Lorsque nous parlons communément d’autorité, nous pensons savoir de quoi il s’agit. Nous considérons en effet que, sans elle, aucune situation ne peut être traitée, qu’aucun savoir ou savoir-faire ne peut être reconnu, qu’aucun métier ne peut s’exercer convenablement et apporter les satisfactions attendues, qu’aucune décision ne peut être aisément acceptée et appliquée. Cela vaut dans toutes les sociétés et à toute époque. L’autorité est donc une propriété fondamentale de l’homme, indispensable dans la construction permanente de ses relations avec ses semblables. En même temps, elle ne cesse de faire problème, d’être à la fois contestée et revendiquée. Les débats courent tout au long de l’histoire des sociétés et dans toutes les cultures.
Aujourd’hui, la question de l’autorité est l’une de celles qui interrogent le plus. Les médias ne cessent d’alerter sur son déclin, mais aussi de souligner parfois ses formes et ses règles nouvelles1. Le fait qu’elle inquiète fortement nos concitoyens est incontestablement à mettre en lien avec l’évolution de notre société, et les enjeux confus et controversés autour de l’égalité et de la « démocratisation ». Tout se passe comme si l’autorité était devenue difficilement pensable, voire impossible à mettre en œuvre dans le contexte social. En même temps, sa nécessité n’est pas vraiment mise en doute ; sa restauration est même vivement réclamée, en réaction aux dérives auxquelles les notions d’égalité et de démocratisation accélérée nous conduiraient. Elle apparaît comme un enjeu majeur dans les mutations de notre temps. Il est donc nécessaire de revenir sur ce qui la fonde, sur ce qui la spécifie dans l’ensemble des capacités humaines.
La philosophie depuis Platon, les théologiens de toute religion, les sciences humaines et sociales plus récemment ont beaucoup examiné cette question. De manière générale, on s’accorde à leur suite à établir un lien fort entre autorité et légitimité. Les divergences surgissent lorsqu’il s’agit du fondement même de l’autorité, considérée comme capacité humaine intrinsèque, indépendamment de la légalité et de ses conditions sociales et institutionnelles d’exercice. Il nous semble pourtant que c’est par cette distinction entre légitimité et légalité qu’il convient d’aborder la question de l’autorité, si nous voulons comprendre comment elle est à l’œuvre chez tout être humain pris dans les situations sociales les plus diverses. Certains auteurs l’ont pensé ainsi, telle Hannah Arendt2. Nous nous inscrirons ici dans le cadre de l’anthropologie clinique de Jean Gagnepain3, qui, forte de cette distinction, fonde l’autorité uniquement dans le registre de la légitimité.
- Autorité et pouvoir
Une première distinction est opérée spontanément à peu près par tout le monde : l’autorité n’est pas à confondre avec l’autoritarisme, qui est communément compris comme un excès d’autorité. Il n’est toutefois pas certain que les processus soient ici du même ordre. L’autoritarisme touche sans nul doute à la question du pouvoir exercé envers autrui et il est en l’occurrence saisi comme virant à l’abus de pouvoir. Or notre société en est venue de nos jours à mettre en cause tout ce qui est pouvoir et elle se veut particulièrement vigilante vis-à-vis de tout type d’abus de pouvoir. Quelles que soient les formes qu’il prend, il est entaché de soupçon, en raison précisément des conceptions foncièrement égalitaires dominantes dans nos sociétés occidentales qui ne cessent de se réclamer de leurs vertus « démocratiques » et « individualistes ». Cette défiance, qui confine chez certains au refus radical, imprègne la totalité des relations à autrui à l’intérieur de notre société. Elle concerne tout d’abord les grandes « institutions » du pouvoir, mais elle a également envahi, comme le montrent les faits divers de la vie quotidienne, l’école et la famille.
La représentation de l’égalité qui prévaut dans notre société conduit à prôner l’effacement de toute altérité. Tout se passe comme si elle devait être affirmée pour elle-même, en dehors de toute autre considération, et que toute différence participait en définitive du même ou du semblable4. En d’autres termes, notre société tend, quoi qu’elle affirme, à une forme de promotion de l’identique qui aboutirait, si elle était menée à son terme, à un anéantissement du social lui-même.
Plus particulièrement, notre société manifesterait un refus de ce type de rapport qu’on qualifie parfois de « vertical », à partir duquel peuvent se comprendre les phénomènes de hiérarchie, mais également tout ce qui touche à la tradition et à la transmission, ainsi qu’au lien entre les générations. La seule relation qui vaudrait serait celle fondée sur la parité, toute forme d’échange reposant sur du pouvoir étant du coup bannie.
Cette opération est encouragée intellectuellement par la réduction fréquemment affirmée du pouvoir au rapport de domination5. Certes, il peut confiner à la domination, voire y aboutir totalement. Toutefois, ce n’est plus de pouvoir qu’il s’agit alors, mais d’un passage à la limite qu’il faut alors qualifier d’abus de pouvoir ; la domination nous fait sortir du registre de l’humain et rejoindre celui de la lutte pour la vie.
Si tout pouvoir se trouve réduit à de la domination, il devient impossible de rendre compte de toute une partie du fonctionnement de notre société qui repose, comme toute société, sur la notion de division sociale du travail et sur celle de compétence qui lui est liée. Ce registre du social se manifeste par des positions nécessairement asymétriques du point de vue des acteurs de la relation, mais qui n’en supposent pas moins de la réciprocité dans le vaste cadre des échanges de services, c’est-à-dire des diverses contributions sociales qui animent toute société. Si la confusion du pouvoir et de la domination s’instaure, les rapports sociaux se trouvent alors marqués d’une méfiance généralisée pour devenir le théâtre d’une constante confrontation ouverte. Confondre pouvoir et domination revient en fin de compte à inscrire le pouvoir dans le registre de l’animalité ou de la perversion, au sens psychopathologique du terme.
Un groupe humain, quel qu’il soit, a fortiori une société, recherchera toujours un agencement cohérent, notamment une répartition nécessaire des tâches particulières entre ses différents membres et donc une inévitable organisation hiérarchique. Celle-ci suppose alors un jeu complexe de délégations de responsabilité à l’intérieur d’une même équipe ou d’un même établissement. L’ensemble fonctionne tant que le principe de la délégation opère, y compris pour celui qui se trouve au plus haut degré de l’organisation. Il a en effet des comptes à rendre, lui aussi, sur la mission qui est la sienne et sur l’exercice de ses responsabilités. S’il en vient à se prévaloir d’une forme d’immunité quant à sa manière de fonctionner et à se croire tout-puissant, il verse dans l’abus de pouvoir et exerce alors sur les autres un mode de domination. Il sera sans doute craint, mais il pourra faire l’unanimité contre lui et ceux qui sont sous ses ordres n’auront sans doute pour lui nulle considération. En d’autres termes, ne jouissant auprès d’eux d’aucune estime, il n’aura à leurs yeux aucune autorité, bien qu’il soit en situation de pouvoir. C’est ce qui arrive quand des institutions ou des personnes prennent des décisions qui leur paraîtront tout à fait légales, voire nécessaires, alors qu’elles sont ressenties par ceux qui en sont l’objet comme injustes et incohérentes.
