N°19 | Le sport et la guerre

Christian Persicot

Armées et sport de haut niveau

S’il est une question récurrente au sein des armées, c’est celle du sport militaire de haut niveau. Davantage encore à l’heure des restructurations et des diminutions d’effectifs. Comment en effet expliquer ce besoin pour un ministère tellement sollicité ? Certains diront que cela coûte cher, que les « danseuses de la République » n’ont rien des combattants de Kapisa. D’autres évoqueront le risque du dopage et l’absence de reconnaissance d’un athlète qui n’aura pas cité la Défense à la moindre interview. Les mêmes discuteront de la pertinence du Conservatoire des musiques militaires ou de l’existence de la Patrouille de France. Je n’ai pas la prétention de mettre fin au débat. Tout au plus, cette tribune m’offre l’occasion d’avancer quelques arguments et de défendre un idéal.

Notre pays a besoin d’élites pour porter les couleurs du drapeau et donner la meilleure image de la France à l’étranger. Cela suscite de la fierté chez nos concitoyens et illumine parfois le ciel de nos soldats.

À ce jour, cent trente-trois pays sont membres du Conseil international du sport militaire (cism). Son slogan, « amitié par le sport », propose une véritable réflexion philosophique sur le métier des armes : les armées du monde existent-elles pour faire la guerre ou, au contraire, pour l’éviter ? Créé par un Français, le commandant Debrus, en 1948, le cism organise notamment le tournoi de football des pays de l’ex-Yougoslavie et facilite le dialogue entre les deux Corées. Voilà qui devrait permettre d’évoquer les points communs entre deux univers si proches l’un de l’autre : l’armée et le sport.

Oubliée durant la reconstruction de l’après-guerre, la politique du sport prend une nouvelle envergure à l’été 1960. La France rentre alors des Jeux olympiques de Rome avec seulement cinq médailles, 25e nation, incapable de jouer dans la « cour des grands ». Le gouvernement avait pourtant chargé l’armée de la formation des athlètes français. Ces piètres résultats déclenchent une colère mémorable du général de Gaulle, qui décide que la France a pris trop de retard et qu’il faut réagir. Avec son ministre des Sports, Maurice Herzog, il investit alors des fonds considérables pour le sport français qu’il souhaite sous contrôle. Ainsi naît le Centre national des sports de la Défense (cnsd), issu d’une longue lignée d’organismes de formation et de performance du sport. Il est l’héritier d’un passé militaire et sportif glorieux.

Les années 1967-1998 voient la fusion du groupement interarmées de Joinville, de l’école d’entraînement physique et militaire d’Antibes, du centre d’éducation physique de la Marine de Toulon, et des sections militaires de tir et de parachutisme. L’École interarmées des sports (eis) est créée en 1967 et s’implante sur le site de Fontainebleau. Avec une double mission autour de deux pôles prestigieux que constituent le bataillon d’Antibes pour la formation des spécialistes militaires des sports et le bataillon de Joinville pour l’entraînement des sportifs de haut niveau.

Entre 1998 et 2003, le passage d’une logique d’armée de conscription à celle d’une armée professionnelle est l’élément déclencheur d’une profonde restructuration. Le bataillon de Joinville disparaît, mais celui d’Antibes conserve la mission principale de former le personnel sportif nécessaire à la pratique de l’enseignement physique au sein des trois armées et de la gendarmerie.

En 2003, un accord-cadre signé entre les ministères des Sports et de la Défense est le véritable acte fondateur du sport militaire de haut niveau. Sont ainsi nées les équipes de France militaires. Aujourd’hui encore, les athlètes du ski français n’obtiendraient que peu de résultats sans le soutien des douanes et de l’armée de terre, donc sans la volonté affirmée de l’État. Et tous les quatre ans, notre pays est fier de ses médailles olympiques, sans d’ailleurs toujours chercher à comprendre comment elles sont construites.

Le ministère de la Défense axe sa politique en faveur du sport de haut niveau sur trois objectifs : participer à l’effort national consenti au profit de celui-ci et s’affirmer comme son premier partenaire institutionnel ; contribuer à la promotion d’une image sportive, jeune et dynamique de l’institution militaire, image de nature à favoriser le recrutement ; et permettre à la France de briller dans les compétitions organisées par le Conseil international du sport militaire.

