En juin 1940, la France connaît l’une des plus importantes défaites militaires de son histoire. En cinq semaines, les pertes sont égales (voire supérieures) aux batailles les plus meurtrières de la Grande Guerre, ce qui témoigne de l’intensité des combats menés pour tenter d’arrêter la progression allemande, mais tout semble s’écrouler. Pourtant, alors que les soldats français se sont souvent courageusement battus, l’immense majorité d’entre eux accepte, au moins en apparence, les conditions d’armistice et l’occupation de la France. Extrêmement rares, dans un premier temps, sont ceux qui répondent à la citation gravée après la guerre sur le monument aux ffl de l’île de Sein : « Le soldat qui ne se reconnaît pas vaincu a toujours raison. » Paradoxalement, d’autres, restés dans ce qui est en train de devenir « l’armée d’armistice », n’en prennent pas moins des risques importants en s’engageant en particulier, tout aussitôt, dans les opérations de camouflage du matériel en zone dite « libre ».
Replaçons-nous dans le contexte de l’époque. La France de l’entre-deux-guerres est un pays de veuves, de femmes en noir et d’anciens combattants, où le discours majoritaire s’articule autour du refus de la guerre (la « der des ders ») et où l’illusion de la puissance fait fonction de paravent. Comment l’Allemagne pourrait-elle s’attaquer aux vainqueurs de la Première Guerre mondiale, qui bénéficient à la fois de la protection qu’assurent les formidables installations défensives de la ligne Maginot et du renfort d’un empire aux ressources quasi illimitées ? Après les rodomontades gouvernementales (on se souvient de l’affirmation de René Massigli reprise par Albert Sarraut en 1936 selon laquelle la France n’acceptera pas que les canons allemands menacent Strasbourg) et la piteuse tentative de créer un Commissariat général à l’information en 1939, dont les productions rappellent le « bourrage de crâne » de la Grande Guerre, la rapidité et l’ampleur de l’effondrement sidèrent non seulement la France mais le monde, jusqu’aux États-Unis.
Dès lors, quels sont les courants de pensée qui traversent l’institution militaire dans les années qui précèdent immédiatement le conflit et quels sont ceux qui dominent ? Il n’existe pas d’étude d’ensemble sur le sujet et l’on en est réduit à rechercher ici ou là quelques pistes au détour d’un paragraphe. Une date repère peut être identifiée : en décidant, dès son accession aux responsabilités en 1935, que les officiers ne seraient plus autorisés à publier sans l’accord préalable de l’état-major général, Gamelin a singulièrement étouffé un mouvement intellectuel interne à l’institution militaire profondément ancré dans l’histoire de la IIIe République. Jusqu’à cette date, les très nombreux ouvrages publiés par les officiers font les beaux jours de quelques éditeurs spécialisés (Lavauzelle, Berger-Levrault...), dont les catalogues témoignent de la diversité des centres d’intérêt et des points de vue. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter aux publications des années 1920 sur le thème de la motorisation et des chars d’assaut ou sur celui de la fortification permanente : les « pour » comme les « contre » y présentent leurs arguments ou objections avec la plus entière liberté. Désormais, seule une voix officielle s’élève, relayant le discours institutionnel avec d’autant plus de zèle qu’un ouvrage favorablement remarqué constitue une indiscutable plus-value pour son auteur dans un contexte où l’avancement est difficile.
On considère souvent que trois « chapelles » cohabitent plus ou moins facilement dans l’armée des années 1930, héritières des grands chefs de l’armée française victorieuse de 1918 : « l’école » Weygand qui se rattache à Foch, « l’école » Gamelin que l’on relie à Joffre et « l’école » Pétain, sans autre chef que le maréchal lui-même. Seule, pourtant, la première présente une relative réalité, Weygand ayant été sans interruption aux côtés de Foch à partir d’août 1914 et conservant durant l’entre-deux-guerres d’éminentes responsabilités, en particulier en métropole. La deuxième n’est sans doute, en grande partie, qu’un effet d’affichage de Gamelin lui-même, qui y trouve un moyen pour conforter son autorité après la mort de Joffre en 1931. Elle ne s’exprime clairement, d’ailleurs, que lorsqu’il accède au plus haut poste de la hiérarchie militaire, à partir de 1935. Quant à la troisième, elle n’existe qu’à travers quelques officiers supérieurs et généraux de second rang. Le seul fait que le Maréchal soit non seulement toujours vivant, mais encore qu’il soit resté à la fois un personnage public et une autorité tutélaire lui donne une audience et une influence incomparablement supérieure.