Tout dépend bien sûr ici du sens que l’on accorde à « autorité ». Mais quoi qu’il en soit, on saisit dès à présent qu’il est fait appel à deux processus humains différents. Traiter de la question du pouvoir, qui relève de la cohésion d’un groupe, laisse entière celle de la considération et de l’estime, sous laquelle nous rangeons déjà ici la problématique de l’autorité. Aussi bien, en appeler à la notion d’égalité, sous couvert d’une démocratisation qui tend à résorber les droits de l’homme sous ceux de l’individu, comme l’énonce Marcel Gauchet6, ne résout d’aucune manière le problème de cette autre forme de différence, de ce « surcroît » que suppose l’autorité accordée à certains et certainement pas à tous. Le champ que recouvre le phénomène de l’autorité échappe en fait à ce type de considération.
Chacun d’entre nous a en tête l’exemple de personnes qui détiennent une position de pouvoir et qui ne sont pourtant pas reconnues. Inversement, nous en connaissons d’autres qui n’ont pas de pouvoir particulier, mais qui bénéficient de cette considération qui manque aux premiers7. Cela vaut dans la société toute entière (où l’on évoque souvent une « autorité morale »), au sein d’une équipe, professionnelle ou non, mais aussi pour chacun d’entre nous dans les rapports que nous entretenons avec notre entourage. Certains « valent » à nos yeux, qu’elles que soient leur situation sociale et leur place dans la hiérarchie.
Si l’on peut contester la conception de l’égalité à laquelle nous serions parvenus aujourd’hui, il n’en est pas moins vrai que l’évolution de notre société depuis une quarantaine d’années a conduit à prendre une distance par rapport à un exercice du pouvoir qui ne se discutait guère. Dès lors, la différence entre ces deux registres du pouvoir et de l’autorité apparaît plus nettement qu’autrefois. Il était alors plus difficile, sans nul doute, de manifester une non-reconnaissance. Le conformisme, voire l’obéissance, l’emportait. Pour autant, la distinction de ces registres opérait déjà. De nos jours, elle est devenue effective, le conformisme et l’obéissance n’ayant plus la même importance. La position de chef ne suffit pas à asseoir une autorité ; les décisions peuvent se discuter et parfois ne pas être suivies.
- Les conditions de l’autorité
Si l’autorité ne procède pas du pouvoir, d’où provient-elle ? Serait-elle « naturelle » ? Les personnes qui en font preuve paraissent, à nos yeux en tout cas, la porter en elles-mêmes, d’où cette première manière d’essayer d’en saisir l’essence. Pour autant, elle ne fait pas appel à un « don » ; elle suppose des processus spécifiquement humains et elle se travaille. La nature de ces processus garde pour beaucoup quelque chose de mystérieux et d’impénétrable8. Les auteurs contemporains interrogent ainsi l’étymologie et ne veulent parfois voir dans auctoritas, le terme latin auquel notre langue a emprunté, que auctor, c’est-à-dire l’auteur. Du coup, l’autorité renverrait à la capacité de poser un acte fondateur, de se situer à un point d’origine et, en fin de compte, de produire de l’histoire. Tel est, par exemple, l’auteur d’un récit.
Ce n’est en fait pas de ce côté qu’il faut aller chercher. L’éducation, en revanche, offre des perspectives de réflexion éclairantes. D’une part, elle fait nécessairement appel à la notion d’autorité, même chez ceux qui soutiennent que tout doit venir de l’enfant lui-même et qui se révèlent dès lors critiques à l’égard d’une transmission toujours suspecte de reproduire de la « tradition ». D’autre part et surtout, l’éducation se doit de réfléchir sur le rapport que l’homme entretient avec la notion d’autorité dès son plus jeune âge.
Dans sa relation avec l’adulte, l’enfant commence par obéir. Freud nous explique, non sans raison, qu’il obéit parce qu’il a peur de perdre l’amour de ses parents. Tel est le premier stade de la « genèse de la conscience morale ». Il ne s’agit pas là d’une véritable morale, soutient-il ; une morale de l’obéissance nous maintiendrait dans une sorte de crainte continuelle du gendarme.
Que ce type de fonctionnement existe chez l’homme est incontestable, mais cela est insuffisant pour rendre compte de la question de la morale et de celle de l’autorité. À partir du même raisonnement que Durkheim et de quasiment tous les sociologues après lui, Freud prétend que l’enfant devient véritablement moral en « intériorisant » les interdits parentaux. Un tel schéma se révèle, lui, très contestable, qui situe l’origine de la morale en dernier lieu dans un social qui est intériorisé ou incorporé9. Pour l’instant, nous soutiendrons avec Freud que l’enfant se situe, à partir d’un certain moment, dans un autre rapport à la morale et du même coup à l’adulte. Il ne se contente plus d’obéir ; il va « légitimer » celui qui l’éduque, qu’il s’agisse de ses parents ou de ceux qui interviennent professionnellement à partir de leur délégation de responsabilité. Il10 ne fait pas que s’incliner et n’accepte pas, par ailleurs, n’importe quel type d’intervention le concernant.
L’enfant légitime l’adulte dans la mesure où il « vaut » pour lui et où il peut précisément le reconnaître. Pour l’enfant, et au-delà de lui pour l’homme en général, le fondement de l’autorité se trouve dans la valeur accordée à l’autre, et donc pas dans son pouvoir. Toute personne en situation de pouvoir ne vaudra pas. Tout adulte intervenant auprès d’enfants le sait et les professionnels qui travaillent avec des adolescents présentant des problèmes de comportement ou avec des délinquants savent combien il est difficile d’obtenir de ces jeunes qu’ils légitiment leur action auprès d’eux. Il reste néanmoins à trouver la source même de cette légitimation. L’enfant comprend que cet adulte qui le protège lui veut du bien ; telle est la raison pour laquelle il le suit.
Tout parent, et au-delà de lui tout adulte, sait pourtant à quel point il n’est pas toujours facile de faire preuve d’autorité auprès d’un enfant (a fortiori auprès d’un adolescent) ou, plus exactement, de se voir conférer par lui de l’autorité. L’enfant teste sa capacité à lui poser des limites par rapport à une satisfaction qu’il vise. Au demeurant, on peut montrer qu’il teste l’autorité de l’adulte et non pas qu’il conteste son pouvoir. Si la différence peut paraître subtile, l’adolescent nous la fait valoir régulièrement : lui ne se contente pas de tester, il conteste le pouvoir et de manière générale la loi dont il vient de découvrir la dimension « arbitraire », c’est-à-dire relative. L’enfant, lui, teste la fermeté de la décision de l’adulte.