Un athlète de haut niveau se forge entre l’âge de quinze et celui vingt-deux ans. C’est une phase délicate. Si, au début, l’adolescent est souvent soutenu par sa famille et par un club, il arrive un moment où le coût de sa formation devient trop lourd. Tous n’ont pas la chance d’appartenir à des milieux aisés ! Il arrive même que le sport soit un ascenseur social. Or il est rare que le jeune sportif brille déjà. C’est là qu’il a le plus besoin d’une couverture sociale et d’un soutien moral. C’est également durant cette période qu’il acquiert les bases de son métier. Eh oui, le sport de haut niveau est un métier ! Suivant les disciplines, il lui faut désormais consacrer entre six cents et huit cents heures par an à l’entraînement. Et autant de récupération. Ensuite, reste encore à répondre aux nombreuses sollicitations : presse, administration, gestion de carrière et préparation de la reconversion. Autant dire que les trente-cinq heures ne font pas partie de la vie du sportif de haut niveau et qu’il lui est impossible de mener en parallèle d’autres activités professionnelles s’il veut réussir au niveau international.

C’est aussi pendant cette période que l’athlète va apprendre à se connaître, va faire ses expériences. Au-delà de ses qualités physiologiques et techniques, il va apprendre le souci du détail, l’exemplarité, la stratégie. Des valeurs qui sont également militaires ! Il va chercher progressivement les bonnes solutions pour devenir le meilleur. C’est une lutte permanente pour corriger un défaut et maîtriser peu à peu le geste parfait. Petit à petit, en se remettant sans cesse en question, il va comprendre où est le chemin. Il va aussi apprendre à se connaître, dans l’effort et dans la défaite. Il va travailler en équipe, car il n’est plus possible aujourd’hui de se former seul. Enfin, à force de doutes, il va un jour trouver la confiance qui le mènera à la victoire. Au fond, c’est juste un guerrier qui sait qu’immédiatement après la fin de sa mission, une autre a déjà débuté.

Moi-même issu du ski de compétition, né d’un père sélectionné aux championnats du monde de ski de fond en 1954 et marqué par son passage à l’École militaire de haute montagne ainsi que par la guerre d’Algérie, j’ai découvert l’armée pendant mon service national. En 1980, j’ai rejoint le 159e régiment d’infanterie alpine à Briançon et porté les couleurs de son équipe de ski. J’ai débuté comme appelé du contingent et ai immédiatement trouvé le soutien indispensable à mon évolution sportive et professionnelle. Sans briller au niveau international, j’ai obtenu quatre titres nationaux militaires en patrouille nordique et une victoire en coupe de France militaire de biathlon en 1985. J’ai également écouté l’hymne national français en Allemagne pour une victoire en relais. Je sais que cette époque a déterminé ma vie. Elle a aussi contribué à ma formation militaire. Je suis resté huit années au sein de l’équipe de ski du régiment de la neige et c’est là que j’ai appris mon métier de soldat de montagne. J’y suis devenu chef de détachement en haute montagne.

J’ai ensuite voulu connaître une autre facette du métier des armes. J’ai alors rejoint le 11e Choc, devenu depuis le Centre parachutiste d’entraînement spécialisé. J’y ai passé seize années merveilleuses. Instructeur commando, moniteur parachutiste, puis instructeur corps à corps, j’ai pu mesurer l’avantage que procurait un passé d’athlète. C’est au quotidien de ce métier difficile que j’ai retrouvé les valeurs du sport de haut niveau. J’ai été décoré d’une croix de la valeur militaire et je crois donc pouvoir défendre, à ce titre, l’idée qu’un athlète puisse être un soldat…

En 2002, alors que rien ne me destinait à changer d’affectation, j’ai été appelé par le général Peeters, commissaire aux sports militaires. J’ai rapidement compris que ma mission serait de rendre au sport, et au sport militaire en particulier, ce qu’il m’avait apporté. J’ai donc eu la chance de diriger l’équipe de France militaire de ski entre 2003 et 2010. Sept années exceptionnelles pendant lesquelles j’ai tenté de donner une chance à ceux qui partageaient des valeurs militaires.

