N°14 | Guerre et opinion publique

Josselin de Rohan

Le Parlement, enceinte légitime du débat démocratique en matière de Défense

La question du rôle du Parlement en matière de défense se pose d’une façon singulière du fait de la spécificité du sujet, puisqu’il s’agit d’un domaine où l’action gouvernementale ne s’exerce que marginalement par la voie législative. Plusieurs considérations permettent d’expliquer cet effacement relatif.

Lorsque la Constitution évoque la défense nationale, c’est essentiellement pour préciser les attributions du gouvernement et du président de la République en la matière. Ce dernier, qualifié de « garant de l’indépendance nationale et de l’intégrité du territoire » (article 5), est « le chef des armées et préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale » (article 15). Le gouvernement, quant à lui, « dispose de la force armée » (article 20) et le Premier ministre est « responsable de la défense nationale » (article 21). En pratique, c’est principalement le chef de l’État qui définit la politique de défense de la France et qui décide de l’engagement des forces. Cette concentration des pouvoirs entre les mains du président de la République dans le domaine de la défense a une incidence directe pour le Parlement, car c’est le gouvernement, et non le président de la République, qui est responsable devant lui et qu’il est chargé de contrôler. À cet égard, on note que la marque personnelle imprimée par le général de Gaulle façonne toujours très profondément nos institutions.

Cette prédominance de l’exécutif se traduit de manière effective dans la réalité politique, puisque les effets conjugués du fait majoritaire et du parlementarisme rationalisé ont permis d’assurer au gouvernement un soutien quasi systématique du Parlement en matière de politique de défense. Qui plus est, cette dernière est traditionnellement restée à l’écart des polémiques partisanes et, soucieux de ne pas affecter la crédibilité de la France sur la scène internationale par des controverses politiques trop vives, les parlementaires se sont ralliés pendant des années à une forme de consensus républicain sur ces questions, dont on a pu voir l’illustration au cours de périodes de cohabitation.

Des considérations pratiques et de bon sens sont également à prendre en compte. En effet, la politique de défense suppose une capacité de réaction rapide et une discrétion qui s’accommodent difficilement du temps parlementaire. La longueur des débats rendrait caduque toute décision d’intervention dans un domaine où l’urgence et la discrétion sont de rigueur.

  • La montée d’une exigence démocratique de débat
    en matière de défense

Si la pratique traditionnelle a pu présenter l’avantage d’une certaine efficacité, la montée d’une exigence démocratique de débat sur la politique de défense, qui ne semble plus aussi consensuelle qu’auparavant, a progressivement forcé la représentation nationale à se saisir plus efficacement de ces questions.

Réputées, jusqu’à une date récente, intéresser modérément l’opinion publique et recueillir, de ce fait ou non, une approbation globale, les questions de défense affectent désormais le quotidien des citoyens. Les menaces directes aux frontières ont disparu, laissant place à une perception beaucoup plus diffuse des enjeux et des fondements de notre politique de défense par l’opinion publique. Les crises éclatent sur des théâtres lointains et les citoyens n’en saisissent pas toujours les répercussions sur leur propre sécurité. La notion de menace elle-même évolue et chacun comprend bien, avec le terrorisme, qu’elle n’est plus seulement militaire, et que les questions de défense rejoignent désormais celles de sécurité intérieure.

Un second élément renforce le premier, c’est la suspension du service national. Avec la professionnalisation, nous nous sommes dotés d’une armée beaucoup plus adaptée à ses nouvelles missions. Mais cette armée ne s’identifie plus de manière aussi évidente à la « nation en armes » et, de ce fait, certains craignent que l’ancrage de l’armée dans la nation ne soit plus aussi solide que par le passé.

En parallèle, le développement de nouvelles formes de médias et la rapidité de circulation des informations qui les caractérisent ont eu pour effet de sensibiliser les masses, notamment par le biais d’Internet, aux images sensationnelles des conflits en cours dont les enjeux sont devenus un sujet de conversation courant et non plus réservés à un microcosme de spécialistes. Les manifestations organisées un peu partout en France lors des discussions relatives à une éventuelle intervention militaire des Nations Unies en Irak au début de l’année 2003, les enquêtes de sondage catastrophiques sur le retrait des troupes françaises en Afghanistan ou les prises de position violentes d’intellectuels en faveur d’une intervention armée au Darfour sont autant d’illustrations du fait que l’opinion publique s’est emparée des questions de défense. Face à ces mutations, il paraît naturel de se retourner vers le Parlement, car c’est en son sein que peut se forger un nouveau consensus national en matière de politique de défense.

