Comme sous-titre, il aurait pu être simplement retenu : « Effarant ! » Le colonel Paul Paillole, officier de gendarmerie, a rejoint le service de renseignements (sr) français en décembre 1935 et a rapidement découvert que la France possédait un agent de première main au sein même des services de chiffrement allemands (la chiffrierstelle) depuis 1932, puis a été amené à le rencontrer. Agréable, cet ouvrage est d’abord la description d’une aventure humaine insistant sur les personnages hauts en couleur évoluant dans l’ombre au profit des différents services de renseignements avec des anecdotes qui ne peuvent que retenir l’attention. On y découvre certains de nos grands chefs militaires de l’après-guerre alors capitaines ou commandants. Le côté étonnant, surprenant même, de ce récit est la récupération des plans, de parties mécaniques et de codes mensuels de la célèbre machine allemande à encrypter Enigma. Puis la description de la montée en puissance du service d’écoute allemand, le Vorschungsamt, et sa capacité à écouter et à décrypter un nombre impressionnant de messages tant à l’intérieur de ses frontières qu’à l’extérieur. C’est encore la révélation de l’effort de guerre allemand et de différents ordres de bataille de premier plan. Puis c’est la révélation des intentions clairement exprimées par le chancelier du Reich en 1937, en comité particulièrement restreint, d’annexer l’Autriche, les Sudètes, la Tchécoslovaquie, puis d’attaquer la Pologne et de se retourner ensuite contre la France en violant les neutralités belge et néerlandaise. Ce sont encore les dates d’attaques des victimes successives du Reich et leurs plans. Le côté effarant, pour ne pas dire affligeant, de cette histoire reste l’apathie de tous les services et dirigeants qui n’ont jamais exploité ces renseignements fiables et vitaux. Les certitudes des chefs sont aussi en cause quand l’intime conviction l’emporte sur la réalité des renseignements. Premier fautif, le service de décryptage français, renommé pendant la Grande Guerre, mais qui ne veut pas consentir l’effort de s’attaquer au système d’encodage allemand. Viennent ensuite les responsables des services de renseignements qui, pris dans la routine de la phraséologie administrative, atténuent la valeur de l’information transmise, l’« attaque de la Pologne » devenant « un risque de tension en Pologne » dans le cabinet du Premier ministre… On ne peut oublier les chefs militaires qui ont accès aux théories allemandes, à la stratégie et aux plans d’attaques, et ne font rien ni pour adapter notre outil militaire, ni pour prendre des mesures nécessaires. Le corps diplomatique et la Marine doivent aussi être nominés pour leur incapacité à admettre que les codes sont systématiquement décryptés par les Allemands ou les Italiens ; ils compromettent ainsi nos sources de renseignement. Enfin, le pouvoir politique, à tous niveaux, refuse de prendre en compte ces informations qui dérangent et n’a pas le courage de prendre les mesures qui auraient pu éviter la guerre (lors de la remilitarisation de la rive gauche du Rhin) ou la défaite de 1940… Il n’en reste pas moins que cette aventure est intéressante à de nombreux titres. Faute d’intérêt des services du chiffre français, les notices techniques et les codes sont transmis à nos amis polonais qui, de leur côté, travaillent d’arrache-pied sur cette fameuse machine et ses codes. Peu avant l’invasion de la Pologne, deux machines seront envoyées en France dont l’une à destination des Britanniques qui mettront une belle ardeur à permettre un décryptage fiable et constant durant toute la guerre. Un livre qui rend justice au sr pour le rôle capital qu’il a joué dans le décryptage des messages allemands.