« Pas de cheval, pas d’armée. » Voilà ce que de nombreux généraux auraient pu déclarer avant la guerre 1914-1918, parodiant ainsi le fameux « pas de pied, pas de cavalerie ». Mais en 1944, avec la mécanisation grandissante, le nombre de régiments montés avait considérablement réduit. En plus des goums montés des tabors marocains, il ne restait qu’une brigade à deux régiments (5e régiment de spahis marocains et 7e régiment de spahis algériens), qui termina la guerre en Forêt-Noire, et des unités dites « de souveraineté » restées en Afrique française du Nord (afn). À la fin des années 1940, le rôle que devait tenir le cheval dans la nouvelle arme blindée et cavalerie (abc) se limitait presque exclusivement à des activités sportives ou à des services d’honneur. En novembre 1948, ne furent maintenus pour les services d’honneur que quatre escadrons en afn1 et le 7e groupe d’escadrons de spahis algériens à Senlis. Il ne restait qu’une seule unité opérationnelle : l’escadron monté n° 3 du régiment mixte du Cambodge, entièrement armé par l’abc.
Les unités montées semblaient donc bel et bien avoir disparu de l’ordre de bataille. Pourtant, en Algérie, quatre régiments à cheval furent remis sur pied pour reprendre contact avec la population et combattre l’armée de libération nationale. En 1962, après avoir rendu de grands services au cours du conflit, tous disparurent. Le 7e escadron de spahis algériens de Senlis, dernière unité montée de l’abc, dont la mission était d’assurer des services d’honneur, fut dissous en octobre de la même année. La mécanisation de la cavalerie, commencée en juin 1916 avec l’apparition dans ses rangs d’automitrailleuses, était donc achevée. C’était la fin du cheval opérationnel dans les armées.
Pour autant, le cheval ne disparut pas totalement de l’armée de terre. Un besoin apparemment nouveau était apparu : le développement des sports équestres. En fait, les sports équestres militaires étaient, à l’époque, la moelle épinière de l’équitation en France. On pourrait croire que ce glissement de fonction du cheval pour la guerre vers le cheval pour le loisir sportif est spécifique à cette période. Pourtant, le débat entre la technicité équestre artistique et l’utilitarisme combattant existe depuis le xviiie siècle, et resurgit aujourd’hui sous d’autres formes avec quelques compléments inattendus.
Si l’équitation française doit beaucoup aux officiers de cavalerie qui surent la faire évoluer au fil des années, l’équitation sportive et académique ne prit réellement son essor dans l’armée de terre que très tardivement, car la priorité était donnée avant tout au service en campagne. En outre, le commandement craignait de voir les officiers de cavalerie faire passer l’équitation avant l’accomplissement de leur service.
C’est en 1744 qu’une école d’équitation véritablement militaire fit son apparition à Versailles, au sein de la compagnie des chevau-légers de la Garde. Le comte de Lubersac, qui avait été élève à la Grande Écurie, en dirigea l’instruction à partir de 1747, et « c’est sous son impulsion que s’est formée cette fameuse école des chevau-légers qui a fourni à la cavalerie les sujets les plus distingués »2. Cette école, destinée à former des officiers de cavalerie, prit place aux côtés de l’École de Versailles, elle-même créée en 1680 par la réunion de la Petite et de la Grande Écurie du roi, et composée exclusivement de civils. Ces deux écoles donnèrent naissance à deux types d’équitation dont les buts divergeaient. L’une était savante et académique, l’autre beaucoup plus utilitaire, car, comme le rappelait le marquis de Castries dans ses Observations sur l’état actuel et l’instruction de la cavalerie (1770) : « Sans équitation, on n’a pas de cavalerie, avec trop d’équitation, on n’en a pas davantage. »
Il n’en demeure pas moins vrai que l’école des chevau-légers de la Garde jouissait d’une haute réputation et comptait de grands écuyers parmi son personnel. Aussi, lorsqu’en janvier 1751 parut l’Édit du roi portant création d’une école militaire à Paris, Lubersac dut en désigner l’écuyer en chef parmi ses subordonnés. Cinq ans plus tard, à l’ouverture des cours, ce fut donc Jacques-Aymable d’Auvergne, membre du corps des chevau-légers de la Garde, qui fut nommé à ce poste. Il exerça les fonctions d’écuyer en chef de l’École militaire jusqu’au 23 mars 1776, date de leur suppression, puis lorsque cette école fut rétablie en 1777 sous la dénomination de Compagnie des cadets gentilshommes jusqu’à sa dissolution définitive, prononcée le Ier avril 1788.
