Janvier 1960. Je vais partir en Algérie. Deux ans et demi, trois peut-être, quasiment le temps que je viens de passer à l’université. Une bagatelle en comparaison des cinq années que nos camarades portugais sont priés de consacrer à la défense des forêts angolaises. Il est vrai qu’elles sont lusitaniennes depuis quatre siècles, pas cent trente ans comme les départements algériens !
Je vais partir en Algérie. La prise de la smala d’Abd El-Kader, ainsi que l’intéressé a bien voulu en convenir, a scellé le destin de ce coin d’Afrique. Et cent ans plus tard, Ferhat Abbas lui-même, après avoir erré dans les cimetières d’Alger la blanche, l’a reconnu : il n’a pas trouvé de patrie algérienne.
Je vais partir en Algérie. Asséchés par les colons, les marais de la Mitidja ont été transformés en riches terres à blé, des routes sillonnent tout le territoire, les villes côtières sont magnifiques. Européens et Arabes confondus, les Algériens ont apporté une contribution irremplaçable à la victoire de 1914-1918 et à la libération de la France en 1944-1945. À travers le père de Foucauld, nous nous sommes appropriés, enfants, l’immense désert qui marque la frontière méridionale de notre pays. Par les yeux de Camus, nous avons bronzé, adolescents, sur les plages de Tipasa en dévisageant les canoës remplis de beaux corps bronzés.
Je vais partir en Algérie. Le Maroc et la Tunisie étaient des protectorats appelés un jour à voler de leurs propres ailes. L’Algérie, elle, est un fécond creuset de peuples méditerranéens rassemblés dans les plis du drapeau bleu blanc rouge.
Je vais partir à la guerre en Algérie. Bien sûr, depuis 1955, des attentats cruels ont ensanglanté campagnes et villes de ce coin de France, mais grâce à l’armée et au contingent, l’ordre est en train de revenir. Le dernier quart d’heure, répètent les autorités, est maintenant à portée de mains. Encore un effort, vous qui allez prendre la relève de vos camarades, et ces « événements » ne seront plus qu’un mauvais souvenir.
Je vais partir à la guerre en Algérie. Du reste, comment ne pas partir en Algérie ? L’armée des citoyens est l’une des conquêtes de la Révolution, l’un des principes sur lesquels s’est bâtie la République. Prendre sa part à une épreuve nationale ne se discute pas. Pas plus aujourd’hui qu’en août 1914 même si, cette fois, les chansons ne sont pas au rendez-vous, ni les roses au canon.
Pourtant nous avons été nombreux, dans nos classes d’âge, au moins parmi les étudiants et les militants des partis politiques et des syndicats, à avoir manifesté contre la guerre d’Algérie. Quelques-uns d’entre nous ont même apporté une aide à des Algériens engagés dans ce que les journaux appellent la rébellion. De là à ne pas accomplir son devoir de citoyen, il y a un fossé qu’il n’est pas question de franchir.
Je vais partir à la guerre d’Algérie. Sans illusion sur le bien-fondé et le résultat de l’entreprise. Pas besoin d’avoir une ouïe particulièrement subtile pour entendre un peu partout clamer qu’il est grand temps pour la France de quitter l’Algérie en ces temps de décolonisation généralisée ! C’est ce que nous répètent sur les bancs de la fac nos camarades d’outre-mer qui ne sont pas tous des arrivistes ou des ennemis. C’est ce qu’à la tribune de l’onu déclare un nombre de délégations qui croît chaque année. Plus gravement encore, c’est ce que nous disent pas mal de ceux de notre âge qui rentrent d’Algérie. En parlant de la guerre qu’ils ont faite, ils affirment l’impossibilité de gagner face à une population dont la majorité, prise dans la spirale de la violence et de la répression, bascule inexorablement du côté de ceux d’en face.
Je vais partir à la guerre d’Algérie. Depuis que je suis étudiant, pas un jour où cette perspective et la batterie de questions qu’elle met en branle n’aient affleuré en moi. Comme autant de bulles menaçantes à la surface du quotidien.
De preuve concrète de cette obsédante familiarité, je n’ai rien retrouvé tant d’années plus tard sinon une lettre familiale écrite précisément à la veille de l’embarquement pour Alger :
« Vingt-quatre heures de train avant d’arriver au petit matin à la gare Saint-Charles. À travers Marseille désert, les camions nous ont déposés au centre de transit Sainte-Marthe. Marrant qu’il faille mobiliser tant de saints pour nous préparer au grand saut !
« Après-demain, départ prévu pour Alger. Nous allons embarquer sur un rafiot qui, aux dires des spécialistes, est le plus pourri de tous ceux qui font la traversée. Une nouvelle fois vingt-quatre heures à être enfermés ! En cale pour changer, avec juste un coin de pont pour aller respirer. Ou vomir pour ceux qui préfèrent.
« Sorties supprimées car la semaine dernière, nos prédécesseurs ont tout cassé dans un des bouis-bouis de la ville. À Alger, on se rattrapera, a lancé un petit malin avec un gros rire gras. Les jeux de cartes ont été sortis des paquetages. Au choix, belotes plan-plan, ou, pour les baroudeurs, poker menteur. Depuis le départ, pratiquement pas une conversation sur la guerre qui nous attend là-bas ! Pour en dire quoi, il est vrai ?
