N°12 | Le corps guerrier

Marine Baron
Lieutenante
Être femme dans l’armée française
Paris, Denoël, 2009
Marine Baron, Lieutenante, Denoël

Ce livre est un récit. Il pourrait être un roman. L’auteure se présente : « Je m’appelle Marine Baron, j’ai 22 ans, je mesure 1,68 m, je pèse 55 kg… » Dès les premières pages, la question n’est plus de savoir comment finit cette aventure, elle finit mal. Elle démissionne la rage au ventre après deux années d’un service marqué des efforts quotidiens d’une femme pour faire sa place dans un univers qui la chahute et qu’elle doit elle même bousculer pour s’y insérer.

La trame du livre est linéaire. Une femme jeune, volontaire, intelligente, cultivée, bien élevée et bien faite s’engage dans une unité commando. L’une et l’autre se nomment « Marine ». Peut-être y a-t-il déjà dans cette homonymie un jeu de miroir dans lequel elles se cherchent et se perdent. Marine Baron raconte son parcours difficile dans ce milieu. Elle dépeint un univers rustre, machiste, intolérant à la différence et à l’individu. Si le lecteur s’arrête là, le livre divisera les pro-Marine-Baron, défenseurs des minorités et des éternelles victimes, et les anti-Marine-Baron, défenseurs de l’uniforme et du protocole. La caricature est là bien sûr ; mais l’auteure se caricature autant elle-même. Ce livre décrit finement l’interaction entre une jeune fille en quête d’identité et un groupe militaire. Le groupe – exclusivement masculin – réagit comme un organisme qui se défend de l’intrusion du corps étranger qu’est cette femme. Il va mettre en œuvre toute son énergie à l’exclure. Il hyperfonctionne tout à coup et devient une caricature de lui-même. De la même manière, l’intruse va tout essayer pour faire sa place, se fondre dans cet organisme, adopter ses postures et devenir une mutante capable de résister aux attaques et au rejet. Marine raconte sa transformation pour faire disparaître sa différence, pour accepter l’uniformité, pour se fondre dans une identité de groupe. Son histoire alterne les temps où elle se laisse aspirer par l’organisme et ceux où elle lutte pour préserver son individualité. Enfin, on assiste à un réveil, un sursaut, un effet de surprise, lorsqu’elle réalise ce qu’elle est devenue. C’est elle sans être elle. Elle est devenue une autre qu’elle ne reconnaît pas.

Ce récit va au-delà d’une critique du monde militaire. Il raconte chaque étape d’un parcours initiatique. Le lecteur peut penser que Marine a échoué son intégration ou que le monde militaire est passé à côté d’une bonne recrue. Il peut aussi penser que Marine a trouvé dans cette expérience exactement ce qu’elle recherchait : soi, elle, sa féminité, un regard masculin, une complicité fraternelle. Marine n’est décidément pas faite pour se construire dans un rapport d’identification ; elle se construit par contraste. Le récit ne donne pas l’impression que Marine se cantonne au rôle de victime dénonçant et revendiquant vengeance et réparation. C’est une expérience douloureuse certes, mais c’est surtout un travail sur soi.

De son passage dans une unité de commando marine, l’auteure en a fait une leçon pour elle-même. Du livre, l’armée en fera-t-elle quelque chose ? Rien n’est moins sûr. Les réactions lues sur les forums de discussion sont très épidermiques ; très intéressantes à analyser aussi. Donc un livre à lire, et des réactions à suivre.

Aline Delahaye et Patrick Clervoy

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