Cette notion de fermeté, qu’on associe d’ailleurs souvent à celle d’autorité, nous permet d’avancer dans la recherche des processus en jeu dans celle-ci. L’enfant met d’autant plus à l’épreuve la décision de l’adulte qu’elle lui paraît pouvoir ne pas tenir et qu’il peut donc parvenir à l’infléchir. En d’autres termes, le « non » que cet adulte lui oppose peut se transformer en un « oui » ; il le sent, il le sait intuitivement. Le problème d’autorité survient notamment lorsque l’adulte ne suit pas une ligne de conduite, une ligne éducative, c’est-à-dire lorsque son comportement à l’égard de l’enfant ne se révèle pas cohérent. Aussi faut-il à présent se demander de quelle nature est cette cohérence.
L’enfant accorde crédit à l’adulte dans ses interventions à son égard parce qu’à ses yeux, il a fait ses preuves. Il a fait ses preuves sur la durée, si l’on peut dire, et devient prévisible. Ce point était connu des anciens éducateurs11 : l’adulte a une autorité reconnue, dans la mesure où il sait ce qu’il veut pour l’enfant et s’y tient pour l’essentiel12. Cohérent dans ses attitudes, il constitue une référence en même temps qu’une sécurité ; aussi l’enfant peut-il se fier à lui. Autrement dit, il lui fait confiance.
Il faut souligner ici l’importance de la confiance en ce qui concerne l’autorité13. L’adulte montre à l’égard de l’enfant de la bienveillance ; il lui veut du bien et l’enfant le sait. Quel que soit son âge, il décrypte sans difficulté les intentions de l’adulte à travers son comportement à son égard. Du même coup, les interventions de cet adulte paraissent justes à l’enfant. La notion de justice se révèle dès lors très proche de celle d’autorité ; elles ont à voir ensemble, parce qu’elles participent toutes deux du registre de l’éthique.
- Le légal et le légitime
On retiendra de l’ensemble de ces processus dégagés chez l’enfant que son éducation est une phase déterminante de la formation à l’autorité. Le bon sens le remarque, l’anthropologie le démontre. On remarquera aussi que, pendant cette phase d’apprentissage de l’autorité, l’enfant ne dispose d’aucune autonomie, pas plus que de responsabilité sociale. Il faut en déduire que l’autorité relève d’un processus humain qui n’implique nullement l’autonomie et la responsabilité, ce que les sciences humaines et sociales ont généralement une grande difficulté à accepter, surtout lorsqu’elles sont elles-mêmes les thuriféraires inconditionnels de l’autonomie comme acquis et nécessité de l’homme moderne.
L’autorité fait appel à une autre capacité humaine que celle qui régit notre socialité et nos relations à autrui : elle suppose fondamentalement que nous puissions mesurer notre satisfaction. En d’autres termes, elle nécessite d’abord et avant tout que nous sachions à peu près ce que nous voulons, en l’occurrence que nous nous en tirions dans cette tension entre une recherche de satisfaction et le prix qu’il faut payer pour l’obtenir. À l’épreuve des pulsions que nous éprouvons, des désirs que nous voulons satisfaire, des projets que nous souhaitons réaliser, des décisions que nous devons prendre, nous sommes conduits inexorablement à faire des choix. Autrement dit, à conférer une forme tolérable à cette tension fondatrice de nos options, à les « réglementer ».
Être capable d’ordonner pulsions et désirs est l’une des modalités de l’exercice de la raison humaine. C’est l’essence même de l’éthique. Si celle-ci ne se réalise qu’à travers les morales sociales, elle n’en est pas moins autonome du point de vue de ses processus. Plus précisément, l’autorité met en jeu la capacité que l’homme a de se maîtriser lui-même, c’est-à-dire de ne pas être le jouet de ses propres pulsions. Est esclave de lui-même non seulement celui qui se laisse totalement débordé par ses pulsions, mais également celui qui les maîtrise tellement qu’il ne s’autorise plus aucune satisfaction.
C’est dans cette capacité à maîtriser son propre désir que l’homme acquiert ce surcroît de puissance auquel fait appel l’étymologie du terme autorité. Auctoritas, en latin, renvoie en effet à la racine augere qui signifie « augmenter ». L’autorité « augmente » donc la personne à laquelle elle est attribuée. Elle lui confère « quelque chose d’autre », un « plus » qui fait sa force morale. C’est ainsi, par exemple, que l’ont entendu ceux qui ont tenu à conserver l’expression d’« autorité parentale » et à ne pas lui substituer celle de « responsabilité parentale ». La responsabilité, le devoir vis-à-vis d’autrui, est une chose (elle renvoie à la légalité), l’autorité en est une autre, qui relève d’un registre explicatif distinct qui est celui de la légitimité.
Nietzsche, à travers notamment son concept si décrié de « volonté de puissance », a particulièrement insisté sur la différence de ces registres et sur les soubassements de l’autorité. Cette « puissance » n’est pas à comprendre comme un pouvoir par rapport à autrui ou une volonté néfaste et exacerbée de domination ; elle suppose d’abord et avant tout un patient contrôle de soi, une domination de ses pulsions. La vraie force de l’homme réside dans cette maîtrise de lui-même à laquelle il doit tendre, dans l’acte de se surmonter soi-même (la Selbstüberwindung), de se transcender. Ce qui explique que Nietzsche ne se prive pas de fustiger la morale traditionnelle, la morale sociale qui est celle du conformisme et qui empêche précisément d’effectuer ce travail sur soi. Nietzsche a toujours posé problème à ses commentateurs parce qu’il engage à distinguer des registres que nous ne cessons de confondre depuis les Grecs : celui du pouvoir et celui dont il nous dit qu’il octroie à l’homme la véritable puissance14.
Cette Selbstüberwindung, ce dépassement de soi, est par conséquent ce qui vient « augmenter », apporter de la considération à celui auquel nous attribuons de l’autorité. Il émane de lui une forme d’élévation15 que celui avec lequel il entre en rapport perçoit. Ce dernier n’en sera capable que s’il se trouve lui-même travaillé par la même nécessité qui anime celui auquel il reconnaît une autorité et donc par les mêmes processus que soulève son comportement. C’est par conséquent dans le cadre d’une relation que l’autorité est constatée : elle est attribuée par quelqu’un à quelqu’un d’autre.
Cette « puissance », cette détermination qui fait l’autorité, ne naît pas pour autant de la relation ; elle suppose que, tout à la fois, celui auquel elle est conférée et celui qui la reconnaît chez celui-ci la portent en eux et qu’ils éprouvent, d’une manière ou d’une autre, cette nécessité d’un dépassement de soi-même. La relation n’est donc pas à l’origine de ces processus ; elle ne fait qu’offrir l’occasion de voir se manifester ces sentiments nobles qui font la force morale et la rectitude de la volonté. Celui qui en est capable peut être « fier d’avoir enchaîné les passions barbares et d’avoir conquis un équilibre souverain »16.
Nietzsche n’est pas le premier à avoir compris les enjeux de l’autorité. Les philosophes grecs travaillaient déjà ces questions : ainsi Socrate, dans le Gorgias, soutient que les meilleurs et les plus puissants sont ceux qui ont une vie réglée et qui se commandent à eux-mêmes. Les tyrans, insiste-t-il, ceux qui ont tous les pouvoirs, ne font pas ce qu’ils veulent tant qu’ils font ce qui leur plaît ; ils ne possèdent aucun bien. À Calliclès, il demande : sont-ils gouvernants ou gouvernés17 ?
