La résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’onu a fêté ses dix ans il y a quelques mois. Elle porte sur les femmes, la paix et la sécurité, et a été adoptée par un vote à l’unanimité le 31 octobre 2000. À l’époque, elle a été saluée comme historique : elle est en effet la première résolution à aborder, en tant que telle, la question de la place des femmes dans les conflits armés. Cet anniversaire est l’occasion de revenir sur ses conditions d’émergence et ses implications, ainsi que sur les mesures complémentaires dont elle a fait l’objet. Il est aussi l’occasion de faire le point sur l’ensemble des actions entreprises depuis 2000 par les pays signataires de la charte de l’onu et, spécifiquement, d’examiner les initiatives développées en France et auxquelles le ministère de la Défense est associé.
- Émergence et implications de la résolution 1325
La résolution 1325 comprend un certain nombre de dispositions portant à la fois sur la composition des troupes déployées en opération sous mandat de l’onu, et sur les besoins spécifiques des femmes et des petites filles victimes des conflits ou actrices de paix sur les théâtres d’opérations. Elle insiste sur la nécessité pour l’onu et ses États membres de veiller à une meilleure représentation des femmes aux postes de décision, de se forger une connaissance plus fine de leurs besoins spécifiques dans les conflits armés et d’intégrer la question des relations hommes/femmes dans toutes les phases de la conduite des opérations, qu’il s’agisse de rétablissement de maintien de la paix, ou encore de reconstruction. Elle souligne aussi l’importance de mettre fin à l’impunité dont bénéficient les auteurs de violences sexuelles commises lors de conflits en les poursuivant pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou actes constitutifs de crimes de génocide, selon les cas.
À ce jour, ce texte a été complété par quatre résolutions : la résolution 1820 adoptée le 19 juin 2008 par le Conseil de sécurité et qui concerne les violences sexuelles contre les civils, en particulier les femmes et les petites filles, dans les conflits, y compris par le personnel militaire ; la résolution 1888, adoptée le 30 septembre 2009 afin de renforcer la précédente, à travers, entre autres, la nomination d’un représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies chargé de la lutte contre les violences sexuelles dans les conflits armés ; la résolution 1889, du 5 octobre de la même année, qui vise à consolider les processus de recueil, de transmission et d’analyse d’informations sur la situation des femmes et des petites filles dans les conflits ; et, enfin, la résolution 1960 du 16 décembre 2010, qui permettra de lister les parties commettant des violences sexuelles de manière systématique et d’envisager la possibilité de sanctions.
Le contexte politique international dans lequel la résolution 1325 a vu le jour est celui d’une relation de plus en plus étroite entre les organisations non gouvernementales (ong) et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Ce rapprochement est discernable dans de nombreux domaines politiques, auxquels celui de l’égalité hommes/femmes ne fait pas exception. Il s’est confirmé tout au long des vingt années qui ont séparé la première conférence mondiale sur les femmes, qui s’est tenue à Mexico en 1975, et la quatrième conférence de Pékin, en 1995. La résolution 1325 trouve son origine dans les travaux de cette dernière, dont le programme d’action a désigné « les femmes et les conflits armés » comme son cinquième objectif stratégique. Quelques années plus tard, alors que le Conseil de sécurité en était venu à reconnaître, à partir des années 1990, les dimensions non militaires comme constitutives de la « sécurité humaine », ce dernier encouragea la création d’un groupe de travail des ong sur les femmes, la paix et la sécurité (ngo Working Group on Women Peace and Security, ngowg). Les activités de ce groupe, conjuguées à celles des différents acteurs onusiens, aboutirent à l’adoption de cette résolution1.
Au cours de la décennie qui suivit l’adoption de cette résolution, de nombreuses actions ont été entreprises. Les institutions internationales actives dans le domaine de la défense et de la sécurité ont promu des stratégies pour sa mise en œuvre, certaines portant essentiellement sur la composition et la formation de leur personnel, d’autres prévoyant aussi l’intégration de la perspective de genre dans la conduite des opérations. Le plan d’action pour la promotion de l’égalité entre les sexes adopté par l’osce en 2004 peut être considéré comme l’une des premières émanations directes de la résolution 1325. L’otan, pour sa part, a attendu 2008 avant d’élaborer un document en référence à cette résolution – il s’agit de la Directive du cwinf pour la prise en compte des sexospécificités2 –, mais a renouvelé et renforcé ses engagements à l’issue du sommet de Lisbonne3. Quant aux États eux-mêmes, ils sont automatiquement liés par la résolution 1325 en tant que signataires de la charte de 1945. Pour autant, son application n’a pas été spontanée. C’est pourquoi, à partir de 2004, le Conseil de sécurité les a incités à élaborer des « plans nationaux d’action ». L’Union européenne relaye ces exhortations régulièrement depuis 2006.
