otan relative à la coopération régionale sur l’Afghanistan. Pour la première fois, aux côtés de douze autres pays musulmans et de l’Organisation de la conférence islamique, l’Iran est présent en raison des problèmes liés à la consommation de drogues afghanes (un Iranien sur dix est concerné). Pour Michael Steiner, représentant Afpak (Afghanistan-Pakistan) de l’Allemagne, c’est un progrès ; même analyse de Richard Holbrooke qui distingue la question afghane de celle de l’armement nucléaire de l’Iran. Investissant dans la province d’Herat où ils construisent un chemin de fer, les Iraniens redoutent le chaos en Afghanistan, ayant déjà plus de trois millions de réfugiés sur leur sol. L’ennui, c’est que pour maintenir la pression sur l’otan, les Iraniens jouent un double jeu, tout en construisant un mur de protection sur les neuf cents kilomètres de frontière avec l’Afghanistan afin de contrôler les chemins de la drogue.
En fait, l’Iran, comme le Pakistan, agit avec le machiavélisme d’une puissance régionale, sûre de disposer bientôt de l’arme nucléaire. Selon les fuites de Wikileaks filtrées par Le Monde, la Perse continue de former les religieux de la minorité chiite, mais également des diplômés afghans7. L’Iran prévoit, en soutenant Karzaï et même en armant des factions de talibans non liées au mollah Omar, de contrôler le pouvoir à Kaboul après le départ programmé des Américains et de la coalition. Déjà, le 10 mars 2010, le président Mahmoud Ahmadinejad se rend à Kaboul en visite officielle, une première qui suscite l’étonnement et qui a un grand écho dans le monde musulman. Ce qui signifie clairement que toute solution de sortie de crise ne pourra se faire sans le partenaire iranien. En outre, un proche d’Hamid Karzaï révèle le rôle occulte de l’Iran pour accroître son influence en « arrosant » les sphères du pouvoir, à telle enseigne que le président afghan avoue, le 25 octobre 2010 : « Le gouvernement iranien nous aide une ou deux fois par an en nous donnant cinq cent mille, six cent mille ou sept cent mille euros à chaque fois8. »
Qu’en est-il des confins orientaux ? Un événement, passé inaperçu, fortement encouragé par Richard Holbrooke lors de ses incessants voyages dans la région, concerne une esquisse de dialogue entre deux ennemis irréductibles, l’Inde et le Pakistan. À compter du 25 février 2010 se déroulent des conversations de paix entre ces deux États dans l’espoir (?) de régler la question du « château d’eau », celle du Cachemire, puis de considérer qu’il est de l’intérêt des deux puissances nucléaires régionales de faire front ensemble contre toute renaissance d’Al-Qaïda. Ce qui permettrait au Pakistan de reporter une partie de ses troupes dans la zone tribale, alors que l’essentiel des forces armées d’Islamabad est toujours en garde du côté oriental. En fait, les deux puissances sont pour l’heure rivales également en Afghanistan.
La tension remonte d’un cran entre Islamabad et New Delhi fin mars 2010, lorsque les Pakistanais soupçonnent les Indiens, qui investissent dans l’économie afghane, de vouloir reconstituer l’Alliance du Nord, hostile aux Pachtouns, dans la perspective du retrait de l’ otan et du démantèlement de l’Afghanistan qui s’ensuivrait. Le 26 avril 2010, le président Karzaï est reçu à New Delhi. Contre le Pakistan qui s’offre en médiateur entre les talibans afghans et le reste du monde, l’Inde redit en la personne de son Premier ministre, Manmohan Singh, son hostilité à toute main tendue envers ces fous de Dieu et offre un milliard trois cent mille dollars pour la construction du Parlement de Kaboul, des axes routiers et une aide alimentaire. L’Inde, comme la Chine, ne pourrait tolérer qu’au départ sans gloire des Occidentaux d’Afghanistan, la tumeur terroriste se mette brutalement à grossir dans le no man’s land afghan et que les métastases la concernent à son tour. Rappelons que l’Inde est, elle aussi, préoccupée par ses minorités musulmanes agitées par le terrorisme.