Pour autant, ces philosophes illustres n’ont pas systématisé la différence entre le registre du pouvoir et celui de la « puissance » dont parle Nietzsche. Plus encore, les remarquables analyses de Nietzsche vont de pair avec une dépréciation et même un refus de tout ce qui relève du pouvoir. Celui-ci abêtit, allait-il jusqu’à soutenir. Or il ne s’agit pas de choisir l’un au détriment de l’autre ; il faut être en mesure, certes, de clairement les différencier, mais en même temps de les expliquer l’un et l’autre et de les rapporter à des processus différents qui témoignent dans les deux cas d’un fonctionnement spécifiquement humain. Telle est la démarche et sans doute la plus grande originalité de la pensée de Jean Gagnepain. Il demande que l’on ne confonde pas le légal et le légitime, et que l’on explicite les lois qui les fondent l’un comme l’autre. Le légal est affaire de social, alors que le légitime est affaire d’éthique.
Ce qu’énonce socialement la loi n’est pas ce que nous dicte éthiquement notre conscience et inversement. La première se négocie constamment et résulte d’un consensus plus ou moins provisoire ; elle est toujours discutable, parce que nécessairement arbitraire et donc relative, puisqu’elle met en œuvre un contrat social à un moment acceptable et nécessaire. Elle s’impose cependant comme principe parce qu’il n’est pas possible de faire sans la cohérence qu’elle introduit dans les relations sociales. Le chef est, quant à lui, le garant d’une loi qu’il fait appliquer, mais qui toujours le dépasse et ne peut être de son seul fait ; il a en revanche la responsabilité de la mettre en œuvre à sa façon, à partir d’un positionnement qui lui est propre.
Ce que nous dicte notre conscience est d’un tout autre ordre et peut entrer en conflit avec la loi. Il s’agit de fonder notre comportement sur une règle que nous nous donnons à nous-mêmes et non pas à partir d’une loi partagée ; cette règle détermine, pour nous, ce qui vaut et ce qui ne vaut pas, ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, ce qui est tolérable et ce qui est insupportable. L’éthique est donc ce registre qui nous conduit à effectuer ce travail sur nous-mêmes qui, nous faisant prendre une distance par rapport à nos pulsions et ne nous conduisant pas non plus à tout nous interdire, nous confère une autorité et une liberté entendue dans un autre sens que social. Ce registre est en même temps celui qui fonde la décision que nous prenons en notre âme et conscience, malgré le doute et la fréquente ambivalence que nous pouvons éprouver.
Cette expérience de la différence entre légitimité et légalité, les militaires la font régulièrement, et elle est pour eux source de tensions18. Ils la vivent en particulier dans les situations ultimes de combat où ils doivent décider rapidement, ce qu’ils ne peuvent faire un manuel de droit à la main ou en se référant à ce que leur dicterait le conseiller juridique (le legal advisor). Les militaires agissent, certes, dans le cadre de la loi, mais celle-ci ne peut prévoir le traitement de toute situation singulière. C’est au chef qu’il revient alors d’exercer la légitimité de son autorité et de décider. Pour que cela se fasse dans la plus grande cohérence et avec le souci de la meilleure efficacité, il faut que ceux qui sont sous son commandement reconnaissent son autorité. Ce faisant, ils ne se « soumettent » pas à l’ordre du chef. Ils exercent leur propre autorité en acceptant la décision de celui qui doit les diriger dans la situation présente. C’est le sens noble de l’obéissance au chef. Cet exercice de sa propre autorité pourra aussi conduire le subalterne à douter de l’autorité du chef et même à la contester. Le problème de l’autorité chez les militaires montre aussi, pour qu’elle puisse s’exercer, qu’elle doit s’apprendre et se travailler tout autant du côté du chef que de celui du subordonné.
- Conclusion
Le problème de l’autorité ne peut véritablement être compris si on ne distingue pas clairement le pouvoir de ce que Nietzsche appelle la « puissance » et si on n’effectue pas la dissociation des registres du social et de l’éthique, du légal et du légitime. Le fondement de l’éthique où l’autorité trouve son origine n’est pas à chercher dans le rapport à autrui ; il ne peut qu’échapper à celui qui s’évertue à y voir sa cause même. La sollicitude vis-à-vis d’autrui ne fait que résulter d’un dépassement de soi qui est de nature axiologique et correspond à tout l’inverse d’une complaisance à son propre égard.
La règle que l’homme se donne alors à lui-même fonde sa liberté, en même temps par conséquent que cette force interne qui constitue son autorité. Régulant ses passions, s’interdisant d’y céder et de se laisser aller à de l’impulsivité ou à de la colère, il s’autorise à agir éthiquement. Telle est la source de cette rectitude dont témoigne celui qui a de l’autorité. En fin de compte, c’est à cette autorisation que l’on se donne au prix d’une exigence qui conduit avant tout à faire ses preuves devant soi-même qu’il faut rapporter l’autorité. L’auctor auquel nous renvoie dans un premier temps l’étymologie prend ici son véritable sens19. La reconnaissance de l’autorité, où qu’elle s’incarne, suppose ces processus d’ordre éthique, à la fois chez celui censé la détenir et chez celui qui l’accorde à autrui.
Et là où Socrate énonçait qu’il s’agit de ne pas être gouverné par soi-même, Jean Gagnepain ajoute, dans une veine très nietzschéenne, que nul ne devrait prétendre gouverner, et donc manifester une forme de pouvoir, s’il n’est pas capable d’abord de se gouverner lui-même20… D’une manière générale, le chef, précisait Jean Gagnepain, est celui dont le métier est de décider pour les autres. Ce métier s’exerce sur des personnes qui ont la capacité anthropologique de décider et non la capacité sociale du métier, et qui par délégation la remettent au chef. On comprend que si la question de l’autorité est affaire d’éthique, elle retentisse sans cesse sur la problématique du pouvoir.
1 La revue Sciences humaines a titré son n° 243 (décembre 2012) : « Autorité, les nouvelles règles du jeu ».
2 Hannah Arendt, Between Past and Future, Londres, 1961, trad. La Crise de la culture, Paris, Gallimard, « Folio », 1972.
3 Jean Gagnepain (1923-2006) a élaboré à l’université de Rennes-II une anthropologie clinique qui caractérise toute son œuvre scientifique. En collaboration avec Olivier Sabouraud (1924-2006), neurologue au centre hospitalier universitaire de Rennes, il s’est attaché à tirer profit des « cas expérimentaux » que présentent les pathologies « mentales » pour comprendre le fonctionnement humain. Il a mis en forme les résultats de ses travaux dans la « théorie de la médiation » qu’il a exposée durant quarante ans de séminaires et de publications : Du vouloir dire. Traité d’épistémologie des sciences humaines. T. I. Du signe. De l’outil ; t. II, De la personne. De la norme, Paris, Livre et Communication, 1982, rééd. 1990, et Raison de plus ou raison de moins. Propos de médecine et de théologie, Paris, Le Cerf, 2005.