- Le plan national d’action français
Le 26 octobre 2010, le ministère des Affaires étrangères a publié le plan national d’action de la France4, résultat de plusieurs mois de travail auquel ont été associés le ministère de la Défense, le ministère de la Justice et des Libertés, le ministère de l’Intérieur, de l’Outre-Mer et des Collectivités territoriales ainsi que le ministère du Travail, de la Solidarité et de la Fonction publique. Selon un rapport du European Peacebuilding Liaison Office (eplo)5, ce plan serait en grande partie la résultante de l’activisme d’Amnesty International auprès du ministère des Affaires étrangères. Certains, au Quai d’Orsay, nuancent cette interprétation et soulignent l’effet catalyseur de la réunion du 1er octobre 2007 du Conseil de sécurité, au format Arria6, à laquelle participa Rama Yade, alors secrétaire d’État chargée des Affaires étrangères et des Droits de l’homme. « Les témoignages très forts livrés à cette occasion sur l’étendue des souffrances vécues par les femmes et les petites filles – que ce soit dans les camps de personnes déplacées au Darfour ou dans les régions de la République démocratique du Congo où certains groupes se livrent à des violences sexuelles systématiques accompagnées d’actes de barbarie qui défient la raison – »7 auraient contribué à ciseler la démarche volontariste de la France. Cette dernière s’est en effet matérialisée lors d’interventions ultérieures de Rama Yade au Conseil de sécurité8, mais aussi à travers l’action menée lors de la présidence française de l’Union européenne entre juin et décembre 2008.
Durant cette période, et à la suite des démarches pilotées par la Slovénie, la France procéda, entre autres, à une collecte d’informations par voie de questionnaire. Les États membres furent appelés à fournir des éléments sur le cadre institutionnel et politique en vigueur en matière d’égalité des sexes, d’une part, et sur les actions menées concernant la résolution 1325 et les femmes dans les conflits armés, de l’autre. Subséquemment, la France proposa de mettre en place des indicateurs de suivi concernant la prise en compte du genre et des femmes dans le domaine de la défense et de la sécurité en Europe9 ; elle souligna également le besoin de coordination plus étroite au niveau supranational et préconisa la conception d’une stratégie européenne globale pour la mise en œuvre des résolutions 1325 et 1820. De ce point de vue, le plan national d’action publié en octobre 2010 par le ministère des Affaires étrangères français visait, au-delà de la célébration de l’anniversaire de la résolution 1325, à traduire au plan national les initiatives engagées au plan international.
À quel titre le ministère de la Défense est-il concerné par ce plan ? Celui-ci liste un certain nombre d’actions précises, dont le ministère a la charge exclusive ou partagée, à réaliser selon un calendrier déterminé. Ainsi, au titre de la protection des femmes contre les violences et la mobilisation pour le respect de leurs droits fondamentaux, il doit, au cours de la période 2010-2013, contribuer aux mesures d’assistance spécifique à apporter aux femmes victimes de violences (physiques, sexuelles et psychologiques) en période de conflit ou de post-conflit dans les programmes d’aide humanitaire : il le fera à travers la « poursuite de la promotion des dispositions relatives à la protection des civils issues du droit international humanitaire, sur la base des lignes directrices de l’Union européenne et parallèlement à la mise en œuvre d’une politique de tolérance zéro dans le cadre des opérations extérieures en matière de violences sexuelles (politique prévue par l’approche globale de l’Union européenne de mise en œuvre des résolutions 1325 et 1820) »10.
Au titre de la participation des femmes à la gestion des situations de conflit et post-conflit, le ministère de la Défense doit, au cours du premier semestre 2011, aux côtés d’autres ministères, participer à « l’évaluation des financements (en montant total et en pourcentage des programmes de coopération) attribués par la France dans les pays touchés par un conflit armé ou sortant d’un conflit pour soutenir l’égalité entre les hommes et les femmes ». Il doit aussi contribuer à encourager « un renforcement de la participation directe des femmes aux missions de maintien de la paix et aux opérations de reconstruction en favorisant leur accès à des fonctions au sein des composantes civile comme militaire ainsi qu’aux fonctions élevées dans la chaîne de commandement » : la « réalisation d’enquêtes auprès des femmes membres des forces armées et de sécurité intérieure, visant à identifier et à mettre en œuvre des mesures permettant de faciliter leur participation à des opex (en complément des études existantes réalisées par la drh du ministère de la Défense) » et le « recensement et mobilisation des moyens et actions de communication disponibles afin de promouvoir la participation des femmes aux opex » devraient concourir à atteindre ce but.
Sur le plan de la formation, le ministère de la Défense devra « intégrer de manière systématique une sensibilisation au respect des droits des femmes et des petites filles, et à l’égalité femmes/hommes dans le cadre de notre action [celle de la France] en matière de réforme des systèmes de sécurité (rss), de maintien de la paix et de la sécurité et de soutien aux processus de justice transitionnelle ». Pour ce faire, il a désigné et formé, fin 2010, « des points focaux sur la base des outils existants financés par la France » ; il procédera, au cours du premier trimestre 2011, à l’« élaboration d’une liste précise et d’un calendrier pour 2010/2011 des formations devant comporter un segment sur l’approche égalité femmes/hommes et l’intégration des résolutions 1325 et 1820 et/ou son intégration satisfaisante au sein des modules existants » et s’attachera à les proposer de façon régulière aux « futurs attachés de défense et de sécurité intérieure avant leur départ en poste ». Par la suite, il assurera, en consultation avec le ministère des Affaires étrangères, le « suivi régulier de la proportion (nombre et pourcentage) d’hommes et de femmes ayant reçu une formation spécifique sur l’égalité entre les hommes et les femmes » parmi le personnel militaire français « participant aux omp de l’onu et aux missions pesd ».
