Évoquer début 2020 la remise en cause de la maîtrise de certains espaces renvoie aux évolutions, voire à la révolution, qu’est en train de connaître l’espace exo-atmosphérique. Jusqu’à une période récente, il était encore possible de considérer celui-ci comme un milieu relativement protégé, susceptible d’échapper aux confrontations qui ont jalonné l’histoire de l’humanité, et peu concerné par une approche géographique comme le sont les territoires à la surface de la Terre. Pourtant, alors que la conquête spatiale a désormais plus de soixante ans, il existe bel et bien une géographie et une géopolitique de l’espace.
La géographie peut être définie sommairement comme la science de la connaissance des aspects naturels et humains de la surface terrestre qui permet de comprendre l’organisation des phénomènes se manifestant dans notre environnement. On constate que cette définition est facilement transposable à la troisième dimension : l’espace exo-atmosphérique. Une approche géographique, géopolitique et géostratégique de l’espace est indispensable à la compréhension du monde contemporain tant les activités spatiales se définissent dans leur rapport avec la Terre, tant les technologies et les capacités spatiales établissent de nouveaux rapports de force entre États, et tant la dimension géopolitique de l’espace participe à la transformation de la notion même de frontière.
- Un nouveau milieu d’affirmation de puissance des États
Dès la guerre froide, l’espace constituait un enjeu pour les grandes puissances, principalement pour les États-Unis et l’Union soviétique. Même si son arsenalisation et le développement d’armes antisatellites (asat) basées au sol ou aéroportées avaient débuté dès le début des années 1960 dans ces deux pays, l’espace était resté durant cette période un milieu sanctuarisé car directement lié à la dissuasion nucléaire – il était le lieu de transit des missiles balistiques intercontinentaux – et les nations ayant droit au chapitre appartenaient à un club très fermé. Par ailleurs, les capacités spatiales, utiles notamment pour observer les arsenaux adverses, participaient à l’équilibre nucléaire et ne pouvaient raisonnablement constituer des cibles militaires conventionnelles.
Cette sanctuarisation de l’espace s’est maintenue jusqu’au milieu des années 2000. L’espace exo-atmosphérique était alors l’objet d’une domination américaine sans partage, le grand compétiteur qu’était l’Union soviétique ayant disparu. C’est aussi durant cette même période que la France a développé ses programmes spatiaux spécifiquement militaires, tel qu’Hélios pour l’observation, ainsi que des capacités en matière d’écoute électromagnétique. Les conflits qui ont émaillé les années 1990 à 2005 (guerre du Golfe, Kosovo…) ont fait un large usage des capacités spatiales, notamment américaines, et en particulier du système gps.
Cette situation a été remise en question à partir du milieu des années 2000 avec, d’une part, la volonté de la Russie de revenir dans le jeu des puissances avec lesquelles il faut compter et, d’autre part, celle de la Chine de contester la domination américaine. N’oublions pas que l’effort spatial chinois s’est effectué dans le long terme et que la Chine fut la cinquième puissance à placer par ses propres moyens un satellite en orbite en 1970, après l’Union soviétique, les États-Unis, la France et le Japon. Remarquons également qu’elle a très tôt pris ses distances avec l’Union soviétique et a tenu à réaliser seule lanceurs et satellites.
Les leçons de la guerre du Golfe et l’avantage procuré aux États-Unis par ses capacités spatiales ont bien été comprises. D’anciennes grandes puissances, ou des pays aspirant à le devenir, ont fait le constat qu’elles n’avaient finalement été que des spectateurs de la démonstration de force américaine. C’est ce qui va amener la Chine, forte de sa vitalité économique, à faire d’importants efforts pour développer ses systèmes spatiaux tout comme la Russie pour relancer les siens. Ces deux pays ont par ailleurs investi dans des systèmes antispatiaux. En janvier 2007, la Chine a réalisé avec succès l’interception d’un de ses satellites à une altitude de huit cents kilomètres par un engin dérivé du missile balistique sc-19, démontrant ainsi à la face du monde sa maîtrise des armes cinétiques antisatellites.
