Comment le militaire est-il passé de l’état de héros à celui de victime, puis à celui de judiciarisé ? Commençons par un bref rappel des faits. En France, un nombre considérable de monuments aux morts de la Première Guerre mondiale porte l’inscription : « À nos héros morts pour la France. » Elle exprime le sentiment commun : patriotisme ardent, sens du devoir et du sacrifice. Mais la saignée fut telle qu’on a pu écrire que « le patriotisme avait tué la patrie ». En réalité, le choc de la Grande Guerre a libéré un mouvement profond vers l’individualisme radical, en partie bloqué par la solide structure d’un enseignement républicain à base de morale kantienne.
En 1939, il y eut beaucoup de héros mais l’ambiance était différente. La guerre était juste, mais le cœur n’y était plus. Toujours exaltés comme des héros dans le discours public, les morts paraissaient plutôt les victimes d’un sort cruel. Ils étaient nés pour le bonheur, ils en avaient été privés.
Lors des guerres de la décolonisation, les militaires furent souvent dénoncés comme les agents d’une politique coupable, et les soldats mouraient dans l’indifférence, au loin, ou, plus près, en soulevant l’indignation en métropole. Bien sûr, la bipolarisation idéologique du monde en était en partie la cause, ainsi que la cruauté des moyens employés parfois pour tenter de vaincre la guérilla. Mais pour le philosophe, cette situation tient plus d’une nouvelle étape du même mouvement des esprits.
Aujourd’hui, nous sommes à peu près au terme du processus. Si l’on en croit les médias, le militaire mort au combat est un accidenté du travail et l’État, qui met en œuvre la force armée, est un patron négligent traîné pour ce motif devant les tribunaux. En Occident, et surtout en Europe, les armées sont désormais les gendarmes mobiles de la communauté mondiale. Le grand souci public est de prévenir les abus dans l’emploi de cette force publique et, s’il s’en produit, d’en punir les auteurs.
Le même processus, avec un décalage de plus d’une génération, est en marche aux États-Unis. Ils n’en sont plus au stade héroïque, bien que soit encore très vif dans l’« Amérique en armes », comme la nomme Vincent Desportes, le sentiment « support our troups ». Déjà, pendant la guerre du Vietnam, les figures montrées en exemple furent surtout des prisonniers de guerre, détenus dans des conditions que les Français ont eux aussi connues, et qui y firent face admirablement1.
Sur le processus lui-même en tant que fait, je ne m’étendrai donc pas davantage, non plus que sur les détails de sa longue histoire, dont la formule initiale n’est que le résumé ou la schématisation. C’est à l’historien et au sociologue de dire si ce schéma est pertinent pour tous les pays occidentaux, dans tous les cas, et s’il ne se combine pas avec d’autres processus, inverses ou parallèles.
Toutes réserves faites, nous pouvons tenir pour un fait que le militaire soit passé de l’état de héros à celui de victime, puis à celui de judiciarisé. Maintenant, ce fait est-il le résultat d’une évolution très naturelle, voire inévitable, ou très artificielle et qui n’irait pas de soi ? Et de quel genre de fait s’agit-il ?
- Le Contre-pouvoir qui prend le Pouvoir
Les militaires sont le bras armé du politique, la forme pure du Pouvoir, en tant qu’ils tiennent le glaive et peuvent donner la mort. On ne peut comprendre leur statut social et culturel sans le voir comme un cas particulier, le plus pur, du statut social du Pouvoir, dans les démocraties contemporaines (surtout européennes).
Écoutons le bruit produit par certains faits délictueux commis ici ou là par des militaires des démocraties. D’un point de vue juridique, qui a toute sa valeur, il convient en général de poursuivre les auteurs de ces faits. Mais sociologiquement, l’essentiel est ailleurs. Le droit se trouve surdéterminé par des instances plus hautes, instrumentalisé au service de finalités plus profondes. Le fait que le droit pénal, qui est une technique, prenne une importance passionnelle ne tient pas au droit ou à l’éthique, mais à une idéologie du privé qui submerge tout.
Ce qui se trouve accusé, jugé, condamné et puni – ou, plus exactement, arraisonné, houspillé et lynché –, c’est le Pouvoir comme instance publique (ou c’est le public en tant que Pouvoir pur et non en tant que mutuelle prestataire de services dits publics). Autrement, les défaillances individuelles des membres d’une institution seraient traitées par la justice pénale, comme il convient, à son niveau propre, sans tout ce bruit. Mais la montée en épingle de ces défaillances, au-delà de leur traitement au pur plan juridique (bien entendu indispensable), fonctionne comme une arme dans une lutte de pouvoirs. L’abaissement de certaines institutions sans lesquelles un Pouvoir n’existe plus permet la prise du pouvoir par une idéologie et par les médias. L’État constitutionnel se trouve abaissé par un Léviathan usurpateur, un Léviathan non « apprivoisé »2, « cruel and capricious deity »3.
Ce qui est reproché au Pouvoir, avant tout, c’est d’être Pouvoir. Ce qui est reproché au militaire, c’est d’être la flèche d’acier du Pouvoir. Qui a peur du Pouvoir ? Hobbes répondrait avec son bon sens brutal : rien d’autre qu’un autre pouvoir, qui veut le Pouvoir. Il est donc très clair qu’un pouvoir veut réduire le militaire à un statut culturel de victime et de judiciarisé, mais que c’est uniquement pour prendre le pouvoir sur les ruines du Pouvoir.
