N°18 | Partir

Nicolas Barthe

« Je vous dis à très bientôt »

Il est difficile d’évoquer avec les siens le départ en mission, et cela pour différentes raisons. La principale pour moi, c’est que l’on n’est jamais certain de la date exacte, parfois même du lieu. Ainsi, en 2007, j’ai annoncé à ma famille un départ au Sénégal en juin, en Afghanistan en septembre, à la frontière soudanaise en novembre. Finalement, je suis parti en mai 2008 au Kosovo. L’excitation du militaire pour les opérations extérieures n’est pas partagée par ses proches. L’angoisse liée à la mission, la longue absence et les événements que vont vivre seuls notre moitié et nos enfants peuvent être ressentis comme un abandon.

Depuis l’expérience de 2007, je ne préviens mes proches que quelques semaines avant le début de la mission. Généralement, un mail ou un appel téléphonique suffit à annoncer mon absence pour plusieurs mois. Cette fois-ci, avant mon départ pour l’Afghanistan, mes amis ont voulu marquer le coup et m’ont organisé une fête. J’étais réticent au début, mais ma fiancée et un de mes camarades au régiment m’ont convaincu. Ils avaient raison, cela m’a permis en une soirée d’embrasser toutes les personnes que j’apprécie, de partir le cœur gonflé et l’esprit heureux.

La journée précédant le jour J, je suis resté avec ma chérie dans la maison de mes parents. Quelques pleurs. J’essaye de la rassurer, je l’enlace. Mes parents et ma sœur semblent rassurés grâce à cette nouvelle présence féminine. Pour la première fois, une jeune fille accepte de rester à mes côtés et promet d’attendre mon retour. Depuis notre première rencontre, elle sait que je pars en Afghanistan, car lors de nos discussions, je lui avais annoncé presque comme un argument cette future mission. « Avec moi, tu n’auras pas de soucis, je ne pourrais pas te coller et prendre de ta liberté. Je vais préparer le départ en “Afgha”, soit six mois de sorties terrain et de camps puis six mois à plus de cinq mille kilomètres… » Curieusement, je ne parle jamais des possibilités de projection. Elle, depuis le début, savait. Pourquoi m’étais-je confié ? Quelques mois plus tard, je compris... Nous ne nous sommes plus quittés. Les allers et retours quotidiens, entre Nice et Fréjus, pour partager les moments de vie à deux m’ont beaucoup apporté. En permission, nous nous sommes éclipsés à Rome.

Plus les jours passaient, plus je m’interrogeais sur le fatidique « Au revoir ma chérie. » J’ai demandé à un de mes amis d’enfance de m’accompagner au régiment. Je préférais dire au revoir à ma famille sur le pas de la porte. J’avais l’impression que cela rendrait le début de la séparation moins dramatique. Nouveauté, ma fiancée souhaitait être présente au départ du bus. Après avoir embrassé mes parents et quitté Nice, je me retrouvais donc à Fréjus, dans mon bureau avec elle et avec mon ami. Les derniers mots, je ne m’en souviens plus car ils étaient banals : « Il doit faire beau à Kaboul, mais j’espère qu’il n’y a pas une chaleur accablante. » Je n’ai pas trouvé de mots romantiques ou réconfortants, pourtant des nuits durant j’ai rêvé de ce moment.

Je suis maintenant sur la place d’armes du régiment avec mes hommes. Je les rassemble et prépare la montée dans le bus. Nous sommes physiquement là, mais notre esprit est déjà parti. Un dernier baiser, une dernière accolade et enfin j’ai le cœur léger. Finis les adieux lourds d’émotion. Je suis avec tous mes camarades dans ce bus et bientôt à l’aéroport.

Heureux dans ma famille, heureux en amour, entourés d’amis, pourquoi quitter ce monde doré pour six mois ? Je suis dans l’avion au-dessus de Kaboul. Je vois les chaînes de montagne et les ouadis. Mon premier doute se pointe. Il me rappelle mon deuxième saut en chute libre. Confiant et sûr de mon choix, je m’étais inscrit à un stage de progression accélérée en chute libre (pac). Lors du premier, avant de sauter, l’instructeur me demanda si j’étais anxieux. Je ne l’étais pas. J’allais assouvir une envie. J’étais sur un nuage. En revanche, pour le deuxième c’était différent. Je connaissais la sensation du vide et je sentais une gêne. J’étais à ce moment-là en proie au doute avec ces questions qui revenaient sans cesse dans ma tête : « Pourquoi es-tu là ? ». « Pourquoi fais-tu ça ? »

Derrière mon hublot, ces mêmes questions sont revenues. J’étais de nouveau excité et angoissé. Mon sourire, si sûr lors de mon départ alors que ma petite amie, mes parents et mes amis laissaient couler quelques larmes, s’était effacé. Mais mon appréhension s’est envolée dès l’atterrissage. Ça y était, je foulais pour la première fois le sol afghan. Ce territoire tant attendu par tous les militaires pour accomplir leur vocation. Je partage des rires avec mon adjoint et un de mes chefs de groupe en voyant des camarades du régiment venus nous accueillir. Je suis conscient que là où je vais, les combats vont être rudes…

Prendre le large | A. Provost-Fleury
C. Tran Van Can | Carnet d’un sergent