L’équitation qu’il y enseigna fut « moins académique, plus simple, plus naturelle, plus hardie, plus militaire enfin, et non moins brillamment professée et pratiquée. […] D’Auvergne […] a été un chef d’école dans toute l’acception du mot. Il peut être considéré comme le “fondateur de l’équitation militaire française”. C’est lui qui a dépouillé l’équitation des dernières superfluités qu’elle présentait encore, pour la renfermer dans les seuls besoins des troupes à cheval ». Ses détracteurs furent nombreux, notamment à Versailles. Aussi, pour se justifier, d’Auvergne, parlant du dressage du cheval d’escadron, déclara : « L’art de l’homme de cheval ne devrait pas s’étendre plus loin. Il s’est étendu jusqu’à présent à former des chevaux que personne ne peut monter, et à ne point former des chevaux pour la guerre... Enfin, je ne veux jamais que ma science s’étende plus loin que pour former des hommes et des chevaux pour l’escadron. » Primaient donc l’emploi du cheval et la formation du cavalier pour le combat. C’est à d’Auvergne que l’on doit la généralisation de l’usage de la bride à quatre rênes dans la cavalerie, alors que le bridon (mors de filet) avait toutes ses préférences. « Je déteste la bride et suis, par conséquent, ami du bridon, dont les effets ne sont pas à comparer aux ravages affreux de la bride dans la bouche de l’animal. »
Après la désastreuse guerre de Sept Ans (1757-1763), le faible niveau d’équitation, et d’instruction en général, de la cavalerie française poussa Louis XV, sous l’impulsion du duc de Choiseul, à créer une école à Saumur en 1763. Cette école, encadrée par le corps des carabiniers, accueillit les officiers de tous les régiments de cavalerie pour les former au commandement des troupes à cheval. L’équitation qui y était pratiquée alors n’avait rien de savant et visait surtout à former des cavaliers aptes à faire campagne. Le combat, toujours le combat.
À la veille de la Révolution, il n’existait plus d’école de cavalerie. Les chevau-légers de la Garde avaient été dissous en 1787, et les écoles créées par Choiseul avaient toutes disparu, y compris celle de Saumur, où les carabiniers de Monsieur n’assuraient plus l’instruction des futurs officiers de cavalerie depuis 1788. Celle-ci se faisait alors en marchant ! Ne restait comme centre de formation équestre que la Grande Écurie, où n’était enseignée que l’équitation de manège, équitation technique assez éloignée des besoins des unités en campagne.
Elle fut dissoute en 1793 par la Convention. Mais, au mois d’août 1796, le Directoire décida qu’une école nationale d’équitation serait créée au manège de Versailles en utilisant les cavaliers et un assez grand nombre de chevaux de la Maison royale. Cette école, qui devint en 1798 l’École des troupes à cheval, était en fait une école d’équitation militaire où chaque régiment détachait un officier et un sous-officier afin d’y suivre des cours pendant un an, avant de retourner dans leur corps pour y diriger le dressage des jeunes chevaux et la formation des recrues. L’instruction équestre était répartie entre le manège « civil », dirigée par Jardin, Coupé et Gervais, anciens piqueurs du manège royal, et le manège « réglementaire », dirigé par deux capitaines de l’école.
Deux types d’équitation étaient donc enseignés, l’un académique, hérité du manège de Versailles, l’autre militaire, à vocation combattante. Il s’agissait de former des cavaliers complets, capables, au sein de chaque régiment, d’instruire les jeunes recrues et de diriger le dressage des jeunes chevaux. Cette école fut dissoute en août 1810 pour permettre la création de l’école spéciale de cavalerie de Saint-Germain où étaient formés les saint-cyriens destinés à cette arme. Cette dernière fut elle-même dissoute le 8 mai 1814 et remplacée par une école d’instruction des troupes à cheval, qui ouvrit ses portes, à Saumur, au mois de mars 1815. Parallèlement, le manège de Versailles fut rétabli en 1814 sous la direction de Pierre-Marie d’Abzac, ancien écuyer de la Grande Écurie. Après sa mort en 1827, c’est le comte d’Aure, lui-même ancien saint-cyrien, qui en devint le dernier écuyer en chef.