Entre 2010 et 2013, le ministère de la Défense doit également contribuer au plan national d’action en favorisant le déploiement d’une culture de paix – comme mentionné dans le programme d’actions issu de la conférence de Pékin de 1995 – à travers la « poursuite de l’intégration des problématiques générales d’éducation à la non-violence, à l’égalité femme/homme et aux droits de l’homme dans les programmes d’éducation civique, juridique et sociale (collèges et lycées), d’histoire et de géographie, le “parcours de citoyenneté” et les études de défense et de sécurité, en lien avec l’Institut des hautes études de défense nationale (ihedn) ». Durant le même intervalle, il doit concourir au développement d’une ligne politique et diplomatique en incluant « de façon systématique les droits des femmes et l’égalité femmes/hommes dans le cadre des dialogues bilatéraux et régionaux de la France sur les enjeux sécuritaires (notamment avec l’Union africaine et les autres organisations régionales) » ; dans ce cadre, il peut se fonder sur l’indicateur de l’Union européenne concernant « le nombre et le type d’initiatives et de programmes conjoints mis en place à un niveau international, régional et global avec les Nations Unies et d’autres organisations internationales – telles que l’otan, l’osce, l’Union africaine, la Banque mondiale ».
La résolution 1325 et celles qui lui sont associées ont rendu visibles aux acteurs de la défense et de la sécurité une partie de la population jusque-là occultée, ainsi que les actes de violence de guerre dont elle est la principale victime. Leur prise en compte contient à ce titre une plus grande promesse de réussite en vue du retour à la paix dans les zones de conflit. La mobilisation internationale depuis l’adoption de la résolution en 2000 est, dans cette perspective, remarquable.
De nombreuses interrogations subsistent pourtant. Elles portent tout à la fois sur la formulation de la résolution 1325 et ses objectifs, ainsi que sur les moyens prévus pour sa mise en œuvre et ses effets (voulus et non voulus). Alors que l’intérêt politique pour le sujet des relations hommes/femmes et du genre gagne graduellement en importance, en France et en Europe au moins, ces interrogations demeurent posées pour l’avenir.
Je tiens à remercier toutes les personnes qui, au sein du ministère de la Défense et du ministère des Affaires étrangères, ont accepté de m’entretenir de leur activité relative aux relations hommes/femmes et/ou à la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’onu.
1 Voir L. J. Shepherd, « Power and Authority in the Production of United Nations Security Council Resolution 1325 », International Studies Quarterly n° 52, 2008, pp. 383-404.
2 Accessible, uniquement en anglais, au lien suivant : www.nato.int/issues/women_nato/cwinf_guidance.pdf
3 Voir le rapport accessible au lien suivant : www.nato.int/cps/en/SID-0B01DAE0-6DE507E2/natolive/ official_texts_685htm?selectedLocale=en
4 Accessible au lien suivant : www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/PNA_fr_DEF.pdf
5 unscr 1325 in Europe: 21 case studies of implementation, juin 2010, accessible au lien suivant : www.eplo.org/assets/files/%20Activities/Working%20Groups/GPS/EPLO_GPS_WG_Case_Studies_unscr_1325_in_Europe.pdf
6 Réunion informelle des membres du Conseil de sécurité pouvant comprendre parmi les participants des représentants d’organisations non gouvernementales. Le nom provient de l’homme politique, diplomate et ancien ambassadeur vénézuélien auprès des Nations Unies, Diego E. Arria.
7 Procès-verbal de la 5 766e séance du Conseil de sécurité, mardi 23 octobre 2007, S/PV.5766, p. 24.
8 Pour avoir accès aux allocutions de Rama Yade, et plus généralement connaître les actions de la France concernant la résolution 1325, voir le lien suivant : www.franceonu.org/spip.php?article3981
9 Ceux-ci étaient au nombre de quatre : la proportion d’hommes et de femmes ayant reçu une formation sur l’intégration de la perspective de genre (gender mainstreaming) ; la proportion d’hommes et de femmes au sein du personnel diplomatique, militaire et de police en opération extérieure sous bannière européenne ; le budget alloué par les États membres et la Commission européenne en soutien des actions d’intégration de la perspective de genre dans les conflits armés et dans les opérations de reconstruction post-conflit ; la proportion de réfugiés de sexe féminin accueillis.
10 Cette citation, et les suivantes, sont directement issues du plan national d’action, accessible au lien suivant : www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/PNA_fr_DEF.pdf