Dans cet ouvrage, le lieutenant-colonel Michel Goya relate la situation de l’Irak de 2003 à 2007, en l’abordant sous l’angle de la tactique militaire, et met en lumière le fait que l’Irak est la démonstration des limites du concept occidental de la guerre, fondée sur la supériorité technique.
En premier lieu, il montre que les armées occidentales, principalement l’armée américaine, ont été en 2003 déconcertées et globalement impuissantes face à l’opposition politique et militaire menée par différents acteurs locaux. Cette situation découle du fait de l’unilatéralisme de la pensée militaire américaine, qui repose sur la supériorité technologique. Mais si le concept occidental de la guerre est efficace dans un conflit interétatique, il se révèle inopérant en Irak face à une résistance populaire, parce que la supériorité technique ne permet pas d’obtenir le résultat politique souhaité. La situation sera aggravée, parce qu’ayant nié la possibilité d’une guerre de guérilla malgré l’exemple du Vietnam, les Américains ne disposent pas, à cette date, d’une doctrine adaptée à la situation.
La supériorité technologique des armées occidentales doit leur permettre, grâce à une grande puissance de feu, de remporter rapidement un succès décisif dans le cadre d’une guerre dissymétrique de courte durée. Mais c’est au détriment du volume des effectifs qui peuvent être déployés au sol. Or les opérations militaires conduites en Irak depuis la chute du régime de Saddam Hussein montrent clairement l’absolue nécessité de disposer de forces terrestres suffisamment nombreuses pour contrôler l’ensemble du territoire, et ce dans la durée.
Ensuite, et logiquement, l’auteur met en évidence l’inversion du schéma classique (victoire militaire / capitulation du gouvernement / soumission de la population) par la logique inverse (conquête de l’adhésion de la population / succès). Par ailleurs, la conquête des cœurs et des esprits implique de porter l’effort sur ces dimensions clés que sont le renseignement, le respect envers les Irakiens et le comportement irréprochable des troupes, la sécurité de la population et le bien-être économique.
Aussi, la mission à remplir par les forces terrestres devient plus complexe et difficile. Il faut combiner l’anti-insurrection avec la pacification, extraire les éléments adverses de leur milieu et les neutraliser, sans provoquer l’hostilité de la population. La reconstruction de l’État et de la société devient la priorité, et le rôle du soldat est alors d’appuyer et de participer à cette tâche sécuritaire, économique et politique.
Mais, prisonniers de leur confiance dans leur supériorité technologique, les Américains ont commis deux erreurs majeures initiales, qui ont été fatales. Ils ont tout d’abord sous-estimé l’instabilité structurelle de l’État et de la société irakiens, qui résulte de l’enracinement dans l’histoire d’antagonismes ethniques, religieux, tribau et économiques. En d’autres termes, ils ont négligé la connaissance de l’organisation et du fonctionnement de la société qu’ils allaient devoir prendre en charge et gérer après leur succès initial.
De plus, alors qu’à l’origine la population est à 80 % favorable aux Alliés, les Américains ne comprennent pas ses attentes dans les domaines de la sécurité et du travail, et suppriment les institutions irakiennes qui encadrent la population. Du coup, la société irakienne s’effondre et se disloque en quelques semaines. Cette perte de contrôle de la situation entraîne l’installation d’un vide qui va être comblé rapidement et discrètement par différents acteurs hostiles aux Américains. Enfin, la présence américaine suscite parmi la population des réactions hostiles, fondées sur le sentiment religieux ou nationaliste.
En second lieu, l’ouvrage met en évidence la dynamique des conflits modernes dans lesquels sont impliquées les puissances occidentales.
La guerre moderne comprend plusieurs phases distinctes inscrites dans un même continuum. La phase de stabilisation est la plus importante, mais elle est aussi celle à laquelle les forces armées américaines étaient le moins bien adaptées.
Les périodes de guerres dissymétriques, caractérisées par le succès des Occidentaux rendu possible grâce à leur supériorité technologique, sont brèves, et elles sont suivies par de longues périodes de guerres asymétriques, dans lesquelles s’engluent les vainqueurs.
La période qui suit la chute du régime politique, celui de Saddam Hussein en l’occurrence, est cruciale. Mais le temps décisif est le temps long de l’établissement des conditions du retour à la paix. Il faut éviter le pourrissement et le rejet de la force armée. Il s’agit d’une mission qui doit être planifiée, ce que les planificateurs américains ont négligé de faire.
Le point clé du succès est le contrôle de l’espace terrestre, qui exige des effectifs considérables pour tenir l’ensemble du terrain sur la durée, faute de quoi, comme le montrent par exemple les deux opérations américaines sur Fallouja, l’action militaire s’apparente à une course de point insurrectionnel en point insurrectionnel pour éteindre les incendies.
En troisième lieu, Michel Goya montre la fluidité de la situation. Les Américains comme les rebelles sont dans une dialectique permanente action / réaction, où chaque camp s’efforce de s’adapter le plus rapidement possible afin de trouver des tactiques et des techniques innovantes pour se protéger et obtenir l’avantage. Il note d’ailleurs la grande vitesse d’adaptation de la résistance, sa faculté à se régénérer après les coups portés par les Alliés, ainsi que son inventivité à trouver les talons d’Achille.
Redoutablement efficaces, les ied, qui ont provoqué la moitié des pertes, ainsi que les attentats suicide sont les méthodes nouvelles les plus spectaculaires employées par les Irakiens et leurs alliés djihadistes.
Les combats en Irak montrent la vulnérabilité des convois logistiques. Les affrontements de Fallouja marquent sur le plan tactique la redécouverte de la guerre de siège et du combat urbain, coûteux en effectifs, puisque les pertes alliées atteindront le quart des effectifs engagés dans la reconquête de cette ville.
Sans conclure sur l’avenir définitif du pays, l’auteur montre que les États-Unis ont engagé une discrète politique de sortie du conflit, qui passe par la re-création d’une armée et d’une police irakiennes. Mais l’armée irakienne oscille entre la désagrégation due aux désertions et le coup d’État militaire déclenché par le corps des officiers, très hostiles aux rebelles et mécontents de l’attitude de leur gouvernement. En outre, des forces paramilitaires se créent sur une base ethnique, et leur combat contre la rébellion dissimule mal des conflits confessionnels entre sunnites et chiites.