« Pas évident de lire tout seul dans son coin. Il a fallu que j’explique que j’avais la crève.
« “Profite, m’a dit un grand rouquin avec qui j’ai sympathisé dans le train. Une fois au terminus, on n’aura plus le temps !”
« Plus le temps, plus l’envie sans doute non plus. Le moral, vous le voyez, est au beau fixe comme le ciel qui nous attend là-bas. »
Cette lettre d’enfant sage, c’est ce qui me reste des dernières heures passées en métropole avant le transfert de l’autre côté de ce qu’on appelait alors la « grande bleue ». Et après les quatre mois censés nous avoir appris à faire la guerre dans l’une de ces joyeuses casernes qui quadrillaient la France en ces temps lointains.
Ça y est. Cette fois, je suis en train de partir vers l’Algérie. En observant le château d’If qui s’éloigne – si, si, je t’assure, mec, c’est le château de Monte-Cristo ! – se faufile un étrange soulagement à l’idée de sortir de cette interminable attente qui depuis si longtemps bouche l’horizon. Mieux vaut être dans le cauchemar que sur le point d’y basculer.
Impossible de comprendre aujourd’hui comment, entre 1956 et 1962, deux millions de jeunes Français « partirent en Algérie » vivre deux ans de leur vie. Et pour treize mille d’entre eux la perdre.
Au tout début, il y avait bien eu des manifestations contre la participation d’appelés à la nouvelle guerre coloniale, quelques grèves, des trains bloqués, des gares saccagées. Réprimé avec vigueur, sans soutien actif de l’opinion et des forces politiques, le mouvement s’essouffla vite. Il faut se souvenir que le parti communiste, 25 % de l’électorat, avait voté les pouvoirs spéciaux en Algérie au gouvernement socialiste Guy Mollet, et était hostile à l’insoumission préconisée par une poignée de militants d’extrême gauche, au prétexte que le mouvement insurrectionnel algérien était nationaliste et non pas révolutionnaire.
En sept ans, on compta tout au plus quelques milliers d’objecteurs de conscience ou de déserteurs réfugiés en Suisse et ailleurs. Globalement, la noria entre la métropole et l’Algérie fonctionna sans à-coups. Chaque jour, tout au long de cette période, le Ville d’Alger, l’El-Mansour et autres bâtiments aux silhouettes de vacances déversèrent à Alger, Oran ou Bône leurs contingents de jeunes types originaires de Lorraine, d’Aquitaine ou d’Ile-de-France. Plus de mille par jour, le double si l’on tient compte des permissionnaires.
Engoncés dans leur uniforme trop froid ou trop chaud selon les saisons, ne sachant comment transporter le boudin de leur paquetage, ces garçons de vingt ans firent en somnambules leurs premiers pas sur la terre algérienne. La plupart n’avaient pas idée des raisons de leur présence ici. Une seule certitude : ils en auraient pour un sacré bout de temps à rester dans ce coin d’Afrique, avec juste une permission au milieu.
Face à cette sombre perspective, comme un seul homme ou presque, ils marchèrent comme on voulait les faire marcher. Certes, les gendarmes débusquaient les mauvais coucheurs qui étaient expédiés vite fait dans les bataillons disciplinaires. Bien sûr, l’attachement à un drapeau bleu blanc rouge flottant aux quatre coins de la planète était une réalité vivante chez beaucoup d’appelés, qui en avaient bu le lait au sein de leur mère et avaient reçu de leurs enseignants toutes les piqûres de rappel prévues par la République.
Mais on ne comprend pas, un demi-siècle plus tard, ce qui se passait dans les têtes, si l’on néglige un fait essentiel : pour les générations qui avaient alors vingt ans, partir à la guerre, partir à la guerre en Algérie, partir à la guerre n’importe où, était une sorte d’évidence biologique. Papa était parti à la guerre, grand-père aussi, et si loin qu’on pouvait remonter dans son arbre généalogique, tous les aïeux ou presque. La vie était simple : l’enfantement pour les femmes, la guerre pour les hommes.
De ces rendez-vous réguliers avec l’Histoire, beaucoup n’étaient pas revenus, les chroniques familiales et les monuments élevés dans chaque village de France et de Navarre – et d’Algérie… – étaient là pour le rappeler en permanence aux vivants. L’impôt du sang : l’expression pour tout un chacun était si naturelle, si pleine d’évidence !
Dans le cas de l’Algérie, le mot « guerre » était interdit de séjour : il s’agissait de « maintien de l’ordre » dans des départements qui étaient français depuis cinq générations, les Savoyards et les Niçois n’avaient qu’à bien se tenir. Nul ne niait que se déroulaient en Algérie des « événements », des « événements » graves même, mais la situation était en train de redevenir normale du fait de l’intervention déterminée de nos troupes, et elle le resterait grâce aux réformes radicales enfin décidées par le gouvernement : le droit de vote pour tous, l’ambitieux plan de développement économique et social de Constantine…
Les garçons qu’on expédiait sur l’autre rive de la Méditerranée n’entraient pas dans ces subtilités sémantiques. Ils savaient parfaitement, parce que les journaux le racontaient et en publiaient des photos, que des appelés comme eux étaient tués dans des embuscades sur les routes du Constantinois ou dans les gorges de Kabylie. Un par un, ou bien parfois une section entière, comme à Palestro le 19 mai 1956. Toujours seul pour mourir de toute façon !