Bien entendu de telles démonstrations ne sont pas nouvelles. Les commentateurs avaient oublié un peu vite que les Américains et les Soviétiques avaient procédé à des démonstrations de ce type avec les missiles Bold Orion (aussi appelés ws-199b) et v1000 en 1959 et 1961 respectivement. Les Américains ont d’ailleurs par la suite mis au point le missile asm-135 asat, tiré d’un avion f15, et qui utilisait le puissant radar de pointe avant du f15 comme moyen de désignation de la cible. C’est ce système qui, en 1985, a été utilisé pour détruire le satellite Solwind. Aujourd’hui, un système américain à capacité antisatellites existe ; il est fondé sur les missiles rim-161 Standard Missile 3 directement issus du programme de défense antimissile balistique (damb) et mis en œuvre à partir de croiseurs. C’est d’ailleurs avec ce moyen qu’a été détruit en 2008 un de leurs satellites avant sa rentrée atmosphérique, et ce pour répliquer à la démonstration chinoise.
Il est intéressant de constater que la position française a elle aussi évolué progressivement : les documents officiels récents tels que la Revue stratégique de 2017 et Chocs futurs du Secrétariat général de la défense et de la sécurité intérieure (sgdsn) ont pour la première fois mentionné l’arsenalisation ou l’insécurisation de l’espace et ont cité « l’espace exo-atmosphérique » dans le cadre de la rubrique « des espaces contestés ». Il y est notamment indiqué qu’il s’agit d’un milieu « peu régulé » et que la banalisation de son accès va en faire un domaine de confrontation entre États.
Les positions très récentes adoptées aux États-Unis viennent renforcer cette tendance. Lors de la troisième réunion du National Space Council, le 1er juin 2018, le président américain a souligné l’importance du spatial en matière de création d’emplois et de fierté nationale, mais aussi dans le domaine de la défense. C’est dans ce contexte qu’il a demandé à la Défense de mettre en place une Space Force. Après avoir affirmé sa détermination à maintenir et à renforcer la suprématie américaine dans l’espace, et indiqué vouloir soutenir les ambitions spatiales du secteur privé national, notamment en modernisant un corpus réglementaire estimé obsolète, il a signé la Space Policy Directive 3 (spd 3), un texte qui précise un ensemble de lignes directrices destinées à permettre aux États-Unis d’occuper la place de leader dans le domaine de la gestion du trafic spatial et d’atténuer l’impact des débris spatiaux.
Ici encore, il ne s’agit pas à proprement parler d’une nouveauté. Les États-Unis ont toujours considéré l’espace comme un milieu de conquête et tenu à s’en assurer le contrôle, la défense américaine étant corrélativement très dépendante du spatial. L’essai chinois, début 2007, a clairement relancé la crainte que cette suprématie soit contestée à l’avenir, et les dernières déclarations et décisions du président Donald Trump ne font en réalité qu’affirmer haut et clair ce qui était dans tous les esprits depuis une dizaine d’années.
Plus récemment encore, l’intervention de Florence Parly, ministre des Armées, le 7 septembre 2018, indique que la France assume aujourd’hui un nouveau discours sur l’espace, orientation confirmée par le président de la République le 13 juillet 2019 puis déclinée par la ministre le 25 juillet. Elle souligne l’importance de l’espace pour les armées françaises et la souveraineté de la France. Des déclarations telles que « opérer grâce à l’Espace et dans l’Espace, c’est notre horizon » ou « protéger nos moyens dans l’espace » l’attestent.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le jeu des puissances ne se calme pas puisque l’Inde a procédé le 27 mars 2019 à la destruction par missile d’un de ses satellites à trois cents kilomètres d’altitude. On a aussi pu constater avec les réactions américaines combien ce sujet provoquait un certain agacement sous couvert du risque de pollution de l’espace par les débris issus de tels tests.
Par ailleurs, une difficulté tient au fait que le milieu spatial est naturellement agressif en raison des conditions physiques qui y règnent. Les menaces les plus à craindre ne sont probablement pas les moyens cinétiques. Il est en effet possible de neutraliser un moyen spatial sans le détruire grâce à l’emploi de moyens non cinétiques (brouillage, aveuglement par laser, attaques cyber, rendez-vous en orbite) plus ou moins discrets, et surtout beaucoup plus difficiles à détecter et à attribuer.