L’idéologie du privé n’est pas une pensée originale ; c’est le relativisme banal du sophiste de base, ce cancre ordinaire de la philosophie. C’est la forme de croyance collective sur laquelle se fixe spontanément une société prospère et égalitaire, parce que ce dogme est celui qui résulte le plus naturellement de la pression sociale dans ce genre de conditions. C’est là que tend à se former un consensus, au point d’équilibre où se compensent toutes les peurs, les timidités et tous les besoins de reconnaissance entre individus égaux jouissant d’un certain bien-être. Mais c’est un simple phénomène quasi physique sans valeur intellectuelle ni morale. Cette idéologie est aussi, secondairement, le résultat de l’inhibition de l’esprit critique, c’est-à-dire du pouvoir qu’a l’esprit de juger (krinein), par le nouveau Léviathan. Se trouve culpabilisée toute force de jugement – toute liberté de penser, sauf la liberté de ne pas penser, c’est-à-dire de ne pas juger. Et comme les médias sont le lieu de la non-pensée, ils sont aussi celui d’une idéologie qui n’est rien d’autre que la culture de l’impuissance de la pensée, de la volonté, et de l’égoïsme de l’individu privé.
- Qu’est-ce que le Pouvoir ?
Normalement, tout être humain en a une expérience réelle et fondamentale. Chacun fait l’expérience de la part sombre de la nature humaine et du chaos qui peut toujours en résulter, si chacun revendique ce que Hobbes nomme son « droit naturel », c’est-à-dire la jouissance de tout ce que chacun juge opportun de s’approprier, au moyen de toute la force dont chacun dispose4. Chacun appelle aussi liberté la simple « absence d’empêchement » dans la poursuite de son « droit naturel ». Si chacun recherche ainsi son « droit naturel » en lui donnant l’extension la plus arbitraire au gré de sa subjectivité, se produit une lutte de tous contre tous, un désordre général, une insécurité et une peur continuelles, un manque de confiance mutuelle qui empoisonne la vie et les relations humaines. C’est pourquoi monte en permanence du fond de toute société une forte demande de Pouvoir : les gens veulent que celui-ci désarme les pouvoirs en lutte, que sa force maîtrise la violence, c’est-à-dire la force des pouvoirs sans loi, en imposant par la crainte la loi de paix, que Hobbes appelle « loi naturelle » – l’ensemble des règles dont l’application a pour effet d’arrêter la guerre de tous contre tous. Le groupe fait alors corps en cohésion grâce à l’obéissance à la loi, en faisant corps en loyauté avec le Pouvoir.
C’est dans la nature de toute société et les démocraties ne font pas exception à la règle. Une démocratie durable est bâtie autour d’un Pouvoir. Le problème d’une démocratie développée, c’est que la sécurité et la prospérité y font perdre le sens de la nécessité vitale du Pouvoir, de sorte qu’il y devient assez naturel à beaucoup de gens de vouloir à la fois le Pouvoir et sa destruction. De là un compromis : l’instauration d’un Pouvoir qui dit qu’il n’en est pas un et qui détruit tous les autres, et qui prend la place du véritable Pouvoir, mais sans être capable de remplir lui-même la moindre de ses fonctions. Et ce qui reste de celui-ci est à la fois obsessionnellement présent par son apparence et presque impuissant en réalité.
La demande sociale porte sur un Pouvoir pour la Loi et sur un Pouvoir qui soit capable de se soumettre lui-même à la Loi (autrement il ferait aussi peur que l’anarchie), mais sans cesser pour autant d’être Pouvoir (autrement il ne servirait à rien).
Un Pouvoir qui sert à quelque chose est un Pouvoir juste, doté d’une Volonté disposant elle-même d’une Force. Il est ainsi capable de contraindre les abusifs et de courber les violents, s’ils s’opposent trop à la Loi.
- Le Pouvoir, le militaire et le héros
Le Pouvoir est ce qui maîtrise d’autres pouvoirs, anarchiques et violents, qui voudraient continuer à vivre en « état de nature » en dehors de la loi de paix, celle que Hobbes appelle la « loi naturelle »5. Un pouvoir, sans la Loi, ne serait que violence. Sans Force, ou sans Volonté, il n’est qu’impuissance. Il n’a pas de volonté quand il ne sait pas contraindre, c’est-à-dire recourir à la Force, quand c’est vraiment nécessaire, bien entendu avec mesure, adresse et self-control.
Les gens ne veulent ni d’un pouvoir violent ni d’un pouvoir impuissant. Ils souhaitent un Pouvoir, une Force, une Volonté, une Loi. Le Pouvoir conforme à la demande sociale essentielle, c’est-à-dire à la Volonté générale, est donc composé de gens loyaux, au sens essentiel du mot (du latin legalis, fidèles à la Loi et à son Pouvoir), décidés, courageux, capables d’affronter l’épreuve de force et de risquer leur vie s’il le faut.
L’héroïsme, au quotidien, ce n’est pas autre chose. L’héroïsme exceptionnel n’est qu’une affaire de circonstances. Au jour le jour, l’héroïsme est tout simplement une des vertus du Pouvoir. C’est la qualité de celui qui, au service du Pouvoir, est capable de contraindre par loyauté malgré la peur de la mort.
Cette qualité inspire à tout être humain une crainte révérencielle, une admiration naturelle et du respect. C’est pour cela que chez tout être humain en qui n’est pas éteinte ou masquée la clarté de cette expérience fondamentale, l’héroïsme est valorisé et l’état militaire respecté, à condition de ne pas démériter sous d’autres aspects.