4 Nous rejoignons sur ce point l’analyse de Marcel Gauchet, La Démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, 2002, plus particulièrement pp. 372-374.
5 Un auteur comme Pierre Bourdieu est pour beaucoup dans cette opération de simplification, quelles que soient par ailleurs la pertinence de ses réflexions.
6 Voir par exemple La Religion dans la démocratie, Paris, Gallimard, 1998, p. 111.
7 « L’autorité, on le sait, ne vient que par surcroît : tel en est dépourvu et c’est le plus fréquent dont le pouvoir, cependant, est légal ; tel en jouit qui n’a jamais reçu, ni même sollicité, l’investiture. » (Jean Gagnepain, Du vouloir dire, t. II, op. cit., p. 83).
8 Il en est à peu près de même d’une autre notion, dont il serait intéressant de faire apparaître le lien avec l’autorité, qui est celle de culpabilité.
9 Paul Ricœur insistera sur le fait que cette explication « laisse intact […] le problème de l’obligatoire comme tel » et « se borne à psychologiser le phénomène social » (De l’interprétation. Essai sur Freud, Paris, Le Seuil, 1965, p. 187). Avant lui, un autre philosophe, Jean Lacroix, avait été plus radical en rappelant qu’« on ne reçoit que ce dont on a la réceptivité », ce qui ruine l’argumentation freudienne (Philosophie de la culpabilité, Paris, puf, 1977, p. 115).
10 Dont on peut montrer par ailleurs qu’il participe d’un statut anthropologique particulier qui l’inscrit dans une nécessaire dépendance sociale de l’adulte.
11 « L’autorité vient uniquement du caractère », écrivait par exemple Alfred Binet. « Si l’on veut un autre mot, mettons volonté. Disons encore : force, puissance, coordination. Ce qu’il faut au maître, c’est une volonté qui ne soit point impulsive, ni débile, une volonté calme, qui réfléchit, qui ne s’emporte pas, qui ne se contredit pas, qui ne menace jamais en vain. » Et de conclure : « Si vous voulez avoir de l’ascendant, commencez par faire votre propre éducation, tâchez d’acquérir un caractère, et le reste ira tout seul » (Les Idées modernes sur les enfants [1911], Paris, Flammarion, 1973, p. 258).
12 Ce qui ne signifie d’ailleurs pas que l’adulte ne va pas connaître le doute ; il doit être capable de se remettre en question, d’interroger de lui-même ses attitudes éducatives. À l’inverse, toutefois, les enseignants régulièrement chahutés sont souvent ceux qui ne croient plus en leur mission.
13 Étymologiquement, « confiance » vient du latin, d’un verbe qui signifie « se fier ».
14 L’auteur le plus pertinent dans l’analyse des thèses nietzschéennes et la claire mise en évidence de ce registre, à dissocier par conséquent de celui du pouvoir, est sans conteste Jean Granier, notamment dans son ouvrage sur Le Problème de la vérité dans la philosophie de Nietzsche, Paris, Le Seuil, 1966 (les pp. 394-429 sont particulièrement démonstratives, de ce point de vue).
15 Le « surhomme » de Nietzsche est celui qui s’élève au-dessus de lui-même ; il incarne la puissance.
16 Granier, op. cit., p. 394.
17 Platon, Protagoras, Euthydème, Gorgias, Ménexène, Ménon, Cratyle, Paris, Garnier-Flammarion, 1967, pp. 196-197 et 234-237.
18 Armel Huet a traité cette question dans une communication intitulée « Les militaires entre légitimité et légalité. Essai de fondements anthropologiques » et prononcée au colloque « Justice et militaires » tenu à Paris, à l’Assemblée nationale, les 1er et 2 décembre 2011 (actes à paraître).
19 « Autorisation » et « autorité » renvoient tous deux à la racine latine auctor.
20 Un gouvernement, écrit Jean Gagnepain, est « un certain type de pouvoir qui, par accord ou par dynastie, par majorité ou par majesté, vous impose un certain type de comportement, de décision légitime, or pour cela, pour que des hommes osent décider pour les autres, encore faut-il qu’ils soient capables de décider pour eux-mêmes. » (Huit leçons d’introduction à la théorie de la médiation, Institut Jean Gagnepain, Matecoulon-Montpeyroux, 1994-2010 – édition numérique, p. 174).
When we speak about authority in general terms, we think we know what the word means. Indeed we consider that, without it, no situation can be dealt with, that no knowledge or know-how can be recognised, that no job can be carried out suitably and to the required satisfaction, and that no decision can be easily accepted and applied. This is the case for all societies and throughout history. So authority is a fundamental property of man, essential for the permanent construction of his relationship with fellow human beings. At the same time it is a constant cause of problems because it is something that is both asserted and rejected. It has been the subject of much debate through the history of our societies and in all cultures.
Today the question of authority is one of the most pondered. The media are constantly warning us about its decline, but sometimes are at pains to point out its new forms and its new rules1. The fact that it very much worries our fellow citizens is without doubt related to the changes in our society, and the confused and controversial issues around equality and “democratisation”. Everything is happening as if authority had become difficult to contemplate, and even impossible to apply in the social context. At the same time, there is no real doubting its necessity; there is even widespread support for its return, in response to the path of decline along which the ideas of equality and accelerated democratisation are leading us. Authority stands out as a major issue in the changes of our times. It is therefore necessary to explain what makes it and what differentiates it among all of the human abilities.
Philosophy since Plato, theologians from all religions, and more recently human and social sciences, have examined this question at length. There is general agreement on the existence of a strong link between authority and legitimacy. The differences occur when one comes to the very foundation of authority, which is considered as an intrinsic human ability, independent from legality, and the social and institutional conditions of its application. Even so it seems to us that it is through this distinction between legitimacy and legality that the question of authority should be tackled, if we want to understand how it is used by each human being involved in the most diverse of social situations. This is how certain authors such as Hannah Arendt2 thought it to be so. It’s here that we come up against the clinical anthropology of Jean Gagnepain3, who, using this distinction, based authority solely on legitimacy.
- Authority and power
More or less everybody automatically makes the initial distinction: authority should not be confused with authoritarianism, which most people understand as an excess of authority. Nevertheless it’s far from certain that the processes here are of the same kind. Without any doubt authoritarianism concerns the question of the power exercised towards other people and it is as it happens seized upon as tending towards the abuse of power. Yet, today our society has ended up questioning everything that is denoted by power and is particularly vigilant in respect of any type of abuse of power. Whatever forms it takes, it is tainted with suspicion, due precisely to the ideas which are fundamentally egalitarian and dominant in our western societies and which constantly proclaim their “democratic” and “individualist” virtues. This mistrust which confines some people to a state of radical rejection, pervades every aspect of relationships with other people within our society. It concerns first of all the major “institutions” of power, but it has also invaded, as the various examples of daily life demonstrate, school and the family life.