Qu’en est-il du Pakistan ? Malgré tous les malheurs climatiques et la pression terroriste auxquels cette fragile démocratie est soumise, le Pakistan entend toujours agir en puissance régionale. L’Afghanistan est son arrière-plan stratégique et sa zone d’influence prioritaire. De la sorte, Islamabad entretient plusieurs fers au feu. Le Pakistan prend langue avec les clans pachtouns qui ne rêvent pas d’une remise en cause des frontières et qui sont hostiles à une mainmise de l’Inde, pays dont les ressortissants ont été plusieurs fois la cible d’attentats à Kaboul. Il serait fastidieux de relever tous les exemples de la duplicité du gouvernement pakistanais et de ses services secrets qui continuent de protéger le mollah Omar à Quetta. Mais le Pakistan, soufflant le chaud et le froid à l’égard des États-Unis et de leurs alliés, vient de rappeler avec force que rien ne pourra se décider à Kaboul sans lui. Contrôlant la passe de Khyber, le Pakistan tient l’artère jugulaire de la logistique de la coalition embourbée en Afghanistan.
Premier indice : à la fin juin 2010, le président Karzaï accueille à Kaboul le général Ashfaq Kayani, chef d’état-major de l’armée pakistanaise, et le général Shuja Pasha, chef de l’Inter-Services Intelligence (isi), le premier des services secrets pakistanais. L’idée serait de négocier tribu par tribu avec la protection à venir du Pakistan sur l’ensemble de la zone pachtoune, comme dans les années 1990. Il faut dire, avant même la preuve de la duplicité des Pakistanais dans leur protection de Ben Laden, que la tension entre Américains et Pakistanais est vive depuis l’intensification des frappes de missiles Hellfire sur la zone tribale. Le 29 septembre 2010, trois soldats pakistanais sont tués par une frappe aérienne américaine au débouché de la passe de Khyber, sur la frontière, ce qui entraîne une vive protestation d’Islamabad. Pendant une semaine, le Pakistan ferme la frontière. Avec l’aval des forces de sécurité pakistanaises étonnamment discrètes, c’est l’occasion pour les taliban pakistanais de s’attaquer aux convois de l’otan immobilisés. Le message envers l’Oncle Sam est clair : il n’est pas question de tenir pour quantité négligeable le Pakistan dans toute tentative de trouver une issue quelconque en Afghanistan. En signe d’apaisement et en désirant aller dans le sens de la politique suivie par les Américains, pour la première fois le Pakistan annonce, le 7 janvier 2011, qu’officiellement il soutient l’initiative du Haut Conseil pour la paix. Il s’agit de cette tentative menée à grands renforts de propagande par le président Karzaï pour prendre langue avec les taliban, mais, jusqu’à présent, seules des personnalités isolées et quelques seigneurs de guerre se sont ralliés à cette initiative afin de préserver leurs intérêts.
Toutefois, ce geste indique bien que le Pakistan serait à même de siéger à la table d’une conférence régionale sur la sécurité, ce qui est un peu plus clair que la position d’attente du matou chinois. Si la très grande puissance de ce début du xxie siècle se montre si discrète, outre le règlement de la question du Cachemire auquel elle entend bien participer, elle ne peut restée indifférente au sort de l’Afghanistan où toute recrudescence du terrorisme international la concerne, puisqu’elle-même y est confrontée depuis l’insurrection ouigour en juillet 2009 dans le Xinjiang. En outre, Pékin devient le premier investisseur en exploitant la seconde réserve de cuivre du monde à Aynak. Trente-trois projets de sociétés chinoises représentent un total de quatre cent quatre-vingts millions de dollars9. Disposant d’une étroite fenêtre sur la frontière à haute altitude de l’extrême Nord-Est de l’Afghanistan, l’empire du Milieu attend, sans doute, que le grand rival russe en Asie centrale se découvre davantage pour agir.