« Ceci n’est pas une guerre. » Magritte en aurait peint un tableau convaincant. Au moins aurait-on pu nous autoriser à parler de « drôle de guerre », mais l’expression était déjà prise.
Cet usage de la langue de bois importait aux politiques incapables d’affronter une situation qu’ils avaient laissé pourrir. Il fallait rassurer et canaliser l’opinion publique, en métropole comme en Algérie. Pour les appelés, en revanche, comme pour les militaires d’active, c’était la guerre, un point c’est tout. Qu’on n’ait pas le droit de le dire rajoutait au sentiment d’irréalité qui colorait de bout en bout cet interminable séjour en Algérie !
Les Allemands étaient nos ennemis, c’était clair. À peu près clair en tout cas. Ils nous avaient volé l’Alsace-Lorraine et ils voulaient continuer. Aux Algériens, en revanche, nous n’avions rien à reprocher. Au départ, Abd El-Kader s’était montré chevaleresque. Contrairement à Henri IV avec son panache, il n’était pas parvenu à rallier la population d’alors à son burnous blanc. Beau joueur, il s’était incliné devant les vainqueurs et était parti s’installer à Damas.
Par la suite, en 1914-1918, et puis, surtout, après la honte de 1940, les Algériens avaient beaucoup aidé la métropole. Ça, on nous le rappelait à tout bout de champ : contrairement à ce qu’on entend dire aujourd’hui, les anciens combattants « indigènes » étaient sans cesse mis en avant, dans les défilés, dans les discours et les manifestations officielles. Et c’était même l’un des motifs d’indignation dans la presse et l’opinion publique que ceux qui avaient eu l’honneur et le bonheur de combattre dans nos armées, à commencer par l’adjudant Ben Bella, aient pris la tête de la rébellion.
Des colons – qu’on n’appelait pas encore les pieds-noirs –, nous ne savions pas grand-chose. Qu’ils étaient eux-aussi beaucoup morts pour la patrie. Qu’ils étaient plutôt sympathiques, mais terriblement racistes, plus encore que les Français de France. Qu’en dehors de quelques-uns pleins aux as, la plupart, à l’image de la mère de Camus, avaient du mal à joindre les deux bouts. Qu’ils provenaient de toute l’Europe méridionale et bien souvent ne connaissaient pas la métropole. Qu’ils avaient le soleil, la mer, des villes et des paysages superbes, et l’accent qui allait avec.
Cette guerre, là-bas, de l’autre côté de la Méditerranée, c’était largement leur faute. À force de tutoyer et de rudoyer les Arabes, à force de repousser les réformes et de refuser mordicus l’égalité politique, ils avaient créé une situation qui expliquait la révolte et rendait quasiment impossible toute issue pacifique.
Mais c’était au moins autant la responsabilité des gouvernements successifs, qui avaient été incapables d’imposer les réformes indispensables et d’offrir enfin un avenir digne de ce nom aux Arabes, 90 % de la population.
Quant à l’armée, elle voulait sa revanche, après tant de défaites depuis 1940, tant de chefs incapables ou indignes et la fin tragique de la guerre d’Indochine. Imprégnés des écrits d’Ho Chi Minh et de Mao sur la guerre révolutionnaire, des officiers, nombreux, décidés, s’étaient juré de gagner coûte que coûte cette guerre-ci.
S’ajoutait au tableau l’obstination des dirigeants du Front de libération nationale (fln), qui refusaient tout dialogue avec la France, éliminaient sans pitié les autres composantes nationalistes et étaient prêts, quel qu’en soit le prix pour les populations, à poursuivre le combat jusqu’à un triomphe total effaçant cent trente ans de présence française.
De toute façon, ces histoires n’étaient pas vraiment nos affaires, malgré la propagande officielle qui répétait que, sans l’Algérie, la France s’écroulerait. Pourquoi consacrer les plus belles années de notre jeunesse à ce qui nous concernait si peu ? D’où ce mélange de résignation et de fureur qui nous habitait en partant vers l’Algérie.
N’empêche, nous y sommes partis. Et, il faut loyalement le reconnaître, nous en sommes même revenus. Du moins pour 99,3 % d’entre nous. Dans quel état, c’est une autre question.
Ayant montré ces pages à une poignée de lecteurs, l’un d’entre eux me reprocha de n’avoir pas évoqué l’autre face de ce séjour outre-Méditerranée : le retour en métropole. « Service fait », comme disent les comptables publics.
« Partir d’Algérie ! » Un vrai sujet effectivement, que, pour lui marquer mon amicale considération, je vais tenter d’aborder.
Au préalable, une typologie sommaire des différentes situations concrètes vécues par les appelés entre 1956 et 1962. Pour faire bref, trois cas de figure qui n’ont pas grand-chose à voir.