Enfin, en faisant régulièrement référence aux événements de la Première Guerre mondiale jusque dans les documents d’emploi des années 1930 puis dans les appréciations portées sur les événements pendant la phase de la « drôle de guerre », la chaîne de commandement dans son ensemble a contribué à scléroser la réflexion doctrinale, phénomène d’autant plus inquiétant que le non-renouvellement des matériels et le manque de moyens d’instruction réduisent considérablement la capacité opérationnelle réelle des unités. Les propos parfois iconoclastes de quelques esprits plus originaux n’influent alors que marginalement sur cette situation générale.
Comment, dans ce cadre, évaluer le degré de « résistance(s) » au sein des armées ? S’il fallait en rester au nombre d’officiers d’active qui rejoignent le général de Gaulle à l’été 1940 et font le choix de rompre totalement avec le régime de Vichy et la collaboration naissante, le constat est sans appel. De toute la promotion 1923-1924 de l’École supérieure de guerre (celle du chef de la France libre), un seul saute le pas. En fait, l’immense majorité des (quelques) officiers d’active qui rejoignent de Gaulle dans les premiers mois sont stationnés outre-mer ou à l’étranger : le lieutenant-colonel Marchand au Tchad, le commandant Broche en Polynésie française, le capitaine Jourdier au Levant, le chef de bataillon Brosset de la mission militaire française en Colombie, le lieutenant de vaisseau Cabanier du sous-marin Rubis était déjà, pour sa part, au Royaume-Uni depuis le mois de mai... Le cas du capitaine Koenig, qui s’embarque en Bretagne avec d’autres officiers de la 13e dble le 19 juin, est à peine différent : il servait depuis plus de dix ans au Maroc avant de participer à la campagne de Narvik. Parmi les très rares officiers qui quittent l’Hexagone à la fin du mois de juin après y avoir combattu, le capitaine Philippe de Hauteclocque, cavalier, et le commandant Pijeaud, de l’armée de l’air, font figure d’exceptions. Ils sont les seuls officiers d’active brevetés qui font le choix de tout abandonner et de se lancer dans l’inconnu. Constatons qu’il est moins difficile de prendre une telle décision lorsque l’on ne réside pas en métropole. En effet, tous les chefs de l’armée française ayant accepté, avec plus ou moins d’hésitation ou de conviction, la décision du gouvernement du maréchal Pétain – Weygand dans l’Hexagone, Noguès en Afrique du Nord, Mittelhauser au Levant –, faire un choix non seulement différent mais opposé, c’est rompre avec tout ce qui fait sa vie professionnelle, c’est remettre en cause les principes qui régissent son institution d’appartenance (hiérarchie, discipline...) au nom de valeurs plus hautes.
Infiniment plus nombreux sont ceux qui choisissent de pratiquer le double jeu, aussi bien à l’égard du nouveau pouvoir en place que de l’occupant. Mais cette affirmation générique ne rend pas bien compte de la grande diversité des engagements individuels. Rares sont ceux qui, comme le général de corps aérien François d’Astier de La Vigerie (avec ses frères et sa famille), participent dès l’été 1940 à l’organisation des premiers réseaux actifs de résistance. Plus nombreux sont ceux qui poursuivent discrètement leurs actions de renseignement sur l’ennemi et aident au camouflage du matériel militaire, comme le colonel Rivet ou le commandant Mollard et leurs hommes, et qui donneront plus tard naissance pour certains à l’Organisation de résistance de l’armée (ora). Différents organismes relevant du secrétariat d’État à la Guerre de Vichy travaillent ainsi en sous-main contre les Allemands, qu’il s’agisse du Bureau des menées antinationales qui s’intéresse à l’armée d’occupation et à l’Abwehr, ou de la Commission d’enquête sur les repliements suspects qui étudie le détail des opérations de mai-juin 1940 pour en tirer les enseignements tactiques.
Une telle situation a ses limites : lorsque l’armée allemande occupe la zone Sud en novembre 1942, aucun commandant de région militaire métropolitaine, à l’exception notable du général de Lattre, ne s’oppose à la progression de l’ennemi. Tous respectent scrupuleusement l’ordre de Vichy de ne pas sortir des casernes. Nombreux sont alors ceux qui rejoignent Alger (où, ne l’oublions pas, dans un premier temps Darlan conserve le pouvoir en prétendant toujours agir en accord avec le maréchal Pétain) et ces officiers préféreront pour la plupart toujours Giraud à de Gaulle, ce qui témoigne aussi d’une compréhension différente de la situation depuis 1940.
