N°38 | Et le sexe ?

Pierre-Jean Luizard
Chiites et sunnites
La grande discorde en 100 questions
Paris, Tallandier, 2017
Pierre-Jean Luizard, Chiites et sunnites, Tallandier

Jamais, dans l’histoire du monde, deux conceptions religieuses issues de la même origine, le Coran révélé par le prophète Mahomet, ne se sont affrontées avec autant de violence, et ce dès les premières années après la disparition du Prophète. Malgré les tentatives désespérées pour retrouver une unité, l’instrumentalisation de la religion par le politique a semé des intérêts contradictoires au nom d’une conception inclusive de l’islam qui fondait son appartenance sur l’exclusion des autres religions, confondant parfois les mécréants chrétiens et les membres de la confrérie musulmane adverse, jugés comme des apostats. Cette violence a atteint à plusieurs reprises des paroxysmes dramatiques dont les affrontements meurtriers récents ne sont qu’un exemple parmi d’autres. Les sunnites reprochent aux chiites leur conception simpliste d’une croyance en l’héritage divin de Mahomet et de sa famille dont les imams sont les représentants sur terre. Les chiites reprochent aux sunnites d’être responsables de la mort d’Ali, le gendre du Prophète, et de déléguer au seul calife la responsabilité de l’interprétation littérale du Coran. Depuis quatorze siècles, ces reproches mutuels alimentent des haines farouches, meurtrières, que le politique utilise à des fins opportunistes.

Les sunnites sont numériquement dans un rapport inégalitaire avec les chiites (85 % contre 15 %). Mais, au sein des deux communautés, une infinité de mouvements, souvent agressifs les uns par rapport aux autres, permet parfois de nouer des alliances temporaires inattendues. L’Iran est le pays chiite par excellence. Mais ce choix est tardif : il date du xvie siècle et pour des raisons politiques. L’Irak est le pays sunnite qui, paradoxalement, héberge les plus grands lieux sacrés du chiisme. Quand l’Amérique renverse Saddam Hussein, protecteur de sunnites, elle fera de ces derniers, devenus des proscrits, des militants de Daech. La guerre de Syrie oppose les alaouites de Bachar el-Assad, proches des chiites, donc soutenus par l’Iran et le Hezbollah (parti chiite libanais), puis les Russes aux sunnites de Daech et aux autres communautés. L’affrontement entre l’Iran et l’Arabie saoudite, qui possède les lieux saints de l’islam, est l’occasion réitérée de tensions lors des pèlerinages qui font souvent de nombreux morts. Enfin, les chiites sont plutôt l’expression des fractions les plus pauvres des arabes, ayant parfois flirté avec le communisme, alors que les sunnites sont présents dans les monarchies pétrolières arabes.

Ce livre, écrit par l’un des meilleurs connaisseurs de la question, rend compréhensible la confusion permanente s’offrant à l’Occidental qui renonce souvent à saisir les vrais enjeux. On y découvre que les puissances occidentales ont plus contribué par leur ignorance à alimenter les tensions qu’elles n’en sont directement responsables. Le lecteur passe ainsi de l’ignorance la plus totale à la lumière, dût-elle rester complexe, déroutante et désespérante. Chaque acteur politique devrait s’y intéresser s’il veut tenter de comprendre l’histoire de son temps.


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