L’athlète de haut niveau est le même jeune que celui qui pousse la porte d’un centre d’information et de recrutement des forces armées. Tous ses sens sont déployés et il est prêt… C’est un moment exceptionnel, pendant lequel il faut fixer la règle : « Que tu sois soldat de marine ou nageur de haut niveau, tu te battras désormais, aussi, pour ton pays ! » C’est là que la confiance se gagne. Il est indispensable que le message soit clair et que les attentes de chaque partie soient évoquées. L’athlète militaire de haut niveau signe un contrat au même titre que n’importe quel soldat. Il signe également une charte qui précise les règles de sa bonne conduite d’ambassadeur de la France et de son armée. Il s’engage !

Bien sûr, la mission est différente bien qu’il s’agisse du même drapeau. Il y a dans l’armée des combattants d’élite et des collaborateurs qui assurent des tâches de soutien. C’est l’équilibre qui compte. Une carrière de haut niveau peut durer entre cinq et quinze ans. C’est peu et c’est beaucoup. C’est beaucoup en nombre de postes, si on se place du côté de la direction des ressources humaines. C’est peu si l’on rapporte ce calcul au coût d’un champion olympique « militaire ».

En 2010, l’équipe de France militaire de ski comptait trente-deux athlètes pour un coût annuel global, salaires compris, d’environ un million d’euros. Un skieur militaire coûte donc, plus ou moins, trente mille euros par an. Nos sportifs ont rapporté cinq médailles des Jeux olympiques de Turin et quatre de ceux de Vancouver, honorant l’armée de terre et la France. Une équipe dont la réussite génère plusieurs centaines d’emplois, moniteurs de ski, hôteliers, pisteurs secouristes et autres.

C’est une chance pour la Défense de préserver ces postes de sportifs de haut niveau. Ils permettent un lien direct entre la nation et son armée. Le haut niveau motive également la formation du sport militaire. Il facilite l’adhésion du plus grand nombre et procure, à l’occasion, une fierté à l’ensemble de la famille militaire. Ainsi, lorsque depuis l’arrivée victorieuse de sa course olympique à Vancouver, le caporal Vincent Jay saluait ses camarades en Afghanistan, c’est l’ensemble de la communauté militaire française qui était cité. De la même manière, les récents reportages télévisés consacrés à Alain Bernard et à Hugues Dubosc ont fait la promotion de la gendarmerie. Les stages commandos de l’efms à Givet en 2005 et à Lorient en 2011, le défilé des athlètes de haut niveau de la Défense, le 14 juillet 2007, sur les Champs-Élysées, sont autant d’exemples qui accréditent la thèse qu’une empreinte positive de l’armée française peut être transmise, avec peu de moyens, grâce au sport de haut niveau.

Certes les armées veillent à l’harmonisation de leurs ressources humaines. Il semble que la proportion actuelle requise par le sport militaire soit raisonnable. Avec cent quatre-vingts sportifs de haut niveau pour une armée de deux cent quarante mille personnes, la France accepte un effort mesuré. Beaucoup d’entreprises souhaiteraient cette proportion de stars du sport mondial parmi leur personnel. Leur capacité d’adaptation, leur calme, leur volonté en font des « soldats d’élite ». Dès lors, la question n’est plus de savoir si les armées doivent participer à l’effort national en termes de sport de haut niveau, mais de définir une stratégie, un plan d’action, pour rentabiliser l’investissement. Comme nous le montrons, le coût annuel d’une telle structure est très relatif en comparaison des budgets de la Défense et de la France. Toutefois, je peux comprendre que certains s’interrogent quant à la pertinence de ce modèle sportif. Je propose alors de raisonner à la manière d’une entreprise : que coûte réellement cette solution ? Que génère-t-elle ? Comment ferait-on sans elle ? Comment pourrions-nous l’améliorer ?