La majorité sans doute des appelés ont fait en Algérie un service militaire assez semblable à celui qu’ils auraient accompli à Maubeuge. Ou, pour être plus exact, à Montpellier. Basés dans les villes ou dans des campagnes pacifiées, ils se trouvaient sur des créneaux qui les mettaient peu en contact avec la guerre en cours : entretien des matériels, transmission, intendance, service de santé, garde d’installations militaires ou civiles.
D’autres, moins nombreux, ont été affectés dans des unités opérationnelles. Ceux-là ont vécu l’angoisse des combats, la douleur physique, la mort des copains et celle des ennemis, la violence des ratissages menés par l’armée et des coups de main lancés par l’Armée de libération nationale (aln). Souvent, ils ont vu l’horreur de la torture et des exécutions sommaires, voire y ont participé.
Un certain nombre, enfin, chargés de missions de nature principalement civile, ont vécu en contact plus ou moins étroit avec la population. Dans le contexte de la « pacification », ils étaient chargés d’activités d’enseignement, de santé, d’assistance technique, agricole ou administrative. Malgré les difficultés de l’heure, beaucoup de ceux-là avaient l’impression de découvrir un monde nouveau et d’aider leur prochain à survivre, voire à mieux vivre aujourd’hui et peut-être demain.
Si la fin du service, la fameuse quille, provoquait chez tous le même soulagement, le départ d’Algérie n’avait évidemment pas la même signification pour les uns et pour les autres.
Ceux qui avaient réparé les camions, fait marcher les transmissions ou gardé les dépôts d’essence, retenaient de leur séjour l’interminable absence loin du cadre familier, l’ennui, le caporalisme, bref tout ce qui reste d’un service militaire banal, avec en prime dans leur cas le soleil, le dépaysement et quelques images qui, avec le recul, se tenaient prêtes à prendre des couleurs presque pimpantes.
Chez les combattants, l’état d’esprit en fin de course variait du tout au tout suivant les individus. Pour quelques-uns, c’était la nostalgie du baroud, de l’aventure, voire de la violence ou du carnage. Pour d’autres, la conviction d’avoir accompli un dur devoir et l’envie d’oublier au plus vite. Pour certains, enfin, le dégoût et la haine de ce qu’ils avaient vu faire ou fait, un traumatisme qui n’était pas près de passer et conduirait quelques-uns à la folie ou au suicide.
Dans la troisième catégorie, enfin, les démobilisés partaient avec des sentiments contradictoires. D’abord et surtout, bien sûr, le bonheur d’en avoir fini, d’être vivant, mais aussi une certaine difficulté à quitter un monde où ils avaient vécu une expérience forte. Pour la première fois de leur vie, ils avaient eu à affronter des problèmes concrets et, plus ou moins maladroitement, en fonction de leur personnalité et de leurs savoirs, ils y avaient apporté des solutions. Ils avaient été en contact avec des gens inconnus, de vrais « étrangers », avec qui, plus souvent qu’on imagine, des relations cordiales, affectives, amicales même parfois, s’étaient tissées. Ces gens, qu’allaient-ils devenir dans la guerre qui s’éternisait, puis dans la paix qui finirait bien par venir ? Comment allaient se conduire avec eux les camarades qui allaient prendre le relais, que feraient demain ceux d’en face s’ils accédaient au pouvoir ? Questions d’autant plus pressantes et angoissantes que nous savions que nos interlocuteurs arabes avaient pris de vrais risques en s’affichant avec nous, même s’ils avaient souvent obtenu des assurances de l’autre côté.
Sur ce point précis, s’agissant des harkis et assimilés, nous pensions, dramatique enfantillage, qu’ils n’avaient pas de souci à se faire : la France grande et généreuse ne les abandonnerait évidemment pas si le vent tournait… Mais les autres, tous les autres, les enseignants, les infirmières, les moniteurs agricoles, ceux qui avaient accepté un poste dans une municipalité, une association ou une coopérative ?
Bon, ça y est : j’ai définitivement basculé de l’autre côté du miroir en bifurquant sans y prendre garde de la troisième à la première personne… À moi de tenter d’expliquer mon état d’esprit personnel quand j’ai repris le bateau à Oran pour retrouver à Marseille le centre de transit Sainte-Marthe et la gare Saint-Charles !
Janvier 1962, donc, trois mois avant les accords d’Évian : je pars d’Algérie. Personne n’imagine que la fin est si proche et à quel point elle va se révéler sanglante.
Impossible de nier en prenant congé que, malgré les circonstances, j’ai aimé profondément ce pays où j’étais arrivé si plein de rage. Les paysages, bien sûr, les odeurs, les levers de soleil, le bruissement des feuilles et des insectes dans le fond des oueds, la musique de la langue arabe. Mais aussi la complicité des regards autour des braseros où chauffaient les bouilloires, les conversations plus ou moins chaotiques, on mangeait, on fêtait, on chantait, on racontait le soir aux enfants... Quitter ce monde, le premier que je découvrais après celui où j’avais douillettement mariné pendant vingt ans, a été un déracinement dont j’ai eu du mal à me remettre.