Il n’y a pas de vie humaine sans société ni de société sans Pouvoir ni de Pouvoir sans Force ni de Force sans héros – sans individus courageux, éventuellement jusqu’au risque de mort. Ainsi, la cause de la Démocratie (durable), de la société, du Pouvoir et celle de l’héroïsme sont-elles strictement inséparables.
Ce sont des expériences si originaires et universelles que le processus historique proposé à notre réflexion est une énigme. Comment peut-on perdre à ce point le sens du Pouvoir et du politique, de la loi et de la force, de la volonté et de l’héroïsme, de la guerre et de la paix ? L’idée que le militaire puisse cesser d’être un héros (au sens défini plus haut) comprend une contradiction. Nous voyons bien que certains militaires sont loin d’être des héros, mais soit parce qu’on se fait une idée trop utopique de l’héroïsme, soit parce ce ne sont pas de vrais militaires.
Bref, l’effacement de la notion de l’héroïsme dans les esprits est un fait culturel analogue à celui, jadis, de l’effacement de la conscience de la nécessité de la propriété privée. L’idéologie produit une sorte de sommeil, ou d’hallucination, qui à un moment prend fin. À ce moment-là, l’esprit se réveille et retrouve le contact avec le réel. L’idéologie, sorte de tyrannie intellectuelle, ne dure jamais très longtemps, à l’échelle historique – selon Aristote soixante-dix ans était un maximum pour les tyrannies.
- La victime et l’hostie
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, être « victime » ne nous fait pas sortir du champ du Pouvoir, en tant qu’il se manifeste dans l’épreuve de force. Victime vient en effet de vincere, victum, vaincre. La victime, c’est le vaincu offert aux dieux en sacrifice. L’autre terme synonyme, en français, lui aussi hérité du latin, c’est « hostie ». Hostie vient de hostis, l’ennemi. L’hostie, c’est encore l’ennemi (vaincu) offert aux dieux en sacrifice. La différence entre la victima et l’hostia, c’est que la victima est offerte en sacrifice d’action de grâces, et l’hostia en sacrifice d’expiation.
Au-delà du contexte polythéiste populaire, les sages romains se représentent le numen, la Puissance première et divine, qui châtie la démesure et l’injustice, et autour de laquelle l’univers, les peuples et les nations font cohésion par l’obéissance à ce que le grand tragédien grec Sophocle appelle les « lois éternelles, non faites de main d’homme »6.
La religio, c’est d’abord ce sentiment de respect du numen. L’homme en société va du chaos à l’ordre à travers le Pouvoir. Il va du Pouvoir au numen, en se représentant le monde entier comme une Cité en bon ordre et le numen à l’image du Pouvoir ; en sens inverse, il revient du numen au Pouvoir, et se représente alors la Cité comme un petit monde où le Pouvoir est une image du numen. C’est pour cela qu’il est si superficiel de vouloir faire comme si le politique et le religieux n’avaient aucun rapport, au lieu de prendre en compte les problèmes réels que comporte inévitablement la connexion nécessaire entre leurs concepts.
Que le soldat soit une victime, au sens ancien, cela n’a rien d’étonnant, puisqu’il faut bien que, s’il y a épreuve de force, il y ait un vainqueur et un vaincu, qui l’un et l’autre sont des combattants. Le vaincu n’est pas forcément un faible. Ce qui faisait la victime, ce n’était ni sa faiblesse ni sa passivité ni sa douleur ni sa servilité, mais le fait d’être la matière convenable du sacrifice. Rien n’empêche, bien au contraire, que la victime, ou l’hostie, ne soit en outre un héros.
Sans doute a-t-on heureusement perdu, depuis longtemps, l’habitude d’immoler les vaincus au numen, ou aux dieux de la cité, ou aux mânes des soldats morts, comme on le voit dans cette violente pièce du jeune Shakespeare (à mon avis non exempte de mauvais goût), Titus Andronicus. De même, les plus heureux des vaincus ne sont-ils plus réduits en esclavage7. Entre le sens actuel et le sens ancien du mot victime, la religion chrétienne est venue transformer très profondément le sens du sacrifice, et c’est par elle que se trouvèrent modifiés en profondeur les usages de la guerre. Pour résumer d’un mot, ce que l’on sacrifie désormais, ce ne sont pas les autres mais soi-même. Le sang versé ne satisfait plus une violence barbare. Par ailleurs, les grandes Lumières s’efforcent de conserver le Pouvoir, mais sur une base utilitariste, ou en le dérivant de la Raison, et tout en laissant de côté le numen. La notion de sacrifice n’a plus alors qu’un sens moral, voire moraliste. Quant au sens actuel du mot victime, il ne correspond à rien de ce qui précède, mais exprime la sensibilité de ce que Chantal Delsol appelle la « modernité tardive ».
- Victimisation et judiciarisation
Chacun mesure l’écart entre le sens ancien du mot victime et son sens actuel – « une personne à laquelle arrive un malheur, dont il convient de s’émouvoir ; une personne qu’il faut plaindre, secourir avec solidarité ; un malheur scandaleux, dont il existe forcément un responsable et un coupable, qu’il faut rechercher et punir pour que cela ne se reproduise plus, et pour aider la victime à se reconstruire, si elle a survécu » ?
