Toujours aussi dense et documenté, le deuxième opus de cette uchronie nous livre les supputations scientifiques de ce qu’aurait pu être le déroulement de la Seconde Guerre mondiale avec le maintien de la France dans les combats de début 1941 à mai 1942. Bien que s’intéressant toujours aux sujets économiques, industriels, commerciaux, politiques et institutionnels, l’essentiel de ce livre reste les opérations militaires, mais dans des lieux ou à des époques où elles n’ont pas eu lieu. Si le style est accessible, il faut néanmoins être un « accro » du genre pour ne pas se laisser parfois déborder (ou saturer) par l’enchaînement des épisodes de cette guerre qui n’a pas existé. Malgré un humour toujours présent, l’aspect scientifique tourne parfois au « scientisme » où l’on fait valoir sa grande culture. Il n’est déjà pas évident de savoir ce qu’est un P40 Tomahawk ou Warhawk voire un P51 Mustang, alors utiliser à tour de bras Hawk 87, NA 73 et quelques autres ne facilite pas la lecture et finit par agacer un peu. Le paysage géopolitique change énormément par rapport à la réalité avec une armée française très présente en Méditerranée et en Indochine. Le poids de sa flotte, entre autres, et la parfaite coopération militaire avec nos alliés britanniques changent la donne stratégique (basculement de forces possible, sud de la Méditerranée entre les mains des Alliés) et occasionnent des pertes sensibles à la Luftwaffe ainsi qu’aux flottes italienne et, dans une moindre mesure, japonaise. De même, l’opération Barbarossa est retardée de onze mois. Les auteurs sont-ils subventionnés par la Marine nationale ? On peut se le demander lorsqu’en une semaine et dix pages celle-ci envoie par le fond l’orgueil de la flotte italienne, le cuirassé moderne Vittorio Veneto, puis, une semaine plus tard, lorsque le Richelieu, notre cuirassé moderne, avec l’aide de son escorte, coule le Bismarck et le croiseur lourd qui l’accompagnait. Excusez du peu On reste cependant dans le plausible même si les options choisies paraissent optimistes. La parfaite coopération franco-anglaise laisse davantage pensif. Certains détails de connaisseurs sont parfois très discutables (mais ce sont des détails). Cet exercice scientifique reste donc complet et la connaissance des matériels de l’époque et leur extrapolation, les évolutions des marines ou des aviations impliquées lui permettent de rester intéressant.
Bien évidemment, après avoir lu le premier, puis le deuxième tome, on ne peut laisser l’aventure en route, mais un petit effort stylistique serait apprécié. On s’arrête en mai 1941, juste avant la bataille de Midway (si elle a bien lieu dans le troisième tome) ; nos superbes croiseurs de bataille Strasbourg et Dunkerque partent pour les États-Unis afin de subir une modernisation avant de rejoindre l’Australie. Gageons, au rythme auquel nous sommes partis, qu’ils vont bien couler un ou deux cuirassés rapides japonais L’Italie a perdu près des deux tiers de sa flotte, son armée de l’air est malmenée ainsi que son armée de terre, même si elles semblent présenter une combativité peu conforme à l’image laissée dans l’histoire (le courage n’était pas en cause, mais l’organisation et la préparation à la guerre laissaient à désirer). Enfin, les Japonais ont déjà connu des revers et des pertes sensibles, ce qui n’était pas le cas à cette date. Même critique pour ce deuxième tome que pour le précédent : il manque des tableaux comparatifs entre la situation réelle et celle du livre. Il est ainsi difficile de comprendre que la marine italienne a perdu presque les deux tiers de son potentiel à la mi-1942 Il faut en effet se livrer au jeu de la bûchette au cours de la lecture pour apprendre que la Regia Marina a perdu trois cuirassés, douze croiseurs, quarante-cinq contre-torpilleurs et une vingtaine de torpilleurs, puis déduire que ce volume fastidieux à obtenir représente une grosse partie de cette dernière Avec ce que cela peut entraîner comme conséquences militaires et politiques !
Enfin, un aparté sur un sujet très précis pour démontrer les limites d’une démarche scientifique. Dans la postface, les auteurs expliquent que la bataille entre le Bismarck et le Richelieu, cuirassés de même catégorie et de puissance comparable, a fait l’objet de quatre simulations qui ont toutes donné notre gloire nationale victorieuse ! Nous sommes donc convaincus. Cependant, personne ne parle des problèmes rencontrés par les tourelles quadruples de nos cuirassés (et de ceux des Britanniques d’ailleurs) victimes d’un souci de dispersion des coups assez important, ce qui pourrait entamer l’optimisme des nombreux coups mis au but sur le Bismarck, sachant que ce problème n’a été réglé qu’en 1948 par la Marine nationale. C’est un détail, certes, mais la question est de savoir combien de petits détails auraient pu être ainsi oubliés, les sujets abordés touchant à de vastes domaines.