- Un manque de régulation qui laisse libre cours aux ambitions
Les grands principes internationaux régissant l’utilisation de l’espace ont été élaborés et adoptés durant une période d’une vingtaine d’années sur fond de guerre froide de 1958 à 1979. Le traité de l’espace (Outer Space Treaty) est entré en vigueur le 10 octobre 1967 et a posé les bases d’un accord sur l’exploration de l’espace dans un climat de course à la conquête lunaire entre les deux « super grands ». Il stipule notamment que « l’exploration et l’utilisation de l’espace, incluant la Lune et les autres corps célestes, devront être entreprises pour le bénéfice et les intérêts de toutes les nations, indépendamment de leurs niveaux de développement économique et scientifique, et devra être l’affaire de toute l’humanité ». En pratique, la seule réelle contrainte imposée par ce traité est l’interdiction du déploiement en orbite d’armes de destruction massive – il est très peu explicite sur d’autres utilisations militaires de l’espace.
Des discussions internationales sur le contrôle des armements dans l’espace se sont poursuivies depuis les années 1980, mais n’ont pas abouti à la signature de textes juridiquement contraignants, bien que la Conférence du désarmement prenne en compte depuis 1982 l’arsenalisation de l’espace au travers d’un thème spécifique : Prevention of an Arms Race in Outer Space (paros). Pendant la décennie 2000, le couple Russie-Chine a présenté des projets juridiquement contraignants portant sur l’interdiction généralisée de déployer des armes dans l’espace (ppwt) et de recourir à la force contre des objets spatiaux. La Russie, de son côté, a proposé un concept d’engagement à ne pas déployer d’armes en premier dans l’espace. Mais ces deux projets souffrent de graves lacunes et incohérences, notamment la difficulté à définir ce qu’est véritablement une arme spatiale, et surtout l’absence de mécanismes de vérification crédibles et partagés.
Compte tenu de ces difficultés, l’Union européenne a lancé dès 2008 un projet de code de conduite sur les activités extra-atmosphériques et dans l’enceinte du Comité pour l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique (cupeea) à Vienne. Il s’agit essentiellement de promouvoir des mesures de confiance et de transparence fondées sur l’échange d’informations, telles que la notification des lancements spatiaux et des manœuvres potentiellement dangereuses, ainsi que sur des engagements comme celui de ne pas détruire ou endommager des systèmes spatiaux. Cependant, ce code s’est heurté à l’opposition de la Chine et de la Russie, qui l’on perçu comme un concurrent à leurs propres propositions. D’autres discussions et propositions ont été lancées, mais elles ont toujours fait face à une opposition virulente de la Russie.
En marge des travaux d’élaboration des traités, et concernant des aspects plus techniques et technologiques, les États-Unis, par l’intermédiaire de la darpa, ont, courant 2016, réuni un consortium baptisé Consortium for Execution of Rendezvous and Servicing Operations (confers) dont l’objectif est de définir des standards pour des activités de « rendez-vous » et de « services » en orbite, standards pour lesquels il n’existe à ce jour aucune vision partagée. Les membres de ce consortium sont des opérateurs de satellites, des constructeurs de satellites de services, des assureurs, essentiellement américains. Seuls deux industriels européens, Airbus et tas, sont présents. La darpa espère aboutir à une norme mondiale – il est important pour les industriels intéressés par le sujet de participer, car les travaux de normalisation devraient directement influencer les règlementations techniques futures.
Ce manque de régulation, voire l’absence de réelles contraintes, ouvre la porte à des comportements peu imaginables il y a encore une dizaine d’années, comme une possible compétition minière pour l’exploitation des astéroïdes. Ainsi, les États-Unis ont adopté en 2015 une loi qui fait officiellement de l’espace un nouveau territoire pour la recherche de matières premières. Le Luxembourg a été le deuxième pays au monde à se doter d’un cadre juridique pour exploiter les ressources spatiales : le 13 juillet 2017, il a adopté une loi autorisant l’exploration et l’utilisation des ressources de l’espace. « Les ressources de l’espace sont susceptibles d’appropriation » stipule son premier article. Le gouvernement luxembourgeois souligne qu’il ne s’agit pas d’ouvrir la porte à des revendications de souveraineté sur les corps célestes, interdites par le traité international de 1967, mais de permettre d’exploiter ce qu’ils contiennent, tout comme les océans sont sillonnés par les pêcheurs sans qu’ils en soient pour autant propriétaires.