Suite à la participation de certains élèves de l’école de Saumur à la conspiration bonapartiste du général Berton, l’école de cavalerie fut dissoute et transférée à Versailles en 1822. Elle ne retourna à Saumur qu’en 1825, époque à laquelle le manège fut créé. Avec la disparition définitive du manège de Versailles en 1830, Saumur devint alors la seule institution d’État où l’équitation était enseignée.
Le manège de Saumur était alors composé exclusivement de civils, dont la plupart étaient d’anciens officiers de cavalerie. L’instruction équestre était dirigée par Chabannes et Cordier, chacun ayant le titre d’écuyer. Le premier avait « le piquet de la grosse cavalerie », le second « le piquet de la cavalerie légère ». Tous deux anciens capitaines de cavalerie, ils n’avaient pourtant pas la même formation équestre. Chabannes, élève de l’École militaire de Paris, avait eu pour maître le lieutenant-colonel d’Auvergne, dont il professait la doctrine. Cordier, en revanche, ancien élève de l’École nationale d’équitation, avait reçu l’enseignement équestre hérité de Montfaucon3, dont il était partisan. « Cordier, d’accord avec l’enseignement donné au manège pratique de Versailles, dont il était issu, exigeait un certain apprêt dans la position du cavalier, tandis que Chabannes, partisan déclaré de la position la plus naturelle, prenait le moelleux pour base de la tenue et regardait la perfection de l’assiette comme étant la première qualité du cavalier. Bien d’autres dissemblances, et de différents genres, existaient d’ailleurs entre les deux écuyers4. » L’un professait une équitation plutôt savante, l’autre une équitation plutôt utilitaire en vue du combat.
Avec l’appui du lieutenant-général Laferrière, commandant l’école, les principes de Montfaucon, pourtant plus académiques et donc moins adaptés aux besoins militaires de la cavalerie, finirent par triompher et formèrent le code de l’enseignement donné au manège académique ou civil. Mais l’Ordonnance de l’an XIII sur l’exercice et les manœuvres de la cavalerie s’appuyant sur les principes de l’école de d’Auvergne, il y eut désaccord entre l’enseignement équestre donné au travail militaire et celui du manège civil.
Le rétablissement de l’école à Saumur en 1825 marqua un tournant. La rédaction d’un nouveau règlement, le Cours d’équitation militaire à l’usage des corps de troupes à cheval, fut lancée afin de ne définir qu’une seule équitation pour les deux branches de l’instruction, que ce soit le manège ou le travail militaire en campagne. Des écuyers militaires figurèrent parmi les cadres du manège, qui fut placé sous la direction de Cordier, premier écuyer en chef de Saumur. Les allures artificielles (le passage et le piaffer) furent bannies. Une restriction maintenue par L’Hotte quand il fut écuyer en chef : « J’ai proscrit les allures artificielles pour les chevaux employés à l’instruction. Je n’ai fait d’exceptions que pour les [chevaux] sauteurs aux piliers et en liberté, dont le but est de concourir à donner de la tenue au cavalier. […] Point n’est besoin, d’ailleurs, d’allures artificielles pour perfectionner le talent de l’écuyer. »
Le comte d’Aure fut le second et dernier écuyer en chef civil. Il n’obtint ce poste, qu’il occupa de 1847 à 1854, qu’après bien des insistances : ce n’est qu’avec le départ à la retraite du maréchal Soult, ministre de la Guerre, et grâce au soutien du duc de Nemours, qu’il eut satisfaction. La querelle qu’il entretenait avec Baucher est restée célèbre. Contrairement à ce dernier, il prônait une équitation d’extérieur et sportive : « Lorsqu’on charge, les appuyers et les contre-changements de main ne servent pas à grand-chose. » C’est alors qu’il était écuyer en chef que les officiers de cavalerie commencèrent à s’inscrire à des compétitions sportives. En 1850, pour la première fois, certains participèrent à une course à Angers. À partir de cette date, ils furent nombreux à s’illustrer sur les champs de courses. La préparation au combat passait désormais par le sport !