  • Des commissions parlementaires spécialisées

Il faut rappeler que, par rapport à beaucoup d’autres démocraties, le Parlement français comporte un nombre très restreint de commissions permanentes, huit à l’Assemblée nationale et six au Sénat, ce qui devrait nécessairement amener chacune d’entre elles à embrasser un très grand nombre de matières. La défense bénéficie cependant d’un traitement privilégié. À l’Assemblée nationale, une commission est exclusivement vouée à l’examen des questions relatives à la défense et aux forces armées, de même qu’au Sénat, où la commission de la défense est également compétente pour les questions relatives aux affaires étrangères. Cette double étiquette présente des avantages certains et permet de porter un regard global sur des dossiers dans lesquels les aspects stratégiques, diplomatiques et militaires sont indissociablement liés.

Ces commissions sont composées d’élus dotés d’une solide expérience du fonctionnement de l’État. Pour prendre l’exemple de la commission sénatoriale, elle compte aujourd’hui, sur cinquante-six membres, pas moins de quatorze anciens ministres et deux anciens Premiers ministres. À ces parlementaires de haut niveau s’ajoutent généralement des élus déjà fortement sensibilisés aux enjeux de défense au niveau local, du fait de la présence d’une unité ou d’une base militaire sur le territoire de leur circonscription. Tout ceci forme, dans chacune des deux assemblées, un ensemble disposant de liens privilégiés avec le monde de la défense, et qui en connaît les contraintes et les particularités.

  • Contrôler l’action du gouvernement

Le cœur de métier du Parlement réside dans l’examen et le vote des lois. Le ministère de la Défense n’est certes pas le plus inflationniste en la matière, mais il faut constater que depuis quelques années, l’activité législative dans ce domaine est assez soutenue, avec la suspension du service national, les mesures d’accompagnement prises pour la professionnalisation, les nouvelles dispositions relatives à la réserve, le nouveau statut général des militaires, celui de la gendarmerie, ou encore les évolutions apportées aux structures industrielles de l’État. Chacun de ces textes a fait l’objet de nombreuses auditions, d’un examen approfondi et d’un rapport au cours duquel les parlementaires ont largement fait usage de leur droit d’amendement.

L’examen annuel de la loi de finances est l’occasion d’une analyse très détaillée du budget de la Défense tant par les commissions des finances que par les commissions de défense. Celles-ci s’appuient sur les réponses, parfois classifiées, que le ministère est tenu de fournir à un questionnaire précis, ainsi que sur les auditions de responsables civils ou militaires, d’industriels et d’experts, mais également sur les constatations faites lors de visites d’unités ou d’installations, ou lors de déplacements sur les théâtres d’opérations extérieures.

À cet égard, la loi organique relative aux lois de finances (lolf), promulguée en août 2001, a doté le Parlement de nouveaux moyens qui ont modifié en profondeur son appréhension du budget de la Défense, et mis en place une véritable logique de transparence et de performance. L’information fournie au Parlement est plus complète et les indicateurs qui mesurent la réalisation des objectifs permettent de mieux évaluer l’efficacité des politiques publiques, en dépassant l’analyse strictement quantitative des crédits. Le gouvernement est soumis à des contraintes nouvelles, telles que la transmission aux commissions compétentes, avant leur publication, des décrets portant annulation de crédits et l’impossibilité d’opérer par simple décret des annulations de crédits cumulées dépassant 1,5 % des crédits ouverts. Enfin, le pouvoir d’amendement du Parlement lui permet d’effectuer des transferts au sein d’une même mission, et donc d’ouvrir plus largement le débat sur les priorités budgétaires retenues.

De plus, depuis la loi de finances pour 2009, l’instauration d’un budget triennal pour la Défense permet une meilleure visibilité et une articulation précise entre les budgets annuels et la loi de programmation 2009-2014, dont l’examen a impliqué un travail de même nature.

S’agissant de l’exécution du budget, le Parlement se doit d’être extrêmement attentif. C’est la raison pour laquelle un contrôle trimestriel du budget de la Défense a été instauré entre les deux assemblées et le ministère. Il regroupe les parlementaires des commissions de la défense et l’ensemble des responsables du ministère sous la présidence du directeur de cabinet. De même, la loi de règlement fait l’objet d’une attention toute particulière.