Plus paradoxal encore : j’ai eu un certain bonheur à passer des mois interminables dans le coin de montagne pourri où l’on m’avait expédié. J’étais arrivé avec l’idée qu’à terme au moins, l’indépendance était inéluctable, et ce que j’ai vu sur place m’a conforté dans cette opinion. Et pourtant, au fil des jours, j’ai eu la conviction, la prétention insensée, de penser que ce que je faisais à longueur de journée, ne serait-ce qu’en nouant ou en renouant patiemment le dialogue avec les gens alentour, n’insultait pas le présent et d’une certaine façon préparait l’avenir quelque direction qu’il prît.
Bon, il est temps d’arrêter ! Mon expérience personnelle, dont j’ai tenté de rendre compte dans un roman paru en 2009, La Citerne, est trop particulière pour qu’on en tire beaucoup d’enseignements sur ce que signifiait « partir d’Algérie ». Je suis, en effet, arrivé dans ce pays dans les derniers temps de la guerre. Le territoire était largement « pacifié » suite au succès qu’avaient été sur le plan militaire les grandes opérations lancées par l’armée en 1958 et 1959. La « fraternisation » à laquelle certains avaient pu croire en mai 1958 n’était plus qu’un souvenir. Par ailleurs, le général de Gaulle venait de tracer des perspectives à peu près claires pour l’avenir en annonçant l’autodétermination, autant dire à terme, compte tenu des données démographiques, l’indépendance.
Comme la plupart des diplômés de l’université, on m’avait envoyé à Cherchell, spectaculaire machine à former mille officiers de réserve par an. À la sortie, j’avais été affecté dans les sections administratives spéciales (sas). Créées sur le modèle des bureaux des affaires indigènes imaginés par Lyautey pour le Maroc, ces structures mi-militaires, mi-civiles étaient chargées d’administrer et de développer les zones rurales et d’y maintenir l’ordre. Des entités au sein desquelles, quand on était officier en charge d’un secteur, on bénéficiait d’une grande autonomie d’action et de la possibilité d’infléchir les événements dans le sens qu’on estimait juste. Bref, un destin de fils de prince, alors que, pour le dire vite, la plupart de ceux de ma génération n’avaient droit en général qu’à la boucler.
Je peux donc juste dire ceci, qui ne concerne que moi : je suis parti d’Algérie soulagé d’en avoir fini, mais malheureux et inquiet de quitter un pays que j’avais aimé et qui en était venu à me concerner si fortement. Avec le sentiment étrange d’abandonner lâchement la partie au moment précis où la situation s’assombrissait encore un peu plus avec l’apparition de l’Organisation armée secrète (oas). Et la peur au ventre pour le destin de tous ceux avec qui j’avais essayé de poser des jalons pour la suite. Sur ce point, au moins, l’avenir ne m’a pas démenti.
It is January 1960. I’m leaving for Algeria: two and a half years – perhaps three – virtually as long as I have spent at university. Little enough compared with the five years that our Portuguese comrades are asked to devote to defending the Angolan forests. It is true that they have been Portuguese for four centuries, and not just 130 years like France’s départements in Algeria!
I’m leaving for Algeria. When Abd El-Kader and his tribe were taken – a situation that, personally, he did not find at all uncongenial – that sealed the fate for this corner of Africa. A hundred years later, Ferhat Abbas, after wandering through the cemeteries of “White” Algiers (so called because of the glistening whiteness of its buildings) acknowledged that he had not found an Algerian fatherland.
I’m leaving for Algeria. Colonists drained the Mitidja marshes, which have been converted into rich cornfields. There are roads criss-crossing the whole land, and the coastal towns are magnificent. Considering both Europeans and Arabs, Algerians made irreplaceable contributions to victory in the 1914-18 war and to the liberation of France in 1944-45. As children, we learned through the writings of Father de Foucault about the immense desert that marked the southern border of France. Then, as teenagers, and looking through Camus’s eyes, we got tanned on the Tipasa beaches while staring at the canoes full of beautiful tanned bodies.
I’m leaving for Algeria. Morocco and Tunisia were protectorates that were then called on to fly using their own wings. Algeria, meanwhile, was a fertile melting pot of Mediterranean peoples brought together in the folds of France’s blue, white and red flag.
I’m leaving for war in Algeria. There have, of course, since 1955, been cruel attacks shedding blood in the country areas and towns of this corner of France but, thanks to the regular army and the national servicemen, order is being restored. As the authorities keep saying, we are within a quarter of an hour of everything being sorted out. Just a little more effort, those taking over from their comrades, are told, and such “events” will be no more than a bad memory.
I’m leaving for war in Algeria. And anyway, how could one not leave for Algeria? The citizen army is one of the victories won by the French Revolution; one of the principles on which the Republic was built. Doing your bit when the nation is put to the test is not something to argue about: no more now than in August 1914, even if, this time, there is no singing and no roses in the gun barrels.
And yet, there are many of us in our age-groups, at least among students and militants of the political parties and trade unions, who demonstrated against the war in Algeria. Some of us even supported Algerians who were engaged in what the newspapers called “the rebellion”. Between that and not doing your duty as a citizen, there is a gulf that there was no question of crossing.