Enfin, il n’est pas inintéressant de constater ici que ces initiatives de résistance au sein de l’armée entre 1940 et 1942, si elles sont parfois connues du haut commandement (les généraux Weygand et Colson étaient informés de certaines initiatives), ne sont pas encouragées mais simplement tolérées. Nous sommes donc dans un cadre institutionnel et intellectuel bien différent de celui qui avait vu la Reichswehr de cent mille hommes organiser dans les années 1920, avec le soutien actif des plus hautes autorités civiles et militaires de la République de Weimar, le camouflage des hommes et des matériels de l’ancienne armée impériale allemande.
Totalement majoritaires sont enfin ceux qui, comme le reste de la population, expriment massivement leur accord avec le vieux maréchal, qui affirme à la radio faire « don à la France de sa personne ». Pour beaucoup, il y a une donnée objective (la défaite) et une réalité indiscutable (l’occupation) qui imposent d’assurer d’abord, dans le meilleur des cas, le redressement de la France avant de commencer à envisager éventuellement une poursuite, ou une reprise, des hostilités contre l’ennemi. Dans ce cadre, l’hypothèse à l’été 1940 d’une paix prochaine entre l’Allemagne et le Royaume-Uni ne semble pas à exclure et il serait dès lors irresponsable de se placer en situation difficile vis-à-vis du vainqueur, à titre personnel comme collectif. Obéir aux consignes exigeant l’immobilité et la non-intervention est à la fois intellectuellement et moralement plus facile.
Cette justification, souvent ultérieure, n’est d’ailleurs pas exempte de préoccupations plus personnelles, comme le soulignera Romain Gary, officier des fafl puis diplomate et écrivain : « Je suis sans rancune envers les hommes de la défaite et de l’armistice de 1940. Je comprends fort bien ceux qui avaient refusé de suivre de Gaulle. Ils étaient trop installés dans leurs meubles. […] Ils avaient appris et ils enseignaient “la sagesse”, cette camomille empoisonnée que l’habitude de vivre verse peu à peu dans notre gosier, avec son goût doucereux d’humilité, de renoncement et d’acceptation. »
L’influence morale personnelle du « vainqueur de Verdun » n’est, bien sûr, pas étrangère à cette attitude. Comment celui qui a brisé l’assaut allemand sur la cité meusienne en 1916, puis a commandé en chef les armées françaises à partir du printemps 1917 pourrait-il trahir le pays ? Si Pétain demande l’armistice et en accepte les conditions, à quel titre et au nom de quoi faire un choix différent ? La plupart des hommes et des cadres restent dans une position expectante, comme en témoignent les nombreuses demandes d’affectation pour des unités stationnées en Afrique du Nord, situation ambiguë consistant à vouloir rester sous commandement français, à s’éloigner des Allemands, et à ne pas rejoindre la « dissidence ».
Parmi tous ceux qui adoptent peu ou prou cette ligne de conduite, le cas du général Doumenc est assez emblématique. Major-général des armées en campagne avec Gamelin puis Weygand en 1940, les derniers documents qu’il signe, avant la dissolution du grand quartier général, visent à faciliter le transfert vers l’Afrique du Nord des volontaires belges, tchèques et polonais qui servent dans l’armée française. Il s’agit à la fois pour lui d’aider à sauver des hommes qui se sont battus sous le drapeau tricolore et de mettre à l’abri des unités constituées. Il est, après l’armistice, un éphémère commissaire national à la reconstruction avant de prendre la direction de la Commission d’enquête sur les replis suspects, organisme consultatif mis en place par le secrétaire d’État à la Guerre de Vichy afin d’apprécier la pertinence des « décrochages » successifs de mai-juin 1940, premier exemple institutionnalisé de « Retex », dans le but de tirer les enseignements de la défaite avant de rebâtir une nouvelle armée française. En désaccord avec les choix effectués, il décide de quitter le service actif avant la limite d’âge de son grade en décembre 1941 et se retire dans sa propriété de la région grenobloise. Devenu responsable national du Touring Club de France et du Club alpin français, il prend en charge les refuges et relais de montagne dans une région (nous sommes entre 1942 et 1944) où la Résistance et les maquis se développent. Lui-même circule en solitaire presque quotidiennement en montagne, mais ne noue aucune relation particulière avec les Résistants. Il expliquera à ses enfants qu’un officier ne doit pas se révolter contre l’État : lorsqu’il n’est plus d’accord, il se retire. Simplement. Et dès le débarquement de Provence, en 1944, il reprend contact avec l’état-major du général de Lattre, représentant la nouvelle légalité, et se met à son service.