En matière de contrôle parlementaire du budget de la Défense, on constate de pays à pays des situations très différentes. En Allemagne, le Bundestag dispose de prérogatives extrêmement étendues. Le gouvernement est tenu de présenter à la commission de la défense, pour délibération et indépendamment de la loi de finances, tout programme d’acquisition atteignant ou dépassant une enveloppe financière de vingt-cinq millions d’euros. Nous avons pu mesurer le poids du Bundestag en la matière lors de la mise en place du programme d’avions de transport militaire A400M. Le Congrès des États-Unis procède lui aussi à un examen détaillé et très critique du budget de la Défense, qui pèse fortement sur sa version finale. Pour ce faire, il dispose d’importants moyens d’analyse et d’investigation, tels que le General Accounting Office, qui pourrait être comparé à notre Cour des comptes. Toutefois, il est de notoriété publique que la rationalisation des choix budgétaires n’est pas toujours la préoccupation première des parlementaires américains et que le lobbying exercé par les industriels, voire directement pas les armées, influe considérablement sur le résultat final.

De ce point de vue, le Parlement français se trouve plutôt dans une position comparable à celle de son homologue britannique, qui n’intervient pas, lui non plus, dans le détail des choix budgétaires en matière de défense, même s’il est en mesure d’exprimer un avis détaillé sur le projet gouvernemental.

Dans la mesure où elles ne sont pas surchargées de textes législatifs, les commissions de défense peuvent se consacrer à l’élaboration de rapports d’information et de contrôle. Ceux-ci sont décidés à l’initiative des commissions et portent sur des sujets de fond ou d’actualité tels que la stratégie de contre-insurrection en Afghanistan, la prolifération et la dissuasion nucléaire, le projet A400M et l’Europe de la défense, les enjeux de l’évolution de l’otan, la piraterie maritime, l’évolution des relations transatlantiques en matière de défense, les enjeux stratégiques et industriels du secteur spatial, les drones, ou encore les perspectives d’externalisation. À la fois exhaustifs et pédagogiques, car destinés à un public de non-spécialistes, ces travaux renforcent l’information du Parlement lui-même et contribuent au dialogue avec l’exécutif. Désormais très facilement accessibles grâce à Internet, il est également souhaitable qu’ils favorisent plus largement les débats sur les grandes questions de défense au sein de la population.

Plus récemment, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a pris l’initiative d’envoyer deux parlementaires, l’un de la majorité, l’autre de l’opposition, sur les principaux théâtres d’opérations où les forces françaises sont engagées. De telles missions se sont ainsi rendues en Côte d’Ivoire, au Liban, au Kosovo, au Tchad et, plus récemment, en Afghanistan, dans le cadre d’une mission commune Inde/Pakistan/Afghanistan menée du 22 septembre au 1er octobre 2009.

  • Les moyens d’information du Parlement

Même si la France ne dispose pas, loin s’en faut, de structures comparables aux think tanks américains, on peut tout de même constater que les sources « ouvertes » sont déjà suffisamment nombreuses pour alimenter les réflexions et le sens critique du Parlement. Les industriels, les différents services du ministère, chacune des armées, et en leur sein leurs diverses composantes, sont autant de sources différentes qui, grâce aux contacts formels ou informels, permettent au parlementaire de croiser et de recouper les informations, d’affiner ses questions et de renforcer la pertinence de ses constatations.

À cet égard, un changement notable est perceptible, depuis quelques années, dans l’attitude des responsables du ministère de la Défense, qui fait preuve aujourd’hui d’une ouverture beaucoup plus grande que par le passé. Le temps n’est pas si lointain où le ministre s’opposait formellement à l’audition des chefs d’état-major ou de tout autre responsable de la défense par les commissions parlementaires (Michel Debré en 1972). Les chefs d’état-major sont aujourd’hui régulièrement reçus par celles-ci et ces interventions font l’objet de comptes rendus retranscrits sur Internet. On retrouve un même souci de transparence dans la communication de documents ou de données aux parlementaires, et les services du ministère ou les armées fournissent volontiers les chiffres ou les explications qui leur sont demandés. À titre d’exemple, un rapport très détaillé sur les exportations d’armement est remis chaque année au Parlement.