Autant de questions et autant de réponses. Le sport de haut niveau de la Défense coûte environ trois millions d’euros par an. Il génère des médailles olympiques, mais aussi de nombreuses médailles mondiales et européennes dans la plupart des disciplines sportives civiles et militaires. Ainsi, j’ai eu la chance de diriger l’efm ski et de remporter quatre titres mondiaux militaires avec cette équipe.

Il est vraisemblable que sans cette solution, le sport français serait confié à d’autres ministères. Les budgets seraient donc probablement affectés hors de la Défense. De ce fait, les armées perdraient les moyens et l’image… Enfin, s’il est difficile d’améliorer le rendement sportif, il est clair que la communication mériterait un effort particulier. Il faudrait, pour ce faire, comprendre le fonctionnement du sport de haut niveau, qui échappe parfois à l’entendement des stratèges parisiens !

Désormais retraité, mais toujours au service de la cause sportive et militaire, je note à quel point ces athlètes militaires font rêver les directeurs de communication des plus grandes entreprises. Absolument convaincu que la priorité doit être portée sur les missions extérieures, je déplore cependant que peu d’officiers français connaissent à ce jour le haut niveau et je regrette parfois que ces derniers ne soient pas davantage entendus. Si de nombreuses grandes entreprises publiques ou privées investissent dans l’espoir de trouver un jour le champion qui portera leur image, comment expliquer que la Défense n’exploite pas mieux les médailles de ceux qui portent la tenue militaire et qui, contrairement à une idée encore souvent véhiculée, en sont fiers ?

J’ai noté qu’à l’issue de leur carrière sportive, certains athlètes souhaitent faire une carrière militaire. Ils s’y préparent d’autant mieux s’ils découvrent réellement l’institution durant leurs contrats d’athlètes de haut niveau de la Défense. Grâce à leur opiniâtreté et à des postes adaptés, ceux qui ont suivi cette démarche donnent souvent satisfaction. Le sergent Florence Baverel, championne olympique de biathlon à Turin en 2006, en est un exemple. En 2008, elle a choisi d’être affectée au centre d’information et de recrutement de l’armée de terre de Besançon et a ainsi fait profiter cette armée, dans sa région natale, de son image de championne olympique « militaire ». Le gendarme Alain Bernard, champion olympique de natation, écrivait récemment sur son site : « J’ai toujours été fier de mon pays et de mes couleurs. Mais il faut également que je pense à ma reconversion, même si j’ai encore le temps. Il y a énormément de métiers intéressants au sein de la gendarmerie. » Et Hugues Dubosc, triple médaillé olympique, vient de réussir le concours pour devenir sous-officier. Il sera plongeur au sein de la gendarmerie.

Il y aurait bien d’autres choses à dire et nous pourrions parler durant des heures du sport militaire de haut niveau. Je suis certain que ce système est bon. Il nécessite une gestion et une réflexion permanente pour coller au mieux aux valeurs du monde militaire et aux sensibilités du moment. Rien n’est gratuit, mais cette solution dépasse le cadre de la Défense. C’est une affaire nationale qui mérite des moyens, du recul et une véritable objectivité.

La préparation physique occupe une place importante dans la vie militaire. Le fantassin marchera toujours avec son sac à dos et le pilote de chasse subira encore des contraintes énormes. Le marin trouvera dans le sport l’occasion d’éliminer son trop-plein d’énergie. Nous devons veiller à ne jamais oublier cette base commune. Dans cette société qui génère de plus en plus d’obésité, les armées vont désormais chercher les « élites » sportives pour montrer l’exemple et ainsi inciter le plus grand nombre à satisfaire aux tests physiques dans le but de répondre aux besoins de la guerre. Celle-ci ne changera pas de niveau. Elle sera toujours physiquement exigeante.

Le sport fait partie des valeurs militaires, mais aussi de l’image d’une nation. La France a la chance d’avoir des champions militaires. Donnons-leur la possibilité de montrer l’exemple en interne et de promouvoir notre pays. Le président de la République vient d’apporter son soutien écrit à l’organisation des seconds Jeux mondiaux militaires d’hiver, qui se dérouleront à Annecy en mars 2013. Cette opportunité offrira une exposition naturelle que les communicants militaires pourront saisir.

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