Au lieu de flatter démagogiquement cet état de la sensibilité, il faut mesurer à quel point il présente un caractère pathologique, incompatible avec la logique d’une démocratie durable. Car il ne peut pas exister en dehors d’une société dans laquelle il n’y a plus de Pouvoir plaçant la politique à son juste niveau, rassurant par la loi et par la force, déployant un horizon de sens commun culturel et politique, vers où s’unir en s’y projetant.
Il n’y a pas de Pouvoir quand un État n’est pas capable, par exemple, de perdre quelques hommes au combat, ou d’imposer sa volonté à la finance, ou de ramener les médias à un minimum d’éthique et de raison au lieu d’entrer dans leur jeu et d’y perdre toute crédibilité. Quand il n’y a pas de Pouvoir, seuls les médias ont le pouvoir et seuls les idéologues du privé sont heureux. Le politique est méprisé, parce qu’il est impuissant et que chaque citoyen participe à cause de lui au sentiment intolérable de l’impuissance collective et de l’absence de sens commun.
C’est dans une telle carence du Pouvoir que chaque individu, mécontent de soi, passe son temps à s’apitoyer sur son sort au lieu de se dépasser vers des horizons plus larges. Comme ce genre de vie n’est pas passionnant, et que l’individu se sent collectivement faible et privé de projection vers un horizon, il est tout à fait normal que ce même individu passe son temps à subir et se sente un peu victime de la vie, même s’il jouit d’une prospérité et d’une sécurité qui font rêver 90 % de l’humanité. Les problèmes les plus insolubles sont ceux des gens qui n’ont pas de vrais problèmes. La seule façon de les résoudre, c’est de s’occuper de ceux des autres. Mais pour cela, il faut arrêter de victimiser.
La judiciarisation et la victimisation sont corrélatives. Nous ne sommes pas là en face des simples faits définissant universellement la justice pénale : un code pénal, un délit, une victime, un plaignant, un accusé, un procès, un jugement, un coupable, une sanction. Cela, c’est le simple cours de la justice. Nous sommes ici en face d’une tout autre chose : la mise en conformité du fonctionnement naturel de toute justice pénale avec la norme idéologico-médiatique de la culture d’impuissance.
Le processus que nous étudions n’a donc d’existence que dans la mesure où cette norme reste en vigueur. L’évolution « victimaire » ou « victimisante » de la sensibilité8 ne peut pas se comprendre sans la mise entre parenthèses, dans les esprits concernés par elle, des notions de Pouvoir et de numen, d’héroïsme et de sacrifice, de société et de loi, de force et d’épreuve de force, de méchanceté naturelle et de lutte pour la survie. L’enterrement mental de ces notions qui font partie de l’expérience humaine, sauf chez les enfants gâtés, peut être considéré, d’un point de vue rationnel, comme une aliénation. Des expériences anthropologiques fondamentales sont non pas détruites, mais recouvertes par un vernis et refoulées dans l’inconscient.
L’idéologie du « politiquement correct » (pc), est rarement analysée avec toute la rigueur souhaitable. Elle est l’inverse du communisme, pour qui la Liberté est atteinte à partir du moment où tout est commun. Pour le pc, celle-ci est atteinte quand tout est privé. C’est un individualisme absolu. Anthropologiquement, c’est l’aberration symétrique du communisme, qui annulait l’individu dans le collectif.
- L’exubérance irrationnelle des médias
La domination de cette idéologie n’est pas concevable sans l’action de certains complexes à l’œuvre dans la culture, notamment le complexe moraliste, où prend probablement sa source le rejet profond de la loi morale, donc du numen, donc du Pouvoir9.
Cette idéologie ne prendrait jamais une telle puissance sur les esprits sans le fonctionnement irrationnel des médias, en raison de leur logique économique et de leur vulnérabilité à l’idéologie, en tant que lieux de simple discours, sans la sanction du réel. Et l’abaissement du Pouvoir tient au fait que la politique se réduit à la communication, et donc participe de la même irréalité.
L’exubérance irrationnelle des médias gêne gravement la gestion sérieuse et à long terme de la diplomatie, des conflits, de toutes les affaires d’État. Ils font perdre leur temps aux politiques en faits divers. Le fonctionnement conjoint de l’idéologie et des médias, sur le fond du complexe moraliste, est ce qui contribue à la démolition du Pouvoir et à son usurpation par un nouveau Léviathan.
Ce serait une erreur idéaliste que d’étudier le processus de victimisation et de judiciarisation en faisant abstraction de cette situation faite au Pouvoir, anormale, et qu’il faudra bien réformer si nous désirons que la démocratie soit durable. La grande majorité des gens ne sont ni des idéologues ni des hallucinés. La plupart d’entre eux sait que nous sommes des animaux sociaux, non des atomes dans un vide sans attraction universelle. Le besoin structurel de Pouvoir pour la Loi est une constante universelle de l’univers politique. Aussi le politiquement correct prendra-t-il fin nécessairement, comme a pris fin le communisme en Union soviétique.
Ce que les gens attendent aujourd’hui, c’est une pensée réaliste ; c’est la liberté de pensée par rapport aux sornettes imposées par une pression sociale anonyme et véhiculées par un magistère de bavardage et de malveillance ; c’est une action politique placée à son juste niveau ; c’est la constitutionnalisation du Léviathan médiatique, dont il devient « crucial » de pouvoir mettre en cause la responsabilité, tant il est dévoyé par la recherche irresponsable de la rentabilité économique. Ce qui est à l’ordre du jour, c’est le rétablissement du Pouvoir en Démocratie.