Les exigences de confidentialité demeurent cependant réelles, par exemple dans le domaine du renseignement, pour des raisons évidentes d’efficacité. Cependant, une loi de 2008 a créé une « délégation parlementaire au renseignement » commune au Sénat et à l’Assemblée nationale, composée de quatre sénateurs et de quatre députés. Cette délégation, dont la mission est de suivre l’activité générale et les moyens des services de renseignement, se rend ainsi plusieurs fois par an dans les locaux de la dgse afin d’être informée sur les opérations en cours. Ses travaux sont couverts par le secret de la défense nationale. Au total, le périmètre des restrictions apportées à l’information du Parlement s’est réduit, ce qui ouvre un champ considérable à ses investigations.

De même, avec l’accord du ministre, l’état-major des armées (ema) met à disposition de la commission sénatoriale un expert militaire à la fois intégré dans les structures de l’ema et de la commission, afin de faciliter les échanges et l’information.

  • La réforme du 23 juillet 2008 et le contrôle
    des opérations extérieures

Avec la révision du 23 juillet 2008 intitulée, à juste titre, « loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République », le constituant a opéré une transformation profonde du texte constitutionnel, y compris sur des points souvent considérés comme fondateurs des équilibres institutionnels de la Ve République, tels que la prédominance du gouvernement sur l’ordre du jour des assemblées, l’interdiction faite aux assemblées de voter des résolutions à l’adresse du gouvernement, l’impossibilité pour le président de la République de s’exprimer lui-même devant le Parlement, ou encore l’engagement de la discussion législative sur le texte du gouvernement et non sur celui de la commission.

En matière de défense également, cette réforme a considérablement renforcé le rôle du Parlement, en soumettant le gouvernement à un devoir d’information en cas d’intervention des forces armées à l’étranger et, dans le cas où ladite intervention viendrait à durer plus de quatre mois, à un vote d’autorisation de prolongation (nouvel article 35). Preuve de sa nécessité, cette réforme fait suite à de multiples propositions de lois restées sans suite. En ce qui concerne le dispositif d’information du Parlement, il appartiendra au gouvernement d’apprécier, selon les circonstances, les modalités d’information les plus adaptées. En fonction de la nature de l’opération, de son cadre juridique et de son ampleur, l’exécutif pourra choisir d’informer les présidents des deux chambres, les présidents ou l’ensemble des commissions compétentes des deux assemblées, ou d’effectuer une déclaration plus solennelle. Au-delà de quatre mois d’intervention, c’est bien une demande d’autorisation que le gouvernement doit adresser au Parlement, et non pas une simple consultation. En cas de refus, les armées devraient toutefois disposer d’un délai pour organiser leur retrait dans les meilleures conditions possibles.

Héritage de la Révolution française, le principe de l’autorisation parlementaire de déclarer la guerre n’a été que très rarement appliqué par le passé. Ainsi, lors des deux guerres mondiales, le Parlement fut simplement convoqué en session extraordinaire et appelé à voter l’ouverture de crédits supplémentaires.

L’article 35 de la Constitution de la Ve République, qui dispose que « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement », n’a jamais été appliqué, or, depuis 1958, notre pays a été engagé dans un grand nombre d’opérations extérieures. Certes, la notion classique de « guerre » a évolué et on parle davantage aujourd’hui d’opérations de maintien ou de rétablissement de la paix. Le Parlement n’a eu l’occasion de s’exprimer par un vote qu’à une seule reprise, à l’occasion de l’intervention de la France lors de la guerre du Golfe en 1991. Le gouvernement avait alors engagé sa responsabilité devant l’Assemblée nationale et demandé l’approbation de sa politique au Sénat, en vertu de l’article 49 de la Constitution.

La faiblesse des moyens de contrôle dont disposait le Parlement français sur l’engagement des opérations extérieures avant 2008 contrastait fortement avec les pouvoirs accordés aux parlements dans les autres démocraties. C’est en Allemagne que le Parlement est le plus fort en matière de contrôle des opérations extérieures (opex), pour des raisons historiques. Qualifiant la Bundeswehr d’« armée du Parlement », la cour constitutionnelle a expressément subordonné à l’approbation du Parlement la participation militaire de forces allemandes à des opex et le Bundestag est régulièrement tenu informé de l’évolution des opérations en cours, dont il peut exiger l’arrêt à tout moment. Aux États-Unis, le War Powers Act de 1973 impose au Président la consultation préalable du Congrès avant tout engagement des troupes américaines, puis un compte rendu dans les quarante-huit heures qui suivent. Au-delà de soixante jours, il doit obtenir un accord explicite.

