N°29 | Résister

Jared Diamond
Le Monde jusqu’à hier
Paris, Gallimard, 2012
Jared Diamond, Le Monde jusqu’à hier, Gallimard

Jared Diamond est un biologiste dont les travaux l’ont amené à s’interroger sur l’inégalité des sociétés entre elles. Pourquoi certaines, bien que moins avantagées sur le plan économique, humain ou technique, ont réussi à s’imposer tandis que d’autres ont été dominées alors qu’elles avaient tout pour réussir ? Le Monde jusqu’à hier est son ouvrage le plus récent. Il se penche sur des sociétés non étatiques, ou moins organisées, notamment celles que l’on peut rencontrer encore en Nouvelle-Guinée. Il ne s’agit pas d’un livre faisant l’apologie d’une société ancestrale idéale. Son approche n’est ni « rousseauiste » ni « hobbesienne ». Il montre comment se trouvent régulés certains enjeux sociaux, des différends, des conflits. Deux chapitres nous intéressent plus particulièrement. Diamond y traite de la guerre dans certaines communautés papoues, faisant des comparaisons avec les pratiques guerrières en Occident. Ses conclusions ne sont pas originales dans le sens où il reprend les thèses de Keeley ou de Leblanc. Mais il soulève quelques questions qui invitent à réflexion. Depuis plusieurs décennies, un certain nombre d’hypothèses s’affrontent. Il montre par exemple que le taux de pertes dans les sociétés papoues lors de guerres entre tribus est largement plus élevé qu’entre États. Ainsi, dans certaines sociétés dites traditionnelles, ce taux annuel est de près de 1 % alors qu’il est de 0,07 % en France au xixe siècle et de 0,15 % sur le territoire russe au xxe ! Un autre chiffre intéressant est la taille des armées. Chez les Papous, il n’existe pas de non-combattants à l’exception des femmes et des enfants. Tous les adultes mâles sont des guerriers. En comparaison, la Grande Armée ne représentait, elle, que 2 % de la population de l’Empire ! L’idée de Diamond est que la formation d’États complexes permet d’assurer la paix de façon plus efficace que de petites sociétés. En soutenant à l’origine une « caste » d’administrateurs, ne produisant rien mais garantissant la paix, la plus grande partie de la population se voit assurée d’une paix durable.

L’autre point important exposé par Diamond est que ces guerres entre sociétés non étatiques se déroulent entre personnes qui sont liées. Cette constatation vient contredire une hypothèse émise couramment pour expliquer la violence extrême : il serait plus « facile » d’être violent envers un individu que l’on ne connaît pas ou que l’on ne considère pas vraiment comme un être humain. Or Diamond arrive à la conclusion inverse. Il montre que la plupart des conflits se produisent entre des groupes qui sont liés par des échanges commerciaux et matrimoniaux.

Ces conclusions sont troublantes et vont à l’encontre de nombreuses certitudes : les sociétés préétatiques sont violentes et beaucoup plus que les sociétés étatiques, et la violence est plus extrême puisqu’elle concerne des groupes humains très liés. On peut se demander s’il ne s’agit pas d’un retour de Hobbes sur le devant de la scène dans le débat sans fin qui l’oppose à Rousseau depuis presque trois siècles. Les sociétés organisées sont obligées, en se complexifiant, de réguler la violence interne sous peine d’être détruites par l’anomie générée. Il y a donc une nécessité à la pacification de leurs membres, ce que Norbert Élias a montré dans les sociétés occidentales. La violence maîtrisée et institutionnalisée par une caste devient un outil de la puissance de l’État. Il y a quelque chose de relativement contre-intuitif dans le problème de la proximité avec l’adversaire. Mais c’est oublié un peu vite qu’il y a à peine vingt ans, en ex-Yougoslavie, des voisins qui se connaissaient parfois depuis toujours se sont entretués. Le terme de voisin n’est pas qu’une image. La violence semble plus extrême entre des personnes proches parce qu’elle est plus personnelle. Les accrocs du quotidien se muent en rancœur et la rancœur en haine.


Les Guerres préhistoriques | Lawrence H. Keeley
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