C’est pourquoi la mise en conformité de la chose militaire avec le politiquement correct me paraît de plus en plus à contre sens des évolutions nécessaires et profondes de notre présente histoire. Et si nous voulions conclure non sans quelque provocation, nous dirions que ce que le militaire a de mieux à faire, c’est d’être un héros10 sans complexe. La vraie victime du processus ici étudié, c’est la Démocratie. Et ce qu’il est urgent de judiciariser, ce sont les médias.
1 Par exemple, le vice-amiral Stockdale, qui a donné son nom au centre d’éthique de l’us Navy à Annapolis.
2 HC. Mansfield Jr, Taming the Prince. The Ambivalence of Modern Executive Power, Johns Hopkins University Press, 1993 ; traduction française Le Prince apprivoisé, Paris, Fayard, 1994. Allusion à la comédie de Shakespeare, La Mégère apprivoisée.
3 « A capricious and cruel deity, which must be placated because of its power, but which will strike at whomever it wishes, whenever it wishes » (op. cit., p. 205), dans le si intéressant Postscript du livre de John Lloyd, What the Media are doing to our Politics, Constable, Londres, 2004, pp. 205-209.
4 Hobbes, Léviathan, P.I, ch. 14, 1. « The right of nature is […] the liberty each man has, to use his own power, as he will himself, for the preservation of his own nature; that is to say, of his own life; and consequently, of doing anything which in his own judgment, and reason, he shall conceive to be the aptest means thereunto. » Il n’échappe à personne que le « droit naturel » hobbesien se trouve défini de manière assez restrictive (relativement à la préservation de notre vie), mais aussi de manière assez subjective, pour qu’il puisse prendre une extension aussi arbitraire qu’on voudra. Si d’ailleurs une telle extension ne se produisait pas de fait, on ne voit pas comment il pourrait résulter un chaos de la simple recherche raisonnable par chacun de sa simple sécurité physique.
5 L’homme étant par nature un animal social, et la société n’étant effective qu’en état de paix, au moins intérieure, la nature même exige que soient respectées les conditions générales de la vie pacifique en société. Ainsi les règles fondamentales de l’éthique constituent-elles en effet une loi naturelle, mais qui est aussi une loi morale, puisque cette loi naturelle n’agit sur l’homme que dans la mesure où elle est représentée à son esprit. Comme dit Kant, l’homme n’agit pas seulement selon des lois, mais « selon la représentation de ces lois ».
6 Antigone, vers - 440.
7 Esclave est le mot récent pour servus, d’où venait serf, et servus désignait l’ennemi vaincu qui avait été servatus, conservé, au lieu d’être immolé.
8 Chantal Delsol, qui étudie avec acuité tous ces phénomènes de société, a attiré mon attention sur le livre de Jean-Marie Apostolidès, Héroïsme et victimisation. Une histoire de la sensibilité (introuvable, sauf d’occasion).
9 J’étudie l’ensemble de ces problèmes dans un livre intitulé Démocratie durable. Penser la guerre pour faire l’Europe. Essais éthico-politiques, Paris, éditions Monceau, 2010. Les livres de l’éditeur Monceau sont disponibles exclusivement par Internet, sur le site de ses auteurs, en l’occurrence sur www.henrihude.fr
10 Au sens large, mais précis, indiqué plus haut.
How did soldiers go from being seen as heroes to being victims, and then targets of legal proceedings? Let us start with a brief review of the facts. In France, many monuments to those who died in the First World War bear the inscription: “To our Heroes who died for France.” This expresses the common sentiment: ardent patriotism, a sense of duty and sacrifice. But the bloodshed was such that it could have been said that “patriotism killed the country.” In reality, the shock of the Great War triggered a profound movement towards radical individualism, which was partly blocked by the solid structure of Republican teaching based on Kantian morality.
In 1939, there were many heroes, but the climate was different. The war was a just one, but people’s hearts were no longer in it. While they we still exalted as heroes in public discourse, the dead seemed more like victims of a cruel fate. They had been born for happiness, and then they had been deprived of it.
During the wars of decolonialisation, soldiers were often denounced as the agents of a wrongful policy, and they died in an atmosphere of indifference, far away, or closer by, arousing indignation in Metropolitan France. The ideological bipolarisation of the world was certainly part of the cause, as was the cruelty of the methods sometimes used in the attempts to defeat the rebel movements. But for philosophy, this situation was just a new step in the same movement in thinking.
Today, we are almost at the end of this process. If we are to believe the media, soldiers who die in combat are victims of work accidents, and the State, which engages the armed forces, is a negligent boss brought to court for this reason. In the West, and above all in Europe, armies are now mobile police forces for the global community. The major public concern is to prevent abuses in the use of this public force and, if they occur, to punish the people responsible for it.
The same process, with a gap of more than a generation, is at work in the United States. It is no longer at the heroic stage, even though the “support our troops” mood is still very much alive in the “America at arms,” as Vincent Desportes calls it. As early as the Vietnam War, the figures shown as examples were above all prisoners of war, who were held in conditions that the French also experienced, and who withstood them admirably1.
I won’t say any more about the process itself as a fact, nor about the details of its long history, the initial formulation of which is just a summary or schematisation. It will be up to historians and sociologists to say whether this framework is relevant for all Western countries, in all cases, and whether it combines with other inverse or parallel processes.