En 1880 parut le premier règlement sur les courses militaires, avec des prix réservés aux « chevaux d’armes », c’est-à-dire destinés au service en campagne. Ceci marquait la volonté du commandement d’encourager la pratique de la compétition sportive afin de « développer, dans l’armée, le goût du cheval [et] la hardiesse du cavalier ». En 1877, un hippodrome de steeple-chase fut même installé pour les élèves de l’école sur le terrain de Verrie, à l’ouest de Saumur.
D’autres disciplines firent leur apparition. Vers 1880, des raids, ou courses d’endurance, commencèrent à être organisés. En 1883, le colonel de Lignière parcourut quatre cents kilomètres en quatre-vingt-deux heures et, en 1902, le raid Bruxelles-Ostende fut remporté par le lieutenant Madamet, qui couvrit les cent trente-deux kilomètres qui séparent les deux villes en sept heures. C’est également durant cette période que furent organisés les premiers concours hippiques auxquels les officiers devaient, dans un premier temps, participer en civil avec leurs chevaux personnels. Le commandement redoutait encore que la passion pour la compétition prît le pas sur le souci du service en campagne. Mais ces restrictions furent rapidement levées tant la pratique de la compétition était bénéfique aux officiers de cavalerie. En 1893, le capitaine Blaque-Belair, qui sera écuyer en chef de 1909 à 1913, publia un petit ouvrage intitulé Ludus pro patria, dans lequel il cite un général allemand qui déclarait qu’il « est toujours difficile de trouver un chef de cavalerie, mais si l’on veut en rencontrer un, qu’on le cherche parmi les caractères passionnés pour le sport : on ne le trouvera sûrement pas ailleurs ».
À la fin du xixe siècle, les officiers furent donc de plus en plus encouragés à pratiquer une équitation sportive. Pour allier le sport et la préparation du cheval de guerre, le championnat du cheval d’armes, ancêtre du concours complet, fut créé en 1902. Il fut disputé chaque année à Paris sur l’hippodrome d’Auteuil, pour le steeple, et au Grand-Palais pour le dressage et le concours hippique.
La Première Guerre mondiale ne permit pas aux cavaliers de réaliser les grandes chevauchées dont ils rêvaient, à l’exception de la chevauchée d’Uskub et de la prise de Naplouse. La mécanisation semblait inexorable. Pourtant, l’entre-deux-guerres fut sans doute la période la plus brillante de l’équitation sportive et académique à Saumur, sous l’impulsion des quatre écuyers en chef qui se succédèrent à la tête du manège : le lieutenant-colonel Wattel, le colonel Danloux, le chef d’escadrons Wallon et le chef d’escadrons Lesage. Les deux premiers finirent la guerre dans les chars, tout comme le colonel Decarpentry, ancien écuyer, qui, après avoir commandé la section de cavalerie de Saint-Cyr, fut nommé commandant en second de l’école de cavalerie. Tous avaient conscience que bientôt le cheval n’aurait plus sa place sur le champ de bataille et que l’instruction équestre dispensée à Saumur devait plus s’orienter vers l’équitation sportive que vers l’équitation purement militaire. À partir de cette époque, les équipes militaires firent une moisson de médailles dans bon nombre de concours internationaux. Entre 1930 et 1934, on dénombra cent quarante-neuf victoires internationales individuelles et onze coupes des nations remportées. On peut noter également qu’en 1935, alors qu’il était lieutenant, le général de Castries, qui commanda à Dien Bien Phu, avait battu le record du monde de saut en hauteur en franchissant deux mètres trente-huit avec le cheval Vol-au-Vent.