Les opérations extérieures constituent tout de même la principale mission des forces armées. En janvier 2010, ce sont près de treize mille militaires français qui participent à des interventions militaires à l’étranger, qu’elles soient menées sous l’égide de la France, de l’otan, de l’Union européenne ou de l’onu, et leur coût n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années. Une meilleure implication du Parlement permettra de renforcer la légitimité de ces opérations. L’envoi de troupes à l’étranger est une décision qui peut avoir de graves conséquences pour la vie des personnels engagés, comme l’ont montré récemment les pertes de soldats français en Afghanistan, mais aussi pour la sécurité des Français et, plus largement, pour la place et l’influence de la France dans le monde. Il est légitime, dans une démocratie, que le Parlement, en tant que représentant de la nation, soit informé de ce type d’intervention, puisse débattre et se prononcer par un vote lorsque cette intervention risque de s’installer dans la durée.

En application du nouvel article 35 de la Constitution, le gouvernement a effectué une déclaration à l’Assemblée nationale et au Sénat, suivie d’un débat et d’un vote, sur la prolongation des opérations extérieures menées par la France en Afghanistan le 28 septembre 2008, puis sur les opérations menées en Côte d’Ivoire, au Kosovo, au Liban, au Tchad et en République centrafricaine le 28 janvier 2009. Il convient de signaler que, la loi n’étant pas rétroactive, il n’était pas juridiquement tenu de demander l’autorisation du Parlement.

De même, en donnant aux assemblées la maîtrise de la moitié de leur ordre du jour, cette réforme permet aux parlementaires d’aborder en hémicycle des sujets que le gouvernement n’aurait pas forcément, de lui-même, soumis à l’appréciation des parlementaires. Un débat d’initiative sénatoriale sur l’Afghanistan a ainsi été organisé au Sénat le 16 novembre 2009, au cours duquel se sont exprimés des points de vue très variés sur la stratégie française dans ce conflit. On peut cependant regretter que ces débats, qui n’engagent certes pas de vote formel, ne soient pas plus couverts par les médias, dans la mesure où ils constituent l’expression même du débat démocratique.

Par ailleurs, le gouvernement a tout à gagner d’une meilleure implication du Parlement en matière de défense et celui-ci apparaît, à cet égard, comme un gisement de vecteurs d’influence insuffisamment exploité. Les présidents des assemblées et des commissions spécialisées ont fréquemment des entretiens avec les personnalités étrangères de haut niveau en visite en France et effectuent de multiples déplacements à l’étranger. Les groupes d’amitié, qui permettent de tisser des liens utiles avec les parlementaires étrangers, sont aussi un outil de contacts avec des États avec lesquels les relations étatiques sont parfois limitées, voire inexistantes. Les parlementaires sont les représentants de leur pays dans des assemblées internationales, telles que l’Assemblée parlementaire de l’otan. De tous les acteurs internationaux émergents, qu’il s’agisse d’entreprises, de la société civile ou des médias, les parlementaires sont clairement les plus légitimes à jouer un rôle accru en matière de défense.

  • Informer au niveau local

Au niveau des circonscriptions, les élus nationaux ont pour mission de faire comprendre l’importance des enjeux de défense à leurs concitoyens, pas toujours au fait de ces questions, encore trop souvent considérées comme l’affaire de spécialistes. En effet, les attentats du 11 mars 2004 à Madrid ainsi que ceux du 7 juillet 2005 à Londres ont montré que la lutte contre le terrorisme ne se menait pas que sur des théâtres d’opérations lointains et que les menaces, si elles sont invisibles, n’en sont pas moins présentes et peuvent affecter la vie de chacun.

À cet égard, les candidatures aux sessions régionales de l’Institut des hautes études de défense nationale (ihedn), qui permettent à des professionnels issus d’horizons variés d’assister à un ensemble de conférences et de visites en matière de défense, doivent être encouragées. De même, le rôle des correspondants défense doit être valorisé en tant qu’interlocuteurs privilégiés des autorités militaires au niveau départemental. Ceux-ci, dans la mesure où ils disposent d’une information régulière et réactualisée, ne doivent pas hésiter à utiliser les divers outils mis à leur disposition afin d’informer les citoyens, en valorisant notamment le parcours de citoyenneté, les activités de défense (volontariat, préparations militaires, réserves militaires) ou encore le devoir de mémoire.

Ces mesures semblent tout particulièrement indispensables dans les circonscriptions où sont implantées des bases ou des industries militaires. On pense notamment aux régions de Toulouse ou de Bordeaux, où se concentrent les grands pôles de l’industrie aéronautique et spatiale française, à l’origine de nombreux emplois et de développement économique.