I’m leaving for war in Algeria – with no illusions about how well-founded the enterprise is or its results. There is no need to have particularly acute hearing in order to make out the cries, more or less everywhere, that it is high time for France to leave Algeria now that the era of general decolonisation has arrived! It is what our fellow-students from overseas kept telling us at university, and not all of them were opportunists or enemies. It is what a growing number of delegations in the United Nations forum are saying each year. More seriously, it is what a fair number of those our age who are returning from Algeria are telling us. When talking of the war in which they were engaged, they maintain it is impossible to win in the face of a population the majority of whom are caught up in the spiral of violence and repression, inexorably leading them to go over to the other side.
I’m leaving for war in Algeria. Since I was a student, there has not been a day when that prospect and the battery of questions it unleashes has not come into my mind, just as threatening bubbles might rise to disturb the surface of a millpond.
The only concrete proof I have now, so many years later, of that haunting familiarity is a letter sent to my family just as I was about to embark for Algiers: “24 hours by train, arriving in the early morning at Saint-Charles station. Across Marseille, it was empty, with the lorries leaving us at the Sainte-Marthe transit centre. Funny that all those saints were needed to prepare us for the great leap!
“The day after tomorrow, we leave for Algiers. We are going to sail on a old tub that, according to those in the know, is the most rotten that makes the crossing. Another 24 hours being shut up! In the bowels of a ship for a change, with just a little bit of deck space where we can go and breathe. Or throw up, for those who feel the need.
“No exit-passes allowed, because last week, the previous batch smashed up everything in one of the town’s caffs. We’ll catch up in Algiers, one crafty devil yelled with a dirty laugh. People brought their packs of cards out of their kitbags. Depending on people’s inclinations, there were laid-back games of belote or, for those with a more aggressive streak, poker. Since we left, there has been practically no talk of the war waiting for us there! The fact is, what could we say?
“It’s not easy, reading alone in a corner. I must explain that I had a bad cold.
“‘Take advantage of it’, a big ginger bloke I’d got on well with on the train said to me. ‘Once we get to the terminus, we won’t have time!’
“Won’t have time. Won’t feel like it either, probably. Morale, as you can see, is fine, as will be the weather waiting for us there.”
That letter from a well-behaved child is what I’m left with from the last hours spent on the French mainland before crossing the Med, or what was then called the “big blue”. And that followed the four months when we were supposed to have learned to fight, in one of the jolly barracks that covered France in those far-off days.
This is it. This time, I’m on my way, leaving for Algeria. When seeing the Château d’If disappearing into the distance – Yes, yes, I assure you, mate, that’s the château of the Count of Monte-Cristo! – a strange sense of relief creeps into my mind at the idea of emerging from the interminable wait for what has been looming on the horizon for so long. It’s better to be in a nightmare situation than teetering on the edge.
It’s impossible now to understand how it was that, from 1956 to 1962, two million young Frenchmen “left for Algeria”, to spend two years of their life there. And, for 13,000 of them, to lose their life.
Right at the beginning, there were certainly demonstrations against conscripts participating in the new colonial war, with strikes, trains being stopped and stations being wrecked. The movement was vigorously repressed and had no active support from public opinion or political groupings, so it quickly died away. You need to remember that the Communist Party, accounting for 25% of the electorate, had approved the special powers in Algeria requested by Guy Mollet’s socialist government, and was opposed to the rebellious stance advocated by a handful of far-left militants, on the grounds that the movement favouring insurrection in Algeria was nationalist, and not revolutionary.
Over seven years there were, at most, a few thousand conscientious objectors or deserters, who sought refuge in Switzerland or elsewhere. Overall, the continuous shuttling between the French mainland and Algeria operated smoothly. Every day, throughout that period, the Ville d’Alger, El-Mansour and other ships reminiscent of holidays poured out their young conscripts from Lorraine, Aquitaine or the Paris region in the ports of Algiers, Oran and Bône: over a thousand a day, and double that if you count those returning from leave.
Cramped by their uniforms that, according to the season, were either too cold or too hot, and not knowing how to carry their bulging kitbags, those 20-year-old lads sleepwalked their first few steps on Algerian soil. Most of them had no idea of the reasons for their presence there. One thing was certain: they would be spending one hell of a long time in that corner of Africa, with just one leave, in the middle.
Faced with that dismal prospect, almost as a single man, they walked as they were intended to walk. It is true that the gendarmes quickly flushed out the troublemakers, who were sent to the disciplinary battalions. Of course the commitment to the blue, white and red flag fluttering in places all over the world was a very real factor for many of the conscripts, who had taken it in with their mothers’ milk and then received from their teachers all the booster injections envisaged by the Republic.
But, half a century later, we cannot understand what went on in their heads if we ignore one fundamental fact. For those who were 20 years old, leaving for war, leaving for war in Algeria, leaving for war anywhere, was in a way simply a biological inevitability. Father had gone to war, and so had grandfather, going back about as far as was possible in your family tree, including virtually all of your forefathers. Life was simple: childbearing for women and war for men.
From those regular appointments with History, many did not come back. Family sagas and the monuments erected in each village in France and Navarre – not forgetting Algeria itself – were ubiquitous and permanent reminders to the living. Not for nothing was the obligation to undertake military service known as a “blood tax”: such a natural and obvious expression!