Comment, dès lors, expliquer la décision prise par quelques-uns de tout abandonner, de se placer au ban de leur institution, de quitter leurs familles et de renoncer à toute sécurité ? La première réponse, dont on trouve la trace dans pratiquement tous les témoignages, est le refus absolu de la défaite et de la soumission au vainqueur. Parmi ces officiers, plusieurs s’embarquent, à Marseille, à Sète, à Port-Vendres ou à Saint-Jean-de-Luz, en pensant encore poursuivre la guerre à partir de l’Afrique du Nord, territoire français, puisque l’empire et la flotte restent disponibles et, pour aucun, la fidélité à l’alliance avec le Royaume-Uni ne fait de doute. Révoltés par l’arrêt des combats qu’implique la signature de l’armistice voulue par le gouvernement du maréchal Pétain, ils profitent aussi localement des tergiversations qui se manifestent dans les échelons intermédiaires de commandement régional durant ces journées troubles de la fin du mois de juin, où l’on ne sait plus très bien quel chef peut donner quel ordre.
Or, à l’été 1940, alors que seule l’Angleterre tente encore de s’opposer à l’Allemagne, tout laisse présager que les conséquences personnelles d’une telle décision seront extrêmement dures. C’est d’abord une famille que l’on abandonne, ce qui explique sans doute que la majorité des premiers volontaires soient de très jeunes gens car, pour les hommes mariés, ce sont ceux que l’on aime que l’on laisse derrière soi, à la discrétion de l’occupant et des nouvelles autorités. C’est ensuite à une carrière et à un statut que l’on renonce. Même si l’avancement est immédiat à Londres, où les nouveaux arrivants se voient pour la plupart promus dès leur arrivée, la légalité et l’administration sont restées dans l’Hexagone.
Aux yeux des responsables politiques et militaires de Vichy, ceux qui rejoignent de Gaulle ne sont que des déserteurs, que les événements du début du mois de juillet (Mers el-Kébir et l’opération Catapult) assimilent de fait à des traîtres qui, pour certains d’entre eux, seront condamnés à mort par contumace. Ils sont même, d’ailleurs, dans un quasi-vide juridique : ce n’est qu’au début du mois d’août 1940 qu’une convention avec les Britanniques fixe officiellement la position des Français libres en Angleterre et qu’un premier texte réglementaire détaille le statut des ffl. C’est enfin à une (relative) facilité ou aisance de vie dans un environnement connu qu’il faut renoncer, car en dépit de la sympathie manifestée par les Britanniques aux Free French, les conditions matérielles d’existence sont souvent pour le moins compliquées et « rustiques ». Combien d’hommes étaient prêts à tous ces renoncements, pour eux et leurs proches, en quittant secrètement l’Hexagone en juillet ou en août ? Combien étaient assez fous pour abandonner les calmes certitudes d’une vie « ordinaire » et courir tous les risques dans un pays étranger ?
Il n’y a sans doute statistiquement guère plus de héros que de saints, dans l’armée comme dans le reste de la société, et Jacques Duchesne l’exprime au nom de la France libre, qui traverse alors une phase délicate, sur les ondes de la bbc le 15 janvier 1941 : « On ne sortira pas de la situation actuelle sans courage et je dirais sans héroïsme, sans le plus vrai et le plus quotidien des héroïsmes, celui qui consiste à risquer sa vie et à souffrir chaque jour. » Les conditions objectives de vie de chacun (âge, situation familiale, lieu de stationnement, formation antérieure...) influencent très fortement les choix individuels, dont les déterminants sont souvent plus familiaux qu’idéologiques. Il est souvent hasardeux d’y chercher, dans les premiers mois, la marque systématique d’engagements politiques ou partisans, et l’on sait que les représentants de la mouvance catholique d’Action française, nourris d’antigermanisme, sont nombreux parmi les premiers autour du chef de la France libre ou dans les premiers réseaux de résistance, au point que l’on qualifiera Londres de « repaire de la Cagoule » à l’été 1940.