The display of equality which prevails in our society leads us to advocate the removal of any otherness. Everything happens as if it should be asserted, outside any other consideration, and that any difference should pertain, when all is said and done, to the same or to what is similar4. In other words, our society is moving towards, irrespective of what it maintains, a form of promotion of the same which would result, if it were taken to its conclusion, in the destruction of the social issues themselves.
More especially, our society seems to display a rejection of this type of rapport which we sometimes describe as “vertical”, based on which the phenomena of hierarchy can be understood, but also everything which concerns tradition and legacy as well as the link between generations. The only valid relationship is that based on parity, any form of dialogue based on power would be banished.
This operation is encouraged intellectually by the reduction that is frequently maintained of power in relation to domination5. For sure, it can be confined to domination, or even result in it totally. Nevertheless, it’s no longer power but a phase which should be described as an abuse of power; domination drives us from the human level onto one which is about the struggle for life.
If all power were to be reduced to domination, it would become impossible to account for how a whole part of our society works, which is based, like any society, on the notion of the social division of work and that of skills which is linked to it. This level of social issues manifests itself in the positions which are necessarily asymmetric from the point of view of those involved in the relationship, but doesn’t mean any less the reciprocity in the vast framework of exchanges of service, which is to say the various social contributions which are the lifeblood to any society. If confusion between power and domination becomes established, social relationships become tainted with a generalised mistrust to the point of becoming the theatre of a constant open confrontation. Confusing power and domination results in relegating power to the level of animality or perversion, in the psychopathological sense of the term.
A human group, of whatever type, even more so a society, will always search for a coherent organisation, notably a necessary distribution of the particular tasks of their different members and therefore their hierarchical organisation. This implies a complex set of delegations of responsibility within the same team or establishment. Everything functions as long as the principle of delegation works, including the person who is at the top of the organisation. For he does indeed have to be accountable, himself, to the mission which is his and the fulfilment of his responsibilities. Should he claim a form of immunity in respect of his way of functioning or think himself all-powerful, he will slip into the abuse of power and exert a type of domination on others. He will no doubt be feared, but he’ll have everyone against him and those who are under his orders will no doubt not have the slightest regard for him. In other words, because he doesn’t have any respect among them, he will not have any authority as far as they are concerned, although he is in a position of power. This is what happens when institutions or people take decisions which seem to them completely legal or even necessary whereas they are felt by those whom they concern to be unjust and inconsistent.
Of course everything depends here on the meaning that one gives to “authority”. But whatever the case, we note that currently two different human processes are being referred to. Dealing with the question of power, which depends on the cohesion of a group, leaves unaddressed that of regard and the respect under which we are already classifying here the issue of authority. Just as, calling for the notion of equality, on condition of a democratisation which is moving towards relegating the rights of man to a position under those of the individual as Marcel Gauchet6 has it, will not solve in any manner the problem of this other form of difference, of this “increase” that is implied by authority given to certain people but certainly not to all. The field covered by this phenomenon of authority does indeed escape this type of consideration.
Everyone one of us can come up with an example of people who are in a position of power but who even so are not recognised. Conversely, we know others who don’t have any particular power, but who enjoy this regard which the former are lacking7. This goes for the whole of society (where we often talk about a “moral authority”), within a team, whether professional or not, but also for each one of us in the relationships that we have with those around us. Certain “are worthy” in our eyes, whatever their social situation and the position of power in which they may find themselves in respect to us.
Although we may not agree with the conception of equality that we have reached today, it is none the less true that the changes which have occurred to our society over the last forty years have led us to keep our distance from the concept of how power is exercised which was hardly ever discussed. So now, the difference between these two levels of power and authority seems more distinct than in previous times. For then, it was more difficult, without a doubt to display a non-recognition. Conformism, even obedience were the order of the day. Even so the distinction between these levels already applied. Today it has become effective, with conformism and obedience no longer having the same importance. Just being the chief is not enough for asserting one’s authority; decisions can be discussed and sometimes not followed.
- The conditions for authority
If authority does not come from power, where does it come from? Could it be “natural”? People who display it, seem to have it in themselves, as far we can tell in any case, hence this initial way of trying to grasp its essence. Even so, it doesn’t come from any “gift”; it implies processes which are specifically human and it is something that is worked on. For many, the nature of these processes remains something which is mysterious and impenetrable8. Thus modern authors question the etymology and sometimes don’t wish to see in the word auctoritas, the Latin term which our language borrowed, that there is the word auctor, which means author. So authority comes from the ability to carry out a basic act, to find oneself at a point of origin and when all is said and done to make history. Just like, for example, the author of an essay.
In fact this is not the side we should be looking at. Education, meanwhile, offers enlightening prospects for reflection. On the other hand it has to appeal to the notion of authority, even among those who contend that everything must come from the child itself and who prove to be critical, in respect of a legacy which is always suspect, of reproducing “tradition”. On the other hand and above all, education needs to reflect on the relationship that man has with the notion of authority from his earliest age.
In his relationship with an adult, the child will start by obeying. Freud explains, with good reason, that the child obeys because it is afraid of losing the love of his parents. That is the first stage of the “creation of the moral conscience”. It’s not a case of veritable morals, he contends; morals based on obedience would keep us in a sort of continual fear of the gendarme.
There is no doubt that man functions like this, but that is insufficient for appreciating the question of morals and that of authority. Using the same reasoning as Durkheim and almost all the sociologists after him, Freud claims that the child becomes truly moral by “interiorising” parental interdictions. Such a pattern, which itself turns out to be very contestable, puts the origin of morals in last place in a social environment which is interiorised or incorporated9. For the moment, we will go along with Freud’s argument that the child is, starting from a certain moment, in another relationship with morals, and as a result with the adult. It will no longer settle for just obeying; it is going to “legitimise” the person who is educating it, whether this is its parents or those with whom it comes into contact professionally based on their delegation of responsibility. It10 doesn’t just give way but on the other hand doesn’t accept any type of type of action which concerns it.
The child legitimises the adult in terms of what he is “worth” to it and the degree to which it can recognise this precisely. For the child and beyond it for man in general, the basis of authority is to be found in the value granted to the other and therefore which is not in his power. Not every person in a position of power will have this value. Any adult who works with children knows it and the professionals who work with adolescents who have behavioural problems or who are delinquents know how difficult it is to get these youngsters to consider them as legitimate. Nevertheless it can still be difficult to find the source even of this legitimization. The child understands that this adult who protects it, has its best interests at heart: which is the reason why the child follows the adult.
Any parent, and for that matter ant adult, knows, none the less, that it is not always easy to impose one’s authority on a child (let alone on an adolescent) or, more exactly, to see authority conferred by him. The child will test his ability of placing limits in respect of a level of satisfaction he is aiming for. For that matter, we can show that the child is testing the authority of the adult and not disputing his power. Although the difference may seem subtle, the adolescent will assert it regularly: for he is not just content with testing, he disputes the power and generally the law of which he has just discovered the “arbitrary” dimension, which is to say relative. As for the child, it will test the firmness of the adult’s decision.