- De nouveaux acteurs
Le secteur du spatial en général et du spatial militaire en particulier connaît depuis quelques années de nombreux bouleversements venus des États-Unis. Désormais, ce ne sont pas seulement des pays qui affirment ou réaffirment leurs intentions de puissance, mais également des acteurs privés. Cette « révolution dans les affaires spatiales », appelée parfois New Space, a été très largement ignorée ou sous-estimée par les acteurs européens du domaine. Pourtant, depuis le milieu des années 2000, les signes étaient nombreux et largement relayés par la presse spécialisée. Le changement de situation est particulièrement visible et ressenti pour l’accès à l’espace où les images spectaculaires de retour d’étages récupérables de lanceurs de la société d’Elon Musk Space Exploration Technologies (space x) ont fait le tour du monde. La révolution concerne aussi les systèmes orbitaux avec l’apparition de satellites plus petits, moins coûteux et avec des performances parfois suffisantes pour intéresser la défense. Tout cela s’accompagne d’un raccourcissement des temps de conception des plateformes et des charges utiles.
Ce qui est nouveau aujourd’hui, ce sont les changements d’acteurs et la contraction du temps d’élaboration de nouveaux produits. Les Européens n’imaginaient pas que des personnes privées ayant fait fortune dans des secteurs n’ayant rien à voir avec le spatial (Paypal, Amazon…) seraient mues par une ambition qui les amènerait à se donner les moyens de bâtir une nouvelle industrie employant de nouvelles méthodes. Ces personnes ont un parcours peu lisible pour un Européen ; Elon Musk, par exemple, a changé deux fois de nationalité, a fait des études diversifiées marquées d’interruptions, décidant de créer en 2002 space x parce qu’il estimait que la nasa manquait d’ambition. Il faut aussi remarquer qu’aux États-Unis, les acteurs étatiques, à commencer par cette nasa si critiquée, ont finalement largement collaboré en mettant de nombreux moyens et compétences à disposition de ceux qui portaient cette ambition bien qu’ils ne soient pas à l’origine des nouveaux concepts.
Cependant, cette « nouveauté » de l’acquisition de capacités par des acteurs privés aux États-Unis n’est pas nouvelle ; elle fait partie intégrante de l’histoire de ce pays, y compris dans le domaine de la science fondamentale. Si on considère l’exemple de l’astronomie et de l’astrophysique, de nombreux observatoires de premier plan furent financés par des milliardaires ayant fait fortune dans les secteurs industriels qui ont accompagné le développement du pays. Hier, c’est J. D. Hooker, magnat de la sidérurgie, qui finançait le télescope de deux mètres cinquante avec lequel Hubble allait découvrir l’expansion de l’univers ; vingt ans plus tard, c’est au tour de la fondation Rockefeller avec le télescope de cinq mètres du mont Palomar ; aujourd’hui, ce sont Elon Musk, Jeff Bezos et d’autres qui s’impliquent dans l’aventure spatiale et portent une ambition digne d’un État. On observe d’ailleurs des signes du même type autour de l’enjeu d’un avion d’affaires supersonique.
Des acteurs nouveaux se sont même emparés de sujets typiquement du ressort des États, essayant de trouver des solutions au manque de règlementation internationale en proposant des règles de conduite, des pratiques standardisées ou des accords spécifiques. C’est ainsi que des initiatives universitaires ont été lancées avec l’objectif de recenser l’état du droit international applicable aux activités spatiales militaires en élaborant des manuels, dans le même esprit que le manuel de Tallinn pour le domaine cyber. Les réflexions sont menées par des groupes d’experts composés de spécialistes de droit spatial et de droit militaire et d’opérationnels sur une base de représentation purement personnelle n’engageant que leurs auteurs afin de faciliter l’obtention d’un consensus. La première, Manual on International Law Applicable to Military Uses of Outer Space (milamos), est pilotée par l’université McGill du Canada. La seconde, woomera, à l’ambition plus modeste, vise à faire un état du droit applicable au recours à la force et à la conduite des hostilités dans et depuis l’espace extra-atmosphérique.
- Une diffusion des technologies spatiales sur fond de recherche
de technologies disruptives
Ce changement de paradigme d’un milieu spatial exempt de menaces crédibles à un milieu spatial désormais menacé s’est encore renforcé tout au long de la décennie 2010 sous l’impulsion du développement de nouvelles technologies visant notamment à réduire la taille des satellites. C’est la Small Satellite Revolution lancée aux États-Unis qui a naturellement joué un rôle dans les systèmes embarqués et leur miniaturisation. Tous les sous-systèmes qui interviennent sont concernés par cette tendance. Il est aujourd’hui possible d’intégrer de la propulsion électrique à des satellites de petite taille et même à des nanosatellites. Ce mode de propulsion permettra d’évoluer en orbite et de rendre ces petits satellites manœuvrants. Lorsqu’on associe cette fonctionnalité à de nouveaux capteurs (optroniques ou radar) et de la robotique spatiale, on peut facilement imaginer ce que cela ouvre comme possibilités, notamment pour les applications militaires dans l’espace.