With all appropriate reservations, we can take as a fact that soldiers have gone from being heroes to being victims, and then to being subjects of legal investigation. But is this the result of a very natural – even inevitable – evolution, or rather something artificial and not at all self-evident? And what sort of fact is it?
- The Opposition Force that takes Power
Soldiers are the military arm of politics, the pure form of Power, inasmuch as they hold the sword that can kill. Their social and cultural status cannot be understood without seeing it as a special case—the purest one—of the social status of Power in contemporary democracies (especially European).
We hear of the discontent regarding certain acts of misconduct committed in various places by soldiers of these democracies. From a legal standpoint, which is fully valid, the perpetrators of these acts are generally to be prosecuted. But sociologically, the essential factor lies elsewhere. The law is over-determined by higher bodies, instrumental zed in the service of deeper objectives. The fact that criminal law, which is a technique, has taken on a passionate importance is not due to law or ethics, but rather to a private ideology that submerges everything.
That which is accused, judged, convicted and punished – or, more precisely, inspected, reprimanded and lynched is Power as a public authority (or the public as a pure Power and not as a mutual provider of so-called public services). In other words, the individual failures of the members of an institution would be processed by the criminal justice system, as is appropriate, on its own level, without all of this noise. But sensationalizing these failures, beyond processing them on the purely legal level (which is essential of course), acts as a weapon in a power struggle. The subordination of certain institutions, without which Power would no longer exist, makes way for the seizing of power by an ideology and the media. The constitutional State is thus put down by a usurping Leviathan, an “untamed” Leviathan2, a “cruel and capricious deity”3.
The reproach made against Power is above all that it is Power. The reproach made against soldiers is that they are the steel arrows of Power. Who is afraid of Power? Hobbes would answer with his blunt common sense: simply another power that seeks Power. It is thus very clear that a power wants to reduce the soldier to the cultural status of victim and the subject of lawsuits, but only to be able to seize power from the ruins of Power.
The concept of private ideology is not an original thought. It is the banal relativism of the basic sophist, the ordinary dunce of philosophy. It is the form of collective belief on which a prosperous and egalitarian society spontaneously focuses, because this dogma is that which most naturally results from social pressure in these types of conditions. This is where a consensus tends to form, at the point of equilibrium where all fears, timidities and needs for recognition between equal individuals who enjoy a certain well-being compensate for each other. But it is a simple, almost physical phenomenon with no intellectual or moral value. This ideology is also the secondary result of the inhibition of the critical spirit, i.e. of the power that the mind has to judge (krinein), by the new Leviathan. It renders guilty all powers of judgment – all freedom of thought, except the freedom not to think, i.e. not to judge. And as the media arena is the place of non-thought, it is also the place of an ideology that is none other than the culture of the impotency of thought, will, and the egoism of the private individual.
- What is Power?
Normally, all human beings have had a real and fundamental experience of it. We have all had experience with the dark side of human nature and the chaos that can always result from it, if everyone claims what Hobbes calls his “natural right,” i.e. the enjoyment of everything that any person decides to take for himself, by means of whatever force each person has at his disposal4. Each person also calls liberty the simple “absence of hindrance” in the pursuit of his “natural right.” If each person thus seeks his “natural right” by giving it the most arbitrary free rein based on his own subjectivity, everyone is set against everyone else, and there is general disorder, continual insecurity and fear, a lack of mutual trust that poisons life and human relations. That is why there is a strong demand for Power from the base of all societies: people want it to disarm the powers that are fighting against each other, they want its strength to overcome violence, i.e. the force of powers that know no law, by imposing the law of peace through fear, what Hobbes calls “natural law” – the set of rules which, when applied, stop everyone warring against everyone else. The group then comes together in obedience to the law, and in being loyal to the Power.
This is in the nature of all societies, and democracies are no exception to the rule. A sustainable democracy is built around a Power. The problem of developed democracies is that security and prosperity make them lose the sense of the vital necessity of Power, such that it becomes quite natural for many people to want both the Power and its destruction. This leads to a compromise: the installation of a Power that says that it isn’t one and that destroys all of the other ones, and which takes the place of the real Power, but without itself being able to fulfil a single one of its functions. And what remains of it is both obsessively present by its appearance and almost powerless in reality.
The social demand is for a Power for the Law and a Power that is itself capable of submitting to the Law (otherwise it would be as frightening as anarchy), but without ceasing to be a Power (otherwise it would serve no purpose).
A Power that serves a purpose is a just Power, with a Will that itself has a Force. It is thus capable of restraining abusive and violent people if they oppose the Law excessively.
- Power, the soldier and the hero
Power is what controls other powers -anarchic and violent ones -that would want to continue to exist in a “state of nature” outside of the law of peace, which Hobbes called the “natural law”5. A power, without the Law, would merely be violence. Without Force, or without Will, there is only impotence. It has no will if it is unable to restrain, i.e. to use Force, when it is really necessary, with moderation, skill and self-control, of course.
People want neither a violent power nor an impotent power. They want a Power, a Force, a Will, and a Law. Power conforms to the essential social demand, i.e. to the general Will, and is thus composed of loyal people, in the essential sense of the word (from the Latin legalis, loyal to the Law and to its Power), determined, courageous, capable of braving a test of strength and risking their lives if necessary.
Heroism, on a day-to-day basis, is simply that. Exceptional heroism is just a matter of circumstances. Heroism, on a daily basis, is simply one of the virtues of Power. It is the quality of people who, in the service of Power, are able to restrain through loyalty despite the fear of death.