This notion of firmness, that moreover we often associate with authority, allows us to advance in the search for processes which are at work in authority. What’s more the child will put to the test the adult’s decision which it thinks is unsustainable and which it can therefore manage to bend. In other words, the “no” that this adult confronts it with can be converted into a “yes”; the child feels it and knows it intuitively. The problem of authority occurs notably, when the adult does not follow a course of action, an educative course, which is to say when his behaviour with regard to the child is not consistent. Now the question is what kind of consistency we mean.
The child believes what the adult says to it because in its eyes the adult has already proved himself. The adult has proved himself over time, so to speak, and has become predictable. This point was known to the old teachers11: the adult has a recognised authority, in as much as he knows what he wants for the child and will basically persist in his approach12. Consistent in his attitudes, he sets a standard as well as acting as a beacon of security, so the child can have confidence in him. Put another way the child trusts him.
We need to point out here the importance of trust in as far as authority is concerned13. The adult shows kindness to the child; he only wants good for the child and the child knows it. Whatever age it is the child has no difficulty deciphering the intentions of the adult through the latter’s behaviour towards the child. Similarly, the adult’s actions seem fair to the child. At this stage, the notion of justice is very close to that of authority; they are related because they both pertain to an ethical dimension.
- The legal and the legitimate
It is to be noted that among all these processes occurring to a child, its education is a decisive phase in learning about authority. Common sense says it all, anthropology shows it. We will notice also that during this phase of learning about authority, the child has no autonomy, let alone social responsibility. It must be deduced that authority is based on a human process which doesn’t involve autonomy and responsibility in the slightest, which human and social sciences generally have a lot of difficulty accepting, especially when they are themselves, the unconditional sycophants of autonomy, as benefits and a necessity of modern man.
Authority appeals to another human ability different from that which governs our sociality and our relationships with others: it is the basic premise that we can measure our satisfaction. In other words, it requires first and foremost that we know more or less what we want, as it happens that within this tension we manage to strike the right balance between the search for satisfaction and the price that has to be paid to obtain it. Faced by the urges that we feel, the desires that we wish to satisfy, the plans that we want to see through, the decisions that we have to take, we are unrelentingly forced into making choices. In other words to give a tolerable appearance to this tension which forms the basis of our choices, to “control” them.
To be capable of controlling our urges and desires is one of the conditions for exercising human reason. It’s the essence of the moral code. If this only happens within social morals, it is no less autonomous as far as its processes are concerned. More precisely, authority challenges the ability that man has to control himself, which is to say not to be at the mercy of his own urges. Not only is he who allows himself to be completely overcome by his urges a slave of himself but this also applies to the person who has so much control over them that he no longer allows himself any satisfaction .
It is in this ability to control his own desire that man acquires this increase in power to which the etymology of the term authority refers. Auctoritas, in Latin, comes in fact from the root augere meaning “to increase”. Authority therefore “increases” the person to which it is attributed. It confers on this person “something else”, a “plus” which give the person his or her moral force. This, for example, is what was meant by those who insisted on preserving the expression - “parental authority” and on not replacing it with the expression “parental responsibility”. The responsibility, the duty in respect of others, is one thing (it refers to legality), authority is another thing which is based on a detailed and distinct level which is that of legitimacy.
Nietzsche, notably through his so derided concept “will of power”, insisted particularly on the difference of these levels and the foundations of authority. This “power” is not to be understood as a power over others or a harmful and exacerbated will to dominate; it supposes first and foremost a patient control over oneself, a domination of one’s urges. The real strength of man resides in this control of himself which he must endeavour, in the act of bettering himself (the Selbstüberwindung), to surpass himself. Which explains that Nietzsche has no qualms about denouncing traditional morals, social morals which are those of conformism and which is what precisely prevents one from carrying out this work on oneself. Nietzsche always posed a problem to his commentators because he gets us to distinguish between the levels which we’ve always confused since the Ancient Greeks: that of power and that for which he tells us that it bestows true power upon man;14.
This Selbstüberwinbdung, this surpassment of oneself is consequently what contributes to “increasing”, to bringing consideration to that to which we attribute authority. A form of elevation15 comes from it that the person with whom it connects, perceives. This person will only be capable of it if he himself finds himself acted upon by the same necessity which is found in the person in whom he recognises an authority, and therefore by the same processes that his behaviour gives rise to. As a consequence it is in the context of a relationship that the authority is noted: it is attributed by someone to someone else.
This “power”, this determination which produces authority, does not however have its source in the relationship; it supposes that, simultaneously, the person upon whom the authority is conferred and the person who recognises it in that person, carry it in them and that they feel, in one way or another, this necessity for a surpassment of one self. The relationship is therefore not the cause of these processes; it merely offers the opportunity of seeing these noble feelings manifest themselves as the moral force and the righteousness of will. He who is capable of it can be “proud of having bonded the barbaric passions and of having achieved a sovereign equilibrium”16.
Nietzsche was not the first to have understood the issues concerning authority. The Greek philosophers were already studying these questions: for example Socrates, in the Gorgias, contended that the best and most powerful are those who have an ordered life and who are in command of it themselves. Tyrants, he insists, those who have all the power, do not do what they want in as much as they do what pleases them; they possess no good. To Callicles he asks the question: are they the governors or the governed17?
Even so, these illustrious philosophers didn’t systematise the difference between the level of power and that of pure “power” that Nietzsche talks about. What’s more the remarkable analyses by Nietzsche go hand in hand with a depreciation and even a rejection of everything that is based on power. He went as far as to contend that this becomes stupid. Yet, it’s not a case of choosing one to the detriment of the other; for sure, one needs to be able to make a clear distinction between them, but at the same time to explain them to one and another and to relate them to different processes, which in the cases are an illustration of a specifically human function. Such is the approach and no doubt what is most original about the thinking of Jean Gagnepain. He asks us not to confuse legal with legitimate, and the laws which form the basis of each of them. The legal is a social matter, whereas the legitimate is a matter of ethics.
What is stated by the law in society is not what our conscience dictates to us ethically speaking and vice versa. The first is constantly negotiated and is the result of a more or less temporary consensus; it is always debatable because it is necessarily arbitrary and therefore relative, since it introduces a social contract at an acceptable and necessary moment. It is however essential as a principle because it is not possible to do without the consistency that it introduces to social relationships. The chief is, for his part, the guarantor of a law that he applies, but which always surpasses him and cannot be of his sole doing; on the other hand he has the responsibility of introducing it in his way, based on a position which is unique to him.
What our conscience dictates to us is of another kind completely and can generate a conflict with the law. It is a case of basing our behaviour on a rule that we apply to ourselves and not based on a shared law; this rule determines, for us, what holds and what does not, what is fair and what is not, what is tolerable and what is unbearable. The moral code is therefore this dimension which leads us to carry out this work on ourselves and which, making us keep our distance in respect of our urges and not leading us to forbid everything from ourselves, confers upon us an authority and a liberty which is understood to have a meaning other than social. At the same time this level is that which forms the basis for the decision that we are taking with good conscience, despite the doubt and the frequent ambivalence that we may feel.