Au sommet de Lisbonne, le 20 novembre 2010, la Russie est courtisée. Le président Dmitri Medvedev signe un accord commercial important sur le plan logistique pour la fias. Il devrait faire chuter le prix de transit d’un conteneur américain par voie ferrée russe à destination de l’Afghanistan à moins de mille huit cents dollars. Des dizaines de milliers de ces conteneurs transitent chaque mois. L’évacuation programmée à compter de juillet 2011 devrait faire baisser les prix, les Russes gardant l’illusion qu’ils ne contiennent que des marchandises civiles, le transit militaire se faisant par avion. Capable de faire entendre raison à ces petites républiques issues de la ci-devant Union soviétique sur la frontière septentrionale de l’Afghanistan (on se bat, en octobre 2010, autour de l’aéroport de Douchanbé, au Tadjikistan, vital pour la logistique de l’otan-fias), la Russie rappelle qu’elle entend jouer un rôle clef dans le sort de l’Afghanistan. Toute recrudescence du terrorisme aurait des échos du Caucase russe (Tchétchénie, Ingouchie, Daghestan) aux républiques d’Asie centrale qui dépendent de son bon vouloir, mais aussi sur son propre sol (attentat-suicide du 24 janvier 2011 à l’aéroport international Domodedovo de Moscou, trente-cinq morts, cent seize blessés).
Pour faire contrepoids au Pakistan, que les Russes considèrent comme l’allié privilégié des Américains dans la région, Moscou et New Delhi envisagent de renouer une alliance dans la perspective du retrait occidental. Pour ce faire, Vladimir Poutine, Premier ministre russe, s’est rendu dans la capitale indienne le 12 mars 2010. Mais l’intérêt des Russes, comme celui des Iraniens, concernent également le problème récurrent du trafic de drogue dont la Fédération de Russie est une des principales victimes. Ainsi, le 29 octobre 2010, une vaste opération anti-drogue, avec des agents russes, se déroule dans la province de Nangarhar. En dépit des protestations de Karzaï qui dénonce cette violation de territoire, pour la première fois, des agents du bureau des narcotiques russe participent avec leurs collègues américains et des militaires de la coalition à la destruction de quatre laboratoires importants et la saisie de centaines de kilos d’héroïne10. Quelque temps plus tard, le 20 janvier 2011, a lieu la première visite depuis vingt ans d’un chef d’État afghan à Moscou. Les Russes se disent prêts à offrir une assistance militaire à l’administration Karzaï, suite au retrait graduel de l’ otan, mais sans intervention militaire.
L’ensemble de ces réflexions indique que certaines conditions seraient à présent réunies pour entrevoir les prémices d’une conférence régionale sur la sécurité. Est-ce à dire que les coalisés qui se pressent au chevet de l’Afghanistan n’ont pour l’instant rien tenté ? En 2010, prenant la suite d’autres initiatives, deux conférences internationales sont entièrement consacrées à l’Afghanistan.
Le 28 janvier 2010, à Londres, soixante-dix pays tentent de trouver une solution, sans verser dans les travers d’un protectorat estime Hubert Védrine11. Ils choisissent l’« Afghanisation » comme seule voie possible du conflit, et non la solution des garanties diplomatiques. Le gouvernement de Kaboul, que l’on veut croire selon la méthode Coué afin de rassurer le contribuable occidental aux prises avec une crise financière et économique récurrente, promet d’assumer sa propre sécurité d’ici cinq ans. Pour Hillary Clinton, il s’agit bien d’une stratégie de sortie. Et la secrétaire d’État américaine de reconnaître pour la première fois la tentative du Haut Conseil pour la paix, ou Jirga pour la paix (assemblée) de Karzaï. Cet infléchissement est salué par Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères : il se dit prêt à tendre la main aux « taliban repentis ».
Quant aux taliban, ils se gaussent de ce signe de faiblesse d’un ennemi aux abois, et continuent d’ignorer avec morgue les propositions du Haut Conseil pour la paix. Sur cet espoir de la « sécurisation de l’Afghanistan », à Londres, un milliard six cent mille dollars sont effacés de la dette de l’Afghanistan et cent quarante millions sont promis pour la première année du programme de réintégration des taliban. C’est l’idée clé de la conférence : aider l’Afghanistan pour mieux en partir. Chef d’état-major des armées, le général Jean-Louis Georgelin reconnaît peu après qu’en Afghanistan les coalisés ne recherchent pas une victoire militaire, puisqu’il s’agit moins de tenir le terrain que de convaincre la population, au nom de sa sécurité, qu’il est dans son intérêt de reconnaître le gouvernement de Kaboul12.