This quality inspires reverential awe and natural admiration and respect in all people. It is for this reason that, in all human beings for whom the clarity of this fundamental experience has not been extinguished or masked, heroism is valued, and military status is respected, as long as it does not lose respect for other reasons.
There is no human life without society, nor society without Power, Power without Force, Force without heroes – without courageous individuals, possibly to the point of risking death. The causes of (sustainable) Democracy, society, Power and heroism are thus strictly inseparable.
These experiences are so fundamental and universal that the historical process presented for our consideration is an enigma. How can people lose the sense of Power and politics, law and force, will and heroism, war and peace to such an extent? The idea that a soldier can cease to be a hero (in the sense defined above) contains a contradiction. We can indeed see that some soldiers are far from being heroes, but this is either because we have an excessively utopian idea of what heroism is, or because they are not real soldiers.
In short, erasing the notion of heroism in people’s minds is a cultural fact analogous to, the erasing from consciousness of the necessity of private property that happened in the past. Ideology brings on a sort of sleep, or hallucination, which ends at some point. When that happens, the mind wakes up and is again in contact with what is real. Ideology, a sort of intellectual tyranny, never lasts for very long at a historical level –according to Aristotle seventy years is the maximum for tyrannies.
- The victima and the hostia
Contrary to what we might think, being “victims” does not take us out of the field of Power as it manifests in a test of strength. Victim comes from the word vincere, victum, to vanquish. The victim is the defeated person offered to the gods as a sacrifice. The other synonymous term in French, which also comes from Latin, is “hostie”. “Hostie” comes from hostis, the enemy [Translator’s note: the corresponding English word is “host” or communion wafer. The English word “hostile” comes from the same root]. The hostia is again the enemy (vanquished person) offered to the gods as a sacrifice. The difference between the victima and the hostia is that the victima is offered as a sacrifice in gratitude for favours received, while the hostia is a sacrifice of atonement.
Beyond the popular polytheistic context, the Roman sages imagine the numen, the primary and divine Power, which punishes excesses and injustice, and around which the universe, peoples and nations cohere through obedience with what the great Greek tragedian Sophocles called the “eternal laws, not made by human hand.”6
The religio is firstly this sense of respect for the numen. Man in society goes from chaos to order through Power. He goes from the Power to the numen, imagining the whole world as a City in good order and the numen in the image of Power; in the opposite direction, he returns from the numen to Power, and imagines the City as a small world in which Power is an image of the numen. For this reason, it is very superficial to act as if politics and religion had no connection, rather than taking into account the real issues that inevitably include the necessary connection between the concepts thereof.
That a soldier could be a victim, in the ancient sense, is not at all extraordinary. If there is a test of strength, there must be both victor and vanquished, who are both combatants. The vanquished person is not necessarily a weakling. What made him the victim was not his weakness, or his passivity, pain or servility, but the fact that he was a suitable subject for sacrifice. On the contrary, there is no reason why the victim or the hostia should not also be a hero.
Fortunately, people long ago abandoned the habit of immolating the vanquished to the numen, or the gods of the city, or the souls of the dead soldiers, as we see in the violent play by the young Shakespeare (which is not free of bad taste, in my opinion), Titus Andronicus. Likewise, the most fortunate of the vanquished are no longer reduced to slavery7. Between the current and ancient meaning of the word victim, the Christian religion transformed the meaning of sacrifice profoundly, and also substantially modified the customs of war. To sum it up in a word, the sacrifice now is not other people, but oneself. The blood that is spilled no longer satisfies a barbaric violence. Moreover, the figures of the Enlightenment endeavoured to hold on to Power, but on a utilitarian basis, or by deriving it from Reason, leaving the numen aside. The notion of sacrifice was then left with only a moral – or even moralist – meaning. As for the current meaning of the word victim, it bears no relation to what has gone before, but expresses the sensibility of what Chantal Delsol calls “late modernity.”
- Victimization and judicialisation
We can see the difference between the ancient meaning of the word victim and its current meaning – “a person to whom a misfortune occurs; about whom we should be concerned; a person whom we must pity, and help with solidarity; a scandalous misfortune, for which there is necessarily a responsible and guilty party, who must be sought and punished, so that this does not occur again, and to help the victim to recover, if he has survived?”
Rather than encouraging this state of sensibility in demagogic fashion, we must measure the extent to which it is pathological in nature, incompatible with the rationale of a sustainable democracy. Because it cannot exist outside of a society in which there is no longer a Power that puts politics on their proper level, delivering reassurance through the law and force, unfolding a horizon of cultural and political common sense which people can look towards in order to unite.
There is no Power when a State is incapable, for example, of losing some men in combat, or imposing its will on finance, or bringing the media back to a minimum level of ethics and reason rather than joining their game and losing all credibility. When there is no Power, only the media have power and only private ideologists are happy. The field of Politics is treated with contempt because it is powerless. Because of it, citizens all have the intolerable feeling of collective impotency and the absence of common sense.
In this situation of a Power vacuum, individuals are dissatisfied with themselves and spend their time wallowing in self-pity rather than looking to broader horizons. As this sort of life is not stimulating, and individuals feel collectively weak and unable to look to the future, it is perfectly normal that they spend their time suffering and feeling like victims of life, even when they enjoy the prosperity and security that would be the stuff of dreams for 90 % of the human race. The most insoluble problems are those of people who have no real problems. The only way to solve them is to take care of the problems of other people. But to do that, we must stop victimizing.