Après la Seconde Guerre mondiale, lors de la création de l’École d’application de l’armée blindée cavalerie (eaabc), en octobre 1945, le commandement s’empressa de remettre sur pied le manège, alors que la mission de l’école était de former les cadres des unités blindées. Dans le courant du mois, le capitaine Margot (écuyer en chef de 1945 à 1958), fut muté à l’école avec dix sous-officiers et trente palefreniers militaires. Une centaine de chevaux lui furent affectés et les écuyers de l’École nationale d’équitation, créée avec le Cadre noir à Fontainebleau en 1942, arrivèrent dans le courant de l’année 1946. Le centre de Fontainebleau prit l’appellation de Centre national des sports équestres le 1er novembre de cette même année. Ses missions étaient de préparer les compétitions nationales et, surtout, internationales.
Si, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’équitation et l’élevage français reposaient encore largement sur les épaules des militaires, c’est qu’il n’existait pas suffisamment de structures civiles pour pratiquer l’équitation et, par conséquent, les éleveurs de chevaux de selle comptaient encore sur l’armée pour acheter bon nombre de leurs bêtes. De plus, la renommée de l’équitation militaire et son caractère formateur militaient en faveur du maintien d’une pratique de l’équitation sportive chez les officiers de l’abc. Pour le commandement, l’instruction équestre, qui demeurait un des plus sûrs moyens de maintenir dans cette arme les qualités d’allant et d’audace, était du domaine de l’écuyer en chef. En 1954, ce dernier disposait de onze écuyers et sous-écuyers, de onze sous-maîtres et de deux cent soixante chevaux. Deux des cinq manèges que possédait autrefois l’école furent conservés. Et les hippodromes de Verrie et du Breil, situés à proximité de Saumur, étaient fréquemment utilisés pour les épreuves d’extérieur et d’obstacles. Mais ce ne fut qu’à partir de 1956 que la compétition fut assignée au manège de Saumur comme mission cardinale.
En 1960, alors que l’armée de terre comptait encore cent vingt et un chevaux de compétition internationale et cinquante de compétition nationale, les militaires français participèrent à soixante-neuf épreuves internationales et remportèrent seize premiers prix, vingt-quatre deuxièmes prix et vingt-trois troisièmes prix. Au niveau national, ils coururent quatre-vingt-dix-sept épreuves de saut d’obstacles, trente de concours complet (vingt et un premiers prix, dix-sept deuxièmes prix et quatorze troisièmes prix) et douze de dressage (huit premiers prix, quatre deuxièmes prix et trois troisièmes prix). En outre, ils remportèrent trente-six courses internationales ou mixtes (ouvertes aux civils et aux militaires) pour soixante-dix-huit participations. À cette époque, les sports équestres français reposaient sur les épaules des officiers de cavalerie, pour qui monter à cheval était une activité importante entre deux séjours en Indochine ou en Afrique du Nord.
Entre 1900, date de l’apparition de l’équitation comme discipline olympique5, et 1963, tous les médaillés olympiques français sont des militaires, à trois exceptions près6. Par la suite, l’adjudant-chef Guyon remporta la médaille d’or du concours complet à Mexico en 1968 et, plus récemment, le major Didier Courrège la médaille d’or par équipe dans cette même discipline en 2004, à Athènes.
En 1963, pour des raisons d’économie, le nombre de chevaux militaires fut réduit à cinq cents pour l’ensemble de l’armée de terre. Les sociétés hippiques nationales, placées sous la triple tutelle des ministères de la Défense, de l’Agriculture, et de la Jeunesse et des Sports, furent créées pour prolonger l’action des sections équestres militaires. Tout en conservant des cavaliers de haut niveau, l’armée de terre participa activement à l’essor de l’équitation en France.
À partir des années 1970, des clubs d’équitation civils sont apparus un peu partout en France et le rôle moteur qu’avaient les sports équestres militaires a considérablement diminué, y compris à l’École nationale d’équitation, où on ne compte plus que sept militaires parmi les quarante écuyers du Cadre noir.
L’esprit dans lequel est menée l’instruction équestre dans les écoles militaires a également considérablement évolué. Il ne s’agit plus de reprises sans étriers menées à la chambrière, qui firent haïr l’équitation à des générations d’officiers, mais de séances pédagogiques dont le but est de permettre de tirer profit du large éventail de ressources qu’offre l’équitation en matière de formation, en particulier pour les cadres : endurance, souplesse, volonté, contrôle de soi, goût du risque et rapidité de jugement. Le problème est que les séances à la chambrière ont laissé des traces dans l’esprit des décideurs et que, les problèmes budgétaires aidant, l’équitation est plus envisagée comme un coût que comme un investissement formateur à la fois individuellement et collectivement.
