Avec cette Histoire du terrorisme, Gilles Ferragu nous sort du registre commémoratif. Il tente et réussit une approche historique d’un phénomène éparpillé depuis toujours entre des groupes divers et souvent antagonistes, des idéologies bariolées et qui n’entendent pas gérer leurs contradictions, des desperados qui tentent de promouvoir leurs idéaux aussi libérateurs que vengeurs et assassins au fil de luttes clandestines et, d’abord par l’usage spectaculaire du procès expéditif, de l’attentat, du meurtre politique et de l’assassinat criminel. Le premier mérite de son livre est d’avoir adopté une démarche chronologique, la plus sûre, celle qui réinvestit le plus utilement le travail universitaire de ce fier historien, maître de conférences à Paris Ouest-Nanterre et à Sciences-Po. Gilles Ferragu fait naître comme il se doit le terrorisme – ce « crime indéfinissable », dit-il – qui irrigue le territoire de l’historien à condition que celui-ci l’observe dans « une durée large » intégrant « la variété des points de vue » – au passage très mal éclairé du tyrannicide antique à la terreur d’État pendant la Révolution française. Il détaille ensuite comment et pourquoi les terroristes ont emprunté au nihilisme et à l’anarchisme, ont revendiqué une stratégie qu’ils voulaient salutaire par force, ont militarisé leur action, ont torturé et assassiné pour « la cause », ont fait de la terreur non pas un postulat mais une mise en scène et, aujourd’hui, les médias et les sites du Net aidant, un spectacle d’une violence assassine passée du nihilisme à la barbarie. Défilent ainsi les ultra-puristes du salut public par la guillotine, les démons à la russe au xixe siècle, les « anars » de la Belle Époque, les lanceurs de bombes successifs des Sarajevo balkaniques, les bolchevicks et staliniens assassins avec leurs hommes de main et leurs procureurs aux ordres, les Résistants pourchassés partout en Europe par la Gestapo au titre, eux aussi, de « terroristes » pour affiche rouge, les sionistes de l’Irgoun ou du groupe Stern, l’olp palestinienne ou les spadassins des juntes d’Amérique latine. Pour la période la plus contemporaine, trois chapitres distinguent utilement ce qui s’est tramé « à l’ombre chaude de l’islam », ce que fut l’action des « natios » et autres « patriotes » du fln comme de l’oas pendant la guerre d’Algérie, au Pays basque ou en Irlande et, enfin, la violence « en rouge et noir » au temps des Brigades rouges italiennes, de la bande à Baader en Allemagne ou des Black Panthers aux États-Unis. On enregistre aussi des renseignements tout à fait inédits sur la République indienne ou le Japon. Au terme de ce tour d’horizon mondial et taillé dans l’épaisseur de deux siècles, on pourra découvrir et méditer le mot de Benjamin Constant : « La terreur, pendant son règne, a servi les amis de l’anarchie, et le souvenir de la terreur sert aujourd’hui les amis du despotisme. » Est-il si juste aujourd’hui ? À chacun de répondre. En toute hypothèse : pour tenter de comprendre notre monde d’aujourd’hui, hanté par des mythes politiques dont il ne voit plus assez, pour paraphraser Archimède, sur quels leviers et quels points fixes ses terroristes s’appuient pour « soulever le monde » en tentant de le violenter et le mettre à mort, ce livre est de salut public.