In the case of Algeria, the word “war” was banned; the situation was known as “maintaining order” in the départements that had been part of France for five generations; and Frenchmen from Savoy or Nice just had to reconcile themselves to the situation. Nobody denied that “events” were occurring in Algeria, and that some were even “serious events”, but the situation was getting back to normal as a result of the determined intervention of our troops. Furthermore, the situation would remain normal as a result of radical reforms finally decided on by the government: voting rights for everyone and the ambitious economic and social development plan for the city of Constantine, etc.
The boys sent to the other side of the Mediterranean did not go into those semantic subtleties. They knew perfectly well, from the stories and photos in the newspapers, that conscripts like them were killed in ambushes on the roads in the Constantine region or in the gorges of Kabylia: one at a time, or sometimes a whole platoon, as happened at Palestro on 19 May 1956. Anyway, they were alone when they died!
No doubt Magritte could have painted a convincing “This is not a war” picture. We could, at least, have been allowed to speak of a “phoney war”, except that the expression was already taken.
This use of doublespeak was important to politicians who were unable to face a situation that they had allowed to fester. Public opinion, in both mainland France and Algeria, had to be reassured and channelled. For the conscripts, on the other hand, as for regular soldiers, it was war; there were no two ways about it. The fact that we weren’t allowed to say it just added a sense of unreality which permeated every aspect of that interminable stay in Algeria.
It’s clear that the Germans had been our enemies – fairly clear, anyway. They had stolen Alsace-Lorraine from us and they wanted to continue. In the case of the Algerians, however, we had nothing against them. In the beginning, Abd El-Kader had shown himself to be chivalrous. Unlike Henri IV, with his panache, he didn’t succeed in rallying the population of the time to his white burnous. As a good loser, he bowed to the victors and left to settle in Damascus.
Subsequently, in 1914-18, and more especially following the shame of 1940, the Algerians gave considerable assistance to mainland France. We were reminded of that at every opportunity. Unlike what people now say, attention was constantly given to the “native” war veterans in the parades, speeches and official gatherings. That was, in fact, one of the reasons for the indignation expressed in the press and by public opinion: that those who had had the honour of fighting in our armed forces, and been happy to do so – beginning with warrant officer Ben Bella – had led the rebellion.
We didn’t know much about the colonists – who were not yet called “pieds-noirs”. In particular, we didn’t know that many of them too had died for the fatherland. We didn’t know they were reasonably friendly but terribly racist: more so than the population of mainland France. We didn’t know that, apart from the few who were rolling in it, most of them were in the position of Camus’s mother, having difficulty making ends meet. We didn’t know that they came from all over southern Europe, and very often had no knowledge of mainland France. We didn’t know they had the sun, the sea, superb towns and landscapes, and an accent to match.
That war, there on the other side of the Mediterranean, was to a great extent their fault. By being overfamiliar with the Arabs and treating them harshly, by putting off the reforms and stubbornly refusing political equality, they had created a situation that explained the revolt and made any peaceful outcome virtually impossible.
It was, however, at least equally the responsibility of successive governments, which had been unable to impose the necessary reforms and ultimately offer the Arabs – who formed 90% of the population – a future worthy of the name.
As for the army, it wanted a reversal of fortune, after so many defeats from 1940 onwards, so many incapable or unworthy chiefs and the tragic end of the Indochina war. Imbued with the thoughts of Ho Chi Minh and Mao on revolutionary war, many of the officers made up their minds and swore to win this war, whatever the cost.
Added to the picture was the obstinacy of leaders of the fln (National Liberation Front), who refused to engage in any dialogue with France, ruthlessly eliminated the other nationalist groups, and were ready, at whatever cost to the local population groups, to pursue the fight until complete victory was achieved, wiping out 130 years of the French presence.
In any case, that legacy was not really our affair, despite the official propaganda, which kept saying that, without Algeria, France would collapse. Why devote the finest years in the lives of our youth to what was of so little concern to us? Hence the mixture of resignation and fury that haunted us when we left for Algeria.
The fact remains that we left, as required. And, we must be honest and recognise that we even came back. At least, 99.3% of us did. In what condition is another matter.
Having shown these pages to a handful of readers, I found one of them reproaching me for not having mentioned the other side of the trans-Mediterranean stay: return to mainland France. “Job done”, as public-sector accountants might say.
“Leaving Algeria”: yes, it’s a real issue that – in friendly recognition of his concerns – I will try to tackle.
As a preliminary, I will summarise the various situations faced in practice by the conscripts during the period 1956 to 1962. To be brief, there were three cases that had very little in common.
No doubt for most of the conscripts in Algeria, their military service was fairly similar to what they would have experienced in Maubeuge – or perhaps Montpellier would have been a better example. Based in towns or in country areas where peace had been imposed, they found themselves in a niche where they had little contact with the ongoing war, being involved with maintaining equipment, communication, supply, health services, or guarding military or civil installations.
Another group, less numerous, was assigned to operational units. They experienced the anxiety and fear associated with combat, physical pain, the deaths of mates and of the enemy, and the violence of mopping-up operations carried out by the army, assisted by initiatives from the ALN, or National Liberation Army. They often saw the horror of torture and summary executions, and may even have participated.
The last group consisted of conscripts who were assigned tasks of a mainly civil nature, living in various degrees of proximity with the local population. In the context of “pacification”, they were given responsibility for activities that may have been educational, health-related or involving technical, agricultural or administrative assistance. Despite the difficulties of the time, many of them felt they were discovering a new world and helping their neighbours survive, even improving their lives in the present and possibly in the future.