Les technologies deviennent également beaucoup plus accessibles, dans le spatial comme dans d’autres secteurs : leur diffusion augmente et permet à un nombre croissant de pays de disposer d’un satellite ; aujourd’hui, ils sont plus de soixante, alors qu’il y a encore vingt ans, le « club » avait peu évolué depuis la fin de la guerre froide. L’intérêt d’acteurs privés en mesure de financer un effort technologique dans le spatial fait qu’on doit s’attendre à un développement rapide de technologies profondément duales avec les risques afférents. Il ne s’agit pas de prétendre que des satellites de petite taille pourront répondre à tous les besoins. Mais on ne peut plus ignorer leurs apports, y compris pour des applications opérationnelles.
Il existe également aux États-Unis plusieurs initiatives en faveur de percées technologiques radicales susceptibles de « changer la donne ». Par exemple, le projet Breakthrough Starshot, financé par Iouri Milner, qui a démarré en 2016 et qui se propose de trouver des solutions aux contraintes de temps imposées par les méthodes de propulsion conventionnelles pour l’exploration lointaine de l’espace. Pour cela, il suggère d’envoyer un grand nombre de petites sondes spatiales de très faible masse munies de voiles solaires qui seraient accélérées par la pression de radiation engendrée par l’énergie d’un laser basé sur Terre. L’objectif affiché est de parvenir à atteindre environ 20 % de la vitesse de la lumière. La flotte de petites sondes serait accélérée sur une distance de l’ordre de deux millions de kilomètres. Bien entendu, un tel projet comporte des défis techniques et technologiques à tous les niveaux. N’oublions pas que ce projet permet de reprendre des études et des expérimentations, notamment sur des sources laser de très grande puissance, qui avaient été entamées lors de l’Initiative de défense stratégique au début des années 1980. Même si l’objectif initial ne peut être atteint, les avancées obtenues pourraient révolutionner notre manière d’explorer l’espace à commencer par le système solaire. De surcroît, la mise au point de capteurs performants de très faible masse aurait automatiquement des répercussions sur les activités militaires dans l’espace circumterrestre.
- Exister comme puissance spatiale au xxie siècle
Si les Européens accusent un retard, c’est avant tout par manque d’initiative et d’audace. En cela la situation New Space n’est pas radicalement différente de celle de l’Old Space. L’Union soviétique puis les États-Unis ont conquis l’espace en 1957 et 1958, la France en 1965, soit seulement sept ans plus tard. Ce qui surprend aujourd’hui, c’est l’accélération du tempo de l’innovation ainsi que la multiplication du nombre d’acteurs étatiques et privés. Nous ne sommes plus dans un club fermé avec pour seuls membres des interlocuteurs que nous connaissons bien.
En choisissant une attitude de suiveur et en refusant le risque lié à l’innovation, les Européens s’étaient placés en position au mieux de deuxième. La situation est plus critique aujourd’hui avec les ambitions chinoises clairement affichées sur tous les segments du spatial, qui risquent de reléguer l’Europe à un rôle marginal. L’inflexion politique donnée en France mi-2019 est le signal d’une volonté de ne pas s’en satisfaire.
Il est et sera de plus en plus indispensable de « savoir ce qui se passe » dans l’espace tant en termes de la population d’objets spatiaux que des conditions physiques qui y règnent à un instant donné. Pour ce faire, la disponibilité d’un système souverain de surveillance de ce milieu ainsi que de capacités de « météorologie spatiale » est indispensable afin d’être capable de différencier une agression subtilement menée d’une panne toujours possible. La France, qui fait partie du club très fermé des pays disposant déjà de telles capacités, notamment avec le système graves de l’onera opérationnel depuis 2005, prépare leur renouvellement. Il faut cependant stimuler la recherche technologique en France et en Europe « à l’américaine », c’est-à-dire en fixant des objectifs apparemment inatteignables. C’est à cette condition qu’on aboutit à des concepts et à des technologies disruptifs ! C’est cette attitude qui permet d’éviter d’être surpris alors que l’on a affirmé quinze ans auparavant : « Ce n’est pas possible, ça ne marchera jamais. »