Quelques mois plus tard, le 20 juillet, la conférence de Kaboul comprenant soixante pays donateurs pour l’Afghanistan, prolonge celle de Londres. Elle prépare un retrait des forces coalisées à partir de juillet 2011, en encourageant le passage de relais à l’administration Karzaï. Les pays membres ont la faiblesse de proposer aux taliban de négocier, alors qu’ils envisagent leur départ au moment où la guerre atteint un nouveau pic dans le Helmand et dans la province de Kandahar. Le secrétaire général de l’otan, Anders Fogh Rasmussen, annonce que les forces internationales resteront en Afghanistan après une période de transition pour assurer un « rôle en soutien » des forces afghanes de sécurité et, pour ce faire, il voudrait repousser toute idée de calendrier trop contraignant. Mais Hillary Clinton, de son côté, juge ce processus de transition « trop important pour être repoussé indéfiniment ». La secrétaire d’État rappelle au gouvernement du président Karzaï que « beaucoup de travail reste à faire », à commencer par la lutte contre la corruption13. En effet, depuis le début de l’intervention militaire internationale à la fin 2001, seuls 20 % des quelque quarante milliards de dollars d’aide sont passés par les canaux gouvernementaux, souvent accusés d’être gangrenés par la corruption.
Décrite comme la plus grande rencontre internationale jamais organisée à Kaboul, la conférence élude la question effective de la sécurité garantie par des accords internationaux. Pour Peter Galbraith, ex-représentant adjoint de l’onu à Kaboul, remercié à l’automne 2009 parce qu’il avait dénoncé les tricheries de Karzaï lors de sa réélection, cette conférence est « une farce ». Elle revient à confier les clefs de la banque à un mafieux accro au haschisch. Et le diplomate de rappeler que l’Afghanistan est au deuxième rang des pays les plus corrompus, après la Somalie qui n’est plus un État. Pour lui la guerre est perdue. Cette guerre coûte trop cher en dollars et en vies humaines en faveur d’un président qui n’a aucune légitimité. La lutte contre Al-Qaïda n’a plus de raison d’être en Afghanistan, l’organisation est à présent active dans la zone tribale au Pakistan, au Yémen et en Somalie. De sorte qu’il est temps de partir de ce pays qui a vaincu tous ceux qui ont voulu l’occuper, Mongols, Anglais et Soviétiques. Enfin, Peter Galbraith est un de ceux qui prônent une solution plus realpolitik, pour reprendre une expression chère à Bismarck.
- Un repli sur l’Afghanistan utile ?
Pour lui, la solution consiste à : « Protéger les régions du Nord ; sécuriser Kaboul, où vivent quatre millions d’habitants ; s’assurer que le travail de renseignement dans l’antiterrorisme est efficace. Avec quinze mille hommes on y arriverait14. » Ce choix se veut plus réaliste : tenir en respect les sanctuaires des taliban à l’Est et au Sud, se concentrer sur les grands axes et les villes afin de les rendre hors d’atteinte, et développer, autour de trois larges zones urbaines et agricoles, des institutions locales suffisamment attractives pour, peu à peu, étendre la zone de la pacification15. Mais cette solution de l’« Afghanistan utile », ayant la faveur de responsables américains, a le défaut d’évoquer deux échecs. Le premier est la solution française de la guerre d’Indochine à partir de 1951 : concentration et pacification dans les deux deltas du Mékong et du fleuve Rouge et opérations de projection de puissance à l’intérieur des terres pour épuiser, puis tenter de détruire le corps de bataille du Viêt-minh. Construction qui mésestime l’adversaire, le laisse s’armer et conduit au désastre de Diên Biên Phú.
Le second est l’enlisement et l’humiliation de l’Armée Rouge en Afghanistan quittant le pays livré peu après à l’anarchie. Dans les deux cas, ce repliement sur les « greniers agricoles » et les principales villes et zones économiques n’a pas empêché la montée en puissance de l’adversaire, dès lors que les frontières, cinq mille cinq cents kilomètres de tour pour l’Afghanistan, sont de véritables passoires. En outre, ce choix du repli sur les zones économiques et la capitale remet en question les frontières, porte ouverte au délitement du pays et à la guerre civile, à propos de ce « Pachtouristan », dont ne veut pas Islamabad parce qu’il nierait la frontière de 1893, dite ligne Durand.