Judicialization and victimization are correlative. What we are considering here are not the simple facts that universally define criminal justice: a criminal code, an offence, a victim, a complainant, an accused party, a trial, a judgment, a guilty party, a punishment. That is the simple course of justice. We are looking at something totally different here: making the natural operation of all criminal justice comply with the ideological/media norm of the culture of impotency.
The process that we are examining thus only exists to the extent that this norm remains in effect. The “victim-based” or “victimizing” evolution of the sensibility8 cannot be understood without setting aside, in the minds of the people concerned by it, the notions of Power and numen, heroism and sacrifice, society and law, force and test of strength, natural evil and the struggle for survival. The mental burial of such notions that are part of human experience, except in spoiled children, can, from a rational standpoint, be considered as alienation. Fundamental anthropological experiences are not destroyed, but varnished over and repressed in the unconscious.
The ideology of the “politically correct” (pc), is rarely analysed with all the rigour that one would hope for. It is the opposite of communism, where Liberty is reached once everything becomes communal. For the Politically Correct, this is achieved when everything is private. This is absolute individualism. Anthropologically speaking, it is the symmetrical aberration of Communism, which eliminated the individual through the collective.
- The irrational exuberance of the media
The domination of this ideology is not conceivable without the action of certain complexes at work in our culture, especially the moralist complex, which is probably the source of the profound rejection of moral law, and thus of the Numen, and of Power9.
This ideology would never gain such power over people’s thinking without the irrational operation of the media, because of their economic rationale and their vulnerability to ideology, as a place of simple discourse, without the sanctioning influence of what is real. And the decline of Power is due to the fact that the field of politics is reduced to communication, therefore being involved in the same unreality.
The irrational exuberance of the media seriously disturbs the proper long-term management of diplomacy, conflicts, and all affairs of State. It makes politicians waste their time on trivia. The combined operation of ideology and the media, against the backdrop of the moralist complex, is what contributes to the demolition of Power and to its being usurped by a new Leviathan.
It would be an idealistic error to simply study the process of victimization and judicialization, forgetting what is happening to Power, which is abnormal and must be reformed if we want democracy to be sustainable. The great majority of people are neither ideologists nor suffering from hallucinations. Most of them know that we are social animals, not atoms in a vacuum with no universal attraction. The structural need of Power for the Law is a universal constant of the political universe. The concept of the politically correct will necessarily come to an end, just as Communism came to an end in the Soviet Union.
What people are hoping for today is realistic thinking: freedom of thought with respect to the tall stories imposed by an anonymous social pressure and carried by an institution based on gossip and malice. They want political action to be placed at its proper level and the media Leviathan to be put on a constitutional basis; it is “crucial” to acknowledge that it holds a responsibility , such is the extent to which it has become corrupted by the irresponsible quest for returns on investment. The reestablishment of Power in Democracy is now on the agenda.
That is why bringing the military into conformity with the concept of the politically correct seems to me to go more and more against the necessary and profound development of our current history. And if we want to conclude with a little provocation, we could say that the best thing for a soldier to do is to be a hero10 without a complex. The real victim of the process that we are examining here is Democracy. What urgently needs to be brought under the law is the media.
1 For example, Vice-Admiral Stockdale, who gave his name to the US Navy ethics center in Annapolis.
2 HC. Mansfield Jr, Taming the Prince. The ambivalence of Modern Executive Power, Johns Hopkins University Press, 1993; French translation Le Prince apprivoisé, Paris, Fayard, 1994. Allusion to Shakespeare’s comedy, The Taming of the Shrew.
3 “A capricious and cruel deity, which must be placated because of its power, but which will strike at whomever it wishes, whenever it wishes” (op. cit., p. 205), in the very interesting Postscript of the book of John Lloyd, What the Media Are Doing to Our Politics, Constable, London, 2004, pp. 205-209.
4 Hobbes, Léviathan, P.I, ch. 14, 1. “The right of nature is […] the liberty each man has, to use his own power, as he will himself, for the preservation of his own nature; that is to say, of his own life; and consequently, of doing anything which in his own judgment, and reason, he shall conceive to be the aptest means thereunto.” It is clear to all that the Hobbesian “natural right” is defined in a rather restrictive manner (in relation to the preservation of our life), but also in a rather subjective manner, so that it may be extended as arbitrarily as one might wish. If such extension did not actually occur, it is hard to see why chaos arises from each person’s simple and reasonable quest for physical safety.
5 As man is by nature a social animal, and society only works effectively in a state of peace, at least domestic, nature itself requires that the general conditions of peaceful life in society be respected. The fundamental rules of ethics thus constitute a natural law, which is also a moral law, because this natural law only has an impact on people to the extent that they are aware of it. As Kant said, man does not just act according to laws, but “according to the representation of these laws.”
6 Antigone, line - 440.
7 Slave is the recent word for servus, the source of the word serf, and servus referred to the defeated enemy who had been servatus, conserved, rather than being immolated.
8 Chantal Delsol, who makes a close study of all of these social phenomena, drew my attention to the book by Jean-Marie Apostolidès, Héroïsme et victimisation. Une histoire de la sensibilité (only available 2nd hand ).
9 I study all of these issues in a book entitled Démocratie durable. Penser la guerre pour faire l’Europe. Essais éthico-politiques, Paris, éditions Monceau, 2010. The books from the publisher Monceau are only available by Internet on its authors’ site: www.henrihude.fr
10 In the broad but precise sense mentioned above.