Voici un ouvrage qui intéressera les férus d’histoire militaire et tous ceux qui se questionnent sur les liens entre la formation au combat et l’efficacité au feu.
Professeur d’histoire à l’université de Metz et spécialiste des conflits contemporains, François Cochet nous livre en effet le premier volume d’une série de quatre ouvrages qui analyseront les différentes facettes de l’« expérience combattante ». Fruit d’un travail collectif international et transdisciplinaire, Former les soldats au feu s’intéresse aux processus de formation des combattants sans prétendre apporter une réponse définitive à un problème éternel.
Ce livre présente la particularité de rassembler les communications, surtout centrées sur les deux guerres mondiales, prononcées lors d’un colloque par des spécialistes de l’histoire militaire. Ce choix de présenter une série de cas concrets – l’armée canadienne de 1939 à 1945, le règlement de l’infanterie française de 1939 et sa mise en œuvre en 1940 par exemple, les centres de formation de l’armée belge pendant la Première Guerre mondiale – est attractif et intéressant. Attractif parce que le lecteur peut y trouver une réponse à une question particulière ou être tenté par des lectures complémentaires. Intéressant parce que l’historien militaire amateur, ou celui qui s’intéresse uniquement à la formation des militaires au combat, trouvera dans chaque cas concret des éléments structurants qui gardent toute leur pertinence dans le cadre des conflits actuels. Le seul regret serait l’absence de communication sur la formation des combattants au feu dans les armées allemande, américaine, soviétique, voire viêt-minh, qui présente pourtant un intérêt certain.
Cet ouvrage met en évidence le fait que la formation au combat est confrontée à la difficulté majeure qu’est la guerre, une science expérimentale dont l’expérimentation ne peut se faire qu’à la guerre. La formation prépare et prévoit. À travers les documents de doctrine, les manuels d’instruction et les exercices sur le terrain, elle cherche à poser des repères stables et à inculquer des comportements qui seront mis en œuvre pendant les combats.
Les différentes contributions mettent bien en lumière que l’on ne naît pas combattant mais qu’on le devient. Celle inédite sur l’armée sud-africaine des années de l’apartheid montre que la réalité des combats balaya rapidement l’idée selon laquelle les Afrikaners n’avaient pas besoin d’être formés en raison de leur atavisme guerrier supposé. En d’autres termes, la formation en garnison est non seulement indispensable, mais doit être la plus réaliste et la plus adaptée possible car elle reste toujours l’horizon-repère des comportements sur le terrain.
L’un des fils directeurs de cet ouvrage serait alors qu’il faut former convenablement au combat. Mais, pour cela, qu’il est indispensable de rejeter les présupposés pour adapter en permanence la formation aux procédés tactiques de l’adversaire et aux évolutions technologiques.
Une insistance particulière est mise sur l’importance du renseignement. Celui-ci est le facteur qui conditionne l’élaboration d’une formation efficacement adaptée aux modes d’action adverses, comme le montrent les exemples du général Gouraud en 1918 et de l’armée française en 1940, qui avait bien analysé les mécanismes de la guerre éclair.
Mais un programme de formation n’est rien s’il n’est pas appliqué par les exécutants. Or les meilleures directives tout comme les excellents manuels d’instruction jouent un faible rôle et sont rarement mis en œuvre lorsqu’ils se heurtent aux habitudes et aux mentalités passées, c’est-à-dire aux blocages culturels et psychologiques. La contribution portant sur l’armée canadienne de 1939 à 1945 montre bien que celle-ci eut un « rendement » opérationnel plutôt faible en dépit d’une préparation sérieuse. L’auteur avance l’explication que les Canadiens, qui avaient une bonne connaissance des procédés tactiques allemands, ne purent jamais complètement se libérer mentalement des schémas anciens de la Première Guerre mondiale. Ce blocage mental aboutit à une « sur-planification », à un chronométrage minutieux et rigide des actions, à une coopération interarmes insuffisante et à un manque d’initiative.
Un autre aspect particulièrement intéressant de ce livre réside dans les notions de cohésion, de volonté et d’identité. Si former des combattants au feu consiste à les insérer dans des groupes primaires de combat caractérisés par la camaraderie et la solidarité, il faut aussi apprendre à vivre ensemble avant d’apprendre à se servir des armes. Il faut aussi avoir envie d’être formé au feu en acceptant l’esprit de corps. La comparaison sur les « Garibaldiens » en 1914-1915 et 1918 montre toute l’importance pour une unité d’avoir une identité forte qui la pousse à rechercher l’excellence au combat et par conséquent à être motivée à se former.
En fin de compte, voici un ouvrage passionnant, à lire et à relire même avec attention, afin de cerner les invariants qui garantissent que la formation au combat sera optimale.