
Sur les réseaux sociaux, Alexandre Jubelin est bien connu pour être la voix du Collimateur, un podcast traitant des questions de stratégie et de défense produit par l’Institut de recherche de l’École militaire (irsem). Ici, pas de guerre en Ukraine ou de cyberdéfense, mais la guerre navale dans l’Atlantique à l’époque moderne, un ouvrage tiré de sa thèse de doctorat, « Par le fer et par le feu. Pratiques de l’abordage et du combat rapproché dans l’Atlantique du début de l’époque moderne (début du xvie siècle-1653) », soutenue en 2019. Avec une interrogation : comment mettre à la portée de tous un travail scientifique ? Alexandre Jubelin conçoit ce livre comme un tremplin vers cette dernière ; et pour cela, il a mis sa thèse en accès libre sur Internet.
De la guerre navale à l’âge de la voile, nous avons en tête des scènes tirées de différents films : Pirates de Roman Polanski, Master & Commander de Peter Weir avec Russel Crowe ou dans un registre plus fantastique les opus Pirates des Caraïbes, Assassin’s Creed Black Flag ou Empire Total War constituent quant à eux des référentiels vidéoludiques. Ces images sont-elles conformes à la réalité ? Alexandre Jubelin offre une première réponse en analysant le combat en mer dans un cadre espace/temps très précisément énoncé par le titre de son ouvrage. Loin d’une vision idéalisée de la guerre navale réduite à la piraterie, celui-ci se lit comme la dissection nette et précise de ce que fut cette réalité. Les notes et la bibliographie en donnent un aperçu : un imposant travail de recherche a été mené pour permettre à l’auteur de discerner, de comprendre et de retranscrire au mieux cette réalité. Les sources française, anglaise, hollandaise ou espagnole se croisent pour tisser une toile dans laquelle l’historien doit se retrouver (souvent batailler) et produire des conclusions. Cela donne un ouvrage méthodiquement découpé : phase par phase, point par point, de la manœuvre lointaine à l’après-combat en passant par l’immersion au cœur du carnage. Par le fer et par le feu offre ainsi au lecteur une étude passionnante et minutieuse. Ce n’est ni le récit des grandes campagnes navales de l’époque moderne ni l’évocation des enjeux géopolitiques de la période, l’objet est ailleurs : traduire la réalité du combat pour les hommes embarqués dans une « communauté de destin » (le terme est si juste) sur leurs navires – un espace confiné, isolé sur l’océan, à la fois protection et piège. Il y a quelque chose de radical dans la guerre sur mer, où l’issue est la victoire, la mort ou la reddition.
Cet ouvrage est doublement rafraîchissant : par son contenu, qui dissipe beaucoup d’idées reçues sur le combat naval et montre bien ses spécificités entre l’ère médiévale et celle des Lumières, et à travers la méthodologie anatomique qui place le lecteur au ras des vagues. Bien écrit, sourcé, ponctué de quelques références de pop culture qui s’insèrent parfaitement dans le propos, il plonge le lecteur dans l’incertitude et la fureur du combat en mer et atteint son but. Dans sa conclusion, Alexandre Jubelin fait preuve d’honnêteté : il ne sait pas tout. Mais face à cette ignorance reconnue et aux obstacles qui se dressent, s’obstiner aidera à mieux comprendre ce que furent pour des milliers d’hommes leurs dernières minutes de vie.