N°16 | Que sont les héros devenus ?

Roger Cadot
Souvenirs d’un combattant
La Plaine Saint Denis, Publibook, 2010
Roger Cadot, Souvenirs d’un combattant, Publibook

Le professeur Michel Cadot présente au public les mémoires inédits de son père Roger Cadot (1885-1953). Celui-ci, jeune journaliste financier en 1914, a combattu sans interruption de la mobilisation de l’été 1914 à l’armistice du 11 novembre 1918. Il a continué à servir sous l’uniforme jusqu’en mars 1919, ayant même participé, un court moment, à l’occupation française de l’Allemagne vaincue. Roger Cadot termine capitaine le conflit qu’il a commencé sergent (de réserve). Il a tenu très régulièrement des carnets sur sa vie quotidienne qui, combinés avec sa correspondance globalement bien conservée, lui ont permis de rédiger ultérieurement ses souvenirs « pour une très petite part au lendemain de la guerre de 1914-1918 et pour le reste entre 1940 et 1945 ; c’est-à-dire vingt-cinq ans et plus après les événements… » (Roger Cadot, « Avant-propos », p. 11).

Ce récit documenté et médité est exemplaire de la logique spécifique des processus mémoriels liés aux grandes guerres dévastatrices du xxe siècle : la lente maturation de la mémoire, qui s’apparente au travail du deuil et à la cure psychanalytique, parvient, progressivement et jusqu’à un certain point, à surmonter un premier silence paralysant causé par les multiples traumatismes physiques et psychiques qui ont affecté les combattants.

Le très grand intérêt de l’ouvrage naît de la convergence de plusieurs facteurs. Il s’agit d’une chronique continue, qui englobe le conflit dans toute sa durée, à l’échelle individuelle (ce qui constitue une limite, car il est hasardeux de généraliser à partir d’une expérience singulière, mais aussi un atout, car le témoignage y gagne une unité organique). Roger Cadot se montre aussi un excellent observateur, tant des paramètres de la vie matérielle que de son environnement humain. Il caractérise avec finesse les conditions, substantiellement différentes, des sous-officiers et des officiers, dont il a fait successivement l’expérience, sans jamais oublier les simples soldats. Enfin, Roger Cadot écrit bien, alliant avec bonheur précision descriptive et pouvoir d’évocation. Les passages qu’il consacre aux nuits de Lorette ou à la montée vers Verdun sont appelés à devenir des classiques.

On n’émettra qu’une seule réserve : l’absence d’apparat critique. Il faut souhaiter que ce manque soit comblé dans la future réédition que mérite ce beau livre.


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