En informant et en sensibilisant leurs concitoyens au niveau local, et donc de manière plus directe et moins abstraite, les élus locaux jouent un rôle essentiel dans l’apparition d’une véritable « résilience de la nation », concept auquel le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale accorde une importance primordiale.

  • Le Parlement, acteur influent en matière de défense ?

Le Parlement, c’est évident, n’a ni les moyens ni la vocation de se poser en co-gestionnaire de la défense aux côtés de l’exécutif, encore moins de chercher à conduire une action parallèle à ce dernier. Pour des raisons de disponibilité et de moyens humains, il ne peut pas davantage prétendre exercer un contrôle exhaustif. Il lui appartient, sur les sujets de son choix, d’effectuer des analyses approfondies, d’utiliser pleinement les possibilités qui lui sont offertes et de jouer son rôle de réflexion et de proposition en amont, et de contrôle en aval. C’est donc plutôt dans une logique d’influence plus que de pouvoir qu’il faut ici se placer.

Si toutes les remarques ou les préconisations parlementaires ne sont pas systématiquement suivies d’effet, loin s’en faut, nombreux sont les exemples montrant que sans être directement impliqué dans la phase décisionnelle, le Parlement peut exercer une influence indirecte non négligeable sur la prise en compte de certains problèmes. Ainsi, après la guerre du Kosovo, sur des sujets aussi divers que le maintien en condition des matériels, le déficit en médecins du service de santé, la dégradation relative de la condition militaire, l’écho qu’il a donné aux difficultés rencontrées a favorisé la recherche de solutions.

À cet égard, il convient de préciser que, pour la première fois, quatre parlementaires (deux députés et deux sénateurs) étaient membres de la commission du livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 et ont participé à l’ensemble des travaux de son élaboration. De même, la loi de programmation militaire 2009-2014 prévoit que soit institué « un processus de suivi des orientations du livre blanc incluant notamment chaque année […] une évaluation présentée aux commissions compétentes du Parlement ». Et que le gouvernement présentera chaque année au Parlement un rapport sur l’exécution de la loi de programmation.

De même, se posera rapidement la question du contrôle parlementaire sur la politique européenne de défense et de sécurité, récemment rebaptisée « politique de sécurité et de défense commune » par le traité de Lisbonne. Outre l’élargissement des missions et la clause de défense mutuelle, la véritable innovation est le lancement d’une possibilité de « coopération structurée permanente » entre les États qui souscrivent certains engagements. Dans la mesure où la défense reste une compétence étatique et non communautaire, et que ce sont les parlements nationaux qui votent les budgets de défense, le Parlement européen, en dépit de son activisme, n’a guère de légitimité pour intervenir dans ce domaine. Un dialogue plus étroit devra donc être noué entre le gouvernement et le Parlement au sujet des orientations que notre pays défendra au sein des instances européennes.

La prise de conscience récente du rôle clé de la représentation nationale en matière de défense, confirmée par la révision constitutionnelle de 2008, a fait du Parlement un véritable acteur de la politique de défense nationale et, du même coup, un maillon essentiel de la redéfinition du lien armée-nation. La représentation nationale est désormais plus légitime à s’emparer des grandes questions de défense, trop longtemps exclues des hémicycles du Palais-Bourbon et du Palais du Luxembourg, et, à travers eux, les citoyens et l’opinion publique. Le consensus républicain qui prévalait sur ces questions n’est donc plus de mise, comme l’ont montré les prises de position récentes de sénateurs communistes critiquant fermement la stratégie française en Afghanistan lors d’un débat d’initiative sénatoriale sur la question organisé le 16 novembre 2009, ou encore les violentes critiques émises par les députés de l’opposition lors de l’engagement de la responsabilité du gouvernement sur la réintégration par la France des commandements intégrés de l’otan le 17 mars 2009.

La politique de défense risque fort de devenir du même coup un véritable enjeu politique au plan national, sur la base duquel les citoyens pourront juger l’action de leurs élus, et éventuellement les sanctionner en conséquence. Jusqu’à présent, les grands débats sur la politique de défense étaient essentiellement réservés aux périodes de campagnes présidentielles, mais ils risquent bien d’être désormais pleinement intégrés aux campagnes législatives, même si, dans les faits, l’instauration de la concomitance des mandats du président de la République et des députés diminue fortement la portée des campagnes pour les élections législatives. 

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