While the end of the period of service, “demob”, brought a sense of relief to everyone, leaving Algeria obviously meant different things to different people.
Those who had repaired lorries, operated the communication systems or guarded fuel depots tended to recall their stay as involving an interminable absence from their family environment, boredom, petty officialdom and, in short, everything that remains of humdrum military service, but with the bonus of the sun in their case, together with the exotic surroundings and a few images that, in hindsight, begin to look charming and elegant.
Among those who fought, their state of mind by the end varied from one extreme to another, depending on the individual. Some were nostalgic for the fighting, adventure, and even the violence and carnage. Others were left with the overwhelming feeling of having achieved a hard duty that they wanted to forget as quickly as possible. Then, there were those with such disgust and hatred for what they had seen done, or had themselves done, that the trauma was far from over, leading in certain cases to madness or suicide.
In the third category, demobilisation brought mixed feelings. First and foremost, of course, was happiness at having finished and still being alive, but there was also some difficulty in leaving a world where they had experienced strong emotions. For the first time in their lives, they had had to confront practical problems and – with greater or lesser skill, depending on their personalities and knowledge – they had found solutions. They had been in contact with previously unknown people: strangers or foreigners with whom, more often than one would have expected, they had had courteous, and even friendly, relations, in some cases forming real bonds. What would happen to those people in the war that seemed destined to go on forever, and in peacetime when it finally did arrive? How would they be treated by the comrades who were about to take over in Algeria, and what would that indigenous population do in the future if they did gain power? The questions were all the more pressing and agonising as we knew that the Arabs with whom we had dealings took real risks by being seen in contact with us, even if they had often been given assurances from the other side.
On that particular point, we thought, naively, that the harkis [Algerians who remained loyal to France when it came to a war of independence], etc. had nothing to fear: that France, being great and generous, would obviously not abandon them if the wind turned! But what about the others, all the others: the teachers, nurses, agriculture instructors, and those who had taken a position in a local authority, an association or a co-operative?
Well, there we are. I have finally passed through the looking glass and gone off at a tangent, switching from the third person to the first person. I should try and explain my personal state of mind when I took the boat back from Oran to Marseille, the Sainte-Marthe transit centre and Saint-Charles station!
It was January 1962, so three months before the Évian Accords, which marked the end of the war. I left Algeria. No-one imagined that the end was so close or how bloody it would be seen to have been.
I cannot deny that, when taking leave of the country where, despite the circumstances and the fact that I had arrived full of fury, I deeply loved Algeria. It was, of course, the landscapes, the odours, the sunrises, the rustling of leaves and the buzzing of insects at the bottom of the wadis, together with the music of the Arabic language. But there was also the closeness brought by looks between the people around braziers where kettles were heated, and the conversations, some more chaotic than others. People ate, celebrated, sang and told the children stories in the evening. Leaving that world – the first I had encountered after the one where I had cosily marinated for 20 years – was an uprooting from which it was difficult to recover.
Still more paradoxical was that I had experienced a certain happiness spending interminable months in that godforsaken mountain spot where they had sent me. I had arrived with the idea that, in the end at least, independence was inevitable; and what I saw there seemed to confirm that opinion. And yet, as the days passed, I became convinced, and had the pretension to believe, that what I was doing all day, even if it was just by starting and patiently restarting discussions with the people around, was not damaging to the present and was, in a way, preparing for whatever direction the future might take.
All right, it is time to stop! My own experience, which I have tried to recount in La Citerne, a novel published in 2009, is too personal for many lessons to be drawn from it about what “leaving Algeria” indicated. I had arrived in the country in the last stages of the war, and it was to a great extent “pacified” following the success achieved in military terms by the large-scale operations on which the army had embarked in 1958 and 1959. The “fraternisation” some people had feared in May 1958 was no more than a memory. Moreover, General de Gaulle had just outlined the prospects a bit more clearly, by announcing the intention for self-determination which, given the country’s demographic characteristics, ultimately implied independence.
Like most university graduates, I had been sent to the Algerian seaport of Cherchell, a spectacular system for training a thousand reserve officers a year. When I left, I was sent to the Special Administrative Sections. These were established based on the model of the Indigenous Affairs Bureaux thought up by Hubert Lyautey for Morocco. They were part-military, part-civil establishments given responsibility for administering and developing rural areas, and for maintaining order there. Within those establishments, if you were an officer responsible for a sector, you had a great deal of freedom of action, and the possibility of influencing events in the direction you considered right. In short, it was a posting worthy of the son of a prince, whereas – I’d better say it quickly – most people of my generation generally had the right only to cordon it off.
I can therefore say just this, which relates only to me: I left Algeria relieved to have finished the posting, but unhappy and uneasy about leaving the country that I had grown to love and which had come to affect me so strongly. And I had a strange feeling of having been cowardly in giving up the fight at the exact moment when the situation was becoming a bit more sombre, with the emergence of the OAS (Organisation Armée Secrète). I also felt fear in my stomach for what would happen to those with whom I had tried to prepare the ground for whatever would follow. On that point, at least, I was not proved wrong.