Ouvrage étonnant que ce petit livre. Engagé volontaire dès le début de la Grande Guerre bien que son âge ait pu lui permettre de rester à l’arrière, René Quinton sert jusqu’à sa démobilisation en 1919 comme officier d’artillerie, de campagne ou lourde. Entré en guerre comme capitaine de réserve, il retourne à la vie civile lieutenant-colonel à titre définitif. Il combat en particulier sur l’Yser, sur la Somme, à Verdun, en Champagne, sur l’Aisne. Huit fois blessé, il arbore sur le ruban de sa croix de guerre les sept clous et palmes qui correspondent aux citations reçues. Pour compléter le portrait du personnage, rappelons-nous qu’il fut au début du xxe siècle l’un des plus célèbres physiologistes et naturalistes, parfois qualifié de « Darwin français ». C’est ce scientifique autodidacte et adepte de l’expérimentation qui, à la fin de l’année 1917, après trois ans de guerre, commence à jeter sur le papier de brèves phrases : « J’ai travaillé à jeter les bases de ce qui pourrait constituer une petite brochure sur la guerre. Peut-être en trois ou quatre cents maximes. J’y fais la théorie que vous connaissez, à savoir que la guerre est un chapitre de l’amour, l’état naturel des mâles. » Ces maximes, qui se répètent un peu, sont donc profondément marquées par son époque, et par sa double expérience de biologiste et de soldat. La guerre y est toujours présente, dans un environnement d’amour et de mort, d’héroïsme et de sacrifice, d’instincts et de devoirs. Les citations, qui pour certaines peuvent choquer ou surprendre dans un xxie siècle individualiste et matérialiste, pourraient être multipliées à l’envi : « Les êtres ne sont beaux qu’en amour et à la guerre, parce que le dévouement et l’abnégation sont les deux vertus de l’amour et de la guerre », « L’héroïsme est de servir », « Les hommes qui font la guerre ne songent pas à la guerre. Les braves la font et y pensent sans répit. Ils en acquièrent une expérience réfléchie et en deviennent les physiciens », « La guerre est un jeu terrible où l’on gagne toujours, sauf une fois », « Les soldats paient de leur vie les erreurs de l’avancement », « Les pertes sont la honte du chef » et pourtant « Il y a des moments où la vie du chef importe plus que celle de la moitié de ses hommes », « L’observation est rarement à la guerre ce qu’elle doit être. À chaque échelon, le chef la confie à un subordonné, en sorte que les yeux de l’armée tombent au dernier rang de la hiérarchie », « Sur la ligne de feu, il n’y a plus de discipline ; il y a le consentement mutuel. La discipline recommence à l’arrière », « Le drame moral vient du conflit entre l’instinct de vivre et l’instinct de servir », et, phrase définitive, « La mort au combat est la fin naturelle des mâles ». Il serait intéressant de retrouver les carnets personnels et les correspondances de subordonnés de Quinton, ne serait-ce que pour y rechercher comment ils appréciaient leur commandant. Des maximes qui s’inscrivent, on le voit, dans les courants philosophiques de la fin du xixe siècle et du début du xxe qui annoncent le culte du héros et la mise en valeur du sacrifice naturel pour des élites conscientes. Un mélange de réalisme froid et d’intellectualisation du combat et de la violence considérés comme inhérents aux âmes hautes. Un éclairage en creux aussi sur les courants de pensée des années 1900-1920.