Il faut donc se résoudre à admettre que, sous le choc d’une défaite que personne n’envisageait, les officiers d’active n’ont pas été plus nombreux (et parfois même moins) à rejoindre Londres que les représentants d’autres corps constitués ou d’autres professions. L’essentiel de l’encadrement de contact des maigres troupes du général de Gaulle était bien constitué de jeunes étudiants ou ouvriers et de réservistes.
La situation se complique au fil de l’année 1941, alors que la collaboration entre Vichy et le Reich allemand se développe en France, tandis que les premières unités de Français libres reprennent les opérations actives contre les puissances de l’Axe en Afrique orientale ou à partir de l’Égypte et du Tchad. Avec le ralliement progressif des colonies, de Gaulle dispose désormais d’une base territoriale, ainsi que d’un potentiel humain et militaire qui ne peut que croître, mais son audience dans l’institution militaire reste limitée. Lorsque le capitaine Beaufre est brièvement arrêté à Alger, il proteste vivement, dans un courrier personnel au général Doumenc, de sa fidélité au régime et affirme n’avoir rien en commun avec les « comploteurs gaullistes ». Dans l’Hexagone, nombreux sont ceux qui s’illusionnent sur la volonté de Pétain (peut-être en accord avec de Gaulle, murmure-t-on parfois) de favoriser la reconstitution d’une nouvelle armée française à partir de la zone « libre » et de ses camps de jeunesse, de nouveaux réseaux de résistance sont créés et un maigre mais régulier flux de « dissidents » parvient à rejoindre Londres via l’Espagne ou l’Afrique du Nord. Pourtant, combien d’officiers parmi eux ? À nouveau, quelques noms émergent pour un chiffre total qui reste assez dérisoire. Légaliste, la plus grande partie de l’armée, comme de l’administration et plus largement de la population hexagonale, conserve sa confiance au chef de l’État français et fait le choix de ne rien risquer : surtout ne pas injurier l’avenir... Un bon exemple en est donné à la fin des combats de Syrie, en juillet 1941. À l’issue de l’armistice de Saint-Jean-d’Acre, le 14 juillet, les Britanniques laissent aux soldats de Vichy la possibilité de choisir entre le ralliement à la France libre ou le rapatriement vers l’Hexagone : la majorité d’entre eux fait le choix de rentrer en métropole. Chaque événement de la guerre, chaque nouvelle étape de la collaboration pousse quelques nouveaux volontaires à franchir le pas, mais il ne s’agit encore que d’individualités.
Il faut attendre le débarquement anglo-saxon en Afrique du Nord à la fin de 1942 et le processus de dissolution de l’armée d’armistice pour qu’une rupture quasi totale se manifeste avec le gouvernement de Vichy, qu’il s’agisse de l’armée d’Afrique, dont le ralliement initial aux Anglo-Saxons plutôt qu’à de Gaulle est significatif, ou des cadres et soldats de l’armée métropolitaine qui, pour certains, reprennent le combat hors de l’Hexagone et, pour d’autres, plus nombreux, se lancent dans la Résistance intérieure et viennent pour quelques-uns étoffer l’encadrement des premiers maquis, bientôt gonflés par le refus du Service du travail obligatoire (sto).
Tant que l’existence d’une « zone libre » au sud de l’Hexagone permet de maintenir la fiction d’un État français indépendant, le choix personnel d’une « fidélité » relative à Vichy, plus ou moins appuyé par un certain nombre de cadres et de chefs intermédiaires, a pu être argumenté et conserver une part de pertinence. Mais qu’en est-il après novembre 1942 ? Pratiquement désarmé, le régime de Vichy ne peut plus revendiquer ni légitimité ni légalité. Le colonel Rivet, déjà évoqué, chef des services de renseignement militaire, fait d’ailleurs à cette époque le choix de rejoindre Alger ; il sera suivi par de nombreux autres officiers. Seule formation armée à la disposition du gouvernement du maréchal Pétain à partir de 1943, en dehors de la gendarmerie, le 1er régiment de France lui-même finira par rejoindre les ffi…
Le processus a été long, et il y a plus qu’une différence entre ceux qui firent le choix de la « dissidence » au lendemain de l’armistice, ceux qui s’engagèrent dans une résistance active dès l’été et l’automne 1940, et ceux qui (re)découvrirent les chemins de l’honneur au moment du débarquement de Normandie. Entre ces deux groupes se situe l’immense majorité de la population et de son armée qui, globalement, ne sauraient en être différentes l’une de l’autre. La capacité de « résistance » d’une armée s’établirait-elle à la hauteur de celle du pays dans son ensemble ?