- Vers une solution à la Najibullah ?
C’est pour éviter pareil scénario catastrophe qui referait de l’Afghanistan l’« empire du chaos » que les coalisés s’accrochent à une autre mauvaise solution : la pérennité de l’administration Karzaï. Il est curieux de constater que les membres de la fias, en dépit du mandat international et de toutes les possibilités qu’il offrait, se comportent comme les Soviétiques. Après une première phase où seule la coercition a été employée d’octobre 2001 à 2006, une seconde phase a été de construire un Afghanistan utile autour des canons de la contre-insurrection de 2006 à 2010, puis une dernière phase a été de passer directement le relais aux forces de sécurité afghanes. C’est le paradoxe de la guerre d’Afghanistan, on liquide alors que l’engagement pour construire (et non reconstruire après trente-huit ans de conflits, de malheurs et de destructions depuis 1973) demanderait un investissement à long terme.
En mars 2009,est publié Unfolding the Future of the Long War, rapport destiné à l’armée de terre américaine16, qui envisage le début du retournement de tendance en Afghanistan pas avant… le début des années 2020 ! Pour ce faire, on conçoit de quelles sommes colossales, de quel nombre d’instructeurs civils et militaires, de quels trésors de patience et de persévérance il aurait fallu disposer pour entreprendre vraiment l’accès à la modernité de ce pays ravagé par la guerre, divisé traditionnellement entre religions, ethnies, tribus et même vallées, où la femme est encore considérée comme une bête de somme et une génitrice que l’on peut battre ou mutiler en toute impunité. Comme le dit Bernard Kouchner au lendemain de la conférence de Londres, le 28 janvier 2010 : « L’avenir de l’Afghanistan passera par les femmes et l’éducation. »
Or les solutions actuellement prônées ressemblent à des emplâtres sur des jambes de bois. C’est oublier qu’on ne construit pas un État sans le droit, comme ne cesse de le répéter la vice-présidente du Sénat italien, Emma Bonino, fondatrice de l’ong No Peace without Justice qui réclame la création, à Kaboul, d’un tribunal international jugeant les criminels de guerre afghans et ceux de la coalition. En répétant à satiété, « Ils sont chez eux », pour tolérer les manquements aux droits les plus élémentaires de la personne humaine et éviter de s’impliquer davantage17, on se donne bonne conscience, tout en faisant un effort notoire d’investissement pour le développement des routes, pour l’accès à l’eau des Afghans... On construit un peu partout des écoles, mais sans prendre le temps de former des enseignants capables d’intervenir dans les langues locales.
La conférence otan de Lisbonne inclut un effort considérable de la coalition, soit six milliards de dollars pour la seule année 2011 et une formation accélérée des cadres, pour que les forces de sécurité afghanes atteignent un effectif de trois cent soixante-dix-huit mille hommes à la fin de l’année 2012. Mais on ne s’interroge pas sur le niveau des cadres afghans, dont très peu d’unités, tel le 201e corps, ont reçu le label otan, cm1, certifiant leur capacité d’emploi sur le terrain, sans l’assistance des hélicoptères armés ou de l’artillerie de la coalition. En effet, la plupart des officiers de l’ana sont incapables de lire une carte. Que penser de cette ana qui, certes fait des progrès eu égard au nombre d’instructeurs que les coalisés mettent à sa disposition (notamment grâce aux omlt ou Operational mentoring and liaison teams ou équipe opérationnelle d’instruction et de liaison), mais peine encore à incarner une nation, un État reconnu par tous. Elle reste multiethnique sans que les différences soient gommées. En pays pachtoun, elle fait figure de force étrangère. Commandant en chef des forces alliées à Kandahar d’octobre 2009 à octobre 2010, le général britannique Nick Carter met en garde contre trop d’optimisme : l’ana et la pna ne représentent que 5 % des effectifs des forces de sécurité réellement engagées sur le terrain et les Pachtouns y sont très faiblement représentés18.
