Voici un ouvrage lucide, pessimiste, mais ouvrant sur une espérance, celle d’une reconstruction non pas nécessaire mais obligée du monde, si l’humanité veut survivre à son présent chaotique.
La lucidité explique que le passage des idéologies révolutionnaires aux « communautarismes » depuis la chute du Mur sonne le glas des civilisations. Plutôt qu’un affrontement sans cesse réitéré des civilisations les unes contre les autres, il s’agit de revendications identitaires, poussées à leur paroxysme, qui conduisent à la disparition des cultures sous couvert de leur protection.
Les échecs politiques et militaires des pays arabes (avec l’immense espoir suscité puis déçu par le pouvoir du colonel Nasser) les ont poussés à faire de l’islam une culture d’autant plus violente qu’elle n’est pas tempérée par une Église qui canaliserait ses pulsions les plus meurtrières. Les pouvoirs politiques se servent du Coran pour se venger de leurs échecs ; ils sont contraints pour la survie de leur pouvoir d’y avoir sans cesse recours, car le peuple humilié par des années de défaite trouve dans la seule religion réconfort et espérance. L’opinion finit par dicter au pouvoir une sorte d’absolutisme religieux, même si ce pouvoir est réticent à cet usage pervers de la religion.
Un pays a besoin d’épopée, pas d’amertume. Le Liban, pays d’origine de l’auteur à la double culture arabe et française, paye très cher cette mise à distance de l’Islam en s’abstenant de participer aux guerres de « libération » palestiniennes. Ce pays, qui demeure l’emblème d’une culture de mixité respectueuse des particularismes, risque de s’effondrer au profit de la violence identitaire.
L’auteur en veut à l’Occident d’avoir terni, trahi ses valeurs en tenant des discours sur les droits de l’homme désincarnés et à usage interne, en fait jamais dénués d’arrière-pensées de domination économique ou de ventes d’armement.
Le pessimisme réside dans l’histoire de la nature humaine plus prompte à défendre des intérêts égoïstes qu’à mettre en avant une civilisation universelle reposant sur des critères de respect et le sentiment d’appartenir à la même terre. Cette exigence culturelle a de la peine à se frayer un chemin.
L’espérance repose paradoxalement sur la menace que fait peser sur tous le phénomène du réchauffement climatique. Celle-ci devrait rendre dérisoires les misérables conflits identitaires. Quand la maison commune brûle, les querelles de préséance ou d’appartenance sont bien inopportunes. L’objectif est de faire la chaîne pour jeter de l’eau.
Le paradoxe est que cette chaîne repose sur ceux qui ont une double culture. Ce serait une des conséquences bénéfiques des flux migratoires. Au lieu de constituer des menaces pour l’identité, les migrants apportent une richesse de regards ainsi qu’une culture plus ouverte et souvent plus généreuse.
Cet ouvrage, clair, mérite qu’on y fasse référence pour mieux comprendre les enjeux d’aujourd’hui. Mais ce point de vue de Sirius peut laisser songeur celui qui est au cœur des conflits militaires hic et nunc. Peut-être le commencement de la sagesse passe-t-il par la volonté de ne pas humilier l’autre. « L’Autre, nous-même comme l’étranger », dit si bien l’écrivain nigérian Ben Okri.