Moins élitiste qu’elle a pu l’être auparavant, l’équitation pratiquée dans les armées est accessible à tous : militaires du rang, sous-officiers et officiers, bien que la restructuration de l’armée de terre ait récemment privé bon nombre d’unités de leur section équestre. Dans certaines de ces sections, comme à Metz, la découverte du cheval par les jeunes recrues permet de conforter l’appréciation portée sur les militaires du rang pendant la formation initiale. L’encadrement, aidé par le maître de manège, étudie les réactions des subordonnés : le sens de la camaraderie et l’esprit d’équipe, l’écoute, l’attention à l’autre, la maîtrise de soi face à un animal étranger au monde contemporain, la volonté et la persévérance, la confiance dans le chef qui explique. En outre, pour les familles de soldat, le cheval militaire est bien souvent le seul moyen de pouvoir monter, quelle que soit la catégorie sociale. Une pratique qui offre un ciment social et sportif, réel atout dans certaines garnisons peu favorisées. Enfin, la pratique de ce sport permet aux militaires de porter leur uniforme lors de compétitions sportives, ce qu’aucun autre sport ne permet de faire. De vecteur d’arme, le cheval est devenu vecteur de communication. En fait, la pratique de l’équitation est une spécificité militaire qui répond à un besoin clairement identifié.
Héritiére d’une longue tradition, l’équitation militaire française, bien qu’orientée principalement vers le service en campagne, a permis au fil des années de conserver le patrimoine immatériel équestre français tout en sachant le faire évoluer. Devenue exclusivement sportive à partir de 1962, elle représente un atout considérable pour les armées tant dans la formation et la préparation opérationnelle du personnel que dans les liens entre l’armée et la nation. Aujourd’hui, les engagements opérationnels en terrain difficile suscitent un nouvel intérêt pour le cheval. Les Américains réfléchissent d’ailleurs à l’emploi d’unités montées d’un nouveau type, très légères et très rustiques. L’art équestre, le service en campagne, l’entraînement au combat par le sport, le rôle social, tout cela se mélange, aujourd’hui comme hier, lorsqu’il est question du cheval dans les armées.
1 Le 4e escadron de spahis tunisiens à Tunis, le 6e escadron de spahis algériens à Alger, le 9e escadron de spahis algériens à Batna et le 3e escadron de spahis marocains à Rabat.
2 François-Alexis L’Hotte, Un officier de cavalerie, Paris, Plon, 1905.
3 Montfaucon de Rogles (1717-1760), page de la Grande Écurie de 1738 à 1742, cornette de cavalerie en 1745, est mis à la tête du manège des chevau-légers de la Garde en 1747, position qu’il abandonna en 1751, étant nommé écuyer ordinaire de la Petite Écurie du roi, commandant l’équipage du Dauphin, père de Louis XVI. Il mourut en 1760. Il définit la doctrine équestre de Versailles dans son traité, paru en 1778, puis réédité en 1810.
4 L’Hotte, op. cit.
5 En fait, avant la Première Guerre mondiale, l’équitation ne fut discipline olympique qu’en 1900 et 1912.
6 Jean-François d’Orgeix fut le premier cavalier civil français médaillé en cso (médaille de bronze à Londres en 1948 avec Sucre-de-Pomme). Quant à Pierre Jonquère d’Oriola, qui fut le deuxième (médaillé d’or à Helsinki en 1952), il faut noter qu’il montait un cheval militaire (Ali-Baba). À Rome, en 1960, M. Jéhan Leroy fut le premier cavalier civil français médaillé en concours complet (médaille de bronze par équipe avec le capitaine Guy Lefrant et l’adjudant-chef Jack Legoff). Mais il fallut attendre 1988 pour qu’un cavalier civil français, Margit Otto-Crepin sur Corlandus, soit médaillé en dressage (médaille d’argent en individuel).