En bref, pour se débarrasser de la patate chaude afghane, la coalition ne voit rien d’autre qu’un président corrompu, élu a minima sans second tour aux présidentielles d’août 2009 et dont les ambitions pour un régime présidentiel de plus en plus affirmé sont à l’origine d’un retard de plus de quatre mois, le 26 janvier 2011, pour la convocation de la nouvelle Assemblée nationale, ou Wolesi Jirga (chambre basse) élue le 19 septembre 2010 avec 40 % des votants. En vérité les coalisés reconduisent le schéma soviétique à la Najibullah, en y rajoutant la très mauvaise solution des dizaines de milliers de mercenaires chargés des basses œuvres de la guerre. Rappelons que pour préparer leur repli, les Soviétiques mirent en place l’administration, surarmée, dirigée par le docteur Mohammed Najibullah, de novembre 1987 à avril 1992. Après le départ, en février 1989, des dernières troupes soviétiques qui franchirent le « pont de l’amitié » à la frontière septentrionale, après une guerre qui aurait coûté aux Afghans plus d’un million de morts (80 % des civils), le gouvernement Najibullah fit illusion. Mais sitôt le dernier T 72 russe parti, l’Afghanistan sombra dans la guerre civile. Najibullah mourut plus tard, pendu à Kaboul le 27 septembre 1996, lorsque les taliban prirent la ville pour y faire régner « l’antichambre de l’Au-delà »19. Et si l’histoire se répétait ?
Cependant, un élément nouveau doit être pris en considération par rapport à l’époque de Najibullah : l’Afghanistan, principal producteur mondial d’héroïne, est devenu un narco-État dénoncé par Hillary Clinton dès sa prise de fonction. Tous les partis ont intérêt à ce que ce trafic juteux continue de rapporter. Mieux qu’en Irak, l’argent de la drogue est un puissant sergent recruteur contre les soldats de l’otan-fias. Un taleb (singulier de taliban) gagne en moyenne de trois cents à six cents dollars par mois, soit trois à cinq fois la solde d’un soldat afghan. Un des conseillers militaires du président Obama, officier gardant l’anonymat mais qui s’est battu en Afghanistan, dit, par exemple, qu’il a vu des fermiers qui tiraient des roquettes sur une base américaine. Ils avaient reçu deux cents dollars, non parce qu’ils étaient partisans des taliban, mais tout simplement parce qu’ils avaient besoin d’argent20.
De sorte qu’une solution politique « à l’afghane » fondée sur le pactole de l’héroïne risquerait bien de surprendre les coalisés (et les Iraniens dans la province d’Hérat) qui s’évertuent à trouver des cultures de substitution, telle que celle du safran. Et si, au départ des occidentaux entre Karzaï, mafieux, seigneurs de guerre et des groupes de taliban ne s’entendaient pas pour écouler héroïne et haschisch, tout en créant une nouvelle forme de cohabitation fondée sur la drogue ? Sans révéler un secret de polichinelle, il suffit de rappeler que dans le narco État afghan, du président à nombre d’officiers de l’ana, la consommation de drogue a dépassé le simple cadre traditionnel. Quant à la pna, bien que de sensibles progrès dans le sens de la déontologie aient été enregistrés depuis environ deux ans, elle est accusée de divers trafics, d’abus de pouvoir et d’utilisation de la torture21. Selon le journal numérique The Washington Independent qui y a consacré plusieurs articles en septembre 2008, les policiers afghans compensent leur faible salaire (environ cinquante à soixante dollars par mois) par des vols commis aux domiciles de suspects, des rackets auprès de commerçants qu’ils sont censés protéger. Dans ce pays, la corruption est intimement liée au trafic de stupéfiants. Ce dernier est aussi le fonds de commerce des seigneurs de guerre, des taliban et de certaines unités de la police afghane aux ordres de potentats locaux.
