L’historiographie de Marlborough commence tout juste à se renouveler. Entre détracteurs et hagiographes, la postérité de John Churchill a souffert de ces points de vue contradictoires. Parmi eux, Winston Churchill, descendant direct de Marlborough, dont la monumentale biographie consacrée à son ancêtre associe à un caractère littéraire une double réflexion sur le positionnement du Royaume-Uni dans l’Europe des années 1930 et sur la figure de l’homme d’État. Clément Oury le qualifie de « plus brillant biographe » de Marlborough. Alors pourquoi une nouvelle biographie ? Parce qu’il n’existe pas d’édition récente en français du livre de Winston Churchill, que des sources nouvelles et plusieurs décennies de travaux historiques sont venues enrichir la connaissance du personnage, et qu’une rigueur scientifique que ne possédait pas toujours Winston Churchill, naturellement prompt à défendre la mémoire de son ancêtre, était nécessaire. En résulte un ouvrage largement accessible et au style clair.
La structure du livre de Clément Oury est assez classique dans la mesure où elle suit un ordre chronologique. Pour les lecteurs de son ouvrage sur la guerre de Succession d’Espagne, certains passages pourront sembler être des redites et trop s’attarder sur des événements ou des faits indirectement liés à Marlborough. Cela s’avère en réalité indispensable dans la mesure où John Churchill constitue une figure centrale de la Grande Alliance contre la France et l’Espagne, sa « clé de voûte ». Le lecteur navigue ainsi à travers toute l’Europe, des champs de bataille de Belgique aux cours princières, en passant par le Parlement britannique et ses houleuses séances. Marlborough est une figure européenne sur les plans militaire et politique, centrale non seulement sur la scène continentale mais également outre-Manche. Parmi les facteurs clés de son influence, le rôle tenu par son épouse, Sarah Jennings, auprès de la reine Anne. Un mariage d’amour qui donna naissance à un duo politique de poids durant près d’une décennie. Mon regret porte sur la manière d’aborder les talents militaires de Marlborough. Général invaincu, il apparaît incontestablement, au côté du prince Eugène, comme l’un des plus grands chefs militaires de son temps. Remarquable manœuvrier, il remporte de spectaculaires victoires, inhabituelles pour des opinions accoutumées à une lente guerre de siège. Tacticien hors pair, il est également doté d’une vision stratégique d’ensemble alors que les années passées en Belgique auraient pu au contraire la rendre étriquée. On se prend ici à se demander ce qu’il aurait produit s’il avait eu sous ses ordres une armée réellement taillée pour la manœuvre, comme le furent un siècle plus tard les corps d’armée napoléoniens. Au-delà de cet aspect purement militaire, Clément Oury s’intéresse largement à la postérité artistique de Marlborough en y consacrant une partie. Architecture, peinture, littérature : John Churchill a inspiré ses contemporains, en sa faveur ou en sa défaveur. À une époque dépourvue de réseaux sociaux, une réputation se construit ou se détruit dans ces champs dont l’auteur nous fournit une passionnante description.