This difference between legitimacy and legality is something which soldiers regularly experience, which is a source of tension for them18. They experience it particularly in the last-ditch moments of battle when they have to take quick decisions which they cannot do with a law book in one hand or by referring to the instructions of a legal advisor (the legal advisor). For sure, soldiers act within the letter of the law, but the law cannot specify how unique situations are to be dealt with. It comes down to the responsibility of the chief to exercise the legitimacy of his authority and decide. So that this can be done as consistently as possible and with the utmost efficiency in mind, it is necessary for those under his command to recognise his authority. Even so, they do not “submit” to the order of the leader. They exercise their own authority by accepting the decision of the person who has to manage them in the current situation. It’s the noble meaning of obedience to the chief. This exercise of one’s own authority may also lead the subordinate to doubt the authority of the chief and event to dispute it. The problem about authority with soldiers shows also, that in order for it to be applied, it must be learnt and worked upon as much on the part of the chief as well as the subordinate.
- Conclusion
The problem of authority cannot be truly understood if we do not distinguish clearly ability from what Nietzsche calls “power” and if we do not separate the social and ethical levels from the legal and the legitimate. The foundation of the moral code where authority has its roots is not to be looked for in the relationship with other people for it will only evade the person who tries very hard to see in it his very cause. The concern with regard to others only results in a surpassment of oneself which is axiological in nature and corresponds to the complete opposite of an indulgence in respect of oneself.
The rule that man gives himself is the foundation for his freedom, at the same time, as a consequence, of this internal force which constitutes his authority. Controlling his passions, forbidding himself from giving in to them and sliding into impulsiveness or anger, he paradoxically takes to acting ethically. Such is the source of this uprightness of which the person who has the authority is an example. When all is said and done, it is to this authorisation which one grants oneself as the price of a requirement which before anything leads us to prove ourselves to ourselves, that authority refers to. The auctor (author) to whom the etymology refers initially takes on a real meaning here.19. The recognition of authority, wherever it is embodied, supposes these processes of an ethical type, both with the person who is supposed to possess it and with the person who grants it to others.
And there where Socrates stated that it is a case of not being governed by oneself, Jean Gagnepain adds, in a very Nietzschien vein, that no one should claim to govern, and therefore display a form of power if he is not first capable of governing himself20… Generally speaking, the chief, as Jean Gagnepain pointed out, is the one whose job is to decide for others. This job is exercised on people who have the anthropological ability to decide and not the social capacity of the job and who by delegation pass it back to the chief. One can understand that if the question of authority is a matter of ethics, it constantly chimes in with the issue of power.
1 The review Sciences humaines (Human sciences) had as the title for its no. 243 edition (December 2012): “Authority, the new rules of the game.”
2 Hannah Arendt, Between Past and Future, “London, 1961, trad. The Culture crisis, Paris, Gallimard,” Folio, 1972.
3 Jean Gagnepain (1923-2006) produced a clinical anthropology at Rennes-II university which characterised all of his scientific work. In collaboration with Olivier Sabouraud (1924-2006) neurologist at Rennes University hospital, he worked on making good use of the “experimental cases” that “mental”pathologies provided, in order to understand the way humans function. He set out the results of his work in the “theory of mediation” which he presented over forty years of seminars and publications: The sense of meaning. Epistemology treaty for the human sciences. T. I. The sign. The tool, t. II, The person. The norm, Paris, Book and Communication, 1982, re-published.1990, and More reason or less reason. Writings on medicine and theology. Paris, Le Cerf, 2005.
4 We agree on this point with the analysis of Marcel Gauchet, Democracy against itself, Paris, Gallimard, 2002, more especially pp. 372-374.
5 An author like Pierre Bourdieu has a lot to do with this simplification operation, whatever, moreover, the relevance of his thoughts.
6 See for example The Religion in democracy, Paris, Gallimard, 1998, p. 111.
7 “Authority, we know, only comes by addition: that which is lacking in it and it is the most frequent of which power is legal; that which benefits from it which has never received nor sought the investiture.” (Jean Gagnepain, “Du vouloir dire”(Meaning), t. II, op. cit., p. 83).
8 The same more or less goes for another notion, for which it would be interesting to draw a link with authority; and that is culpability.
9 Paul Ricœur insists on the fact that this explanation “leaves intact […] the problem of the inevitable as such” and “is limited to psychoanalysing the social phenomenon”(From the interpretation. Essay on Freud, Paris, Le Seuil, 1965, p. 187). Before him, another philosopher, Jean Lacroix, was more radical stating that” we only receive that for which we have receptivity”, which ruins the Freudian argument (Philosophy of culpability, Paris, puf, 1977, p. 115).
10 For which we can show moreover that he pertains to a special anthropological status which makes him necessarily socially dependent on the adult.
11 “Authority comes solely from the character” wrote for example Alfred Binet. “If one wants another word, let’s say will. So once again: strength, power, coordination. What the master needs is a will which is not impulsive, nor stupid, but a calm will, which is thoughtful, which doesn’t get carried away, which is not self-contradictory and which never makes idle threats.” And to conclude: “If you want to prevail, start with your own education, try to acquire a character and the rest will take care of itself “(Modern Ideas on children [1911], Paris, Flammarion, 1973, p. 258).
12 Which moreover doesn’t mean that the adult will be immune from doubt; he must be capable of questioning himself, and of asking questions of his own educative attitudes. Conversely, nevertheless, teachers who are regularly heckled are often the ones who don’t believe in what they’re doing.
13 Etymologically, “confidence” comes from Latin, from the verb meaning “to confide”.
14 The most lucid author in the analysis of these Nietzschien theses and the clear illustration of this style, to be separated consequently from that of power, is unquestionably Jean Granier, notably in his work on The Problem of truth Nietzsche’s system, Paris, Le Seuil, 1966 (lpp. 394-429 are particularly illustrative of this point of view).
15 Nietzsche’s “superman” is he who rises above himself; he embodies power.
16 Granier, op. cit. p. 394.
17 Plato, Protagoras, Euthydème, Gorgias, Ménexène, Ménon, Cratyle, Paris, Garnier-Flammarion, 1967, pp. 196-197 et 234-237.
18 Armel Huet dealt with this question in an essay called “Soldiers between legitimacy and legality. Essay on anthropological foundations” and delivered at the symposium “Justice and soldiers” held in Paris, at the Assemblée nationale (French parliament), on 1 and 2 December 2011 (acts to be published).
19 “Authorisation”and “authority”both come from the Latin root auctor.
20 A government, wrote Jean Gagnepain, is “a certain type of power which, by agreement or by dynasty, by majority or by majesty, imposes upon you a certain type of behaviour, of legitimate decision, yet for that, so that men can dare to decide for others, even though they have to be capable of deciding for themselves.” (Eight introductory lessons to the theory of mediation, Jean Gagnepain Institute, Matecoulon-Montpeyroux, 1994-2010 – digital edition, p. 174).