On peut, in fine, se demander si nos soldats ne meurent pas en Afghanistan pour un État mafieux. Les 30 et 31 janvier 2011, éclate un scandale d’État, la quasi-banqueroute, en septembre 2010, de la plus grande banque privée d’Afghanistan, la Kabul Bank. Le « trou » est de neuf cents millions de dollars, que la coalition devra combler. L’Afghanistan, tonneau des Danaïdes de l’Occident, en énergie, hommes et ressources…
Ce qui vient de se passer en Tunisie et au Caire, événement aussi important que la chute du mur de Berlin, devrait nous aider à réfléchir sur le sens d’un combat pour la défense des libertés contre le terrorisme, mais dont le champion choisi, après le départ des instructeurs de la coalition, n’offre aucune garantie tant morale que politique… On conçoit que l’exécutif américain commence à envisager une coûteuse solution à l’irakienne, c’est-à-dire maintenir, a minima, sur place, des bases permanentes garantissant la non renaissance d’Al-Qaïda, mais sans préjuger du devenir de l’administration Karzaï et en oubliant qu’à l’inverse de l’Irak l’Afghanistan n’a aucune culture étatique.
En bref, comme le dit si justement Machiavel : « On commence une guerre quand on veut, on la finit quand on peut. »
1 Éditions Autrement. Cet ouvrage a reçu le Prix du livre d’histoire 2010, remis à Verdun, au Centre mondial de la Paix, le 6 novembre 2010 (jury présidé par Jean-Pierre Rioux).
2 Le péril devient global selon le rapport de l’onu d’octobre 2009 : soit 900 tonnes d’opium et 375 tonnes d’héroïne sorties en moyenne par an d’Afghanistan, pour un marché estimé de 65 milliards de dollars approvisionnant 15 millions de toxicomanes. La Croix, 23 octobre 2009, p. 6. En janvier 2011, suite à une maladie due à un mystérieux champignon, les bénéfices sont encore plus substantiels : en Kapisa, selon Paris-Match, n° 3210, 25 novembre-5 décembre 2010, p. 100, le kilo d’opium est à 1 400 euros !
3 Mourir pour l’Afghanistan, Paris, Éditions Jacob-Duvernet, p. 182.
4 Moscow Times.com, op. cit., p. 1.
5 « La victoire des forces asymétriques », synthèse de l’essai Antiwar, Contre Info.info, 17 avril 2009, pp. 1-3.
6 Henry Kissinger, « A strategy for Afghanistan », The Washington Post, 26 février 2009, pp. 1-3.
7 Le Monde, 4 décembre 2010, p. 4.
8 Le Figaro, 26 octobre 2010, p. 7.
9 Le Temps, 19 août 2009, pp. 1-2 (quotidien genevois).
10 The Washington Post, 29 et 30 octobre 2010, pp. 1-2.
11 France Inter, journal de 8 heures, 28 janvier 2010.
12 Le Figaro, 31 janvier 2010, p. 16.
13 The New York Times, 22 et 23 juillet 2010, pp. 1-2.
14 L’Express, 4 août 2010, p. 29.
15 C’est la solution proposée par le politologue français spécialiste de l’Afghanistan et travaillant actuellement aux États-Unis, Gilles Dorronsoro, « Foreign Policy for the Next President. Focus and Exit : an Alternative Strategy for the Afghan War », article de janvier 2009 publié sur le net par la Fondation Carnegie, 16 p.
16 Dû aux experts militaires Christopher G. Pernin, Brian Nichiporuk, Dale Stahl, Justin Beck et Ricky Radaelli-Sanchez, ce rapport de 240 pages, édité par le RAND Arroyo Center, porte le titre complet de Unfolding the Future of the Long War. Motivations, Prospects, and Implications for the US Army.
17 Voir à ce propos le témoignage, controversé, de l’aumônier du 2e régiment étranger de parachutistes, le père Benoît Jullien de Pommerol, publié in extenso sur le site Internet de Valeurs Actuelles en référence au n° 3869, du 20 janvier 2011, pp. 38-39 : Rapport de fin de mission, du 11 janvier au 16 juillet 2010.
18 Guardian.co.uk, 10 novembre 2010, p. 1 et 2.
19 Yasmina Khadra, Les Hirondelles de Kaboul, Paris, Julliard, «Pocket», 2004, p. 12.
20 Los Angeles Times, 20 mars 2009, p. 3.
21 Andrew Legon, « The Afghan National Police Challenge », isn, 24 juin 2009, pp. 1-5.