N°22 | Courage !

Dominique Barthélemy
La Chevalerie
De la Germanie antique à la France du xiie  siècle
Paris, Perrin, 2012
Dominique Barthélemy, La Chevalerie, Perrin

Dominique Barthélemy livre, ici, une version augmentée – enrichie de ses récents travaux sur les Sarrasins en particulier – et refondue de l’ouvrage publié sous le même titre en 2007 aux éditions Fayard. Son propos est organisé en six chapitres : « La vertu germanique », « Les vassaux dans le monde carolingien », « Une féodalité sans barbarie », « La mutation chevaleresque », « Croisade et chevalerie » puis, enfin, « Autour des princes du xiie siècle ». L’approche chronologique du phénomène prévaut, mais seule « la mutation chevaleresque » est explicitement définie dans le temps : 1050-1130. La précision trouve son explication dans les premières lignes de l’« argument », quand il signale que « la chevalerie classique […] s’est épanouie en France autour de l’an 1100 » (p. 9). Dominique Barthélemy voit derrière le mot « chevalerie » des hommes rompus à l’art de la guerre, spécialistes des techniques propres au combat à cheval et, surtout, respectueux d’un code de comportements marqué par la recherche de l’exploit, l’exaltation de la loyauté et la régulation de la violence. Déceler dans les pratiques germaniques décrites, entre autres, par Tacite à la fin du Ier siècle, les prémices de « la civilisation des mœurs » est la part la plus originale de l’« essai ». L’importance des temps carolingiens est soulignée. L’insistance sur les vassaux permet de donner toute sa force à la formule « mutation chevaleresque » et, surtout, au terme de « mutation ». Ce dernier, longtemps associé à l’affirmation des guerriers et à la montée de l’« anarchie féodale » autour de l’An Mil que l’auteur a vigoureusement dénoncées, vise ici la période 1050-1130 durant laquelle la chevalerie « s’épanouit » et acquiert, avec l’adoubement, les tournois et le développement de la littérature de cour, ses traits « classiques ».

Retenu en 2007, le terme « essai » définit encore le propos (p. 9). Le ton est aussi alerte, le goût des formules percutantes toujours sensible, mais les objectifs visés sont nuancés. En effet, l’auteur n’entend plus « partir en quête des racines franques et plus encore féodales de la chevalerie classique », mais « réexaminer la filiation germanique de la chevalerie classique, en entendant sous ce terme, repris du xixe siècle, non une race mais un type d’organisation sociale, aristocratique et marquée par l’honneur guerrier » (p. 11). S’il prévient ainsi toute accusation de nationalisme, il conserve néanmoins le même parti qu’en 2007 : une focalisation sur les usages « barbares », la matière de France et celle de Bretagne, pour ne faire qu’un « détour par Thèbes et Troie » (p. 457) sans évoquer la figure d’Alexandre. Il associe encore immédiatement chevalerie et aristocratie, un idéal à une élite sociale, au risque de considérer surtout la dernière et de décrire la « mutation chevaleresque » de l’an 1100 sans l’expliquer réellement.

Le discours est hardi et suggestif, mais l’analyse aurait cependant profité d’une meilleure prise en compte du projet de réforme mené par les « grégoriens ». Le dégager du cadre restreint des années 1049-1119 et ne pas le réduire à une volonté de contrôle de la violence permettraient, en effet, de montrer comment les descendants des vassaux carolingiens sont devenus les fiers chevaliers du xiie siècle, de comprendre donc la réorganisation de la société après 888 en cherchant à saisir les rapports de force, faits de tensions et de collaborations entre les élites, laïques ou non, aux temps féodaux. La « mutation chevaleresque » de l’an 1100 est indissociable de la mise en ordre(s) de la société entreprise par les réformateurs. Elle pourrait même en être un des fruits. Distingués des clercs par le mariage, les hommes de guerre se démarquent des autres laïcs par l’adoubement, la maîtrise des armes et une culture « chevaleresque ». La « chevalerie » leur offre la satisfaction de leurs aspirations sociales voire spirituelles. Elle contribue à les positionner socialement, mais aussi à les situer par rapport aux autres membres du corps social, le roi en particulier. La place qui leur revient et, le cas échéant, les honore prend, en effet, son sens et sa valeur au sein d’une organisation plus vaste, née, en l’occurrence, du mouvement d’ordonnancement de la société initié par les réformateurs.


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